Les Souspirs amoureux de François Beroalde de Verville/De mille coups mortels mon ame martiree

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STANCES.



De mille coups mortels mon ame martiree,
Se plaint sous la rigueur de la flesche aceree
qu’amour trop inhumain cache dedans mon cœur,
Et rempli de sanglos triste je ne respire
Que l’air, ou mal-heureux ma peine je souspire,
Attendant qu’un bel œil termine mon mal-heur.

Plain de soucis mordans je sens dedans mes veines
Les tourmens eternels des ennuyeuses peines
Dont l’ardeur renouvelle en mes os mon amour :
Et pleurant vers le ciel presque je me despite
Qu’il m’a fait maistre icy en si peu de merite,
Que je n’ose esperer que vous m’aymiez un jour.

Ha ! mal-heureux destin, ha toy par trop cruelle,
Qu’il faut qu’en bien aymant devot, humble, fidelle,
Je ne puisse esperer un doux semblant de mieux.
Helas ! s’il faut que vous inhumaine & contraire
N’ayez pitié de moy, ny plaignez ma misere,
Pourquoi le ciel veut-il que je brusle à vos yeux ?

Les cruels ennemis de ma triste pensee,
Et les attraits qui l’ont heureusement blessee
De contraires efforts s’agittent dedans moy :
Le desespoir me pousse a oublier ma flame,
Et vos perfections r’allument en mon ame,
Les gracieux effets d’une amoureuse loy.

Quand un jour favorable en ma peine fascheuse
M’asseure que vos yeux vous promettent piteuse,

Et qu’ingrate n’aurez mon service à mespris,
Un gelante peur dedans mes os se verse,
Qui cruelle en un coup tout mon bon-heur renverse
Achevant de meurtrir mes perissans esprits.

Mais quoy qu’en tel tourment ma gesne se renforce,
Et qu’amour exerçant sa bourrelant force
Sur mes os, montre en moy son plus cruel pouvoir,
Si seray-je fidele, & ma perseverance
Destournant mon ennuy plain de belle constance,
Je vous feray congnoistre une fois mon devoir.*

Quoy que cent traits mortels d’une horreur effroyable
Tourmentent en mon sang, ma vie miserable,
Que je n’ose esperer en ma fidelité,
Votre sage vertu dans mon cœur imprimee
Y sera sans changer saintement engravee,
Autant que dans le Ciel sera l’eternité.

Et quand nous ne voudriez en une amour commune,
Passer avecque moy nostre heureuse fortune,
Si est-ce que j’aurois du bien en mon soucy :
Car ce m’est beaucoup d’heur, que le Ciel ne permette
De vous oser aymer, & que hardy je mette
En un si beau sujet, ce que j’espere icy.

Mais si le Ciel benin à mes desseins propices,
Fait que vous receviez une fois mon service,
Vous touchant du soucy que me faites sentir :
Je me veux perdre en vous, & en mon heur extresme
Vous tesmoigner l’ardeur dont mon ame vous aime
La laissant en vos mains pour y vivre & mourir.

Si donc quelque pitié vous a jamais saisie,
Et si ne puis heureux m’asseurer de ma vie,
Destinez d’un clin d’œil la suitte de mon sort :

Car comme vous voudrez, que je vive ou je meure,
Que mes momens soyent ans, & tout mon temps une heure,
J’auray pour agreable & la vie & la mort.