Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/03

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 413-418).
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saint Jean


CHAPITRE III


ENTRETIEN DE JÉSUS ET DE NICODÈME : SECONDE NAISSANCE, MYSTÈRE DE LA RÉDEMPTION. — SAINT JEAN-BAPTISTE REND DE NOUVEAU TÉMOIGNAGE A JÉSUS-CHRIST.


Il y avait parmi les Pharisiens un homme nommé Nicodème, membre du grand Conseil des Juifs. Il vint de nuit[1] trouver Jésus, et lui dit : Maître, nous savons que vous êtes un docteur envoyé de Dieu, car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est avec lui. Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, s’il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu[2]. Nicodème lui dit : Comment peut naître un homme déjà vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère, et naître de nouveau ? Jésus répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, nul, s’il ne renaît de l’eau et du Saint-Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu[3]. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit[4]. Ne vous étonnez pas que je vous aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau[5]. Le vent souffle où il veut : vous entendez sa voix ; mais vous ne savez d’où il vient, ni où il va : ainsi en est-il de tout homme qui est né de l’Esprit[6]. Nicodème lui répondit : Comment cela se peut-il faire ? Jésus lui dit : Vous êtes maître en Israël, et vous ignorez ces choses[7] ? En vérité, en vérité, je vous le dis, nous[8] disons ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu, et vous[9] ne recevez point notre témoignage. Si vous ne croyez pas lorsque je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous lorsque je vous parlerai des choses qui sont dans le ciel[10] ? Et cependant nul n’est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel[11]. Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut 14. de même que le Fils de l’homme soit élevé, afin que 15. tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle[12].

16 Car Dieu[13] a tellement aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger[14] le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas condamné ; mais celui qui ne croit pas est déjà condamné, parce qu’il ne croit pas dans le nom du Fils unique de Dieu[15]. Et la cause de cette condamnation, c’est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises[16]Car quiconque fait le mal, hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient découvertes. Mais celui qui fait la vérité, vient à la lumière, afin que ses œuvres apparaissent, parce qu’elles sont faites en Dieu[17].

22 Après cela, Jésus vint avec ses disciples dans la terre de Judée, et il y demeurait avec eux, et y baptisait[18]. Jean aussi baptisait à Ennon, près de Salim[19], parce qu’il y avait là beaucoup d’eau, et plusieurs y venaient se faire baptiser, car Jean n’avait pas encore été mis en prison[20]. Or, il s’éleva une question entre les disciples de Jean et les Juifs[21] touchant le baptême. Les premiers étant venus trouver Jean, lui dirent : Maître, celui qui était avec vous au delà du Jourdain, et à qui vous avez rendu témoignage, voilà qu’il baptise, et tous vont à lui. Jean répondit : L’homme ne peut rien recevoir, s’il ne lui a été donné du ciel[22]. Vous m’êtes vous-mêmes témoins que j’ai dit : Je ne suis point le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui. Celui qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux, qui se tient debout et l’écoute, est rempli de joie à cause de la voix de l’épouse. Cette joie est donc pleinement réalisée pour moi[23]. Il faut qu’il croisse et que je diminue.

31 Celui[24] qui vient d’en-haut est au-dessus de tous ; celui qui vient de la terre est terrestre, et son langage aussi[25]. Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous ; et ce qu’il a vu et entendu, il en rend témoignage ; mais personne ne reçoit son témoignage. Celui qui reçoit son témoignage, atteste que Dieu est véridique. Car celui que Dieu a envoyé, dit des paroles de Dieu, parce que Dieu ne lui donne pas son Esprit avec mesure. Le Père aime le Fils, et il a tout remis entre ses mains. Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ; celui qui ne croit point au Fils, ne verra pas la vie ; mais la colère de Dieu demeure sur lui.

  1. Probablement par la crainte d’encourir la haine de ses collègues. Nicodème regardait Jésus, sinon comme le Messie, au moins comme un des prophètes préparateurs de sa venue. Adressa-t-il au Sauveur quelque demande passée sous silence par l’Évangéliste, comme la réponse de Jésus le ferait supposer ; ou bien cette réponse se rapporte-t-elle aux pensées ou aux désirs secrets du Pharisien ? On ne saurait le décider. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il désirait devenir membre du nouveau royaume de Dieu, et se figurait que, vu sa qualité, il y pouvait prétendre un des premiers.
  2. De nouveau. D’autres traduisent le grec, d’en haut, c’est-à-dire de Dieu : le sens général est le même. — Le royaume de Dieu ici, c’est ce que saint Jean appelle ailleurs la vie éternelle, la grâce en cette vie, et la gloire dans l’autre. Voir le royaume de Dieu, c’est y participer, en jouir. — La réponse de N.-S. offre un résumé de la doctrine chrétienne, en mettant surtout en relief les points rejetés par les gnostiques. 1° Doctrine du baptême : sa nécessité (vers. 3), sa nature (vers. 5), ses effets (vers. 6 sv.). 2° Doctrine de la foi : sa nécessité (vers. 9-12) ; son principal objet, l’incarnation et la rédemption (vers. 13 sv.) ; son obstacle, la malice du cœur (vers. 19 sv.).
  3. Ce passage est l’un de ceux dont l’Église nous a donné l’interprétation authentique (Conc. de Trente, sess. vii, de Bapt. can. 2). Il doit être entendu de la régénération dans le baptême, dont le signe visible est exprimé par les mots de l’eau, et la grâce invisible par les mots et du Saint-Esprit.
  4. Patrizzi : Cette régénération étant, non charnelle, mais spirituelle, elle n’exige pas que l’homme rentre dans le sein de sa mère (vers. 4). Klofutar : Il s’agit donc d’une régénération spirituelle ; d’ailleurs, une seconde génération charnelle, fût-elle possible, ne servirait de rien : ne renouvelant pas l’homme intérieur, elle ne saurait rendre digne du royaume de Dieu.
  5. Ne vous étonnez donc pas, etc., c’est-à-dire n’en doutez pas comme d’une chose impossible.
  6. Que de choses incompréhensibles dans la nature ! Le vent est invisible ; on ne sait d’où il vient, etc. ; mais le bruit qu’il fait révèle sa présence. Ainsi en est-il de la régénération ; on n’en connaît pas le mode, mais on peut en constater les effets. N.-S. choisit le vent pour terme de comparaison, parce que, dans les trois langues saintes, le même mot signifie vent et esprit.
  7. Savoir, que la régénération est opérée par le Saint-Esprit, qu’elle consiste dans le renouvellement de l’homme intérieur, et qu’elle sera un des caractères distinctifs de l’avénement du royaume du Messie (Deuter. xxx, 6 ; Ps. l, 12 ; Ezech. xxxvi, 26 ; Joël, ii, 28 : Is. xliv, 3).
  8. Pluriel d’autorité, dit Théophylacte. Patrizzi : Pour en comprendre la force, comp. viii, 16-19 al.
  9. Au pluriel, parce que N.-S. a en vue les Juifs en général.
  10. Comme la Trinité, la génération éternelle du Verbe, etc.
  11. Patrizzi : Vous ne pouvez pas attendre, sur ces mystères qui sont dans le ciel, d’autre témoignage que le mien ; car, etc. Ad. Maïer : Et cependant on doit me croire lorsque j’annonce ces mystères ; car aucun homme, pas même les Prophètes, n’est monté au ciel, c’est-à-dire n’a une science parfaite des choses célestes i connaître une chose obscure et secrète, c’est, dans le langage des Hébreux, monter au ciel : comp. Baruch, iii, 29 ; Deut. xxx, 12 ; Prov. xxx, 4), si ce n’est moi seul, qui ai puisé cette science à sa source dans le sein de Dieu, et qui suis descendu du ciel dans mon incarnation, sans cesser d’y être présent par ma divinité.
  12. Il faut, en vertu d’un décret divin. — Élevé en croix. Dieu ayant envoyé dans le camp des Israélites des serpents de feu, c’est-à-dire venimeux, Moïse fit élever un serpent d’airain en vue de tous, et ceux qui le regardaient étaient miraculeusement guéris. Ainsi tous les hommes, blessés à mort par l’antique Serpent, seront sauvés en jetant un regard de foi et d’amour sur Jésus élevé en croix. — La vie éternelle, ici, c’est la justification et l’union avec Jésus-Christ, la qualité de fils et d’héritier de Dieu, la grâce en cette vie, et la gloire dans l’autre.
  13. Dans les vers. qui suiv. (16-21), à ne considérer que la forme, c’est saint Jean qui parle ; mais le contenu a été dit équivalemment par N.-S. Quoique les termes soient choisis à dessein pour combattre les hérésies que saint Jean avait en vue, l’Évangéliste ne joue d’autre rôle que celui de pur interprète des pensées de son Maître.
  14. Dans le sens de condamner.
  15. Hébraïsme : c’est-à-dire, ne croit pas que le Christ est le Fils unique de Dieu.
  16. Nous sommes faits pour la lumière, nous n’aimons que la lumière, et pourtant, par un autre côté de notre être, côté vil et honteux, nous affectionnons les ténèbres et les amassons à plaisir autour de nous. C’est qu’il existe, entre la vérité et le devoir, une liaison qui fait que les questions de l’esprit sont aussi des questions du cœur. Chaque découverte en Dieu nous menace d’une vertu, d’un sacrifice de l’orgueil ou des sens ; la faiblesse et les passions viennent au secours de l’erreur et trop souvent lui procurent la victoire. Lacordaire.
  17. La vérité pratique, le bien. — En Dieu, selon Dieu, selon son bon plaisir, son inspiration. — Nicodème est nommé trois fois dans l’Évangile de saint Jean : à l’occasion, 1° de cette entrevue avec Notre-Seigneur ; 2° d’une réflexion qu’il fait en faveur de Jésus dans le Sanhédrin (vii, 50) ; 3° de la sépulture donnée au Sauveur par lui et Joseph d’Arimathie (six, 39). L’Évangéliste nous montre ainsi les progrès de la foi dans ce Pharisien, qui passe du désir à la parole, de la parole à l’action. Voy. xix, 39.
  18. Par ses disciples. Ce baptême était-il, comme celui de saint Jean, une simple préparation au royaume de Dieu ; ou bien était-ce le sacrement de baptême, remettant les péchés et conférant la grâce ? Les SS. Pères ne sont pas d’accord, mais saint Augustin, saint Cyrille, saint Thomas, Maldonat, Corn. Lapierre, D. Calmet, Ailloli, etc., embrassent le dernier sentiment.
  19. Ennon, ou mieux Aenon, c’est-à-dire les fontaines, pluriel chaldéen de Ain. Eusèbe et saint Jérôme placent Salim à huit milles au sud de Scythopolis ; d’autres en Judée (comp. iv, 3), soit près de l’embouchure du Jourdain, dans l’oasis de Jéricho, soit dans les montagnes, aux environs d’Hébron (comp. Jos. xv, 32).
  20. Allusion manifeste à Matth. iv, 12 ; Marc, i, 14.
  21. Beaucoup de Pères et les meilleurs manuscrits : et un Juif, qui avait sans doute reçu le baptême de Jésus.
  22. Je ne puis m’arroger une dignité plus grande (la dignité de Messie) que celle que Dieu m'a donnée.
  23. L’épouse, c’est le peuple juif, et ensuite tout le genre humain ; l’époux, c’est Jésus ; l’ami de l’époux, le paranymphe, qui conduit l’époux dans les bras de l’épouse, c’est Jean-Baptiste. — L’écoute, exécute ses ordres, dit Ad. Maier ; Corn. Lapierre : s’arrête devant la chambre nuptiale, et écoute les entretiens de l’époux et de l’épouse. — La voix de l’épouse, c’est-à-dire ses entretiens avec l’épouse, dit Corn. Lapierre ; sa voix joyeuse au milieu de la noce, dit Ad. Maier.
  24. Ce qui suit, à partir du vers. 31 (32 selon Patrizzi, 33 selon d’autres), est encore, pour le fond, le témoignage du Précurseur, mais exprimé dans le style propre au quatrième Évangéliste.
  25. Ce n’est pas naturellement, mais par révélation, qu’il peut parler des choses du ciel.