Les Singularitez de la France antarctique/33

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 160-163).


CHAPITRE XXXIII.

D’un arbre nommé Paquouere.


Puisque nous sommes sur le propos des arbres, i’ê descriray encores quelq’un, non pour amplification du present discours, mais pour la grande vertu et incredible singularité des choses : et que de tels ne se trouue par deça non pas en l’Europe, Asie, ou Afrique. Descriptiô d’un arbre nômé Paquouere. Cest arbre donc que les Saunages nomment Paquouere, est par auâture le plus admirable, qui se trouua oncque. Premierement il n’est pas plus haut de terre iusques aux branches, qu’une brasse ou enuiron, et de grosseur autât qu’un homme peut empoigner de ses deux mains : cela s’entend quand il est venu à iuste croissance : et en est la tige si tendre, qu’on la coupperoit aisement d’un cousteau. Quant aux fueilles, elles sont de deux pieds de largeur, et de longueur une brasse, un pié et quatre doigts : ce que ie puis asseurer de vérité. I'en ay veu quasi de ceste mesme espèce en Égypte et en Damas retournant de Ierusalem : toutesfois la fueille n'approche à la moitié près en grandeur de celles de l'Amérique. Il y a dauantage grande différence au fruit : car celuy de cest arbre, dont nous parlons, est de la longueur d'un bon pié : c'est à sçauoir le plus long, et est gros comme un concombre y retirant asses bien quant à la façon.

Pacoa, fruit. Ce fruit qui nomment en leur langue Pacona, est tresbon, venu en maturité, et de bonne côcoction. Les Sauuages le cuillent auant qu'il soit iustement meur, lequel ils portent puis après en leurs logettes, comme l'on fait les fruits par deçà. Il croist en l'arbre par monceau trente ou quarante ensemble, et tout auprès l'un de l'autre, en petites branches qui sont près du tronc : comme pouuez voir par la figure que i'ay fait représenter cy dessous.

Et qui est encore plus admirable, cest arbre ne porte jamais fruit qu'une fois. La plus grâd part de ces Sauuages, iusques bien auant dans le pais, se nourrist de ce fruit une bonne partie du têps, et d'un autre fruit, qui vient par les champs, qu'ils nomment Hoyriri, lequel à voir pour sa façon et grandeur l'on estimeroit estre produit en quelque arbre : toutesfois il croist en certaine herbe, qui porte fueille semblable à celle de palme tant en lôgueur que largeur. Ce fruit est long d'une paulme, en façon d'une noix de pin, sinon qu'il est plus long. Il croist au milieu des fueilles, au bout d'une verge toute ronde : et dedans se trouue comme petites noisettes, dont le noyau est blanc et bon à manger, sinon que la quantité (comme est de toutes choses) offense le cerueau, laquelle force l’on dit estre semblable en la coriandre, si elle n’est preparée : pareillement si l’autre estoit ainsi preparé, peut estre qu’il depouilleroit ce vice. Neantmoins les Ameriques en mangent, les petits enfans principalement. Les champs en sont tous pleins à deux lieues du cap de Frie, aupres de grands marescages, que nous passames apres auoir mis pié à terre à nostre retour. Crocodile mort., Ie diray en passant, outre les fruits que nous vismes pres ce marais, que nous trouuasmes un crocodile mort, de la grandeur d’un veau, qui estoit venu des prochains marais, et là avoit esté tué : car ils en mangent la chair, comme des lesards, dont nous auons parlé. Iacareabsou. Ils le nomment en leur langue Iacareabsou : et sont plus grands que ceux du Nil. Les gens du païs disent qu’il y a un marais tenant cinq lieues de circuit, du costé de Pernomeri, distant de la ligne dix degrez, tirant aux Canibales, où il y a certains crocodiles, comme grands bœufs, qui rendent une fumée mortelle par la gueulle, tellement que si l’on s’approche d’eux, ils ne faudront à vous faire mourir : ainsi qu’ils ont entendu de leurs ancestres. Espece de lieures. Au mesme lieu, ou croist ce fruit dont nous parlons, se trouue abondâce de lieures semblables aux nostres, hors-mis qu’ils ne sont si grands, ne de semblable couleur. Agoutin animal. Là se trouue aussi un autre petit animât, nommé Agoutin, grand comme un lieure mescreu, le poil comme un sanglier, droit et eleué, la teste comme celle d’un gros rat, les oreilles, et la bouche d'un lieure, ayant la queue longue d'un pouce, glabre totalement sur le dos, depuis la teste iusques au oout de la queue, le pied fourchu comme un porc. Ds viuent de fruits, aussi en nourrissêt les Sauuages pour leur plaisir, ioinct que la chair en est tresbonne à manger.