Les Poètes du terroir T I/Victor Pavie

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 72-74).

VICTOR PAVIE

(1808-1886)


Victor Pavie est né le 26 novembre 1808, à Angers, où son père, Louis Pavie, occupa par la suite, de 1826 à 1830, les fonctions d’adjoint au maire. Tout jeune, à demi orphelin, il fut élevé avec son frère Théodore (celui-là même qui se rendit célèbre par ses voyages aux Indes et ses travaux d’orientaliste) par une vieille servante, Manette Dubois, dont le dévouement ne cessa de se prodiguer durant soixante années. Ses études terminées, Victor Pavie, qui avait fait sa philosophie au lycée Charlemagne, à Paris, et conquis, en 1831, son diplôme de licencié en droit, revint se fixer à Angers et prit, rue Saint-Laud, la direction d’une imprimerie fondée par les siens. Lié avec tous les écrivains et quelques-uns des plus notoires artistes de l’époque romantique, tels Victor Hugo, Lamartine, Nodier, Emile et Antony Deschamps, Sainte-Beuve, Mérimée, David d’Angers, etc., il contribua, soit par ses éditions, soit par ses propres écrits, au triomphe des idées nouvelles. Quand, au bout de quelques années, il abandonna son entreprise d’imprimerie, on put croire qu’il allait prendre un repos bien gagné, mais il n’en fit rien, et cette apparente retraite fut à proprement parler la période de sa carrière la plus active et la plus féconde. Il semble d’ailleurs qu’il n’ait été imprimeur que pour obéir à des traditions de famille et honorer ses ancêtres en publiant les deux belles éditions qu’on connaît des Œuvres choisies de Joachim du Bellay et de Gaspard de la Nuit, du mystérieux Aloysius Bertrand. Ses premiers essais littéraires, prose et vers, parurent dans les Affiches d’Angers, L’Union de l’Ouest, les Annales de la Société linnéenne de Maine-et-Loire, la Revue d’Anjou, La Gerbe, L’Anjou historique, et enfin les Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers, dont il fut un des membres les plus écoutés. À ces œuvres, si l’on joint des travaux postérieurs, demeurés en grande partie inédits, une correspondance variée, échangée avec des hommes illustres, on aura tout ce qui sortit de sa plume pendant près d’un demi-siècle. Un choix de ses ouvrages, précédé d’une notice biographique par M. René Bazin, a paru en 1887 (à Paris, par les soins de la librairie Perrin, 2 vol. in-18. C’est dans ce choix, forcément restreint, mais composé avec un tact parfait et éclairé, que nous trouvons les quelques rares poésies qu’il a écrites pour glorifier cette terre d’Anjou dont il fut un des fils dévoués.

À l’encontre de ses compatriotes les plus notoires, Victor Pavie s’est peu éloigné du foyer de ses ancêtres. « Il s’attache, écrit M. René Bazin, aux monuments du vieil Angers et du vieil Anjou, il les décrit, il en ressuscite la gloire, il parcourt nos campagnes de lOuest en artiste et en poète… La nature l’attire et l’émeut, surtout la nature pleinement agreste, les coins de landes ou de forêts qui sont déserts, et les solitudes pour ceux auxquels la destinée interdit les routes lointaines. Aucune nuance ne lui échappe. Il connaît tous les secrets du pintre et du marcheur, les routes et les heures propices. Il sait à quel moment fleurit l’insaisissable liparis dans les héronnières de Chaloché, ou la chlore imperfoliée dans les sables de Fromentine ; il va voir le soleil se coucher derrière la tour de Trêves, le printemps naître dans les luisettes argentées de la Loire, ou l’automne descendre sur les futaies de Serrant. Promenade, chasse, herborisation, pélerinage, tout lui est occasion ou raison d’entreprendre et de recommencer pour son compte, et dans sa région, ce que Nodier n’a fait qu’une fois : le Voyage pittoresque et romantique à travers l’ancienne France… »

Victor Pavie mourut à Angers en 1886.

Bibliographie. — René Bazin, Notice biographique ; édit. des Œuvres choisies de V. Pavie ; Paris, Perrin, 1887, I. — Léon Séché, Sainte-Beuve, II, Paris, Mercure de France, 1904, in-8o.



LA VIPERINE[1]

J’ai vu sur les remparts monter la Vipérine.
Triste fleur ! Quand sa tige aux créneaux de la tour
Paraît, l’ombre descend dans mon âme chagrine,
Et déjà de l’hiver je pressens le retour.

Il est loin, car aux cieux le soleil pointe encore,
Et ce printemps, amour de notre œil réjoui,
N’est qu’un pâle rayon, qu’une imparfaite aurore
De l’été qui fermente et tressaille sous lui.

La sève qui, timide hier, filtrait par goutte,
Ruisselle du brin d’herbe à la cime des bois ;
Ainsi de l’orgue ému les sons, qu’un peuple écoute,
Par ses mille tuyaux s’échappent à la fois.

Les nids qui se taisaient jasent sous la feuillée,
— Mystérieux rapports, parités du berceau.
Double vie à cette heure en tous lieux éveillée ;
Le bouton, c’était l’œuf, et la fleur, c’est l’oiseau.

Il est loin, il est loin. — Qu’importe la distance
Du trait inévitable à qui l’a reconnu ?
Demain sur aujourd’hui fatalement s’élance.
Ce qui passe est passé, ce qui vient est venu.

Ah ! pourquoi, chaque année, étranges que nous sommes,
Recommencer la vie et, du fond des hivers
Où le crédule enfant s’agite en nos cœurs d’hommes,
Rêver ciels toujours bleus, prés et bois toujours verts ?

S’il est un jour, s’il est une heure dans l’année,
Où l’on puisse, affrontant l’inexorable loi,
Entre la tige verte et la tige fanée
S’asseoir et respirer, je l’ignore. Pour moi

Dont un rapide éclair résuma la jeunesse,
Et qui, l’œil entraîné vers l’horizon lointain,
Ne songeais qu’avenir, n’aspirais que promesse,
Et que midi surprit dans l’essor du matin,

De mon passé l’image errante et poursuivie
M’explique le présent qui l’absorbe en son cours ;
Dans l’orbe des saisons je vois tourner la vie,
Notre vie est l’année, et nos ans sont des jours.

Chaque nouveau printemps sur notre front plus chauve
Glisse mieux, chaque hiver nouveau sur notre front
Dont la neige sourit à son vol terne et fauve,
Fait sa halte plus longue et son retour plus prompt.

C’est pourquoi je pâlis, blessé par ses atteintes,
À voir la Vipérine, émergeant du rempart
Où les gazons pressés rembrunissent leurs teintes,
De l’été sur sa crête arborer l’étendard.

(Œuvres choisies, 1887, II.)



  1. Plante des vieux murs et des décombres (Echium vulgare) ; fleurit aux premiers jours de juin