Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/22

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 354-360).
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saint Luc


CHAPITRE XXII


CONSEIL CONTRE JÉSUS, TRAHISON DE JUDAS (Matth. xxvi ; Marc, xiv). — CÈNE, INSTITUTION DE L’EUCHARISTIE (ibid.). — LE PREMIER DOIT ÊTRE LE PLUS HUMBLE (ibid.). — FOI DE SAINT PIERRE INDÉFECTIBLE (ibid.). — AGONIE DE JÉSUS (ibid.). — SON ARRESTATION (ibid. Jean, xviii, 3). — RENIEMENT DE SAINT PIERRE, ET SA PÉNITENCE (ibid.). — JÉSUS CHEZ CAÏPHE (ibid.).


La fête des Azymes, qu’on appelle la Pâque, approchait ; et les Princes des prêtres et les Scribes cherchaient comment ils feraient mourir Jésus ; mais ils craignaient le peuple. Or, Satan entra dans Judas, nommé Iscariote, l’un des Douze ; et il s’en alla conférer avec les Princes des prêtres et les officiers du temple[1], sur les moyens de le leur livrer. Eux, pleins de joie, promirent de lui donner de l’argent. Il s’engagea de son côté, et il cherchait une occasion favorable de le leur livrer sans exciter de troubles.

7 Vint le jour des azymes, où il fallait immoler la Pâque. Jésus envoya Pierre et Jean : Allez, leur dit-il, nous préparer le repas pascal. Ils lui dirent : Où voulez-vous que nous le préparions ? Il leur répondit : En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau : suivez-le dans la maison où il entrera, et vous direz au maître de cette maison : Le Maître vous mande : Où est le lieu où je mangerai la Pâque avec mes disciples ? Et il vous montrera une grande salle meublée : préparez-y ce qu’il faut. S’en allant donc, ils trouvèrent tout comme il leur avait dit, et préparèrent la Pâque. Et l’heure étant venue, il se mit à table, et les douze Apôtres avec lui ; et il leur dit : J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous, avant que de souffrir. Car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu[2]. Et, prenant le calice, il rendit grâces et dit : Prenez, et partagez entre vous[3]. Car, je vous le dis, je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’à ce que vienne le royaume de Dieu. Puis prenant le pain, il rendit grâces, le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous : faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même[4] le calice, après le souper, disant : Ce calice est la Nouvelle Alliance en mon sang[5], qui sera répandu pour vous[6]. Cependant, voici que la main de celui qui me trahit est avec moi à cette table[7]. Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va, selon ce qui a été décrété ; mais malheur à l’homme par qui il sera trahi ! Et ils commencèrent à se demander les uns aux autres qui serait celui d’entre eux qui ferait cela.

24 Il s’éleva aussi parmi eux une contestation[8], pour savoir lequel d’entre eux semblait devoir être le plus grand. Mais il leur dit : Les rois des nations dominent sur elles, et ceux qui exercent sur elles l’autorité sont appelés bienfaiteurs[9]. Pour vous, ne faites pas ainsi ; mais que celui de vous qui est le plus grand se fasse comme le moindre, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Et moi cependant je suis au milieu de vous comme celui qui sert. Vous, vous êtes demeurés avec moi dans mes tentations ; et moi je vous prépare un royaume, comme mon Père me l’a préparé : afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume, et que vous siégiez sur des trônes, jugeant les douze tribus d’Israël.

31 Et le Seigneur dit : Simon, Simon, Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point[10] ; et toi, quand tu seras converti, confirme tes frères. Pierre lui dit : Seigneur, je suis prêt à aller avec vous et en prison et à la mort. Jésus lui répondit : Je te le dis, Pierre, le coq ne chantera point aujourd’hui que tu n’aies nié trois fois me connaître.

35 Et il leur dit : Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose ? De rien, lui dirent-ils. Il ajouta : Mais maintenant que celui qui a une bourse la prenne, et son sac de même ; et que celui qui n’en a point, vende sa tunique, et achète une épée[11]. Car, je vous le dis, il faut encore que cette parole de l’Écriture s’accomplisse en moi : « Il a été mis au rang des malfaiteurs[12]. » En effet, les oracles qui me regardent touchent à leur accomplissement. Ils lui dirent : Voici deux épées ; il leur répondit : C’est assez.

39 Étant sorti, il s’en alla, suivant sa coutume, au mont des Oliviers, et ses disciples le suivirent. Lorsqu’il fut arrivé en ce lieu, il leur dit : Priez, afin de ne point entrer en tentation. Et il s’éloigna d’eux à la distance d’un jet de pierre, et, s’étant mis à genoux, il priait, disant : Mon Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice ; cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. Alors un ange du ciel lui apparut, qui le fortifiait. Et étant tombé en agonie, il priait encore plus. Et il eut une sueur, comme de gouttes de sang découlant jusqu’à terre[13]. S’étant levé après sa prière, il vint à ses disciples et les trouva endormis à cause de la tristesse. Et il leur dit : Pourquoi dormez-vous ? Levez-vous et priez, afin de ne point entrer en tentation.

45 Comme il parlait encore, voici qu’une troupe de gens parut, et à leur tête celui qui s’appelait Judas, un des Douze, qui s’approcha de Jésus pour le baiser. Jésus lui dit : Judas, vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ! Ceux qui étaient autour de lui, voyant ce qui allait arriver, lui dirent : Seigneur, frapperons-nous de l’épée ? Et l’un d’eux frappa l’un des serviteurs du Grand-Prêtre[14], et lui coupa l’oreille droite. Mais Jésus dit : Laissez-les, arrêtez. Et ayant touché l’oreille de cet homme, il le guérit. Puis, s’adressant aux Princes des prêtres, aux officiers du temple et aux Anciens qui étaient venus pour le prendre, il leur dit : Vous êtes venus comme à un voleur, avec des épées et des bâtons. J’étais tous les jours avec vous dans le temple, et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais voici votre heure et l’empire des ténèbres[15].

S’étant saisis de lui, ils l’amenèrent à la maison du Grand-Prêtre ; Pierre le suivait de loin. Après avoir allumé du feu au milieu de la cour, ils s’assirent autour, et Pierre s’assit parmi eux. Une servante qui le vit assis devant le feu, l’ayant considéré attentivement, dit : Cet homme était aussi avec lui. Mais il le nia, disant : Femme, je ne le connais point. Un peu après, un autre le voyant dit : Vous êtes aussi de ces gens-là. Pierre répondit : Mon ami, je n’en suis point. Une heure environ s’était écoulée, lorsqu’un autre vint dire avec assurance : Certainement cet homme était avec lui, car il est aussi de Galilée. Pierre répondit : Mon ami, je ne sais ce que vous dites. Et aussitôt, comme il parlait encore, le coq chanta. Et le Seigneur, se retournant, regarda Pierre, et Pierre se ressouvint de la parole que le Seigneur lui avait dite : « Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. » Et Pierre étant sorti, pleura amèrement.

63 Or, ceux qui tenaient Jésus le raillaient en le frappant. Ils lui bandèrent les yeux, et, le frappant au visage, ils l’interrogeaient, disant : Prophétise qui est celui qui t’a frappé. Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres outrages.

66 Dès qu’il fut jour, les Anciens du peuple, les Princes des prêtres et les Scribes s’assemblèrent, et l’ayant fait amener devant eux, ils lui dirent : Si vous êtes le Christ, dites-le nous. Il leur répondit : Si je vous le dis, vous ne me croirez point ; et si je vous interroge, vous ne me répondrez point ni ne me renverrez. Mais bientôt le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu. Alors ils dirent tous : Vous êtes donc le Fils de Dieu ? Il répondit : Vous le dites, je le suis. Et ils dirent : Qu’avons-nous besoin d’autre témoignage ? Nous l’avons nous-mêmes entendu de sa bouche.

    d’en prévenir les rigueurs en profitant des grâces que Jésus nous a apportées par son incarnation, et en le faisant régner dans nos cœurs par une vie sainte et pénitente.

  1. Les chefs des prêtres et des lévites préposés à la garde du temple. (Act. v, 24, 26).
  2. Jusqu’à ce que je mange une Pâque meilleure dans le ciel. On sait que le ciel est souvent présenté sous l’image d’un festin.
  3. Selon l’usage observé dans la célébration du festin pascal, avant et pendant la manducation de l’agneau un calice circulait à plusieurs reprises autour de la table. C’est de ce rit qu’il est ici question. Par conséquent, le calice dont il s’agit doit être soigneusement distingué du calice mystérieux de la Nouvelle Alliance (vers. 20). Pour le sens des vers, 16-18, voyez Matth. xxvi, 29, note.
  4. D’autres : Il leur donna de même.
  5. C’est-à-dire est mon sang qui scelle la Nouvelle Alliance.
  6. Par ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi, Jésus-Christ institua ses Apôtres et leurs successeurs, prêtres de la nouvelle alliance, et leur donna le pouvoir de faire désormais en son nom ce qu’il venait de faire devant leurs yeux, savoir, de transformer le pain et le vin en sa chair et en son sang, et de les offrir à Dieu le Père pour les péchés du monde, comme une expiation permanente et perpétuelle. Ainsi le banquet eucharistique, où Notre-Seigneur continue au milieu des hommes sa présence corporelle et personnelle, quoique sous le voile mystérieux du sacrement, et se donne tout à la fois comme nourriture et comme victime, sera présenté à chaque génération jusqu’à la fin des siècles ; ainsi l'Homme-Dieu descendra chaque jour sur nos autels, non pour être immolé de nouveau, mais pour offrir à son Père, comme une victime une fois immolée, les mérites de sa mort : c’est ce qui fait que la sainte messe est nommée le sacrifice non sanglant.
  7. La trahison de Judas, dit le père Patrizzi, fut prédite trois fois dans le cénacle : 1° Immédiatement avant la cène (Matth. xxvi, 21-25 ; Marc, xiv, 18-21) ; 2° immédiatement après (Luc, xxii, 21-23) ; 3° après le lavement des pieds (Jean, xiii, 21).
  8. Après le vers. 23 eut lieu le lavement des pieds (Jean, xiii, 2-11) ; puis Notre-Seigneur se remit à table (ibid. 12), et profitant du moment où ses disciples étaient encore confondus de l’humble office qu’il venait de leur rendre, il leur adressa les paroles suiv. Quelques-uns pensent que la contestation dont parle ici saint Luc, avait eu lieu auparavant (Matth. xx, 21-24).
  9. Évergètes en grec, par exemple Ptolémée Évergète, roi d'Égypte.
  10. Le Seigneur promet ici au chef suprême de l'Église et à tous ses légitimes successeurs que la vraie foi ne cessera jamais chez eux, c'est-à-dire que jamais publiquement et à la face de l'Église ils n'enseigneront ou n'approuveront l'erreur : l'histoire atteste que depuis dix-huit siècles cette promesse a eu son accomplissement.
  11. Ces paroles ne devaient pas être prises à la lettre comme le firent les Apôtres (vers. 38). Ce sont des images sons lesquelles Notre-Seigneur décrit et annonce les persécutions qui bientôt fondront sur ses disciples ; d’ordinaire, en effet, ceux qu’on poursuit prennent avec eux des provisions pour se nourrir, et des armes pour se défendre.
  12. Is. liii, 12.
  13. Les vers. 43-44 manquent dans quelques manuscrits anciens, mais toutes les versions anciennes les donnent et ils sont allégués par les plus anciens Pères dont on ait des citations de l’Évangile, saint Justin martyr et saint Irénée, l’un du commencement, l’autre de la fin du iie siècle. Il n’y aurait donc pour repousser ce passage que des raisons de sentiment. Bossuet en a fait justice quand il a dit : « Ceux qui ont osé retrancher de l’Évangile de saint Luc l’ange que Dieu envoya à Jésus-Christ pour le fortifier, n’ont pas compris ce mystère, et que Dieu, en retirant dans le plus intime toute la force de l’âme et lui envoyant son saint ange pour le consoler dans ses détresses, n’a pas prétendu par là déroger à sa dignité, mais seulement lui faire éprouver qu’il était homme, abaissé par sa nature humaine un peu au-dessous de l’ange (Ps. xxi), et expiant le désordre de nos passions, loin de le prendre lorsqu’il en a voulu souffrir le tourment. » Wallon. — A la distance d’un jet de pierre du rocher dont nous avons parlé Matth. xxvi, 36, se trouve encore aujourd'hui une grotte assez spacieuse, appelée Grotte de l’Agonie.
  14. Pierre frappa Malchus.
  15. Le moment fixé par mon Père est venu, et le pouvoir a été donné aux puissances de l’enfer de me crucifier par vos mains. Allioli.