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Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589/Mille tristes regrets occupent ma pensee

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ELEGIE. IIII.


Mille tristes recrets occupent ma pensee,
De souspirs infinis mon ame est oppressee
Je me sens assailly d'un estrange malheur,
Je ne voy pres de moy que perte, que douleur,
Que sang, que mort, qu'horreur, que misere, que peine,
Et d'un long desespoir mon courage je gesne,
Tant que d'un noir manteau s'obscurcissent les cieux,
Mille torrens de pleurs je tire de mes yeux,
Et ne pensant qu'en vous seule je vous honore
Dés le poinct du matin jusques à l'autre aurore,
Toutesfois je peris & je n'ay languissant
Personne à qui conter le mal qui me pressant
M'outrage nuit & jour, que vous chere maistresse,
Qui cognoissez assez ma peine & ma tristesse :
Si mes pleurs ont tant peu que vous touchant au cœur
Ils vous ayent monstré de mes flammes l'ardeur,

Mais helas ! dedans moy mon malheureux dommage
S'agrave tellement, que je n'ay pas courage
Quand je suis avec vous, de vous dire comment
Je suis de jour en jour pressé de mon tourment,
De sorte qu'aussi tost que ma bouche est ouverte
Pour vous conter l'erreur qui cause de ma perte
A fait que bien heureux, en vous me retrouvant,
Je suis bien fortuné, un miserable amant,
La parole me faut, & ne vous sçaurois dire
Ni mon bien, ni mon mal, ni ce que je desire,
Et en parlant à vous, je ne puis exprimer
Tant mon cœur est surpris, ce qui me fait aimer,
Mais eslongné de vous, j'ay l'ame audacieuse,
A mille beaux desseins elle est advantureuse,
Elle me fait parler, & d'un propre discours
Vous faire le récit de mes humbles amours,
Vray signe de respect, à qui couve en son ame
Comme moy, les brasiers d'une pudique flame,
Et marque à quelques uns de n'avoir encor' veu
Ce qui est en amour des plus accorts cogneu :
En esprit je vous voy, à vous je me presente,
Hardi & plain de cœur, la fortune je tente,
J'ordonne mes raisons, vous descouvrant mon cœur
Et heureux & discret j'euse de ma valeur,
Je vous dy mon secret, je vous dy ma pensee,
Mon souci, mon desir, & quelle destinee
Je veux suivre en aimant s'il vous vient à plaisir
Pour fruict de mes travaux serviteur me choisir.
Je vous promets beaucoup & fidelle je jure
D'essayer vous aimant toute estrange advanture.
Voila comme à part moy je basti mes dessins
Tandis que vous plus sage ordonnés mes destins.
Or parlons librement, dites moy je vous prie,

Avez vous quelque soing pour le moins de ma vie ?
Ne cognoissez vous point que trop de passion
M'empesche d'exprimer de quelle affection
Serf de vostre beauté, vostre vertu j'honore,
Sert de vostre vertu, vostre beauté j'adore,
Si vous ne le sçavez, las ! vous me faites tort,
Et sans avoir failli vous me donnez la mort,
Et je mourray content, pourveu que quand ma vie
Se sera de mon sang à la fin de partie,
Vous sçachiez que pour vous j'ay porté dans mon cœur
Le martyre d'amour, sa force et sa rigueur,
Et encor plus heureux j'esteindray ma lumiere,
Si devant que tomber sous mon heure derniere
Je suis seur qu'une fois esmeuë de pitié
Vous avez recognu ma fidelle amitié.
Hé ne pensez vous point, mon cœur que l'on ne trouve
Un grand contentement, si aimant qu'on esprouve
Un reciproque amour, puis qu'avec le tourment
On prent avec l'amour la mort bien doucement ?
Y a-il rien meilleur en ce monde que vivre ?
T a-il rien plus doux en la terre que suivre
Les plaisirs de l'amour ? & est-il rien plus beau
Qu'avec contentement tomber sous le tombeau.
Vivons donq' & aimons, & cheans sous la lame
D'un eternel amour accompagnons nostre ame,
Aimons nous en vivant aimant ensemblement :
Car il n'est pas assez que couver doucement
L'amour dedans son cœur, il faut que si on aime
On use pitié tout premier à soy-mesme,
Et puis à cestuy-là qui par ses doux souspirs
Aura monstré le but de ses chastes desirs.
L'amour n'est point amour, ce n'est rien qu'une rage
Si en aimant on n'a un semblable courage,

Et ce n'est point amour ce que l'on nomme ainsi,
Si on porte en son sang un doux poignant soucy
Pour un autre qui n'a de passion semblable,
Dans le centre du cœur, le desir agreable.
Tout ce qui est ça bas accompli l'est par deux,
Par doublee unité tout ce dit bienheureux,
Tout ce qui en ce monde a quelque subsistance,
Est de deux pour estre un d'une parfaite essence,
Mesme l'esprit est deux conjoint à l'intellect,
Par deux unis en un l'univers est parfaict.
C'est ceci, mon soleil, c'est ceci qui me tue,
C'est ceci qui dans moy rend mon ame esperdue,
C'est ce qui tirannise & deschire mon cœur,
Qui cause mon bon heur, qui cause mon malheur :
Mon bon heur pour autant que d'une belle envie
Vvivant en vous aymant je vous tiens pour ma vie :
Mon amlheur, pour autant que des que je fus né
Pour ne meriter rien j'ay esté destiné.
C'est ce qui dedans moy sans cesse me tourmente
Et ce qui mon tourment journellement augmente,
Car si jamais amant fut plain de loyauté,
Nul plus que je le suis encores n'a esté,
Et si des traits d'amour ame fut onq' atteinte,
Si sous sa cruauté ame a esté contrainte,
La mienne l'a esté & encore le sera,
Tant que d'un doux souspir mon cœur s'allegera.
Ha ciel ! que n'as tu fait qu'au jour de ma naissance
Heureusement poussé d'une juste influence,
Je n'ay esté assez, pour celle à qui je veux
Donner le saint devoir de mes plus humbles vœux,
Ou bien si tu voulois qu'une fois je la visse,
M'estant en un moment & contraire & propice,
Si tost que son bel œil eut le mien allumé,

Si tost que sa beauté eut mon cœur enflammé,
Que ne m'as-tu perdu pour finir l'avanture
Du malheur eternel, que sans cause j'endure ?
Que ne m'as-tu permis, en voyant son bel œil
De mourir par les feux de si heureux soleil ?
Car aise maintenant onmbre legere & belle,
Sans peine & sans soucy, en la paix eternelle
J'errerois, ou tousjours les esprits amoureux,
Vivans contans d'amour reposent bien heureux.
Mais en quel vain desir suis je entré, ma Deesse,
Non, non je ne croy pas qu'en l'infernale presse
Des esprits de la bas, on resente l'amour
Si long temps on ne l'a practiqué en ce jour,
Et si d'un beau soucy pour les yeux de sa dame
En mille heureuses parts ou a parti son ame,
Car apres un long temps si on a bien aymé,
On est de mesme feu hors du monde allumé :
Fuye donque de moy tout enny, toute crainte,
Car tant que d'un beau soin j'auray mon ame atteinte,
J'adoreray cest œil, qui me fait vivre icy,
Je beniray l'objet cause de mon soucy,
Et tant qu'en mes poumons je rentiendray ma vie,
J'adoreray les yeux de ma chere ennemie.
Soit que d'un long travail sans oser esperer
Il me faille en tourment ma misere tirer,
Ou que sans esperer faveur de ma maistresse
Je porte incessamment dans mon cœur ma tristesse,
Je l'aymeray vivant, en l'aimant je vivray,
Je l'aymeray mourant, en l'aimant je mourray.
Voila, mon cher soucy, ce que je vous puis dire :
Et ce que veut amour que pres vous je souspire,
Mais lisez en mon cœur, vous verrez encor mieux,

Et mes justes desirs, & les traits de vos yeux,
Qui allumans en moy de leur flamme divine
Les plus chastes brasiers, eschauffent ma poitrine,
Et mon sang & mon cœur, me faisant respirer
Pour heureux à jamais vous servir, admirer,
Honorer, rechercher, estimer, & eslire
Pour le bien heureux but où mon destin me tire.
Si donq' quelque douceur vous a esmeu le cœur,
Touchee de pitié appaisez ma douleur,
Et alors mon malheur mal langueur & ma peine,
Mon ennuy, mon travail, mon souci & ma gesne
Seront tout mon bon heur, & si je suis aimé,
Quand par mille malheurs je serois consumé,
Quand suivi de danger je fuirois la fortune,
Quand je serois pressé d’une mort importune,
Quand ce qu’on a songé d’espouvantable à bas,
Sans cesser me courroit jusqu’au poinct du trespas
Si seray-je content, puis que la recompense
Me suivroit de si pres en ma douce esperance.
Mais attendant qu’un jour favorable à tous deux
Faisans de beaux discours, aimez & amoureux
Nous puissions par effait d’un amour veritable
Sentant heureusement ce qui plus agreable
Peut forcer nos desirs, & contenter nos cœurs,
Apprehender en nous de l’amour les douceurs,
Prenez mon cœur, Madame, & regardez soigneuse,
Et par telle faveur rendez ma vie heureuse