Les Romans de la Table ronde (Paulin Paris)/Lancelot du lac/79
LXXIX.
près avoir chevauché quelque temps,
Lancelot était entré dans la vallée
où messire Yvain résistait de son
mieux aux dix gloutons qui avaient lié Sagremor à un tronc d’arbre et suspendu
par les cheveux aux branches d’un autre arbre
la demoiselle son amie. Lancelot ayant
reconnu messire Yvain aux couleurs de son écu, brocha vivement des éperons pour lui
venir en aide. « Vous êtes morts ! » cria-t-il
aux assaillants. Le premier qu’il atteignit roula
sur l’herbe baigné dans son sang ; la pointe de son glaive resta fichée dans le corps du glouton.
Il tire alors son épée, tranche les bras,
démaille les hauberts et fend les têtes. Quatre
sont tués, un cinquième navré, les autres
prennent la fuite. Mais celui qui avait défendu
plutôt que maltraité messire Yvain, au lieu de
suivre ses compagnons retourne vers Sagremor,
coupe les cordes dont il était lié, le
ramène au pavillon et lui offre sa propre robe.
Puis il court achever de délier la demoiselle
dont les mains étaient écorchées et la tête déchirée.
Il l’avait déjà reconduite au pavillon,
quand y arrivèrent Lancelot et mess. Yvain, ravis
d’y retrouver Sagremor. La table était dressée
pour dix chevaliers ; il ne faut pas demander
s’ils firent honneur aux mets dont on l’avait
couverte. Après le repas, ils eurent tout le
temps de raconter leurs aventures. Sagremor
se rendait au château d’Agravain avec sa nouvelle amie, quand dix chevaliers du roi de Norgalles ayant reconnu la demoiselle confidente des amours de la fille de leur roi pour mess. Gauvain, les avaient arrêtés. « J’étais désarmé, ajouta Sagremor, je ne pus défendre ni mon amie ni moi-même ; c’en était fait de nous, si vous n’étiez arrivés. L’homme qui vient de nous délier est celui qui m’avait proposé d’être mon chevalier, quand nous fûmes obligés de quitter la maison du roi de Norgalles ; il s’est loyalement acquitté envers moi, comme vous avez pu voir. — Hélas ! » reprit messire Yvain, « monseigneur Gauvain n’est pas en ce
moment mieux traité que vous ne l’étiez tout à l’heure. Il est prisonnier de Karadoc dans la Tour douloureuse, et Dieu sait si nous pourrons le délivrer. »
Sagremor était trop rudement blessé pour les accompagner. Il remonta, lui, son amie et le bon chevalier de Norgalles, pour retourner à Londres. L’histoire les laisse partir pour suivre Lancelot et mess. Yvain sur la voie de la Tour douloureuse.