Les Sciences au XVIIIe siècle/II/III
De toutes les sections de l’Académie des sciences, celle de géométrie est sans contredit la plus riche en grands noms. Elle forme comme le cœur de l’illustre compagnie.
Sans compter Huyghens, dont nous avons déjà rappelé les principaux ouvrages ; sans compter Sauveur, dont les travaux sur le son inaugurent brillamment les grandes recherches de physique mathématique ; sans compter Maupertuis, qui doit une bonne partie de sa célébrité à l’inimitié de Voltaire et à la Diatribe du docteur Akakia, nous y trouvons, vers le milieu du xviiie siècle, deux hommes véritablement illustres, Clairaut et d’Alembert.
Clairaut nous apparaît comme le type du géomètre pur ; c’est un de ces esprits qui ont la claire perception des hautes vérités mathématiques, et qui se trouvent assez à l’aise sur les sommets de la géométrie pour tracer sans effort des voies nouvelles. Fils d’un pauvre professeur de mathématiques qui élevait à grand’peine sa nombreuse famille, il fut nourri dès son enfance des plus fortes études. Ce fut une sorte d’enfant prodige, et, contrairement à ce qui arrive d’ordinaire en pareil cas, il tint les promesses de ses premières années. À dix-huit ans, il entrait à l’Académie des sciences avec une dispense d’âge. Une modique pension, rehaussée par sa gloire précoce, lui permit de se livrer tout entier à ses travaux ; il le fit tout en remplissant dans le monde ce rôle brillant que la société du xviiie siècle assurait à tous les esprits d’élite. Le Traité sur la figure de la terre, publié par Clairaut à la suite de son voyage en Laponie, demeure comme un des monuments de l’histoire des sciences. Maupertuis, à peine revenu de l’expédition, s’était hâté d’en publier les résultats (1738) pour s’en attribuer le principal honneur. Clairaut ne se pressa point ; c’est en 1743 seulement qu’il donna au public le fruit de ses recherches et de ses méditations. « L’ouvrage de Clairaut, dit M. Bertrand, est peut-être, de tous les écrits mathématiques composés depuis deux siècles, celui qui, par la forme sévère et la profondeur ingénieuse des démonstrations, pourrait le mieux être comparé, égalé même aux plus beaux chapitres du Livre des principes. Clairaut s’est pénétré de l’œuvre admirable de Newton, et de ce commerce intime avec un génie plus grand que le sien, mais de même famille, est sorti un géomètre tout nouveau. Les premiers travaux de Clairaut avaient donné de grandes espérances ; le Traité sur la figure de la terre les dépasse, et de bien loin. » Clairaut devait être en effet le premier à reprendre, après cinquante ans, l’œuvre commencée par Newton. Le grand géomètre anglais avait tracé les principales lignes du système du monde ; mais il n’avait fait qu’une sublime ébauche, qui demandait à être précisée et complétée. Parmi les travaux du premier ordre qui vinrent ainsi s’ajouter à l’œuvre du maître, il faut citer le livre de Clairaut sur la théorie de la lune. La lune, attirée par la terre et par le soleil, suit en somme une marche compliquée dans l’espace, et Clairaut en détermine habilement les détails. C’est ce qu’on appelle le problème des trois corps ; il constitue une des plus hautes difficultés de l’astronomie mathématique. Dans un sujet que l’analyse ne peut traiter d’une façon absolument rigoureuse, les calculs de Clairaut, immenses tout en étant ingénieusement abrégés, se rapprochaient de plus en plus de la vérité par une série d’approximations successives. Cette méthode excita l’étonnement des contemporains : les vieux géomètres, habitués à la rigueur des anciens procédés, crièrent au scandale ; elle est restée cependant, et elle a donné les fruits les plus heureux entre les mains des successeurs de Clairaut.
D’Alembert, lui aussi, est né géomètre. Enfant abandonné, recueilli par une pauvre femme, il avait besoin de songer à sa fortune, et il craignait avec quelque raison que l’étude pure des mathématiques ne fût un mauvais moyen de réussir dans le monde. Résistant à sa vocation, il prit le parti d’étudier la médecine. Le voilà donc qui se sépare, comme de compagnons dangereux, de tous ses livres de géométrie et qui va les déposer chez un de ses amis ; mais bientôt les livres reprennent un à un le chemin de son logement, et d’Alembert, renonçant aux études qu’il s’était imposées, s’abandonne sans contrainte à son génie naturel. À ses premiers essais, on reconnut un maître, et l’Académie des sciences le reçut à l’âge de vingt-trois ans. L’œuvre principale de d’Alembert comme géomètre est son Traité de mécanique, qui a entièrement renouvelé la science du mouvement ; mais son esprit aussi étendu que solide a suffi à plus d’une tâche. L’ami de Voltaire et de Diderot, le rédacteur du Discours préliminaire de l’Encyclopédie, est devenu une des grandes figures de son siècle et une des gloires des lettres françaises. Peu d’hommes inspirent par leur caractère autant d’estime et de sympathie que d’Alembert. On chercherait en vain une vie plus simple et plus noble. Sensible à tous les grands intérêts de l’humanité, ému de tous les souffles qui peuvent faire vibrer une âme honnête, il semble planer dans une région supérieure réservée aux grandes intelligences, et il dédaigne tout ce qui ne s’élève pas jusqu’à ce niveau. Rien n’est curieux comme le contraste qu’on remarque à cet égard entre Voltaire et d’Alembert, et qui éclate dans leur correspondance. Voltaire, inquiet, agité, s’irrite d’incidents mesquins, se préoccupe des attaques les plus viles, s’arrête à mille détails vulgaires, fait lui-même la cuisine de sa gloire. Rien de pareil chez d’Alembert ; toutes ces choses triviales le laissent calme et indifférent ; il n’a aucun effort à faire pour les mépriser, car, les yeux fixés plus haut, il ne les voit pas.
Après Clairaut et d’Alembert, l’Académie eut une seconde moisson de grands géomètres.
Laplace, l’illustre auteur de la Mécanique céleste, était un autre géomètre de race. Il se fit connaître de bonne heure par des mémoires qui marquaient la puissance de son esprit. Cependant l’Académie se fit longtemps prier pour lui ouvrir ses portes. Il dut se présenter plusieurs fois avant d’être nommé adjoint, et ce n’est qu’en 1783, à l’âge de trente-quatre ans, qu’il obtint le titre d’associé. Sans doute, dans nos habitudes actuelles, c’est un jeune académicien qu’un homme de trente-quatre ans ; mais il faut se reporter à l’époque dont nous parlons. L’Académie n’était pas alors un lieu de retraite, on n’y entrait pas pour s’y reposer des fatigues d’une vie de travail. Elle voulait avoir un rôle actif, et attirait à elle, sur quelques promesses brillantes, des sujets encore tout pleins du premier feu de la jeunesse. Peut-être faut-il chercher dans le caractère de Laplace les motifs du retard qu’il subit. De bonne heure Laplace manqua de simplicité, et les grands airs qu’il affectait déplaisaient fort à d’Alembert, alors très-influent dans les choix académiques.
Lagrange, né à Turin, avait été recommandé par d’Alembert à Frédéric II, qui l’attira à Berlin ; il ne devint Français qu’aux approches de 1789. « Il nous effacera tous, avait dit d’Alembert, ou du moins empêchera qu’on nous regrette. » Sans aller jusque-là, Lagrange a marqué sa place au premier rang des géomètres ; son analyse ferme et lucide a joué un rôle décisif dans la solution des hauts problèmes astronomiques qu’agitait la fin du xviiie siècle.
Monge, fils d’un pauvre marchand ambulant, fut élevé par les oratoriens de Beaune, qui, frappés de ses heureuses dispositions, voulurent l’attacher comme professeur à leur ordre. Monge préféra entrer à l’école du génie de Mézières, embrassant ainsi une carrière où son humble naissance le condamnait à végéter dans les grades inférieurs. Il eut bientôt renouvelé tout l’art des fortifications, et fit jaillir comme d’une source ignorée les méthodes fécondes de la géométrie descriptive. Attaché comme professeur à l’école de Mézières, il fut appelé à Paris par Turgot, et entra en 1783 à l’Académie des sciences.
Deux ans après, en 1785, l’Académie s’attachait Legendre, sur qui son attention avait été appelée par de brillants succès d’écolier obtenus au collège Mazarin, le seul où l’on enseignât alors les hautes mathématiques. Legendre est surtout connu de notre génération par un traité élémentaire de géométrie qui servait encore à l’enseignement classique il y a dix ans : il est en quelque sorte pour nous le pendant du grammairien Lhomond ; mais la haute géométrie lui doit d’importantes théories, et notamment celle des fonctions elliptiques.
Laplace, Lagrange, Monge et Legendre, ces quatre noms considérables, illustrent les dernières années de la section de géométrie ; ils forment comme un lien naturel entre l’ancienne Académie des sciences et la première section de l’Institut qui la remplaça plus tard.
La section d’astronomie a de son côté de glorieux états de service. Lalande, qui n’était guère porté à la louange, écrivait en 1766 : « La collection des Mémoires de l’Académie des sciences renferme le plus riche trésor que nous ayons en fait d’astronomie. La découverte des satellites de Saturne, l’étude consciencieuse et prolongée de la grandeur et de la figure de la terre ; l’application du pendule aux horloges, celle des lunettes aux quarts de cercle et des micromètres aux lunettes ; des discussions continuelles et savantes sur la théorie du soleil et de la lune, leurs inégalités, les réfractions, l’obliquité de l’écliptique, la théorie des satellites de Jupiter, tout cela se trouve longuement développé et traité à bien des reprises dans cette collection, dont l’analyse formerait, si on le voulait, un traité complet d’astronomie. »
Ce sont les astronomes de l’Académie qui publièrent l’important recueil de la Connaissance des temps. L’abbé Picard le fonda en 1678 ; il donnait les éphémérides des positions de la lune, du soleil et des planètes, et calculait les diverses éclipses. Tous ces renseignements constituaient une manne précieuse pour les navigateurs. Lefebvre reprit la Connaissance des temps en 1685 et la continua jusqu’en 1701, époque où il fut exclu de l’Académie pour avoir offensé dans la préface de son annuaire ses collègues Lahire, père et fils. Lieutaud succéda à Lefebvre (1701-1729). Godin prit alors la direction du recueil, qu’il céda en 1734 à Maraldi. Lalande en fut chargé en 1760. Il introduisit dans l’annuaire d’importantes modifications, y augmenta le nombre des renseignements utiles aux marins, et y joignit des articles sur différents points de la science. Enfin Méchain dirigea le recueil de 1788 à 1795, époque où cette publication entra dans les attributions du Bureau des longitudes.
Nous avons déjà indiqué comment les recherches astronomiques occupèrent une place importante dans les premiers travaux de l’Académie. L’Observatoire de Paris fut fondé en même temps que l’Académie elle-même. La création en était même décidée dès l’année 1664, mais la première pierre en fut posée seulement en 1667. Il faut même dire que Claude Perrault, architecte du bâtiment, ne se proposa pas dès l’abord de satisfaire aux exigences d’un grand service astronomique, Le plan primitif de l’édifice s’appliquait à toutes les branches des sciences ; la mécanique, la chimie, la physique, devaient y établir leur siège aussi bien que l’astronomie. C’est au bout de quelques années seulement que l’établissement du faubourg Saint-Jacques reçut sa destination spéciale.
Cette circonstance explique comment les principaux bâtiments de l’Observatoire se sont de tout temps mal prêtés aux observations astronomiques. Les savants de l’époque n’épargnèrent pas leurs plaintes au sujet de cette construction massive qu’il a fallu corriger par toutes sortes d’artifices, et dont l’incommodité vient encore de donner lieu sous nos yeux à des controverses animées. Ils prétendaient que Claude Perrault n’avait écouté que d’une oreille distraite les recommandations des gens techniques, notamment de l’abbé Picard, et qu’il avait fait passer la beauté des lignes, la majesté des formes, avant les commodités de la science.
Le premier directeur de l’Observatoire — mais directeur sans titre officiel — fut un de ces Italiens qui, depuis les Médicis, avaient pris l’habitude de venir chercher fortune en France. Recommandé à Colbert par Picard et Auzout, Jean-Dominique Cassini éclipsa bientôt ses protecteurs. Homme d’esprit, homme de cour, il sut se pousser auprès du roi. Il apportait dans les questions de sciences beaucoup de finesse et de perspicacité ; mais, sans manquer de science véritable, il savait surtout jeter de la poudre aux yeux. C’était, comme nous dirions aujourd’hui, un « faiseur ». Il excellait à tirer parti de ses collaborateurs et à extraire des circonstances tout ce qui pouvait servir à sa fortune. Ayant trouvé deux nouveaux satellites de Saturne (1671 et 1672), il se hâta de faire remarquer que cette découverte portait à quatorze le nombre des astres errants : c’était le chiffre même du Roi-soleil. Le grand Louis aimait ces flatteries, et il récompensa celle-là par une grasse pension. Cassini détruisit lui-même le sujet de cette flagornerie en découvrant encore, au mois de mars 1684, deux nouveaux satellites de Saturne ; mais il avait obtenu le résultat qu’il cherchait.
Comme nous venons de le dire, Cassini ne portait pas officiellement le titre de directeur de l’Observatoire. La somme annuelle de 9000 livres qu’il touchait était considérée comme une pension d’académicien. Appelé à Paris dès l’année 1668, il sut d’ailleurs cumuler cette pension jusqu’en 1675 avec les appointements de professeur d’astronomie à l’université de Bologne, et jusqu’en 1677 avec ceux d’intendant des eaux et des fortifications du souverain Pontife.
À ses divers talents Cassini joignit celui de fonder une sorte de dynastie. La direction — toujours officieuse — de l’Observatoire passa dans les mains de son fils Jacques Cassini (Cassini II, 1712-1756), puis dans celles de François-César Cassini de Thury (Cassini III), fils du précédent (1756-1784). Ce dernier reçut seulement sur la fin de ses jours le titre de directeur général de l’Observatoire. Enfin, à partir de 1784, Jacques-Dominique Cassini (Cassini IV) succéda en cette qualité à son père.
Cassini de Thury, le troisième du nom, est le principal auteur d’une œuvre importante : nous voulons parler de cette belle Carte de France, qui a été le résultat des travaux géodésiques de tout le siècle, et qui donnait une représentation exacte du pays à l’échelle d’une ligne pour cent toises.
De 1670 à 1750, c’est-à-dire pendant quatre-vingts ans, Picard, La Caille, puis les Cassini et leurs coopérateurs, avaient couvert la France d’un vaste réseau de triangles, reliant les grandes villes du royaume à la méridienne de Paris. Il fallait encore, par une série d’opérations secondaires, reporter à leur place les autres villes et les bourgades. Cassini de Thury organisa ce travail sur une grande échelle. Il avait réussi à y intéresser le roi Louis XV, qui se piquait alors de connaissances astronomiques. Un subside de 90 000 livres, somme considérable pour l’époque, fut employé annuellement à former les ingénieurs et les graveurs nécessaires à l’exécution du plan d’ensemble. Mais, en 1755, l’état des finances empirant de jour en jour, le subside fut définitivement retiré. Sans se décourager, Cassini organisa immédiatement une association privée qui devait poursuivre à ses risques et périls l’entreprise commencée. Cette initiative hardie eut d’abord un plein succès. La Cour, le Parlement, la Chambre des comptes, fournirent des souscriptions empressées, et pendant plusieurs années encore Cassini put continuer son travail.
Le zèle des actionnaires ne tarda pas cependant à se refroidir, et c’est au milieu de péripéties diverses que l’œuvre de la Carte de France atteignit les années de la Révolution. Il ne restait plus à faire qu’une partie des feuilles relatives à la Bretagne et à la Provence (15 feuilles sur 181), lorsqu’un décret de la Convention nationale, rendu le 21 septembre 1793, sur le rapport de Fabre d’Églantine, confisqua, comme propriété de l’État, les cuivres et les exemplaires tirés qui existaient dans les magasins de la Société. Ce matériel fut transporté au Dépôt de la guerre. En vain Cassini IV protesta contre cette résolution inique. Ses réclamations énergiques le conduisirent en prison, et il ne fut sauvé que par les événements de thermidor.
Les Cassini nous ont mené ainsi jusqu’à la période révolutionnaire. Mais pendant le xviiie siècle, les travaux astronomiques ne furent pas concentrés, comme ils le sont actuellement, à l’Observatoire royal. La ville de Paris, durant cette période entière, compta presque constamment huit ou dix établissements organisés pour l’étude du ciel. Ainsi Bernoulli, dans un voyage qu’il fit à Paris en 1767, constata que Lemonnier, astronome du Roi, avait chez lui, rue Saint-Honoré, une station installée au moyen des instruments qui avaient servi à l’expédition de Laponie ; Lalande observait au Luxembourg, La Caille au collège Mazarin. L’école militaire avait un observatoire confié à l’académicien Jeaurat ; la marine en avait à l’hôtel de Cluny un autre qui était dirigé par Messier ; la confrérie de Sainte-Geneviève faisait étudier le ciel par son bibliothécaire, Pingré, dans les bâtiments actuels du lycée Corneille. De son côté, le marquis de Courtanvaux, académicien honoraire et grand seigneur fort riche, avait installé dans sa terre de Colombes un observatoire des plus coquets et des mieux pourvus. La province enfin avait des observatoires à Lyon, à Dijon, à Marseille, à Montauban, à Toulouse, à Brest.
Ainsi, en dehors des grands géomètres qui ont fait avancer les théories astronomiques, nous pourrions trouver dans la section d’astronomie une longue liste d’observateurs exacts et sérieux. Prenons-y seulement quelques noms qui attirent plus particulièrement l’attention.
Bailly, fils d’un gardien des tableaux du Roi, destiné par son père à la survivance de cette place, s’instruisit seul dans les sciences. Il débuta par une théorie des satellites de Jupiter, qui obtint dans son temps un grand succès. L’œuvre principale de Bailly est pour nous son Histoire de l’Astronomie. Le style en est recherché, mais en quelques parties elle est pleine d’érudition et présente des modèles d’une science exacte et sérieuse.
C’est une figure originale que celle de l’astronome Lalande. On nous le représente comme une sorte de bourru bienfaisant, en querelle avec tout le monde, affectant de braver les préjugés et d’appeler crûment chaque chose par son nom, ne craignant pas de s’installer sur le Pont-Neuf pour montrer les étoiles aux passants, fort honnête homme d’ailleurs, loyal et généreux à sa manière. Il était, comme on sait, irréligieux avec passion, ce qui ne l’empêcha pas, au plus fort de la terreur, de cacher dans son observatoire plusieurs prêtres menacés de mort. « Je vous ferai passer, leur dit-il, pour des élèves astronomes. » Et comme ils hésitaient : « Je ne mentirai pas, ajouta-t-il, nous nous occupons du ciel, vous et moi, mais pas de la même façon. »
Au reste, il semble que les astronomes, élevés dans une région supérieure par la contemplation des corps célestes, aient eu ainsi comme une grâce d’état pour mépriser les fureurs de la Révolution, témoin ce trait qu’on nous raconte : Messier, enfermé dans son observatoire de l’hôtel de Cluny, trouve une comète aux plus mauvais jours de la terreur ; malhabile aux calculs, il était embarrassé pour déterminer l’orbite de l’astre errant : il songea au président Bochart de Saron, habile calculateur, qui aimait à aider les astronomes dans leurs travaux. Le président, déjà condamné par le tribunal révolutionnaire, n’avait plus que quelques heures à vivre. Il les employa à déterminer, à l’aide des observations de Messier, l’orbite de la nouvelle comète.
La section de mécanique comprenait surtout, dans les idées du temps, ceux qui s’appliquaient aux mécanismes et à la physique expérimentale.
Nous y voyons figurer au début Amontons, connu pour avoir eu le premier l’idée d’employer comme force motrice celle de l’air échauffé, Huyghens voulait utiliser la force de la poudre, Papin celle de la vapeur d’eau ; Amontons eut recours à la force élastique de l’air, et ses recherches sur ce point l’amenèrent incidemment à constater un phénomène des plus importants : il découvrit la constance de la température d’ébullition de l’eau. C’est encore Amontons qui a le premier donné des idées précises sur le frottement ; il prouva que cette résistance est proportionnelle à la pression et indépendante des surfaces en contact. C’est lui enfin qui, bien avant les frères Chappe, proposa l’établissement de télégraphes optiques : des gens munis de lunettes et placés dans des postes convenablement espacés devaient en peu de minutes transmettre un signal de Paris à Rome.
Vaucanson eut de bonne heure le génie des amusements mécaniques. À vingt ans, il présentait à l’Académie son célèbre automate joueur de flûte. C’était d’ailleurs un homme d’esprit que ce Vaucanson. Les ouvriers en soierie de Lyon réclamaient pour leurs privilèges compromis par l’usage des machines, ils arguaient de l’intelligence requise dans leur métier. Vaucanson leur produisit aussitôt un appareil auquel il suffisait d’atteler un âne pour fabriquer les étoffes les plus riches. Vaucanson avait formé chez lui une nombreuse collection de machines, véritable musée, qu’il légua à l’État et qui devint le premier fonds de la galerie des Arts et Métiers.
Voici encore Perronnet, le constructeur du pont de Neuilly, et Trudaine, le fondateur de l’École des ponts et chaussées ; ce sont les ancêtres de ce corps d’ingénieurs qui a pris dans l’histoire des travaux publics une place si éminente.
La physique expérimentale est spécialement représentée par les noms de Coulomb, de Borda, de Mariotte.
Coulomb avait débuté comme officier du génie et s’était occupé longtemps de travaux tout pratiques. Quand il s’adonna aux recherches scientifiques, il y porta une grande sûreté de vues et un talent alors bien rare pour observer les phénomènes avec précision. À cet effet, il inventa des instruments nouveaux ; la balance de torsion lui permit de faire sur les petites forces, notamment sur les forces électriques, des expériences excellentes, auxquelles le temps n’a rien ôté de leur valeur.
Borda, d’abord officier du génie comme Coulomb, servit ensuite dans la marine. Il fut le représentant naturel de l’Académie des sciences dans les recherches relatives aux montres marines et à la détermination des longitudes.
Mariotte est surtout célèbre par un traité sur la nature de l’air, qui peut être encore aujourd’hui considéré comme un modèle : le nom de Mariotte s’attache pour nous à la loi fondamentale qui a brillamment inauguré l’étude des gaz.