Les Putains cloîtrées/01

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Acte premier.

PERSONNAGES :


Vise-Cul père, apothicaire.

Vise-Cul fils.

Sublimé, valet de Vise-Cul fils.

Souple-Fesse, abbesse.

Conculie.

Sœur Tir-Lapine.

Sœur Encule.

Sœur Patine.

Sœur Foutaise.

La Tourière.

Autres Putains.

Un Cocher de Fiacre.

Grégoire, faiseur de tisane.





Le théâtre représente la face de Bicêtre… une campagne… Il fait nuit, l’ouverture annonce un orage.

Les Putains cloitrées, Bandeau de début de chapitre
Les Putains cloitrées, Bandeau de début de chapitre

LES

PUTAINS CLOITRÉES,

PARODIE

DES VISITANDINES,

EN DEUX ACTES.



ACTE PREMIER.



Scène PREMIÈRE.


FOUTAISE, TIR-LAPINE.


tir-lapine, à sa croisée.


air : Il pleut.

Il pleut, il pleut, Foutaise,

foutaise.


Eh bien ! eh bien ! ma sœur :
Cela me rend bien aise…

tir-lapine.


Et moi, je meurs de peur :
A cause du tonnerre,
Mon amant, cette nuit,
Ne viendra pas, ma chère,
Me trouver dans mon lit.

foutaise.


N’est-ce que pour ça que vous craignez ? C’était bien la peine de me réveiller…

Air : Ce fut par la faute du sort[ws 1].

Vous m’avez fait, en m’éveillant,
Ma sœur, un bien cruel dommage,
Je faisais un rêve charmant,
Car je rêvais de pucelage.
Un vit, d’une énorme grosseur,
Dans mon con faisait son entrée.
Est-ce un péché, ma chère sœur,
De rêver qu’on est dépucelée.

tir-lapine.


air : Avec les jeux dans le village[ws 2]

Sur un fait de cette importance,
Ma sœur, je ne prononce pas,
Car c’est un cas de conscience…
Et, de plus, un fort vilain cas.

foutaise.


Plut au Ciel, chère Tir-Lapine,
Que je n’eusse point rêvé, moi.
                  Hélas !…
En m’éveillant, au lieu d’une pine,
Je n’ai plus trouvé que mon doigt.

tir-lapine.
(Le tonnerre gronde fort.)

Ciel !… que devenir !…

foutaise.


Air : Réveillez-vous[ws 3].

Allons, ma sœur, point de faiblesse,
Et tâchons de nous endormir.

tir-lapine.


Allons plutôt chez Souple-Fesse…
            Notre déesse
            Du plaisir.





Scène II.

VISE-CUL, SUBLIMÉ.
vise-cul.

Eh bien ! Sublimé…

sublimé.

Eh bien ! M. Vise-cul.

vise-cul.

Où sommes-nous ?

sublimé.

Ma foi, monsieur, je n’en sais rien, mais je sais bien où je voudrais être…

vise-cul.

Où donc, s’il vous plaît ?

sublimé.

Dans un bon lit, monsieur : la nuit est faite pour la passer auprès d’une jolie femme qu’on f…, et non pas pour courir les champs. Si je pouvais seulement… Ah ! monsieur, une auberge… si je ne me trompe…

vise-cul.

Eh bien ! entrons… A propos… je n’ai pas le sou…

sublimé.

Et vous êtes en peine pour payer, n’est-il pas vrai ? Avez-vous oublié votre état, M. Vise-Cul ? Vous donnerez des clystères.

vise-cul.

Oui, mais il faut trouver des malades…

sublimé.

Nous en ferons…

vise-cul.

Soit !… (Il sonne.)





Scène III.

les mêmes, LA TOURIÈRE.
la tourière.

Ah ! mon Dieu, quel bruit !

sublimé.

Holà ! la fille, un bon feu, du vin et un bon lit.

la tourière.

Et pourquoi faire, grand Dieu ?

sublimé.

Nous vous le dirons, quand nous y serons… Nous sommes deux jeunes vigoureux : si vous voulez tâter de nous, vous serez contente…

la tourière.

Ignorez-vous que c’est ici Bicêtre…

sublimé.


air : Tu croyais en aimant Colette[ws 4]

Ah ! je vous servirai peut être,
Plus que je ne l’avais pensé :
L’on m’a toujours dit qu’à Bicêtre
L’on a besoin de Sublimé.

la tourière, (fermant brusquement la grille.)

Oh ! les impertinents !… bonsoir…





Scène IV.

SUBLIMÉ, VISE CUL.
sublimé.

Belle réception !

vise-cul.

Pourquoi, diable, vas-tu lui dire ton nom ?

sublimé.

C’est que je croyais lui pouvoir être utile… Mais vous-même, pourquoi diable vous avisez-vous aussi de courir, quand tout le monde dort ? Ah ! monsieur, quelle vie vous menez ! Vous n’avez que vingt-cinq ans, et qui sait si vous en vivrez encore deux…

vise-cul.

Pourquoi ?

sublimé.

Pouvez-vous le demander !… depuis que vous volez de pays en pays, de bordel en bordel, de conquête en conquête…

vise-cul.

Je veux me mettre au régime, oui, je le sens Sublimé : j’ai moi-même besoin de toi… avec quelques bains… quelques pilules… etc… je serai en état, je crois, de reparaître aux yeux de mon père qui me croit mort de la v… et quand je serai guéri, je me fixe à Paris, je prends une boutique, et j’en guérirai d’autres…

sublimé.

M. Vise-Cul, votre père, vous cédera ses fonds…

vise-cul.

Enfin, me voici dans mon pays. O ma chère Conculie ! comme tes appas doivent être embellis ! comme tes tétons, qui ne faisaient que naître quand je te quittai, doivent être arrondis ! comme cette petite motte, entourée d’un léger duvet, doit être ombragée maintenant ! comme…

sublimé.

Comme vous vous extasiez : votre petite Conculie est peut-être plus formée que vous ne le désirez… A Paris surtout… il n’y a plus d’enfants… petites comme grandes en savent autant l’une que l’autre… Tenez, ce fut elle qui vous causa cette petite aventure galante qui vous força de vous expatrier, et je crains bien que, de galanterie en galanterie, l’innocente, hélas ! en ait elle-même attrapé quelques unes. Partout le sexe est trompeur… vous en avez eu la preuve… A Madrid, une femme vous aime, un jour suffit pour vous le faire apercevoir ; vous l’enfilez… le mari, jaloux, nous attend au bas de l’escalier ; nous sommes forcés de sauter par la fenêtre, tenant encore en main la pauvre pomme du genre humain. A Rome, je reçois dans les couilles un coup de bistouri, donné heureusement avec maladresse. A Turin, déguisé en femme de chambre, votre maîtresse était pour femme : il faut s’esquiver. En Turquie, on veut m’empaler et vous mettre hors d’état d’enfiler la grande Sultane, en vous coupant les r..p....s.

vise-cul.

Enfui, que veux-tu ? je le sais : les femmes m’ont perdu, mais est-ce de ma faute ? Tiens, écoute :


air : Enfants chéris des dames.

            On sait, pour plaire aux femmes,
            Qu’il faut, en tout pays,
            Présenter à ces dames
            Toujours les plus gros vits.
Cavalier de belle apparence,
      Tourné, moulé, fait au tour,
Devient plus sot que l’on ne pense
En montrant son bijou d’amour.
Ce bijou dont ils font vaillance
Est petit ou ne bande pas.
            Le mien est à merveille.
            J’entends à mon oreille
Le dieu Priape me dire tout bas :
            On sait, pour plaire aux dames,
            Qu’il faut, en tout pays,
            Présenter à ces dames
            Toujours les plus gros vits.

            Ah ! le ciel me seconde :
            Il n’est, j’en suis certain,
            Aucun vit dans le monde
            Aussi gros que le mien.
            Me voici dans la France !
            C’est à qui fout le mieux.
            On fout avec aisance.
            Dans ce climat heureux.

Non, il n’est point de climat plus heureux ;
            Car pour bien plaire aux femmes,
            Il faut, en ce pays,
            Présenter à ces dames
            Toujours les plus gros vits.

sublimé.

Eh bien ! et cette Conculie, dont vous me parliez tout à l’heure…

vise-cul.

Oh ! c’est différent.

(On aperçoit de la lumière dans la chambre de Conculie)
sublimé.

Monsieur, entendez-vous cette voix ?

conculie, dans sa chambre.


air

Quelqu’un viendra-t-il à mon aide,
Me délivrer de ma prison !
Demain je passe aux grands remèdes
            Pour la guérison,
                  Me dit on,
Du mal… qui point ne m’obsède.

vise-cul.

C’est quelque fille éprise d’amour, que ses parents auront fait enfermer là injustement…

conculie.

Ah ! Vise-Cul, mon cher Vise-Cul…

vise-cul.

Elle prononce mon nom !…

conculie.


air : Non, je ne ferai pas ce qu’on veut que je fasse[ws 5].

Vise-Cul, si tu ne viens délivrer Conculie
J’en jure par l’amour, par le nœud qui nous lie,
Par ce doigt du milieu qui pourra me servir,
Que je vais me branler, décharger et mourir.

vise-cul.

C’est elle, ô Ciel !…

(Il va sous la fenêtre de Conculie).

Ce serait faire injure à votre charmant con.
Au nom de mes amours, de toute ma tendresse,
De l’art avec lequel je sais mouvoir la fesse,
Au nom de tous les poils et de tous les plaisirs,
Que je faisais goûter à votre clitoris,
Tandis qu’il en est temps, ma charmante maîtresse,
Sachez vous dérober à cette honteuse ivresse :
Hélas ! ménagez-vous, gardez tout dans le coi,
Pour l’heureux instant où vous serez avec moi.

sublimé.

C’est peine perdue, monsieur : elle ne vous entend pas… Il n’y a même plus de lumière dans sa chambre, d’où je conclus qu’elle s’est retirée…

vise-cul.

Sublimé ! il me vient un projet dans la tête, il faut me procurer des habits de femme.

sublimé.


air : Pourriez vous bien douter[ws 6] ?

Et qu’en ferez vous, mon cher maître ?

vise-cul.


Vas, ne t’inquiète de rien,
Dès ce soir je suis à Bicètre

sublimé.


A présent je vous entends bien ;
Vous aurez une chaudepisse…

vise-cul.


Oui, pour la guérir je viendrai.

sublimé.


Prenez garde que l’artifice
Ne se change en réalité.



Figure
Figure

Scène V.

les mêmes, GRÉGOIRE, ivre.
grégoire, une lettre à la main.


air : Que le sultan Saladin[ws 7].

      Que le père Florentin
      Chez nous foule sa catin ;
      Que la vieille Souple-Fesse
      Veuille encore parler tendresse
      A notre vieux médecin ;
                  C’est bien,
                  Très-bien,
      Cela ne me blesse en rien :
Car moi je pense comme Grégoire,
            J’aime mieux boire.

Du vin j’entends : car quoique je sois chargé de faire les tisanes pour toutes ces innocentes… je n’mettons pas seulement le doigt d’dans pour goûter si ell’ sont bonnes ; il faut aller chercher le père Florentin… le père Florentin… on dit… ma foi je n’sais pas c’qu’on dit… si c’n’est que le père… fou… fou… foutons le camp : car je dois aller chercher aussi mamsell’ Silvie… rue de Valois, près celle de Saint-Honoré : quel diable de quartier, à deux lieues d’ici. C’est une charmante demoiselle ; c’est la plus ancienne du quartier ; à présent qu’elle ne peut pus… et aie et hue… il…

vise-cul, à Sublimé.

Abordons-le, il pourra peut-être nous servir.

vise-cul.

Bonjour, l’ami.

grégoire.

Bonjour, monsieur.

vise-cul.

Vous la connaissez donc cette demoiselle Silvie…

grégoire.

Oui, j’ai été chez elle de temps en temps… là, vous m’entendez : jadis elle avait la main bien douce ; mais vous devez la connaître aussi ; car à bon vin point d’enseigne, comme dit le proverbe.

vise-cul.

Peut-être bien que je la connais : si vous me faisiez son portrait !

grégoire.


air : Éveillez vous belle endormie[ws 8].

1.

Voulez-vous connaître Silvie ?
Je vais vous la peindre à l’instant ;

Vous l’aimerez toute la vie
Après ce portrait ravissant.

2.

C’est une blonde intéressante,
D’environ… oui… soixante ans :…
Dont l’air tendre et fripon, m’enchante,
Et vient embraser tous les sens.

3.

Elle n’a qu’un œil sur la face,
Encore est-il tout chassieux :
Mais dans cet œil est plus de grâce
Qu’il n’en fut jamais dans les cieux.

4.

Comme un petit four de campagne
Est la bouche de cet enfant ;
Lorsqu’un doux sourire l’accompagne :
C’est la trompe d’un éléphant.

5.

Sa taille est fine, est élégante
Comme un muid de vin d’Orléans,
Et sur son dos est une pente
Qui tout près de ses reins descend.

6.

Voulez-vous la voir toute nue,
C’est le Ciel même à découvert :
Le ruisseau coulant dans la rue
N’est ni plus brillant, ni plus clair.

7.

Sa peau rude, ondoyante et lâche,
Porne une écharpe en croupion,
Qui dans ses replis toujours cache
Puce, punaise ou morpion.


8.

Plus aucun vestige de fesse,
Du haut en bas tout est uni ;
Tout se dérobe avec adresse ;
Par pudeur tout est aplani.


9.

D’amour entrouvez-vous la rose,
A la largeur, c’est un volcan ;
A l’odeur ; c’est bien autre chose,
On se croit le nez sur du bran.


10.

En un mot, cette belle déesse
A tout ce qu’il faut pour charmer ;
Mais c’est le cœur d’une tigresse,
Qu’un p’tit écu sait apaiser.

sublimé, à part, à Vise-Cul.

Monsieur, excellente idée ! faites Silvie… et moi je ferai Florentin.

vise-cul.

Mais si cet homme…

sublimé.

Bah ! il aime le vin, emmenons-le dans quelque cabaret où nous l’empaumerons facilement…





Scène VI.


Les mêmes, UN COCHER DE FIACRE, ivre.

Hola ! hé ! l’ami, n’est-ce point ici un endroit ousque je vais, ousque l’on dit com’ça qu’il y a de jeunes pucelles.

grégoire.

Pucelles !… à qui parlez-vous ? passez vot’chemin, ivrogne… tiens, l’autre, il est si saoul qu’il me prend pour une pucelle ! Vous ne vous y connaissez pas, l’ami : je suis le faiseur de tisanes de Bicètre.

le cocher.

N’importe : je vais toujours vous dire pourquoi t’est-ce faire que je viens… J’étais retenu par une demoiselle nommée Silvie, qui demeure rue de Valois, N° 20… 25… enfin le N°, n’y fait rien ; comme elle a des pratiques à faire encore aujourd’hui et demain, elle m’a chargé de vous remettre cette lettre et ce paquet…

(Vise-Cul s’empare de la lettre.)
grégoire.

C’est bon, mon ami, vous m’avez évité une grande course…

le cocher.

Dis-moi, voisin : ne serait-il pas possible de tirer un coup par ici ?

grégoire.

Diable m’emporte, je crois qu’il m’parle de boire un coup… Il n’en a pas assez : allez, songez plutôt à vos chevaux.

le cocher.

Mes chevaux !… enfiler mes chevaux ! voyez l’impertinent !…

vise-cul.

Je vais terminer le différend, en les menant dans quelque cabaret. Holà ! hé ! mes amis, voulez-vous venir vous rafraîchir par ici ?… Venez boire un verre de vin…

grégoire.

Du vin !… ce mot-là me dégrise… Mais, dit, donc, citoyen, j’ai oublié ma bourse…

vise-cul.

C’est moi qui paye, ne vous inquiétez de rien…

grégoire.

Vous payez !… (héroïquement) je vous suis.


FIN DU PREMIER ACTE.

  1. Cf. recueil La clé du caveau, 71.
  2. Cf. recueil La clé du caveau, 53.
  3. Cf. recueil La clé du caveau, 512.
  4. Cf. recueil La clé du caveau, 574.
  5. Cf. recueil La clé du caveau, 401.
  6. cf. recueil La clé du caveau, 418.
  7. Cf. recueil La clé du caveau, 489.
  8. Cf. recueil La clé du caveau, 512.