Les Quatre livres/Meng Tzeu/L04

La bibliothèque libre.
(attribué à)
Traduction par Séraphin Couvreur.
Imprimerie de la mission catholique (p. 461-507).
◄  Livre III.
Livre V.  ►
MENG TZEU.


LIVRE IV. LI LEOU.


CHAPITRE I.


1. Meng tzeu dit : « La vue perçante de Li Leou et l’esprit inventif de Koung chou tzeu, sans le secours du compas ou de l’équerre, ne suffiraient pas pour rien faire qui fût parfaitement rond ou carré. L’ouïe fine du musicien K’ouang, sans l’emploi des six tubes, ne pourrait déterminer exactement les cinq notes. La vertu intérieure de Iao et de Chouenn, sans une administration pleine d’humanité, ne suffirait pas pour faire régner l’ordre et la paix dans l’empire. (Douze tubes, inventés par Houang ti, donnaient les six sons iang et les six sons in. Où īn, les cinq notes de la gamme ; on les appelle kōung chāng kiô tchèu iù).

« A présent, il est des princes qui ont des sentiments et une réputation de bonté ; mais ils ne font pas de bien à leurs sujets, et ne sont pas des modèles pour les âges futurs ; ils ne suivent pas les traces des anciens souverains. On dit communément : « La probité seule ne suffit pas pour bien gouverner ; les lois seules ne peuvent pas se maintenir d’elles mêmes, (elles ont besoin d’être ap-pliquées par un prince bon et capable). » Il est dit dans le Cheu King : « Ils seront exempts de faute et n’oublieront rien ; ils suivront les anciennes lois. » Jamais personne ne s’est trompé en suivant les lois des anciens souverains.

« Les grands sages de l’antiquité, non contents d’employer toute la perspicacité de leur vue, se sont servis du compas, de l’équerre, du niveau et du cordeau pour faire des carrés, des cercles, des surfaces planés et des lignes droites ; ces instruments pourront servir toujours. Non contents d’employer toute la finesse de leur ouïe, ils se sont servis des six tubes pour déterminer les cinq sons ; ces tubes pourront servir toujours. Non contents d’employer toute la puissance de leur intelligence, ils ont gouverné leurs sujets avec une bonté compatissante, et leur bienfaisance s’est répandue par tout l’univers (elle a fait partout des heureux et des imitateurs).

« Un proverbe dit : « Celui qui veut bâtir haut, doit bâtir sur une colline ou une montagne ; celui qui veut construire très bas, doit construire dans un lit de rivière ou un marais. » Celui qui dans le gouvernement ne s’appuie pas sur les principes des anciens souverains, peut-il être appelé sage ? Un prince humain est seul digne d’exercer l’autorité souveraine. Un prince inhumain qui exerce l’autorité souveraine, propage ses vices parmi tous ses sujets. Si le prince dans ses conseils ne connaît ni raison ni justice, les ministres, les sujets ne reconnaîtront pas l’autorité des lois. Le prince ne se laissera pas diriger par la justice, ni les officiers par les lois. Les grands violeront la justice ; les petits transgresseront les lois. Si l’État échappe à une ruine complète, il ne le devra qu’a une heureuse fortune.

« On dit communément : « Que les villes ne soient pas bien munies d’une double enceinte de murailles, que les armes et les cuirasses soient en petit nombre, ce n’est pas un grand malheur pour un royaume. Que les champs et les plaines restent en friche, que les denrées et les richesses ne soient pas abondantes, ce n’est pas un grand dommage pour l’État. Mais si le prince méconnaît ses devoirs, le peuple ignorera les siens ; des séditieux se lèveront, et la ruine sera imminente. » On lit dans le Cheu King : « Au moment où le Ciel se met à renverser (la dynastie des Tcheou), ne soyez pas si indolent. » I í, c’est à dire tâ tâ, indolent.

« Celui qui ne sert pas son prince selon la justice, qui accepte et quitte les charges sans règle, qui dans ses discours blâme les principes des anciens souverains, celui-là est un homme indolent et sans cœur. On dit communément : « Celui qui rappelle à son prince des maximes difficiles à pratiquer lui témoigne un véritable respect ; celui qui donne de bons avis à son prince et le détourne du vice lui est vraiment dévoué. C’est nuire gravement à son prince, que (de ne pas l’exciter à bien faire), sous prétexte qu’il est incapable (d’imiter les grands souverains de l’antiquité). »

2. Meng tzeu dit : Le compas et l’équerre servent à tracer des cercles et des carrés parfaits. De même, les grands sages sont les plus parfaits modèles des cinq vertus que les hommes doivent pratiquer les uns envers les autres. Le prince qui veut remplir parfaitement ses devoirs de prince, et le sujet qui veut remplir parfaitement ses devoirs de sujet, n’ont qu’à imiter Iao et Chouenn. Celui qui ne sert pas son prince comme Chouenn a servi Iao, n’est pas dévoué à son prince. Celui qui ne gouverne pas comme Iao, nuit gravement à son peuple.

« Confucius disait : « Il n’y a que deux voies : la voie de la vertu et la voie du vice. Si un prince opprime violemment ses sujets, il périt de mort violente et son royaume est perdu pour sa race. S’il ne les opprime pas violemment, sa personne est en danger et son royaume est diminué. Après sa mort, il sera appelé Aveugle, Cruel. Ses descendants, quelque grande que soit leur piété filiale, ne pourront pas changer ces noms ignominieux, même après cent générations. Le Chou King dit : « In, c’est-à-dire Tcheou, le dernier empereur de la dynastie des In, a près de lui, dans (le dernier empereur de la dynastie des) Hia, un exemple capable de le faire trembler. » Ces paroles confirment ce que j’ai dit. »

3. Meng tzeu dit : « Les trois dynasties ont obtenu l’empire grâce à la bienfaisance (de leurs fondateurs Iu, Tch’eng T’ang, Wenn wang et Ou wang) ; elles l’ont perdu à cause de l’inhumanité (des tyrans Kie, Tcheou, Li wang et Iou wang). C’est aussi de la même manière que les principautés des tchou heou deviennent prospères ou tombent en décadence, se conservent ou disparaissent. Un empereur inhumain perd le pouvoir impérial ; un prince inhumain perd avec ses États le droit de sacrifier aux esprits tutélaires de la terre et des grains. Un ministre d’État ou un grand préfet inhumain perd avec sa dignité le droit de faire des offrandes solennelles à ses ancêtres. Un lettré ou un homme du peuple qui est inhumain, périt de mort violente. A présent, les hommes craignent la mort, et se plaisent à traiter les autres avec inhumanité ; c’est comme s’ils craignaient l’ivresse, et buvaient le plus possible. »

4. Meng tzeu dit : « Si quelqu’un aime les autres et n’en est pas aimé, qu’il examine si sa bienfaisance est parfaite. Si quelqu’un gouverne les autres, et n’arrive pas à bien régler leur conduite, qu’il examine si sa prudence est parfaite. Si quelqu’un fait des politesses et n’en reçoit pas en retour, qu’il examine si son respect envers les autres est parfait. Si quelqu’un dans ses actions n’atteint pas le but qu’il se propose, qu’il s’examine, et cherche toujours dans sa propre conduite la cause de ses insuccès. Qu’un prince soit lui-même parfait, et l’empire sera à lui. On lit dans le Cheu King : Celui qui tâche toujours de se conformer à la volonté du Ciel, s’attire beaucoup de faveurs. »

5. Meng tzeu dit : « (Pour désigner l’empire), on dit communément : l’empire, les royaumes et les familles. C’est que les principautés sont le fondement de l’empire, les familles sont le fondement des principautés, et les individus sont le fondement des familles. »

6. Meng tzeu dit : « Il est facile de gouverner un État ; il suffit de ne pas offenser les grandes familles. Un prince aimé des grandes familles sera aimé de tous les sujets du royaume. Un prince aimé de tous les sujets du royaume, sera aimé de tous les habitants de l’empire. Ses vertus et ses enseignements se propageront partout entre les quatre mers, avec la rapidité d’un torrent. »

7. Meng tzeu dit : « Lorsque le bon ordre règne dans l’empire, le moins vertueux sert le plus vertueux, et le moins sage sert le plus sage. Lorsque le bon ordre ne règne pas dans l’empire, le plus petit sert le plus grand, et le plus faible sert le plus fort. Ces deux états de choses dépendent de la volonté du Ciel. Celui qui se soumet à la volonté du Ciel, ne périt pas ; celui qui résiste au Ciel, se perd lui-même.

« King, prince de Ts’i, (provoqué à la guerre par le prince de Ou, qui était plus puissant que lui, acquiesça à la volonté du Ciel, ne prit pas les armes et accepta les conditions de paix). Il dit (à ses ministres) : « Si quelqu’un n’est pas assez puissant pour imposer ses volontés, et ne veut pas non plus obéir, il rompra la paix (à son grand détriment). Il sortit de l’assemblée en pleurant, et accorda sa fille en mariage au (fils aîné du) prince de Ou. (Le prince King sut ainsi acquiescer à la volonté du Ciel pour sauver sa principauté).

« A présent, les petits princes imitent les grands princes ; mais ils ont honte de leur être soumis. C’est comme si un élève avait honte de recevoir des ordres de son maître. S’ils ont honte d’obéir, le meilleur parti à prendre, c’est d’imiter Wenn wang. En imitant Wenn wang, un grand prince au bout de cinq ans, un petit prince au bout de sept ans, gouvernerait tout l’empire.

« On lit dans le Cheu King : « Les descendants des Chang sont au nombre de plus de cent mille ; sur l’ordre du souverain Seigneur ; ils se sont soumis au prince de Tcheou. Ils se soumirent au prince de Tcheou ; car le Ciel ne confie pas pour toujours le pouvoir souverain à une famille. Les ministres des In, grands et intelligents, aident à faire des libations dans la capitale. » « Confucius dit : « Les ennemis d’un prince humain peuvent paraître nombreux, mais ne peuvent pas l’être. Lorsqu’un prince est bienfaisant, personne ne lui résiste. » A présent, les princes désirent que personne ne leur résiste, et ils n’exercent pas la bienfaisance. C’est comme si quelqu’un saisissait un objet très chaud sans s’être mouillé les mains. Le Cheu King dit : « Qui peut saisir un objet très chaud, s’il ne s’est mouillé les mains. »

8. Meng tzeu dit : « Est il possible de faire entendre un avis à un prince inhumain ? Il fait consister sa sûreté en ce qui lui est très dangereux, et son avantage en ce qui lui est très nuisible ; il aime ce qui causera sa perte. Si l’on pouvait faire entendre des avis aux princes inhumains, la perte des États et la ruine des familles seraient elles possibles ?

« Un enfant chantait : « Si l’eau de la Ts’ang lang est pure, j’y pourrai laver les cordons de mon bonnet ; si elle est trouble, je pourrai m’y laver les pieds. » Confucius dit (à ses disciples) : « Écoutez, mes enfants. Si l’eau est pure elle sert à laver les cordons de bonnet ; si elle est trouble, elle sert à laver les pieds. Elle détermine elle même ces différents usages (selon qu’elle est claire ou trouble). »

« On ne traite un homme avec mépris qu’après qu’il s’est traité lui-même sans respect. On ne renverse une famille qu’après qu’elle s’est renversée elle même. On ne dévaste un royaume qu’après qu’il s’est dévasté lui-même. (Dans le Chou King, l’empereur) T’ai Kia dit : « Quand le Ciel envoie des malheurs, on peut y échapper. Mais si quelqu’un s’attire lui-même des malheurs, il périra. » Ces paroles confirment ce que j’ai dit. »

9. Meng tzeu dit : « Kie et Tcheou ont perdu la dignité impériale, parce qu’ils ont perdu leurs sujets. Ils ont perdu leurs sujets, parce qu’ils se sont aliéné les cœurs. Pour obtenir l’empire, il est une voie à suivre. Attirez à vous les peuples, et vous posséderez l’empire. Pour attirer les peuples, il est un moyen à employer. Gagnez l’affection des peuples, et ils seront à vous. Pour gagner leur affection, il est une conduite à tenir. Procurez-leur abondamment ce qu’ils désirent ; ne leur faites pas ce qu’ils n’aiment pas.

« Les hommes vont tous à un prince bienfaisant, comme les eaux coulent en bas, comme les animaux sauvages courent aux endroits inhabités. C’est la loutre qui fait fuir les poissons aux profondeurs des eaux ; c’est l’épervier qui chasse les petits oiseaux vers les bois. Ce sont les tyrans Kie et Tcheou qui ont chassé les peuples vers Tch’eng T’ang et Ou wang. A présent, si parmi les princes de l’empire il s’en trouvait un qui aimât à pratiquer la bienfaisance, tous les autres princes chasseraient les peuples vers lui. Quand même il désirerait ne pas gouverner tout l’empire, il y serait obligé.

« A présent, ceux qui désirent commander à tout l’empire, ressemblent à un homme qui, pour se guérir après sept ans de maladie, chercherait de l’absinthe conservée depuis trois ans. Celui qui ne se donne pas la peine de cueillir de l’absinthe n’en aura jamais. Un prince qui ne s’applique pas à faire du bien à ses sujets, vivra toujours dans le chagrin et le déshonneur, jusqu’à ce que sa perte soit consommée. On lit dans le Cheu King : « Peut on espérer un heureux résultat ? Nous tomberons dans l’abîme les uns à la suite des autres. » Ces paroles confirment ce que j’ai dit.

10. Meng tzeu dit : « Il est impossible de parler à un homme qui se nuit gravement à lui-même. Il est impossible de rien entreprendre avec un homme qui se délaisse lui-même. Blâmer ce qui est honnête et juste, c’est ce qu’on appelle se nuire gravement à soi-même. Prétendre ne pouvoir être constamment parfait ni observer la justice, c’est se délaisser soi-même.

« La perfection est la demeure tranquille, et la justice, la voie droite de l’homme. Laisser vide et ne pas habiter la demeure paisible de l’homme, abandonner et ne pas suivre la voie droite, que c’est déplorable ! »

11. Meng tzeu dit : « La voie de la vertu est près de nous, (c’est la loi naturelle qui est gravée dans nos cœurs) ; quelques uns la cherchent fort loin. La pratique de la vertu consiste en des choses faciles ; quelques uns la cherchent dans les choses difficiles. Que chacun aime ses parents, et respecte ceux qui sont au-dessus de lui ; l’ordre régnera dans tout l’univers. »

12. Meng tzeu dit : « Un sujet qui n’a pas la confiance de son prince, ne pourra pas gouverner le peuple, (le peuple n’aura pas confiance en lui). Pour gagner la confiance de son prince, il est une voie à suivre. Celui qui n’a pas la confiance de ses compagnons, n’aura pas celle de son prince. Pour obtenir celle de ses compagnons, il est une conduite à tenir. Celui qui ne satisfait pas ses parents, n’aura pas la confiance de ses compagnons. Pour satisfaire ses parents, il est une conduite à tenir. Celui qui, s’examinant soi-même, reconnaît qu’il ne s’applique pas sérieusement à recouvrer la perfection (que la nature donne à chaque homme), celui-là ne satisfait pas ses parents. Pour recouvrer sa perfection naturelle, il est une voie à suivre. Celui qui ne distingue pas bien ce qui est honnête et bon, ne recouvrira pas sa perfection naturelle.

« La perfection naturelle est l’œuvre du Ciel ; s’appliquer à recouvrer la perfection naturelle, c’est le travail de l’homme. Un homme entièrement parfait gagne toujours la confiance. Un homme imparfait n’a jamais pu l’avoir. »

13. Meng tzeu dit : « Pe i, fuyant le tyran Tcheou, s’était retiré au nord sur le rivage de la mer. Ayant appris que Wenn Wang était devenu puissant, il se leva et dit : « Pourquoi n’irais je pas vivre sous ses lois ? On dit que le Prince de l’ouest (Wenn wang) soigne bien les vieillards. » T’ai Koung, fuyant Tcheou, était allé demeurer à l’est sur le bord de la mer. Ayant appris que Wenn wang était devenu puissant, il se leva et dit : « Pourquoi n’irais je pas vivre sous ses lois ? On m’a dit que le Prince de l’ouest soigne bien les vieillards. »

« Ces deux vieillards étaient les plus marquants de l’empire, et ils se soumirent à Wenn Wang ; c’étaient comme les pères de l’empire qui se soumettaient à lui. Les enfants à quel autre auraient-ils été ? Si un prince gouvernait comme Wenn Wang, dans sept ans il gouvernerait certainement tout l’empire. » (Wenn Wang allant à la chasse, rencontra T’ai koung qui pêchait à la ligne. Il reconnut sa sagesse ; et le fit nommer ministre).

14. Meng tzeu dit : « K’iou (Jen Iou) était intendant de la maison de Ki. Il ne parvenait pas à corriger son maître de son avarice. Ki exigeait en tribut deux fois plus de grain qu’auparavant. Confucius dit (à ses disciples) : « K’iou n’est pas mon disciple. Mes enfants, battez le tambour, attaquez le ; cela convient. »

« Nous voyons par ces paroles que Confucius rejetait tous les ministres qui augmentaient les trésors de princes inhumains ; à plus forte raison, aurait il rejeté les ministres qui auraient employé pour ces princes la force des armes. Une guerre entreprise pour la possession d’un territoire, remplit la plaine de cadavres. Une guerre pour la possession d’une ville remplit la ville de cadavres. Cela s’appelle forcer la terre à dévorer la chair des hommes. La mort même ne suffit pas pour expier un tel crime. Celui qui excelle à faire la guerre, mérite le supplice le plus rigoureux. Le plus criminel après lui est le ministre qui fait des alliances entre les princes (en vue d’entreprendre des guerres). En troisième lieu vient celui qui défriche des terrains, et oblige le peuple à les cultiver (au profit du prince). »

15. Meng tzeu dit : « De tout ce qui est en l’homme, rien n’est meilleur que la pupille de l’œil. Elle ne sait pas cacher ce que le cœur a de mauvais. Si le cœur est irréprochable, la pupille est brillante ; si le cœur n’est pas irréprochable, la pupille est obscurcie. Si vous écoutez les paroles d’un homme, si vous observez les pupilles de ses yeux, aura t-il rien de caché pour vous ?

16. Meng tzeu dit : « Un prince poli ne traite pas les hommes avec mépris ; un prince modéré n’enlève pas les biens de ses sujets. Un prince qui traite ses sujets avec mépris et leur enlève leurs biens, craint seulement qu’on ne lui résiste. Peut il se faire passer pour poli et modéré ? Est il possible de contrefaire la politesse et la modération par le ton de la voix, par le sourire du visage ? »

17. Chouenn iu K’ouenn dit : « Les convenances ne défendent-elles pas aux personnes de différents sexes de se rien donner de main à main ? » « Oui, répondit Meng tzeu. » Chouenn in K’ouenn reprit : « Un homme voit la femme de son frère aîné se noyer ; peut il la retirer de l’eau avec la main ? » Meng tzeu répondit : « Ne pas retirer de l’eau sa belle sœur, ce serait imiter la cruauté des loups. La règle ordinaire est que les personnes de différents sexes ne se donnent rien de main à main. Mais la raison dit que, si votre belle sœur tombe dans l’eau, vous devez l’en retirer avec la main. » « A présent, dit Chouenn iu K’ouenn, l’empire est plongé dans l’abîme. Pourquoi ne l’en retirez vous pas ? » « Quand l’empire est plongé dans l’abîme, on le sauve (non en violant les règles et les lois, mais) en les faisant revivre. Si la femme de votre frère se noie, vous devez la retirer de l’eau avec la main. Prétendez vous donc que je sauve l’empire avec la main ? »

18. Koung suenn Tch’eou dit : « Pourquoi le sage ne fait il pas lui-même l’éducation de son fils ? » Meng tzeu répondit : « C’est impossible. Il devrait enseigner à son fils les règles de bonne conduite. Si son fils ne les suivait pas, il serait obligé d’user de sévérité ; et il blesserait le cœur de son fils (au lieu de se l’attacher, comme il le devrait). (Le fils se dirait à lui-même) : « Mon maître (mon père) m’enseigne comment on doit se conduire ; lui-même ne marche pas encore dans la voie droite. » Le père et le fils perdraient l’affection l’un de l’autre ; ce serait un grand mal. Les anciens envoyaient leurs fils à l’école de maîtres étrangers. Le père et le fils ne doivent pas se reprocher mutuellement leurs défauts. S’ils s’adressaient des reproches, l’un à l’autre, ils seraient bientôt désunis. La désunion est le plus grand de tous les malheurs. » Meng tzeu a dit ces paroles en général pour les hommes ordinaires, mais non pour les sages. Dans le Livre de la Piété filiale il est dit : Les devoirs mutuels que la nature prescrit au père et au fils sont les devoirs de justice qu’elle prescrit au prince et au sujet. Donnez à un fils un père sévère ; le père reprendra son fils. La bienveillance et la justice seront parfaites ; la bonté paternelle et la piété filiale ne laisseront rien à désirer. Se peut il rien de plus heureux ?

19. Meng tzeu dit : « Quel est le plus important de tous les services ? C’est le service dû aux parents. Quelle est la plus importante de toutes les gardes ? C’est la garde de soi-même. J’ai entendu parler d’hommes qui, veillant avec soin sur eux mêmes, ont su servir leurs parents. Je n’ai jamais entendu dire qu’un homme ait su servir ses parents, après s’être perdu lui-même (par sa mauvaise conduite). Que de services n’y a t il pas ? Le service dû aux parents est le fondement de tous les autres. Que de choses ne doit on pas garder ? La garde de soi-même est le fondement de toutes les autres.

« Tseng tzeu soignant son père Tseng si, ne manquait jamais de lui servir du vin et de la viande. Au moment de desservir la table, il demandait toujours à qui il donnerait les restes (car il n’aurait pas voulu les servir de nouveau à son père). Quand son père lui demandait s’il y avait des restes, il répondait toujours qu’il y en avait, (désirant satisfaire son père, si celui-ci lui ordonnait de donner quelque chose à quelqu’un). Après la mort de Tseng Si, Tseng Iuen donna ses soins à Tseng tzeu. Il ne manquait pas de lui servir du vin et de la viande. Mais, au moment de desservir, il ne demandait pas à qui il donnerait les restes. Quand son père lui demandait s’il y avait des restes ; il répondait qu’il n’y en avait pas. C’est qu’il voulait les servir une seconde fois à son père. C’est ce qui s’appelle contenter la bouche et le corps de son père. Imiter Tseng tzeu, cela s’appelle contenter le cœur de son père. Servir ses parents comme Tseng tzeu, c’est vraiment bien. »

20. Meng tzeu dit : « Il ne suffit pas d’exposer à son prince les fautes des officiers et les défauts de l’administration. Un homme d’une vertu éminente peut seul rectifier les idées de son prince. Si le prince est humain, dans l’administration tout sera humain ; s’il est juste, tout sera juste ; s’il est irréprochable, tout sera irréprochable. Le prince une fois corrigé, le royaume sera bien réglé. »

21. Meng tzeu dit : « Parfois on loue des hommes qui ne méritent pas d’éloges, et l’on blâme des hommes qui s’appliquent à se perfectionner eux mêmes. »

22. Meng tzeu dit : « Les hommes parlent sans réflexion, parce que personne ne les reprend (lorsqu’ils parlent mal). »

23. Meng tzeu dit : « Un grand défaut, c’est d’aimer à donner des leçons aux autres, (de se croire très sage et de s’imaginer qu’on n’a plus besoin d’apprendre). »

24. Io tcheng tzeu, étant allé dans la principauté de Ts’i à la suite de Tzeu ngao, alla voir Meng tzeu. Meng tzeu lui dit : « Vous aussi, venez-vous donc me voir ? » « Maître, dit Io tcheng tzeu, pourquoi me faites vous cette question ? » « Depuis combien de jours êtes vous arrivé ? lui demanda Meng tzeu » « Je suis arrivé hier, (ou avant hier), répondit Io tcheng tzeu. » « Vous êtes arrivé hier (ou avant hier, et vous n’étiez pas encore venu me voir) ; n’ai-je pas eu raison de vous parler ainsi ? » « Mon logement n’était pas encore arrangé, dit Io tcheng tzeu. » Meng tzeu répliqua : « Avez vous entendu dire qu’il fallût arranger son logement, avant d’aller voir ses supérieurs ? » « Moi K’o, dit Io tcheng tzeu, je suis en faute. »

25. Meng tzeu dit à Io tcheng tzeu : « Vous êtes venu ici à la suite de Tzeu ngao, uniquement pour manger et boire. Je n’aurais pas pensé qu’après avoir étudié la doctrine des anciens, vous auriez agi en vue du boire et du manger. »

26. Meng tzeu dit : « Trois choses sont contraires à la piété filiale. La plus répréhensible est de n’avoir pas d’enfants. Tchao Ki dit : « Trois choses sont contraires à la piété filiale. La première est d’encourager les parents à mal faire, par des flatteries et une coupable complaisance. La seconde est de ne pas vouloir exercer une charge lucrative, pour soulager l’indigence de ses vieux parents. La troisième est de n’avoir ni femme ni enfants et de faire cesser ainsi les offrandes aux ancêtres. De ces trois fautes, la plus grave est de rester sans postérité. » Chouenn contracta mariage sans avoir averti ses parents, parce que (s’il les avait avertis, il n’aurait pas obtenu leur consentement), il n’aurait pas eu d’enfants. Les sages pensent que c’est comme s’il les avait avertis. »

27. Meng tzeu dit : « Le principal fruit de la bonté est la piété filiale. Le principal fruit de la justice est la condescendance envers les frères aînés. Le principal fruit de la sagesse est la connaissance et la pratique constante de ces deux vertus. Le principal fruit de l’urbanité est de régler et de couronner ces deux vertus. Le principal fruit de la musique est de les rendre agréables. Devenues agréables, elles se développent. Dans leur développement comment pourraient elles être arrêtées ? Ne pouvant plus être arrêtées, elles paraissent dans tous les mouvements de nos pieds et de nos mains, sans que nous fassions attention. »

28. Meng tzeu dit : « Voir tous les peuples accourir et se soumettre avec affection, et ne pas faire plus de cas de la faveur et de la soumission de tout l’empire que d’un brin d’herbe ou de paille, c’est ce dont Chouenn seul a donné l’exemple.(Son unique désir était de faire plaisir à ses parents, et de les amener à partager ses bons sentiments, à aimer la vertu. Car il considérait que) celui qui n’est pas agréable à ses parents, ne mérite pas le nom d’homme, et que celui dont les sentiments ne sont pas conformes aux leurs, ne mérite pas le nom de fils.

« Chouenn remplit parfaitement ses devoirs de fils ; et (son père) Kou seou satisfait, aima la vertu. Kou seou satisfait, aima la vertu, et tout l’empire fut transformé. Kou seou satisfait, aima la vertu, et dans tout l’empire, les pères et les fils connurent et remplirent leurs devoirs mutuels. Cela s’appelle une grande piété filiale. »


CHAPITRE II.


1.Meng tzeu dit : « Chouenn naquit à Tchou foung, alla demeurer à Fou hia et mourut à Ming t’iao. Il vécut et mourut à l’extrémité orientale de l’empire. Wenn wang naquit dans la terre de K’i tcheou et mourut à Pi ing. Il vécut et mourut à l’extrémité occidentale de l’empire. Chouenn et Wenn wang habitèrent des contrées séparées par une distance de plus de mille stades ; ils vécurent à des époques séparées par un intervalle de plus de mille années. Lorsque, selon leur désir, ils purent faire fleurir la vertu dans l’empire, ils furent semblables l’un à l’autre, comme les deux parties d’une tablette. Les principes des sages ont été les mêmes dans tous les temps. »

2. Lorsque Tzeu tch’an était ministre de Tcheng, il faisait traverser aux voyageurs la Tcheou et la Wei dans sa propre voiture. Meng tzeu dit : « Il était bienfaisant, mais peu entendu dans l’administration. Si l’on construit des ponts au onzième mois de l’année pour les piétons et au douzième mois pour les voitures, les habitants ne sont pas obligés de traverser l’eau à gué. Le sage étend à tout le peuple les bienfaits de son administration ; et en voyage il lui est permis de faire écarter la foule sur son passage. Est ce qu’il peut aider chacun à passer l’eau ? S’il devait satisfaire tous les désirs de chacun en particulier, la journée ne lui suffirait pas. »

3. Meng tzeu donna les avis suivants à Siuen, prince de Ts’i : « Si le prince considère ses ministres comme les membres de son corps, les ministres considéreront le prince comme leur cœur et leurs entrailles. Si le prince considère ses ministres comme des chiens et des chevaux, les ministres considéreront le prince comme un citoyen ordinaire (qui leur est indifférent). S’il considère ses ministres comme de la boue et de la paille, les ministres le considéreront comme un malfaiteur et un ennemi. »

« D’après les rites, dit le roi, (un ancien ministre qui n’a plus de charge dans son pays et se trouve dans un pays étranger), au moment de la mort de son prince, prend le deuil. Comment le prince doit il considérer ses ministres, pour que ceux ci prennent le deuil après sa mort ? » Meng tzeu répondit : « Qu’il mette à profit les remontrances de ses ministres, prête l’oreille à leurs avis, et répande de grands bienfaits parmi le peuple. Si un ministre, pour une raison grave, quitte la contrée, que le prince le fasse escorter jusqu’à la frontière ; qu’il le recommande d’avance au prince dans les États duquel il se rend ; qu’il ne lui retire ses terres et son habitation qu’après trois ans d’absence. Voilà ce qu’on appelle les trois devoirs à remplir. Si le prince agit ainsi, à sa mort le ministre absent prendra le deuil.

« A présent, si un ministre adresse des remontrances, elles sont sans effet ; s’il donne des avis, ils ne sont pas écoutés. Les bienfaits ne descendent pas du trône sur le peuple. Si, pour une cause légitime, un ministre s’en va, le prince le fait saisir et garder. Puis, il le réduit à l’impossibilité d’obtenir une charge dans la contrée où il va. Dès le jour de son départ, il lui reprend ses terres et son habitation. Un tel prince est un malfaiteur, un ennemi. Pour un malfaiteur et un ennemi ; doit on prendre le deuil ? »

4. Meng tzeu dit : « Lorsque le prince condamne à mort des innocents, si ce sont des lettrés, les grands préfets peuvent quitter le pays ; si ce sont des hommes du peuple, les lettrés peuvent se retirer en pays étranger, (sinon, ils seront bientôt eux mêmes en butte à la cruauté du tyran). » On voit par là qu’un prince doit surtout user de bonté, être lent à punir, et observer les lois, afin d’exercer sa bienfaisance. S’il prend les sentiments du Souverain Seigneur, qui aime à donner et à conserver la vie, s’il imite la sollicitude compatissante des sages souverains de l’antiquité, tous ses officiers et ses sujets auront envers lui la même reconnaissance qu’envers le Ciel. Il procurera à ses États le bon ordre et la tranquillité pour longtemps.

5. Meng tzeu dit : « Sous un prince humain, tous les sujets sont humains ; sous un prince juste, tous les sujets sont justes. »

6. Meng tzeu dit : « Le vrai sage s’abstient de tout ce qui n’est honnête et juste qu’en apparence. »

7. Meng tzeu dit : « Si les hommes vertueux forment ceux qui ne sont pas vertueux, et si les hommes capables forment ceux qui ne sont pas capables, les plus jeunes seront heureux d’avoir des pères et des aînés capables et vertueux. Si les hommes vertueux délaissent ceux qui ne sont pas vertueux, si les hommes capables délaissent ceux qui ne sont pas capables, il y aura à peine un pouce de distance (il y aura à peine quelque différence) entre les hommes vertueux et capables (mais sans pitié), et les autres qui ne seront ni vertueux ni capables. »

8. Meng tzeu dit : « Apprenez d’abord à discerner et à fuir le mal ; vous pourrez ensuite faire le bien résolument. »

9. Meng tzeu dit : « Celui qui publie les défauts d’autrui, devrait se demander comment il évitera les suites fâcheuses de ses médisances. »

10. Meng tzeu dit : « Confucius évitait tout excès. »

11. Meng tzeu dit : « Le sage, avant de parler ou d’agir, ne renouvelle pas chaque fois sa résolution d’être sincère ou courageux ; il dit ou fait simplement ce qu’il convient de dire ou de faire, selon les circonstances, et il est toujours sincère et courageux (il pratique la vertu comme naturellement, sans effort, sans avoir besoin d’y penser). »

12. Meng tzeu dit : « Celui-là est vraiment grand, dont le cœur est encore comme au jour de sa naissance (exempt de tout mauvais désir, et n’aimant que la vertu). »

13. Meng tzeu dit : « Soigner ses parents durant leur vie n’est pas le plus grand des devoirs ; leur rendre après la mort les honneurs qui leur sont dus, voilà le plus grand des devoirs. »

14. Meng tzeu dit : « Le disciple de la sagesse avance sans cesse par la vraie voie, c’est-à-dire par degrés. Il veut arriver à la posséder aussi parfaitement que si elle était naturelle en lui. Lorsqu’elle est devenue comme naturelle en lui, il la garde tranquillement. Lorsqu’il la garde tranquillement, il en a un trésor abondant. Lorsqu’il en a un trésor abondant, il y puise et en fait usage en toutes circonstances ; il est toujours à la source, (car la sagesse est devenue comme naturelle en lui et semble couler de source). Pour cette raison, le disciple de la sagesse veut arriver à la posséder aussi parfaitement que si elle était naturelle en lui. »

15. Meng tzeu dit : « (Celui qui cultive la sagesse), en apprend tous les préceptes et les expose clairement, (non pour étaler une vaste érudition), mais pour revenir ensuite sur ses connaissances, et en faire le résumé. »

16. Meng tzeu dit : « Personne n’a encore pu, par une vaine ostentation de vertu, soumettre les hommes à sa puissance. Réformez les mœurs par l’influence d’une vertu véritable, et vous pourrez soumettre tout l’empire à votre autorité. Jamais prince n’a rétabli l’ordre dans l’empire, si auparavant l’empire ne s’est soumis à lui de cœur. »

17. Meng tzeu dit : « Il n’est pas de discours qui soit vraiment funeste (à tout l’empire), hormis la calomnie qui attaque les hommes vertueux et capables, et les empêche d’arriver aux charges. » (Ou bien : Le mensonge est pernicieux ; le plus pernicieux de tous les mensonges est celui qui empêche la vertu et le talent de se produire). »

18. Siu tzeu dit : « Confucius parlait souvent de l’eau ; il répétait. Eau ! Eau ! Quel enseignement l’eau lui donnait-elle ? » Meng tzeu répondit : « L’eau qui vient d’une source, sort à gros bouillons, coule sans cesse jour et nuit. Elle remplit les fossés, puis s’écoule et va jusqu’à la mer. Il en est ainsi de l’eau qui vient d’une source. C’est cette continuité d’écoulement qui inspirait des réflexions à Confucius. (Au contraire) l’eau qui ne vient pas de source (fait bientôt défaut). Ainsi, dans le courant du septième et du huitième mois de l’année, la pluie tombe en abondance. L’eau remplit tous les canaux, mais peu après elle a disparu entièrement. Le sage rougit d’avoir plus de réputation que de mérite, (cette vaine renommée dure peu). »

19. Meng tzeu dit : « Ce par quoi l’homme diffère des animaux, n’est presque rien. La masse du peuple le perd ; le sage le conserve. Chouenn réglait toutes choses avec une rare intelligence, et remplissait tous ses devoirs envers les autres avec un discernement remarquable. Il suivait (comme naturellement) ses sentiments d’humanité et de justice, et pratiquait ces deux vertus sans effort. »

20. Meng tzeu dit : « Iu n’aimait pas le bon vin, mais il aimait les bons discours. T’ang gardait toujours le juste milieu ; il élevait aux charges les hommes vertueux et capables sans distinction de rang.  Wenn wang considérait ses sujets comme des blessés (qui avaient besoin de toute sa sollicitude) ; il considérait la voie de la vertu comme s’il ne l’avait pas encore vue, c’est-à-dire comme s’il n’avait encore fait aucun progrès.

« Ou wang ne négligeait pas ce qui était près de lui, et n’oubliait pas ce qui était éloigné. Tcheou koung avait résolu de réunir en lui seul les vertus des grands souverains des trois dynasties, et d’imiter les belles actions des quatre princes (Iu, T’ang, Wenn wang et Ou wang) : Si dans leur conduite il remarquait des choses qui ne convenaient pas aux circonstances dans lesquelles il se trouvait lui-même, il les considérait avec un vif désir d’en connaître l’esprit. La nuit il continuait d’y réfléchir ; et quand il avait eu le bonheur de trouver ce qu’il cherchait, il s’asseyait en attendant le jour (afin de se mettre aussitôt à l’œuvre). »

21. Meng tzeu dit : « Il n’y avait plus de souverain qui exerçât un pouvoir réel sur tout l’empire, et l’on ne composait plus de nouvelles poésies. Alors parut le Tch’ouenn Ts’iou (corrigé et perfectionné par Confucius). Les annales de Tsin, appelées Véhicule (parce que, comme une voiture, elles contiennent les faits mémorables et les transmettent à la postérité), les annales de Tch’ou, intitulées Bête féroce (parce qu’elles racontent de cruels châtiments), et les annales de Lou, intitulées Le Printemps et l’Automne (parce qu’elles racontent les événements arrivés en chaque saison de l’année), toutes ces annales étaient semblables entre elles. Le Tch’ouenn Ts’iou est l’histoire de Houan, prince de Ts’i, et de Wenn, prince de Tsin. Il a été composé primitivement par les annalistes (de la principauté de Lou). Confucius disait : « Quant aux appréciations contenues dans Ie Tch’ouenn Ts’iou, je me suis permis de les tirer (des annales déjà existantes, en les contrôlant). »

22. Meng tzeu dit : « L’influence d’un prince sage cesse après cinq générations, ou cent cinquante ans ; l’influence d’un sage qui est resté dans la vie privée, cesse également après cinq générations. Je n’ai pas eu le bonheur d’être le disciple de Confucius ; mais (n’étant pas séparé de lui par un espace de cent cinquante ans), j’ai, sans l’avoir mérité, été formé par d’autres (par les disciples de Tzeu seu qui ont gardé sa doctrine). »

23. Meng tzeu dit : « S’il vous semble d’abord que vous pouvez recevoir une chose, et ensuite que vous ne le pouvez pas, en la recevant, vous manqueriez à la vertu d’intégrité. S’il vous semble d’abord que vous pouvez donner une chose, et ensuite que vous ne le pouvez pas, en la donnant vous violeriez les règles de la bienfaisance. S’il vous semble d’abord que vous pouvez sacrifier votre vie, et ensuite que vous ne le pouvez pas, en affrontant la mort, vous manqueriez à la vertu de force. »

24. P’ang moung avait appris à tirer de l’arc sous la direction de I, et possédait parfaitement toute la science de son maître. S’imaginant que dans l’univers I était le seul qui l’emportât sur lui, il le tua. Meng tzeu dit : « En cela, I lui-même a commis une faute (il aurait dû choisir ses compagnons avec plus de circonspection). Koung ming I disait que I ne semblait pas avoir fait une faute. Il voulait dire que la faute était très légère. Pouvait il n’y avoir pas de faute ?

« Les ministres de la principauté de Tcheng ayant donné ordre à Tzeu tchouo Jou tzeu d’envahir la principauté de Wei, les ministres de Wei chargèrent Iu Koung tcheu seu de le chasser. Tzeu tchouo Jou tzeu dit : « Aujourd’hui je suis malade, je ne puis tenir mon arc ; je suis perdu (si les ennemis arrivent, ils me tueront).  » Il demanda à son cocher quel était celui qui le poursuivait. Le cocher ayant répondu que c’était Iu koung tcheu sou, il s’écria : « Je suis sauvé. » « Iu koung tchen sou, dit le cocher, est un habile archer de Wei. Que voulez-vous dire par ces mots : Je suis sauvé ? » « Iu koung tcheu sou, répondit Jou tzeu, a appris à tirer de l’arc sous In koung tcheu t’ouo, qui m’avait eu pour maître. In koung tcheu t’ouo était un honnête homme ; il n’a choisi que des compagnons honnêtes. »

« Iu koung tcheu sou étant arrivé, dit : « Maître ; pourquoi n’avez vous pas votre arc en main ? » « Aujourd’hui, répondit Jou tzeu, je suis malade ; je n’ai pas la force de tenir mon arc. » « Votre petit serviteur, dit Iu koung, a appris à tirer de l’arc sous In koung tcheu t’ouo, qui vous avait eu pour maître. Je ne veux pas employer contre vous un art que j’ai appris à votre école. Mais l’affaire présente est une affaire d’État, je ne me permettrais pas de la négliger. » Il prit des flèches, dont il cassa la pointe contre l’une des roues de sa voiture ; il en décocha quatre, puis s’en retourna. »

25. Meng tzeu dit : « (L’homme doit travailler sans cesse à se perfectionner lui-même). Si Si tzeu avait été couverte de saletés, tout le monde se serait bouché le nez en passant auprès d’elle. Au contraire, qu’un homme tout à fait laid purifie son cœur par l’abstinence, qu’il se lave la tête et tout le corps ; il pourra offrir un sacrifice au Souverain Seigneur. »

26. Meng tzeu dit : « Partout sous le ciel, quand on parle de la nature, on veut parler des effets naturels. Les effets naturels ont d’abord cela de particulier, qu’ils sont spontanés. Ce qui nous déplaît dans les hommes qui sont prudents (mais d’une prudence étroite), c’est qu’ils font violence à la nature. Si les hommes prudents imitaient la manière dont Iu fit écouler les eaux, rien ne nous déplairait dans leur prudence. Iu fit écouler les eaux de manière à n’avoir pas de difficultés, (il profita de leur tendance naturelle). Si les hommes prudents agissaient aussi de manière à n’avoir pas de difficultés, leur prudence serait grande. Bien que le ciel soit très élevé et les astres fort éloignés de la terre, si l’on étudie leurs mouvements, on peut aisément calculer le moment du solstice d’hiver pour chaque année depuis dix siècles. »

27. Lorsque Koung hang tzeu (grand préfet de Ts’i) célébrait les funérailles de son père ou de sa mère, le second ministre d’État (Wang Houan Tzeu ngao) alla prendre part aux lamentations. A son entrée, quelques uns (des officiers qui étaient présents) invitèrent le second ministre d’État à s’approcher d’eux, et s’entretinrent avec lui. D’autres allèrent le trouver à sa place, et lui parlèrent. Meng tzeu ne lui adressa pas la parole. Le premier ministre en fut choqué et dit : « Tous les hommes distingués qui sont ici, m’ont adressé la parole. Meng tzeu est le seul qui ne me parle pas. Il manque d’égards envers moi. » (Sur Wang Houan, Voy. page 392).

Ces paroles ayant été rapportées à Meng tzeu, il dit : « D’après les usages, à la cour d’un prince, personne ne va de sa place à celle d’un autre pour avoir un entretien avec lui ; personne ne quitte son rang pour aller à celui d’un autre faire des salutations. Je veux observer les usages. Tzeu ngao y voit un manque d’égards ; n’est-ce pas étrange ? »

28. Meng tzeu dit : « Le sage diffère des autres hommes ; parce qu’il conserve des vertus que la nature a mises en son cœur. Il conserve en son cœur la bienveillance et l’urbanité. Un homme bienveillant aime les autres ; un homme poli respecte les autres. Celui qui aime les autres, en est toujours aimé ; celui qui respecte les autres, en est toujours respecté.

« Supposons qu’il se trouve ici quelqu’un qui me traite d’une manière dure et impolie. Si je suis sage, je ferai un retour sur moi-même, et me dirai : « Certainement j’ai manqué de bonté et d’urbanité envers cet homme. Sinon, m’aurait il traité d’une manière dure et impolie ? » Je m’examine moi-même, et je vois que je n’ai manqué ni de douceur ni d’urbanité. Cependant il continue à me traiter d’une manière dure et impolie. En homme sage, je m’examine de nouveau, et je me dis : « Certainement je n’ai pas fait pour cet homme tout ce que j’aurais pu. » En m’examinant, je ne trouve aucun manque d’obligeance à me reprocher. Néanmoins, cet homme continue à me traiter d’une manière dure et impolie. En homme sage, je me dis : « C’est un insensé. Un homme tel que lui, diffère-t-il des êtres privés de raison ? Pour un être sans raison, dois-je me tourmenter ? »

« Ainsi le sage est toute sa vie dans la sollicitude, mais pas même une matinée dans l’angoisse et l’anxiété. Un objet de sollicitude, il en a toujours. (Il se dit en lui-même) : « Chouenn était homme comme moi ; il est devenu le modèle de tous les hommes de son temps et des âges suivants. Moi, je suis encore un homme vulgaire. » Tel est le juste sujet de sa sollicitude. Et que fait il ? (Il imite Chouenn, et) sa sollicitude ne cessera que quand il sera semblable à Chouenn. De chagrin, il n’en a jamais. Il ne se permet rien qui soit contraire à la bienveillance ou à l’urbanité. S’il survient quelque contrariété de peu de durée, il n’en a pas d’inquiétude. »

29. Iu et Heou tsi vécurent à une époque de tranquillité. Ils passèrent trois fois devant la porte de leurs maisons sans prendre le temps d’y entrer. Confucius a loué ce dévouement. Ien tzeu vécut à une époque de trouble. Il demeurait dans une misérable ruelle, et n’avait pour vivre qu’une écuelle de nourriture et un peu de boisson. (Dans une telle indigence), d’autres n’auraient pu supporter leur affliction ; Ien tzeu conserva toujours la même joie. Confucius l’en a loué.

Meng tzeu dit : « Iu, Heou tsi et Ien Houei avaient tous trois les mêmes principes (ils pensaient que le sage doit travailler à se perfectionner lui-même, quand il demeure dans la vie privée, et à aider le peuple, quand il exerce une charge). Iu pensait que, si dans l’empire quelqu’un était noyé, lui-même serait aussi coupable que s’il l’avait noyé. Tsi croyait que, si dans l’empire quelqu’un souffrait de la faim, lui-même serait aussi coupable que s’il le faisait souffrir de la faim. C’est pour cette raison que Iu et Heou tsi ont été si diligents. Si Iu, Heou tsi et Ien Houei s’étaient trouvés tous trois dans les mêmes circonstances, ils auraient agi tous trois de la même manière.

« Supposons que des personnes de ma maison se battent entre elles. Je les séparerai ; je puis y courir, même quand j’aurais les cheveux en désordre sous mon bonnet. Si des personnes de mon village, des voisins se battent entre eux, et que j’aille les séparer, sans prendre le temps de lier ma chevelure, je commettrai une méprise ; je puis même fermer ma porte. (Iu et Tsi, étant chargés du soin de tout l’empire, devaient considérer tout l’empire comme leur propre famille, et aider tout le monde. Ien Houei, étant simple particulier, n’avait pas la même obligation). »

30. Koung tou tzeu dit : « Tous les habitants de la principauté de Ts’i disent que K’ouang Tchang manque de piété filiale. Vous, maître, vous avez des relations avec lui. Vous allez plus loin : vous le recevez même avec honneur et politesse. Permettez moi de vous en demander la raison. »

Meng tzeu répondit : « On dit communément que cinq choses sont contraires à la piété filiale. La première est de se plonger dans l’oisiveté, et de négliger entièrement le soin de ses parents. La deuxième est de s’adonner au jeu de tablettes, au jeu des échecs, à la boisson, et de négliger entièrement le soin de ses parents. La troisième est d’aimer les richesses, de s’occuper uniquement de sa femme et de ses enfants, et de négliger entièrement le soin de ses parents. La quatrième est de donner toute liberté à ses yeux et à ses oreilles, et de faire le déshonneur de ses parents. La cinquième est d’aimer à faire parade de bravoure, de se battre, de disputer, et de mettre ainsi ses parents en danger. Tchang tzeu est il coupable de l’une de ces cinq fautes ?

« Tchang tzeu et son père se sont remontré l’un à l’autre leurs défauts ; par suite, la bonne intelligence a été rompue, (le père a chassé le fils). La correction mutuelle entre amis est un devoir ; entre un père et son fils, elle diminue beaucoup la bienveillance. Est ce que Tchang tzeu n’aurait pas désiré conserver entre lui et sa femme, entre sa femme et son fils les relations habituelles ? Parce qu’il avait offensé son père et ne pouvait plus l’approcher, (il voulut se punir de sa faute), il renvoya sa femme, éloigna son fils, et se priva de leurs soins pour toujours. Il se persuada qu’il serait coupable d’un grand crime, s’il n’agissait pas ainsi. Voilà toute l’affaire de Tchang tzeu. »

31. Lorsque Tseng tzeu demeurait à Ou tch’eng, survint une bande de pillards de la principauté de Iue. Quelqu’un lui dit : « Des brigands sont arrivés ; pourquoi ne vous en allez vous pas ? » (En partant), il dit (au gardien de sa maison) : « Ne logez personne dans ma maison de peur qu’on ne détruise ou qu’on ne casse les arbres et les autres plantes. » Lorsque les pillards se retirèrent, il envoya dire (au gardien de sa maison) : « Faites réparer les murs et les bâtiments ; je serai bientôt de retour. » Les pillards s’étant retirés, Tseng tzeu retourna à Ou tch’eng. Ceux qui l’entouraient, se dirent entre eux : « (Le grand préfet de la ville) avait traité notre maître avec tant de bienveillance et de respect ! A l’arrivée des pillards, il a fui le premier et donné le mauvais exemple au peuple. A leur départ, il est revenu. Cette conduite ne paraît pas convenable. »

Chenn iou Hing dit : « Vous n’y entendez rien. Autrefois, les porteurs d’herbe s’ameutèrent contre le chef de ma famille. Notre maître Tseng tzeu avait soixante dix disciples. Aucun d’eux n’aida (à calmer l’émeute). Au contraire, lorsque Tzeu seu était dans la principauté de Wei, il vint des pillards de la principauté de Ts’i. Quelqu’un dit à Tzeu seu : « Des pillards sont arrivés ; pourquoi ne vous en allez vous pas ? » Tzeu seu répondit : « Si je m’en vais, qui gardera la principauté avec le prince ? » Meng tzeu dit : « Tseng tzeu et Tzeu seu avaient les mêmes principes. Mais Tseng tzeu enseignait en qualité de maître ; il était comme le père ou le frère aîné du prince ; (or nul ne doit s’immiscer dans les affaires difficiles d’un autre qui est au-dessous de lui). Au contraire, Tzeu seu était le sujet du prince de Wei ; il était au dessous de lui, (un sujet doit servir son prince). Si Tseng tzeu et Tzeu seu s’étaient trouvés à la place l’un de l’autre, l’un aurait fait ce que l’autre a fait. »

32. Tch’ou tzeu (ministre du prince de Ts’i) dit : « Maître, le roi a donné ordre de vous épier, et de voir si vous différez des autres hommes. » « En quoi différerais-je des autres hommes ; répondit Meng tzeu ? Iao et Chouenn étaient semblables aux autres hommes. »

33. Un homme de Ts’i avait une femme et une concubine, avec lesquelles il vivait. Quand il sortait, toujours il se gorgeait de vin et de viande, disait il. A son retour, si sa femme lui demandait quels étaient ceux avec qui il avait bu et mangé, c’étaient, à l’entendre, des hommes tout à-fait riches et honorables. Sa femme en parla à sa concubine. « Quand notre mari sort, dit elle, à l’en croire, il se gorge toujours de vin et de viande. A son retour, si je lui demande quels sont ceux avec qui il a bu et mangé, ce sont, dit-il, des hommes tout à fait riches et honorables ; cependant aucun homme distingué n’est encore venu ici. Je l’épierai, pour savoir où il va. »

Le matin, en se levant, elle suivit doucement les pas de son mari. Celui-ci parcourut la ville, et personne ne s’arrêta pour lui parler. Enfin il alla trouver des hommes qui faisaient des offrandes aux morts au milieu des tombes près du faubourg oriental, mendia les restes ; et comme ils ne lui suffirent pas, il regarda autour de lui, et alla en d’autres endroits. C’était par ce moyen qu’il parvenait à se rassasier. Sa femme, de retour à la maison, informa la concubine. « Notre mari, dit elle, était tout notre espoir pour la vie ; à présent, voilà ce qu’il fait. » Elle dénigra son mari avec la concubine, et toutes deux pleurèrent ensemble dans la salle. Le mari ne savait pas (qu’il avait été épié par sa femme). Il rentra avec un air joyeux, et se montra fier en présence de sa femme et de sa concubine.

A juger les choses d’après les principes de la sagesse, il est peu d’hommes dont la femme et la concubine n’auraient pas à rougir et à pleurer, en voyant les moyens qu’ils emploient pour avoir des richesses, des honneurs, du profit et de l’avancement.