Les Rois/Chapitre XVI

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy, éditeur (p. 176-178).

XVI

La princesse Wilhelmine fit irruption dans le cabinet royal, tenant le petit Wilhelm dans ses bras et suivie de la gouvernante.

— Hermann ! Hermann ! cria-t-elle, savez-vous ce qu’on a fait à votre fils ?

Son allure était tragique ; même, ses beaux bandeaux étaient un peu dérangés. Toutefois, elle gardait son grand air, l’air des Altenbourg. Et c’est pourquoi Hermann, ayant d’ailleurs constaté que l’enfant était intact, demanda avec tranquillité :

— Quoi donc ? Qu’arrive-t-il ?

— Il arrive que les émeutiers ont assailli à coups de pierres la voiture de votre fils, qu’ils auraient pu le tuer, qu’il n’a été sauvé que par la vitesse des chevaux, et que voilà, je pense, de quoi vous faire réfléchir.

— Enfin, dit le prince, il n’a pas eu de mal ? Sa gouvernante non plus ?… Peut-être madame de Schliefen s’est-elle exagéré les choses.

Il interrogea la gouvernante. Elle était partie le matin pour conduire Wilhelm chez le roi son grand-père. Mais, ayant rencontré des bandes qui se rendaient à la manifestation, la vieille dame, prise de peur, avait donné ordre au cocher de rentrer au palais. Des ouvriers avaient reconnu la livrée de la cour, poussé des cris de menace et lancé des pierres contre la voiture. Et c’était miracle que ni elle ni le petit prince n’eussent été atteints.

— Vous n’aviez, madame, qu’à continuer votre chemin, dit froidement Hermann. Rien de tout cela ne serait arrivé.

Il était persuadé que madame de Schliefen avait rêvé presque tout ce qu’elle racontait. Il l’examinait, redressée dans son busc, l’aspect ridiculement majestueux, provoquante à force de dignité empesée. Il se disait que des gens du peuple avaient pu être agacés rien qu’en voyant cette tête-là (il l’était bien lui !) et, puisque l’enfant était sain et sauf et que tout s’était borné sans doute à un peu de tapage, il inclinait à des indulgences dont il sentait confusément l’imprudence et la folie. Mais c’était plus fort que lui : la vue de cette douairière avait toujours pour effet d’éveiller dans le tréfond ignoré de son âme de prince il ne savait quel incoercible instinct de révolutionnaire, presque de clubiste et de barricadier.

Cependant le récit de la vieille dame avait exalté le petit Wilhelm :

— Papa, dit-il, ce sont des méchants. Il faut les tuer, tous ! tous !

L’enfant tremblait de frayeur et de colère. Hermann le regarda d’un air d’indicible douleur et répondit doucement :

— Mais mon chéri, si tu veux qu’on les tue, c’est donc que tu es aussi méchant qu’eux ?

L’avorton, dépité, éclata en sanglots. Hermann l’embrassa, le caressa, mais sans parler : les mots tendres qu’il cherchait ne lui venaient pas…

La princesse fit signe à la gouvernante d’emmener l’enfant.