Les Poètes du terroir T I/G.-Colin Bucher

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Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 40-42).

(xvie siècle)

Quand parurent pour la première fois, en 1890, les poésies de Germain-Colin Bucher, on ne connaissait guère sur ce poète que ce qu’en avaient écrit la Croix du Maine et l’abbé Goujet, l’un et l’autre dans leur Bibliothèque françoise. Aujourd’hui, nous n’ignorons rien de ses œuvres, mais, malgré les recherches de son dernier éditeur, nous n’osons nous flatter d’être renseignés sur sa vie. Dans une épitre qu’il adresse à Jean Bouchet de Poitiers, il se dit Angevin :

Impere nioy comme maistre et novice,
Tu me verras à tes veutz réfléchir
En Angevin débonnaire et sans vice
Ne sçachant point sommeiller, ni gauchir.
Je suis d’Anjou, de génie clere et franche
Qui n’a tâché que d’honneur s’enrichir.

Ses poésies ne démentent en rien ses origines. Non seulement elles offrent le témoignage d’un esprit enjoué et malicieux, qui dut autant à la terre maternelle qu’à l’influence de Marot, mais elles nous dépeignent au vif la vie provinciale, peu avant la Renaissance. Ses pièces diverses sont pleines des noms de ses compatriotes. Il en est de célèbres et d’obscurs, parmi lesquels je relève ceux de Pierre de Tredehan, de l’évèque Jean Olivier, de Jean Avril, Pascal Robin, du Fault, Jean Maugin, le Petit Angevin, Charles de Sainte-Marthe, etc. De famille quasi illustre, Colin Bucher avait été secrétaire du grand maître de Malte. Sa fidélité à l’infortuné duc d’Anjou lui fit connaître les rigueurs de l’exil. Il ne paraît d’ailleurs pas s’en être souvenu dans les menus ouvrages qu’il consigna et que l’on peut lire au Manuscrit français 24139 de la Bibliothèque Nationale, où ils demeurent conservés. Ajoutons que c’est sur ce manuscrit même que fut composée l’édition à laquelle nous avons fait allusion plus haut. Sous ce titre : Un Emule de Clément Marot. Les Poésies de Germain-Colin Bucher, etc., publiées avec notice, notes, table et glossaire par Joseph Denais, elle parut à Paris, chez Techener, en un volume in-8o.

Indépendamment de leur mérite littéraire, les poésies de Germain-Colin Bûcher peuvent être considérées comme un des plus curieux documents angevins du xvie siècle.

Bibliooraphie. — La Croix du Maine, Bibliothique françoise ; t. Ier, p. 267. — Abbé Goujet, Bibliothique françoise, t. XI, p. 348-350 ; — Émile Picot, Supplément au x poésies de G.-Colin Bûcher ; Paris, Techener, 1890, in-8o.



REGRET D’UNE BONNE ANGEVINE

En paradis Jesus-Christ preigne l’ame
De ceste cy, qui gist soubz ceste lamee.
Gente de corps fut, et de beau visaige,
Tant qu’au penser le cueur triste a viz ai-je
Aussy a bien tel que si fort ne l’ame.

Sainctes et saincts ! envers Dieu vous réclame
Que facez tant pour celle que je clame,
Que de voz bien elle ait part et usaige
En Paradis.

Vivante fust sans reproche et sans blasme,
Tant qu’après mort ung chascun la proclame
Perle d’honneur, patron de femme saige.
O Gabriel ! qui portas le messaige[1]
Pour nous saulver, fay place à telle dame
En Paradis.


D’UN IVRONGNE

Gy dessoubz gist, or escoutez merveilles,
Le grand meurtrier et tirant de bouteilles,
L’anti Baccus, le cruel vinicide,
Qui ne soufTrit verre oncques plain ni vuide ;
Je tais son nom, car il put trop au vin.
Mais il avoit en ce l’esprit divin
Qu’en le voyant il alteroit les hommes,
Et haissoit laict, cerises et pommes,

Figues, raisins, et tout aultre fruytaige,
Synon les noix, chastaignes et fromaiges.
]i y doloit tant et fort le gobelet
Qu’il ne mangeoit viande que au salet,
t ne prioit Dieu, les saincts ny les anges,
Fors pour avoir glorieuses vendanges.
Par ce moyen, humains, vous pouvez croire
Qu’il n’estoit né pour vivre, mais pour boyre.
Ainsi ne vient à regretter sa vie
Puisqu’elle estoit au seul vin asservie.
Mais vous ferez à Baccus oraisons
Qu’il le colloque en ses sainctes maisons,
Tout au plus bas de la cave ou cellier,
Car oncq ne fut de meilleur bouteillier.

(Poésies de G.-Colin Bucher, 1890.)



  1. Allusion à l’Annonciation.