Les Propos d’Alain (1920)/Tome 2/131

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Editions de la Nouvelle Revue Française (2p. 175-176).
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CXXXI

Au sujet de la Guerre, les Démocrates et surtout les Socialistes en sont restés trop longtemps à la négation. Ils ont nié le droit du plus fort ; ils ont nié les vertus de la guerre ; ils ont nié la tyrannie militaire ; en ce sens ils ont nié la Patrie ; les plus modérés tâtonnaient dans cette nuit des négations, les autres s’y jetaient furieusement.

Il faut affirmer. Le livre de Jaurès sur l’Armée Nouvelle est un premier essai de doctrine. Mais il est nécessaire que la doctrine soit méditée partout, enseignée partout. C’est le sens commun qui doit former la nouvelle doctrine de la guerre, comme il a autrefois formé l’autre, dans un temps où le métier des armes était réellement un métier.

Tout homme valide exerce, en plus de son métier propre, le métier des armes ; ainsi il n’y a plus d’armée, j’entends par là que le métier des armes ne donne plus à personne aucun privilège, aucune noblesse. Les Instructeurs sont des fonctionnaires au même titre que les postiers ou les ingénieurs des ponts. Cela ne veut point dire qu’ils ne puissent prétendre à la plus haute influence morale, au même titre que les instituteurs, qui sont des instructeurs aussi ; mais leur prestige dépend seulement de leur savoir.

La guerre n’est plus considérée comme une école de vertu. Assurément on comprend bien que pour un riche, parce que le travail des autres lui permet de vivre facilement, la guerre soit une espèce d’épreuve nécessaire, qui excite utilement l’énergie virile en même temps qu’elle justifie l’inégalité ; c’est par cette pensée que les meilleurs parmi les riches se destinent au métier des armes. Mais la noble mission de défendre le pays appartient maintenant à tous. Or, ceux qui travaillent de leurs mains ont occasion à chaque instant d’exercer l’énergie virile, de vivre pour les autres, de Servir enfin. Pour les travailleurs la paix n’est pas un repos déprimant, c’est encore une guerre et une conquête, mais contre les choses et sur les choses. La Guerre n’est ni belle ni désirable.

La Guerre, enfin, est défensive absolument ; elle est toujours une réponse à un acte de violence délibéré. De ce principe dépendent les formations nouvelles et la politique de l’avenir. On voit sans peine, notamment, que le système des alliances doit en être profondément modifié. Mais surtout les méthodes de guerre doivent être changées radicalement. Car la guerre n’est plus un jeu où l’on se résigne à perdre parce que l’on a aussi l’espoir de gagner. La guerre a pour fin la liberté de tous, mais le vainqueur doit se refuser tout autre avantage ; et, en revanche, la défaite n’est jamais acceptée ; la paix suppose essentiellement le retour à l’état initial. Par exemple la seule idée qu’on puisse livrer les uns pour sauver les autres apparaîtra comme propre à des temps Barbares, où les territoires producteurs, avec les artisans et commerçants, appartenaient à une dynastie militaire et pouvaient être cédés à une autre. Selon le système nouveau, la Patrie est une et indivisible.