Les Pittoresques (Eekhoud)/La Guigne/8

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Librairie des Bibliophiles ; Librairie Muquardt (p. 146-147).


VIII

GOUACHE

Il subit quatre jours d’écrou ; puis il fut libre,
Libre… Comme il courut vers son pauvre logis !
Il comptait la trouver, pâle, les yeux rougis,
Honteuse, repentante… Il pardonnait au prix
D’un baiser remuant son cœur dans chaque fibre…
La mansarde était vide… Il perdit l’équilibre

Et tomba comme un lâche au bord du lit défait.
Ses doigts crispés fouillaient les draps, touchaient la place
Où le poids de leurs corps avait laissé sa trace,
Où la veille du bal… Oh ! qu’avait-elle fait ?…
Comme autour d’un ormeau le lierre fou s’enlace,
Dans un accès nerveux presque elle l’étouffait.


Il ne se plaignit pas et souffrit sans murmure.
Depuis lors, tout le temps il battit le pavé,
Oubliant le travail, errant à l’aventure,
Ou, des fois, méditant, au même endroit rivé,
Retournant à plaisir le fer dans sa blessure.
Un jour il se pendait… mais on l’avait sauvé.

La mort l’ayant trahi, tout comme sa maîtresse,
Il goûta de l’oubli qu’on trouve au cabaret.
Il buvait en barbare, avalant d’un seul trait
Les verres d’alcool, vidés, remplis sans cesse.
Mais lentement sur lui la liqueur opérait,
Car sa mémoire était plus forte que l’ivresse.

Ses jarrets fléchissaient ; il marchait, titubant,
Ignoble, débraillé, l’haleine corrompue.
Les lâches d’autrefois jubilaient à sa vue.
On le trouvait souvent endormi sur un banc,
Et même il arriva qu’étendu dans la rue,
Les gamins piétinaient son corps en l’enjambant.