Les Singularitez de la France antarctique/81

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 432-436).


CHAPITRE LXXXI.

Des tremblement de terre et gresles ausquels est fort subiect ce païs de Canada.


Païs de Canada subiet à tremblement de terre et pourquoy. Ceste region de Canada est merueilleusement subiette aux tremblemês de terre[1]. et aux gresles : dont ce pauure peuple ignorant les choses naturelles, et encores plus les celestes tombêt en une peur extreme, encores que teles choses leur soyent frequentes et familieres, ils estiment que cela prouient de leurs Dieux, pour les auoir irritez et faschez. Toutesfois le tremblemêt de terre naturel, ne vient sinon des vents enfermez par quelques cauitez de la terre, lesquelz par grande agitation la font mouuoir, comme ils font sur la terre trembler arbres et autres choses : comme dispute tresbien Aristote[2] en ses Meteores. Gresle frequente en Canada. Quant à la gresle ce n’est merueille si elle y est frequête, pour l’intemperature et inclemence de l’air, autant froid en sa moyenne region qu’en la plus basse, pour la distance du Soleil, qui n’en approche plus pres, que quâd il vient à nostre tropique : pourquoy l’eau qui tôbe du ciel, l’air estât perpétuellement froid, est tousiours côgelée, qui n’est autre chose que neige ou gresle. Or ces Sauuages incontinent qui’ils sentent telles incommoditez, pour l’afflictiô qu’ils en reçoiuent, se retirent en leurs logettes, et auec eux quelque bestial, qu’ils nourrissent domestiquement, et là caressent leurs idoles, la forme desquelles n’est gueres différente à la fabuleuse Melusine de Lusignâ, moitié serpent, moitié femme : veu que la teste auec la chevelure représente lourdement (selon leur bon esprit sauuage) une femme. Or le surplus du corps en forme de serpent, qui pourrait bailler argument aux Poètes de faindre que Melusine soit leur déesse, veu qu’elle s’enfuit en volas, selon qu’aucuns fabulent, narrateurs dudit Româ, qu’ils tiennent en leurs maisons ordinairement. Trêblemens de terre dangereux. Le tremblemêt de terre est dâgereux, combien que la cause en soit euidente. Puis qu’il vient à propos de ce trêblemês, Opiniôs d’aucuns philosophes sur les trêblemens de terre. nous en dirôs un mot, selon l’opinion des Philosophes naturels, et les inconueniês qui en ensuiuent. Thaïe Milesien[3], l’un des sept sages de la Grèce, disoit l’eau estre cômencement de toutes choses : et que la terre flottant au milieu de ceste eau, côme une naue en plaine mer, estoit en un tremblement perpétuel, quelquefois plus grâd, et quelquefois plus petit. De mesme opiniô a esté Democrite : et disoit dauâtage, que l’eau sous terre creue par pluye, ne pouuant pour son excessiue quantité estre côtenue es veines et capacitez de la terre, causoit ce tremblement : et de la venir les sources et fontaines que nous auôs. Anaxogoras disoit estre le feu, lequel appetant (comme est son naturel) môter en haut, et se unir au feu élémentaire causoit non seulement ce tremblement, mais quelques ouuertures, goulfes, et autres semblables en la terre : côme nous voyons en quelques endroits. En confermoit son opinion de ce que la terre bruloit en plusieurs lieux. Anaximenes asseuroit la terre mesme estre seule cause de ce trêblement, laquelle estant ouuerte, pour l’excessiue ardeur du Soleil, l’air entroit dedans en grande quantité et auec violence : lequel par après la terre estant reunie et reiointe, ne pouuant par où sortir, se mouuoit ça et là au ventre de la terre : et que de là venoit ce trêblement. Ce que me semble plus raisonnable, et approchât de la vérité, selon que nous auôs dit, suyuans Aristote, Qu’est et que le vent. aussi que le vent n’est autre chose, qu’un air impetueusemêt agité. Mais ces opiniôs laissées des causes naturelles du tremblement de terre, il se peut faire pour autres raisons, du vouloir et permission du Supérieur, à nous toutefois incongnûes. Inconueniens qui ensuyuent les trêblemens de terre. Les inconueniens qui en suruiennent, sont renuersemês de villes et citez : côme y aduint en Asie des sept citez, du temps de Tybere César, et de la métropolitaine ville de Bithinie, durât le regne de Côstantin. Plusieurs aussi ont esté englouties de la terre, les autres submergées des eaux : côme furent[4] Elicé et Bura aux ports de Corinthe. Et pour dire en bref, ce trèblement se fait quelquefois de telle véhémence, que outre les inconueniens prédits, il fait isles de terre ferme côme il a fait de Sicile, et quelques lieux en Syrie et autres. Il unist quelquefois les isles à la continente, comme Pline dit estre aduenu de celles de Doromisce[5], Perne en Milette : ayât mesme fait qu’en la vieille Afrique plusieurs plaines et lieux châpestres, se voyent auiourd’huy reduits en lacs. Aussi recite Seneque[6] qu’un troupeau de cinq cens ouailles et autres bestes et oyseaux, furent quelquefois engloutis et perdus par un tremblement de terre. Pour ceste raison ils se logent (la plus grande part) près des riuages pour euiter ce trèblement, bien informés par expérience et nô de raison, que les lieux marescageux ne sont subiects à tremblemês, côme la terre ferme : et de ce la raison est bien facile à celuy qui entendra la cause du trèblement cy deuât alléguée. Têple de Diane en Ephese, pourquoy fondé en lieu de marais. Voyla pourquoy le très riche et renômé temple de Diane, en Ephese, qui dura plus de deux cens ans, basti si sumptueusement, qu’il meritoit estre nôbré entre les spectacles du monde, fut assis sur pillotis en lieu de marais, pour n’estre subiet à tremblement de terre, iusques à tât qu’un certain follastre nommé Heluidius[7], Ou côme veulent aucuns, Eratosthenes, pour se faire cognoistre et parler de luy, y mist le feu, et fut conuerty en cendres. Pour ceste mesme cause les Romains auoient edifié un tèple excellêt à Hercules pres le Tibre, et là luy faisoyent sacrifices et oraisons. Trêblement de terre en Canada fort violent. Or le trêblement en Canada est quelquefois si violet, qu’ê cinq ou six lieues de leurs maisons dedâs le païs, il se trouuera plus de deux mil arbres, aucunefois plus quelquefois moins, tôbez par terre tât en môtagnes que plat païs, rochers rêuersez les uns sur les autres, terres enfoncées et abismées : et tout cela ne prouiêt d’ailleurs que de ce mouuemêt et agitation de la terre. Autât en peut il auenir es autres côtrées subiettes aux trêblemês de terre. Voila du trêblemêt de terre, sans plus elôgner de nostre route.

  1. Les tremblements de terre ne paraissent pas si fréquents au Canada que veut bien le dire Thevet.
  2. Aristote. Météores, iii, 552. C’est également la théorie de Sénèque dans ses Questions naturelles.
  3. Tout ceci est la traduction ou du moins la paraphrase d’un chapitre de Plutarque. De placitis philosophorum. iii, 15.
  4. Pline. Hist. nat. ii, 94. iv, 6.
  5. Pline. Hist. nat. ii, 91. Dromiscus et non Doromisce.
  6. Sénèque. Questions naturelles. vi, 1.
  7. Double erreur de Thevet. Ce n’est ni Helvidius, ni Eratosthenes, mais Erostrate qui mit le feu au temple d’Ephèse.