Les Singularitez de la France antarctique/18

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 85-90).


CHAPITRE XVIII.

De la ligne Equinoctiale, et isles de Saint Homer.


Laissans donc ceste partie de Guinée à senestre, apres y auoir bien peu seiourné, pour l’infection de l’air, ainsi qu’auons dit cy deuant, il fut question de poursuyure nostre chemin, costoyans tousiours iusques à la hauteur du cap de Palmes[1], et de celui que l’on appelle à trois points, Fleuue portant mine d’or et d’argent. on passe un tres beau fleuue portât grands vaisseaux, par le moyen duquel se mene grand traffique par tout le païs, et lequel porte abondance d’or et d’argent, en masse non monnoyé. Pourquoy les Portugais se sont acostez et appriuoisez auec les habitans, et ont là basti un fort chasteau, qu’ils ont nommé Castel de mine[2] : et non sans cause, car leur or est sans comparaison plus fin que celuy de Calicut, ne des Indes Ameriques. Il est par deça l’Equinoctial enuiron trois degrez et demy. Cania et Rhegiû fleuues. Il se trouue là une riuiere, qui prouient des montagnes du païs nommé Cania, et une autre plus petite nommée Rhegium : lesquelles portent tres bon poisson, au reste crocodiles dangereux, ainsi que le Nil et Senega, que l’on dit en prendre son origine. L’on voit le sable de ces fleuues resembler à or puluerisé, les gens du païs chassent aux crocodiles, et en mangent comme de venaison. Monstre marin de forme humaine. Ie ne veux oblier, qu’il me fut recité, auoir esté veu pres Castel de Mine, un môstre marin ayant forme d’home, que le flot avait laissé sur l’arene[3]. Et fut ouye semblablement la femelle en retournant auecques le flot, crier hautement, et se douloir pour l’absence du masle ; qui est chose digne de quelque admiration. Par cela peut-on congnoistre la mer produire et nourrir diuersité d’animaux, ainsi comme la terre. Or estans paruenus par noz iournées iusques soubs l’Equinoctial, n’aurons deliberé de passer outre, sans en escrire quelque chose. Description de la ligne Equinoctiale. Ceste ligne Equinoctiale autrement cercle Equinoctial, ou Equateur, est une trace imaginatiue du Soleil par le milieu de l’uniuers, lequel lors il diuise en deux parties egales, deux fois lannée, c’est asçauoir le quatorziesme de septembre[4], et l’unziesme de mars, et lors le Soleil passe directement par le zenith de la terre, et nous laisse ce cercle imaginé, parallele aux tropiques et autres, que lon peut imaginer entre les deux poles, le soleil allant de Leuant en Occident. Il est certain que le Soleil va obliquemêt toute l’année par l’Ecliptique au Zodiaque, sinon aux iours dessus nommez, et est directement au nadir de ceux qui habitent là. Dauantage ils ont droit orizon, sans que l’un des poles leur soit plus eleué que l’autre. D’où a esté nommé Equinoctial. Le iour et la nuit leur sont egaux, dont il a esté appelé Equinoctial : et selon que le Soleil s’élongne de l’un ou l’autre pole, il se trouue inequalité de iours et nuits, et elevation de pole. Donc le Soleil declinât peu à peu de ce point Equinoctial, va par son zodiaque oblique, presque au tropique de Capricorne : Solstice d’hyuer. et ne passant outre fait le solstice d’hyuer : puis retournant passe par ce mesme Equinoctial, iusques à ce qu’il soit paruenu au signe de Cancer, Solstice d’esté. où est le solstice d’esté. Parquoy il fait six signes partant de l’Equinoctial à chacun de ces tropiques. Les Anciens ont estimé ceste contrée ou zone entre les tropiques, estre inhabitable pour les excessiues chaleurs, ainsi que celles qui sont prochaines aux deux poles, pour estre trop froides. Toutesfois depuis quelque temps en ça, ceste zone a esté descouuerte par nauigatiôs, et habitée, pour estre fertile et abondante en plusieurs bonnes choses, nonobstant les chaleurs : comme les isles de Saint Homer[5] et autres, dont nous parlerons cy apres. Aucuns voulans soubs cette ligne comparer la froideur de la nuyt, à la chaleur du iour, ont pris argument, qu’il y pouuoit, pour ce regard, auoir bône temperature, outre plusieurs autres raisons que ie laisseray pour le present. Temperature de l’air sous la ligne Equinoctiale. La chaleur, quand nous y passames, ne me sembla gueres plus vehemête, qu’elle est icy à la Saint Iean. Au reste il y a force tonnerres, pluyes et tempestes. Isle des Rats. Et pour ce es isles de S. Homer, comme aussi en une autre isle, nommée l’isle des Rats, y a autant de verdure qu’il est possible, et n’y a chose qui monstre adustion quelconque. Isle de S. Homer, ou S. Thomas. Ces isles soubs la ligne Equinoctiale sont marquées en noz cartes marines, S. Homer, ou S. Thomas, habitées auiourd’huy par les Portugais, combien qu’elles ne soient si fertiles que quelques autres : vray est qu’il s’y recuille quelque sucre[6] : mais ils s’y tiennêt pour traffiquer auec les Barbares, et Ethiopiens : c’est à sçauoir, d’or fondu, perles, musc, rhubarbe, casse, bestes, oyseaux, et autres choses selon le païs. Aussi sont en ces isles les saisons[7] du temps fort inegalles et differentes des autres païs : les personnes subiettes beaucoup plus à maladies que ceux du Septentrion. Laquelle difference et inequalitaté viêt du Soleil, lequel nous cômunique ses qualitez par l’air estant entre luy et nous. Il passe (comme chacû entend) deux fois l’année perpendiculairement par là, et lors descrit nostre Equinoctial, c’est asçauoir au moys de Mars et de Septembre. Abondâce de diuers poissôs soubs la ligne. Enuiron ceste ligne il se trouue telle abondance de poissons[8], de plusieurs et diuer ses especes, que cest chose merueilleuse de les voir sus l’eau, et les ay veu faire si grand bruit autour de noz nauires, qu’à bien grande difficulté nous nous pouuions ouyr parler l’un l’autre. Que si cela aduient pour la chaleur du Soleil, ou pour autre raison, ie m’en rapporte aux philosophes. Eau marine douce soubz l’Equinoctial. Reste à dire, qu’enuiron nostre Equinoctial, i’ay experimenté l’eau y estre plus douce, et plaisante à boire qu’en autres endroits où elle est fort salée, côbien que plusieurs maintiennèt le côtraire, estimàts deuoir estre plus salée, d’autât que plus pres elle approche de la ligne, où est la chaleur plus vehemente : attêdu que de là vient l’adustiô et saleure de mer : parquoy estre plus douce, celle qui approche des poles. Ie croirais veritablemêt que depuis l’un et l’autre pole iusques à la ligne aïsi que l’air n’est egalemèt têperé, n’estre aussi l’eau temperée : mais soubs la ligne la temperature de l’eau suyure la bonne têperature de l’air. Parquoy y a quelque raison que l’eau en cest endroit ne soit tant salée comme autre part. Ceste ligne passée commençasmes à trouuer de plus en plus la mer calme et paisible, tirants vers le cap de Bonne Esperance.

  1. Aujourd’hui cap Palmas. Ce cap a conservé son nom. Il se trouve dans la Guinée anglaise, sur la Côte-d’Or, entre Axim et Tacorady.
  2. Castel El Mina fut d’abord découvert et colonisé par nos compatriotes, les Dieppois. Ce sont eux qui, les premiers, et cela dès 1364, explorèrent la région. En 1383, ils y fondèrent un établissement permanent, mais l’abandonnèrent en 1413, à cause des guerres civiles qui désolaient la France et arrêtaient tout commerce. Les Portugais les remplacèrent si complètement que le souvenir même se perdit de ces expéditions françaises à la côte d’Afrique. Draper (Description des cotes de Guinée. 1686.), D’Elbée (Journal de mon voyage aux îles dans la côte de Guinée. 1671), et surtout Villaut de Bellefonds (Relation des côtes d’Afrique. 1669) sont unanimes à reconnaître que de leur temps on retrouvait à Elmina et aux environs des preuves matérielles du séjour antérieur des Français dans la région.
  3. Landrin. (Monstres marins, dans la Bibliothèque des merveilles.) rapporte plusieurs faits analogues. Pline. H. N. ix. 4. : « Tiberio principi nuntiavit Olisiponensium legatio ob id missa, visum, auditumque in quodam specu concha canentem Tritonem… Et Divo Augusto legatus Galliae complures in littore apparere exanimes nereidas scripsit. Auctores habeo in equestri ordine splendentes visum ab his in Gaditario oceano marinum hominem toto corpore absoluta similitudine… » etc.
  4. Par suite de la réforme du calendrier, ces dates aujourd’hui ne sont plus exactes. Les équinoxes de septembre et de mars sont à la date du 21 et du 23 de ces deux mois.
  5. L’île Saint-Homer et l’île des Rats paraissent correspondre à l’île Saint-Thomas et aux îlots qui en dépendent (das Cabras, Santa-Anna, das Rôlas, Macaco, Gabado, Formoso, Saô Miguel, Joanna de Souzo, Coco.)
  6. La culture du sucre était jadis très-florissante à St-Thomas. Dès le XVIe siècle, on y comptait plus de quatre-vingts sucreries, produisant plus de deux millions de kil. de sucre. La canne avait été apportée de Madère. Sa culture fut malheureusement abandonnée au XVIIe siècle, et n’a pas repris depuis.
  7. On ne connaît dans l’archipel que deux saisons, celle des ouragans (das ventanias) d’août à septembre, et celle des pluies (das aguas), qui règne de l’équinoxe de septembre aux derniers jours de mars. La première est salubre ; dans la seconde au contraire, le sol exhale des miasmes délétères, funestes à la santé des habitants et surtout à celles des Européens, qui n’en sont que trop souvent les victimes. Voir D’Avezac. Iles de l’Afrique. P. 223.
  8. La mer ambiante, aujourd’hui encore, est tellement féconde in poissons de toute sorte que les baies et les criques en sont remplies, et qu’une chaloupe montée par six hommes peut en quelques heures prendre plusieurs quintaux de poisson. Cette pêche n’est pas sans danger à cause d’énormes requins dont la voracité ne recule pas devant l’attaque des chaloupes.