Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589/Ainsi qu’on voit plorer la chaste tourterelle

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COMPLAINTE.



Ainsi qu’on voit plorer la chaste tourterelle
Quand la mort a esteint la moitié de son cœur
Je veux en accusant ma fortune cruelle,
Eslongné de vos yeux souspirer ma douleur.

N’ay-je pas bien raison de faire ouir ma plainte,
Puis qu’à votre depart mon cœur s’en va de moy ?
Et que ployant au joug d’une force contrainte
Il me faut supporter mon tenebreux esmoy ?

Non non je ne sçaurois tenir en mon courage
Sans le manifester, mon regret ennuyeux,
Ains je veux tesmoignant mon desplaisant dommage
D’un pleur continuel tenir moite mes yeux.

En lieu de sang j’auray une source eternelle
D’une eau preste à monter en mon pensif cerveau,
Ou se changeant en pleurs viendra continuelle
Couler sur mon visage en un double ruisseau.

De mes venteux poumons le devoir ordinaire
Sera de soupirer, & en air me changer
Afin de plaindre mieux l’aventure contraire,
Qui las ! me veut de vous par l’absence estranger.

Est-ce pas un malheur assez fort pour contraindre
Les esprits plus felons, à distiller en pleurs,

Que voir venir leur mal ? j’ay donc cause de plaindre
Lors que vous absentant j’aperçoy mes malheurs.

Bien tost d’un noir manteau la terre environnee
Effacera le jour, & seul je m’en iray,
Jettant mille souspirs pleurer ma destinee
Si tost que de vos yeux la clarté je perdray.

Regrettant sans cesser de vos yeux la presence,
Je n’auray bien aucun pour me desennuyer,
Qu’en mon mal renaissant changer en autre essence,
Pour m’exhalant en pleurs en souspirs me noyer.

Esperance fuyez, car vous trompez ma vie,
Je veux sans esperer me tenir en mon mal,
Pour estre bien heureux je ne veux autre envie,
Que suyvre les erreurs de mon malheur fatal.

Courez tant que voudrez, inconstante fortune,
Je seray obstiné resolu en mes maux,
Attendant jour à jour que ma peine importune
Vienne en fin accabler mon chef sous mes travaux.

Helas ! vous qu’en mon cœur chastement engravee
J’honore sans changer de foy ni loyauté,
Si vous estes autant pitoyable qu’aimee,
Ayez quelque pitié de ma calamité.

Au moins si quelquefois l’amour vous a atteinte
Mesurez ma langueur par vostre affection,
Et oyant les soupirs de ma juste complainte,
Ayez de mon ennui quelque compassion.

Ne souffrez que le dueil soit maistre de mon ame,
Mais par quelque faveur estranger mon soucy,
Autrement en l’horreur que mon malheur me trame
Il me faudra passer au royaume obscurcy.

Ores que je ne voy qu’une porte prochaine,
Pour soulager mon cœur, souffrez que bien-heureux
Pour de vostre amitié avoir preuve certaine,
Je prenne de vos mains ce baiser amoureux.

Ne me refusez point ce qui me fera vivre,
Car loing de vos beautés je m’en resouviendray,
Ja ce doux souvenir de mon mal me delivre
Et me promet plus d’heur quand je vous reverray.