Les Poëmes de l’amour et de la mer/Les feuilles dans les bois commencent à roussir

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III.

Les feuilles dans les bois commencent à roussir,
Le ciel brûle, et la terre inquiète et farouche,
Comme pâmée, attend que le soleil se couche.

Une dernière fois, haletant de désir,
Il enveloppera les flancs de sa maîtresse
D’une resplendissante et féconde caresse.

Elle, accueillant l’époux avec un grand soupir,
Se roulera de joie au sein des folles herbes
Qui gardent son empreinte et ses poses superbes,


Et peu à peu, sentant qu’elle va s’assoupir,
La tête et les deux seins rejetés en arrière,
Laissera dans son corps s’infiltrer la lumière.




Mais la brise marine est fraîche, les mouettes
Planent dans la clarté du pâle crépuscule,
Et la paisible mer en déferlant ondule,
Comme un ruban moiré, sur la plage muette.

Éveillez-vous, beaux yeux d’argent de la nuit brune,
Ouvrez-vous sur la mer, palpitez dans l’espace,
Joyeuses et riant à la voile qui passe,
Étoiles, doucement naissez une par une !

Je vous regarderai tremblantes, incertaines,
Surgir à l’horizon dans une brume exquise ;
Puis vous resplendirez, et mon âme conquise
Vous aimera d’amour comme des sœurs lointaines.





Heureux les jeunes cœurs qui, par de telles nuits,
Pourront s’épanouir sous les cieux éblouis ;
Qui, n’ayant pas vécu leurs floraisons dernières,
S’effeuilleront au vent des amours printanières !

Qui seront de beaux lis d’un éclat immortel,
Et qui parfumeront la montagne et le ciel…
Ils s’en iront s’asseoir, pensifs, sur la falaise,
Et, sans aucun remords, pourront s’aimer à l’aise.

Ils seront bien heureux et s’aimeront assez
Pour ne jamais songer à compter leurs baisers ;
Ils auront devant eux la mer, la nuit immense,
Et leurs amours voilés seront faits de silence.






On entend un chant sur l’eau
Dans la brune :
Ce doit être un matelot
Qui veut se jeter à l’eau
Pour la lune.

La lune entr’ouvre le flot
Qui sanglote,
Le matelot tombe à l’eau…
On entend traîner sur l’eau
Quelques notes.