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Les Souvenirs du conseiller de la reine Victoria/02

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LES SOUVENIRS
DU
MÉDECIN DE LA REINE VICTORIA

II.
LE PROCES ET LA MORT DE LA REINE CAROLINE.

La princesse Charlotte vient de mourir à l’âge de vingt-trois ans, et toute l’Angleterre est en deuil[1] ; où est sa mère, la princesse de Galles ? Exclue en 1814 des fêtes données par son mari le prince-régent aux souverains, aux princes et aux maréchaux vainqueurs dans la coalition de l’Europe contre Napoléon, il y a plus de trois ans qu’elle a quitté Londres et s’est retirée sur le continent. Elle est allée d’abord en son pays natal, à la cour de Brunswick, elle y a passé quelque temps, puis elle a parcouru l’Allemagne, l’Italie, la Grèce, la Turquie, la Palestine et les côtes barbaresques ; revenue de là en Italie, elle habite alternativement deux maisons de campagne achetées par ses ordres, l’une aux bords du lac de Côme, l’autre à Pesaro dans les états romains. C’est là qu’elle apprend par les journaux la mort de sa fille Charlotte ; le prince-régent, toujours implacable dans sa haine, n’a pas même voulu que la malheureuse mère en fût officiellement informée. « Au reste, a dit éloquemment Brougham, si elle n’eût appris par hasard le coup terrible qui venait de la frapper, elle n’eût pas tardé à s’en ressentir. La commission de Milan et le commencement des attentats dirigés pour la troisième fois contre son caractère et sa vie, c’étaient là des signes manifestes annonçant que la princesse Charlotte n’était plus[2]. »

Qu’était-ce donc que cette commission de Milan ? Une sorte de tribunal secret, une chambre des enquêtes composée de trois personnes dévouées au régent et chargée de recueillir ou plutôt de provoquer en Italie toutes les dénonciations qui pouvaient accabler la princesse de Galles. L’entreprise était si odieuse que le prince, avant de s’y décider, avait eu besoin d’une apparence de prétexte. Il faut se rappeler ici la situation de la famille royale après la mort de la princesse Charlotte. Des quatorze enfans de George III, onze vivaient encore à cette date, sept princes et quatre princesses. Sans nous occuper des princesses, mariées, sauf une seule, à des princes d’Allemagne, disons simplement qu’aucun des princes anglais en 1817 n’était chef de famille. Le duc d’York, qui venait immédiatement après le prince-régent, âgé de cinquante-quatre ans alors et marié depuis une trentaine d’années à la sœur du roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, n’avait pas eu d’enfans de ce mariage. Parmi ses frères puînés, le duc de Cumberland (cinquième fils de George III), marié depuis 1815 à une princesse de Mecklembourg, n’avait pas encore de postérité. Les autres, le duc de Clarence, le duc de Kent, le duc de Sussex, le duc de Cambridge, ne s’étaient point mariés, et semblaient y avoir renoncé pour toujours ; le plus âgé des quatre avait déjà cinquante-deux ans, le plus jeune quarante-trois. La mort de la princesse Charlotte changea tout à coup leurs dispositions. On en vit trois du moins se marier en toute hâte, comme se disputant l’espoir et l’honneur de mettre la couronne d’Angleterre dans leur lignée directe. Le 7 mai 1818, le duc de Cambridge épousa la princesse Augusta, fille de l’électeur de Hesse-Cassel ; le 11 juillet, le duc de Clarence épousa la princesse Amélie, fille du duc de Saxe-Meiningen ; enfin ce même jour le duc de Kent épousa la princesse Victoria, sœur du prince Léopold de Saxe-Cobourg et veuve d’un prince de Linange. Le prince-régent feignit d’obéir au même sentiment qui avait inspiré à ses frères cette résolution subite ; lui aussi, il parut éprouver le besoin d’assurer dans sa maison la succession royale, et ce fut le prétexte qu’il désirait pour l’accomplissement de ses desseins. Au fond, cette question du trône lui était indifférente ; il ne songeait qu’à infliger un nouvel affront à la princesse de Galles.

Déshonorer officiellement la princesse, la convaincre d’adultère aux yeux du monde entier, faire prononcer sa dégradation par le parlement, amener par là un divorce que l’église eût été forcée de reconnaître, tout cela eût semblé abominable, si la raison d’état n’eût atténué les indignités de cette procédure. Il est convenu chez de certaines gens que la politique n’a pas de cœur. La politique voulant que le prince eût un héritier, il fallait absolument que le prince se réconciliât ou divorçât avec la princesse. Se réconcilier, c’était chose impossible ; restait donc le divorce, mais on ne pouvait songer au divorce qu’après avoir publiquement flétri la princesse de Galles. De là la commission de Milan. Le prince-régent pouvait dire avec une tristesse hypocrite que la flétrissure de la princesse était une nécessité pénible, profondément pénible, mais une nécessité impérieuse à laquelle il n’était pas libre de se soustraire ; en réalité, c’était ce but seulement qu’il poursuivait. Après avoir poussé la princesse au mal par l’infamie de sa conduite, il ne lui restait plus qu’à la traîner dans la boue. Telles étaient les idées d’honneur et de justice chez celui que ses flatteurs appelaient le premier gentilhomme de l’Europe.

L’homme de loi qui, pour complaire au régent, avait préparé l’exécution de ce guet-apens, était un des plus tristes personnages du barreau de Londres. Il faut lire dans les pages mordantes de lord Brougham le portrait qu’il trace de son ancien confrère, sir John Leach. Représentez-vous un roué de bas étage, un de ces agens ténébreux comme en produit chez nous le domaine de la chicane, avec ce masque de gravité que l’hypocrisie porte si naturellement en Angleterre. À voir agir ce drôle, on le prendrait quelquefois pour un homme supérieur. Sir John Leach est un esprit des plus intelligens ; habile, audacieux, plein de ressources, d’autant plus fertile en expédiens qu’aucun scrupule ne l’arrête, il aime surtout les causes que repousserait l’honnêteté de ses confrères. Celle-là devait lui convenir entre toutes. Quelle occasion de déployer son génie ! Il a pour client le prince-régent en personne, et l’affaire dont il est chargé lui donne l’occasion de travailler avec les ministres. Le voilà qui monte au rang des hommes d’état. Les vrais hommes d’état, ceux qui ont la responsabilité de la chose publique à cette date, lord Liverpool, lord Castlereagh, s’inquiètent de voir le régent s’engager dans cette voie, le lord chancelier a bien des scrupules ; sir John Leach n’hésite pas, il a réponse à tout, sa manière subtile d’interpréter les lois- du royaume lui fournit à tout coup des argumens inattendus. Pourquoi lord Eldon se croit-il obligé à tant de ménagemens ? Parce que lord Eldon, le chef du parti tory, est à la fois un caractère grave et un politique prévoyant. Au-dessus des lois écrites, il y a en tout pays les lois éternelles de l’humanité ; c’était l’idée de ces lois éternelles qui empêchait lord Eldon et ses amis de céder si vite aux passions du régent. En outre n’y avait-il pas lieu de craindre que cette procédure monstrueuse n’eût les conséquences politiques les plus graves ? Était-ce bien aux tories qu’il convenait d’abaisser ainsi la dignité royale ? Au milieu des crises que traversait le pays, pouvait-on impunément réveiller le souvenir des plus mauvais jours ? Oserait-on enfin exhumer de l’arsenal des vieilles législations les décrets horribles qui avaient protégé la tyrannie d’Henry VIII ? Il y avait certes bien des raisons d’hésiter pour un homme tel que lord Eldon. Ces raisons ne sauraient toucher sir John Leach, il les ignore. Les convenances éternelles, les exemples de l’histoire nationale, qu’est-ce que cela ? Lord Brougham, grand lecteur de Cicéron, affirme que l’orateur romain a tracé le portrait de sir John Leach le jour où il a dépeint en ces termes les plus misérables praticiens du barreau de Rome : « Nullum ille poetam noverat, nullum legerat oratorem… Il ne connaissait aucun poète, il n’avait lu aucun orateur, il ne savait rien de l’histoire des temps passés, il n’était initié ni aux lois de l’état, ni au droit civil et particulier. Cet homme est un exemple remarquable de ce qu’on peut faire dans cette ville en prodiguant à beaucoup ses soins officieux et en servant un grand nombre de citoyens dans leurs périls ou leurs ambitions. C’est par là que, né dans un rang obscur, il parvint aux honneurs, à la fortune, à la considération, et se fit même, sans talent ni savoir, un certain nom parmi les avocats[3]. »

Sir John Leach ayant eu l’idée d’instituer une commission d’enquête chargée d’aller recueillir en Italie les faits et gestes de la princesse de Galles, ce fut à lui que le régent confia le soin d’en choisir les membres. Le conseiller privé devenait une sorte de ministre, le ministre des vengeances occultes. Sir John désigna trois personnes de carrières fort différentes, mais animées du même esprit, agens dociles à toutes ses instructions et aveuglément dévoués au prince. C’étaient un avocat de la chancellerie, M. Cooke, un procureur (attorney) et un colonel de l’armée anglaise. Les trois commissaires furent nommés au mois de mars 1818 ; ils se réunirent à Milan au mois de septembre de la même année, se mirent immédiatement à l’œuvre, établirent des surveillans, interrogèrent les gens de service, cherchèrent enfin de tous côtés et par tous les moyens les personnes qui, à un titre quelconque, avaient pu approcher de la princesse de Galles. Il suffisait de l’avoir vue, de l’avoir entendue ; une indication pouvant amener une découverte utile, les commissaires accueillaient tout, et chaque témoignage était généreusement payé. Y eut-il jamais dans nos sociétés modernes excitation si impudente, non-seulement à la délation, mais à la calomnie ? La princesse fut bientôt entourée d’une armée d’espions, et de Milan à Pesaro, de Pesaro à Milan, vous devinez quels trafics s’accomplirent pendant les dix mois que dura cette enquête.

La pauvre princesse de Galles, tête faible encore plus que tête folle, n’offrait que trop de prise aux calomniateurs. On a vu quelle était la bizarrerie de ses allures pendant son séjour en Angleterre ; ce fut bien pis quand elle eut pris la résolution de s’expatrier. Dans la première enquête de 1806, on n’avait trouvé à reprendre chez elle que des témérités, des inconvenances, en un mot des fautes de tenue plutôt que des fautes de conduite. Une fois sur le continent, elle est exposée sans défense aux pièges de ses deux grands ennemis, je veux dire son caractère fantasque et l’esprit haineux de son mari. Qui la protégera désormais contre ses propres caprices ? Elle n’a plus auprès d’elle les conseillers qui la retenaient sur les pentes dangereuses, les tories d’abord, ensuite les wighs, selon les fluctuations de la politique. Qui la protégera contre la haine du prince ? Tant qu’elle n’avait point quitté le sol de la vieille Angleterre, elle pouvait compter sur les lois et sur l’opinion ; le parlement lui était une sauvegarde. Depuis qu’elle n’est plus là, on l’oublie. S’il lui arrive de faillir, elle sera perdue sans ressources. Ajoutez que tout la pousse à mal faire, principalement la perfidie de son mari, qui s’acharne à la rejeter dans la mauvaise compagnie en l’excluant de toutes les relations pour lesquelles son rang la désigne. Partout où arrive la princesse, c’est en vain qu’elle se présente aux familles souveraines : en Prusse, en Bavière, en Autriche, en Italie, les rapports du prince l’ont devancée. Elle est frappée d’interdit, on dirait une pestiférée ou une excommuniée du moyen âge. Quel sera sur la voyageuse l’effet de cette persécution ? L’irritation d’abord, et bientôt un profond ennui. Ce sont là de mauvais conseillers. Pour tromper l’ennui des longues heures dans les villes où elle séjourne, elle se fera une cour à sa manière : l’étiquette n’y sera point rigoureuse, le choix des personnes n’y sera point exclusif. Elle aimera le bruit, l’éclat, les costumes à effet, les compagnies équivoques ; il lui plaira de changer de théâtre en courant de ville en ville. On a dit spirituellement qu’il y avait en elle plusieurs natures ; il est certain que sa conduite révèle deux ou trois âmes très différentes, une âme trouble et malsaine, une âme candide et bienfaisante, enfin l’âme intrépide qui relèvera tous les défis et acceptera toutes les luttes. L’âme intrépide, on la verra plus tard ; l’âme bonne, charitable, naïve, on l’a vue en Palestine, lorsque, plusieurs des personnes de sa suite ayant été attaquées de la peste, elle voulut les saigner elle-même, s’établit à leur chevet, se fit leur garde-malade, et cela le plus naturellement du monde, sans rien qui ressentît l’ostentation ou la comédie. Quant à l’âme bizarre et maladive, que de scandales elle a donnés au monde de la restauration ! De 1814 à 1820, l’Europe est témoin de ses continuelles incartades. En Italie surtout, sa manière de vivre devient de plus en plus contraire, non-seulement aux convenances morales, mais au simple bon sens. Si elle est coupable, c’est du cynisme ; si elle n’est pas coupable, c’est de la folie. Elle s’affiche, elle se déshonore à plaisir ; il semble qu’elle veuille absolument fournir des armes contre elle-même au prince-régent et à ses conseillers. Quel est ce beau jeune homme qu’on voit si souvent autour d’elle ? Son nom est Bergami ; c’est un postillon italien, attaché naguère au service de ses écuries, qu’elle a élevé sans transition à la dignité de chambellan. En voilà plus qu’il n’en faut pour justifier les violences de ses ennemis. Un des écrivains qui l’ont jugée avec le plus de bienveillance, l’historien allemand Gervinus, n’a pas craint d’écrire ces paroles : « C’eût été un miracle, si, persécutée et blessée comme elle l’était, sa conduite fût restée irréprochable ; c’eût été un miracle, si la calomnie, qui épiait ses moindres actions, lui eût laissé une réputation intacte dans le cas où elle l’aurait méritée. » Oui, sans doute, c’eût été chose miraculeuse que la commission de Milan, organisée comme on l’a vu par sir John Leach, n’eût pas blessé à mort la réputation de la princesse de Galles, mais ce n’eût pas été un miracle que sa conduite fût restée sans reproche. L’Allemand Gervinus ignore-t-il que la conscience est une force et le sentiment de la dignité une sauvegarde ? Si la princesse de Galles n’eût pas eu la tête si faible, sa conscience et sa dignité lui auraient dit qu’elle devait redoubler de surveillance sur elle-même, rester en Angleterre, supporter les humiliations, opposer à l’insulte une fierté résignée, défendre silencieusement la majesté royale outragée par un prince pervers. En agissant de la sorte, elle eût fini bientôt par écraser son ennemi. Fallait-il pour cela un miracle ? Un peu de bon sens suffisait, puisque son intérêt et son devoir étaient d’accord. Au lieu de comprendre ainsi son rôle, froidement, étourdiment, sans nulle passion, bien plus, contrairement à la seule passion qu’elle ait jamais connue, — le désir de se venger du régent, — la malheureuse insensée se précipite au-devant de la honte, et de l’abîme.

La commission de Milan n’eut donc pas de peine à rassembler les pièces sans nombre de cette œuvre d’ignominie. Il y avait bien des choses à dire pour qui voulait parler ; espions et délateurs ne se firent pas faute d’en raconter cent fois plus. L’imagination est vive chez le peuple italien, et ce ne sont pas les scrupules qui font taire la valetaille. Si ce qu’on a vu est trop peu de chose, on y ajoute ce qu’on a cru voir. Les interprétations vont leur train. On sait qu’on ne déplaira pas à ces hauts commissaires derrière lesquels apparaît le souverain d’une grande nation, on sait aussi qu’ils sont venus les mains pleines. Bref, le dossier s’enfle, et les témoins arrivent toujours. Mensonges et vérités, tout est bien qui peut frapper à mort ; on prend tout, on ramasse tout. Le monstrueux engin va être chargé jusqu’à la gueule ; embusqué dans une demi-ombre, il restera là, menaçant et sinistre, en attendant qu’il soit démonté pièce à pièce par les mains vigoureuses d’Henry Brougham.

Le rapport de la commission de Milan, achevé au mois de juillet 1819, est immédiatement communiqué par le régent au conseil des ministres. Impatient de se servir de cette arme, le régent demande au cabinet de procéder sans retard à la mise en accusation de la princesse. Le cabinet hésite ; il y a tant de raisons pour étouffer une pareille affaire : raisons politiques, raisons morales, sans parler des motifs personnels qui doivent couvrir de confusion quelques-uns des conseillers de la couronne. Est-ce que lord Eldon, le gardien du grand sceau, est-ce que lord Liverpool, le premier ministre, n’ont pas été autrefois les confidens et les défenseurs de la princesse de Galles ? Cependant le régent insiste, il s’étonne des objections, il s’échauffe, il s’emporte, jusqu’à menacer de prendre les mesures les plus graves si on refuse de lui donner satisfaction : il changera de ministres ! Cela est facile à dire, mais en de telles circonstances le changement de ministère est impossible. S’il entend laisser le pouvoir aux tories, quels seront les hommes qui oseront prendre la place de lord Liverpool, de lord Eldon, de lord Castlereagh, de lord Wellington, pour accomplir un acte devant lequel leurs chefs auront reculé ? Ils seraient perdus dès le premier jour. Faudra-t-il donc recourir aux whigs ? Il n’est pas même permis d’y penser une minute. Ce sont les whigs qui protègent la princesse, c’est le chef des whigs à la chambre des communes, l’éloquent, le véhément Brougham, qui est chargé de ses intérêts. Eh bien ! s’il ne trouve pas de ministres qui veuillent contre-signer ses ordonnances, il quittera l’Angleterre et se retirera dans ses états du Hanovre. Vaines paroles l Le prince-régent se serait bien gardé de donner suite à une idée qui eût semblé une sorte d’abdication ; l’Angleterre aurait pu s’empresser de le prendre au mot. Peu à peu sa colère s’apaisa, il finit par s’accorder avec les ministres, qui promirent que le procès aurait lieu, si jamais la princesse osait remettre le pied sur le sol britannique. »

Assurément la princesse de Galles n’a point connu ces discussions du conseil ; informée de ce défi, elle l’aurait relevé sur l’heure. Ce fut une autre circonstance qui provoqua la crise. Le vieux roi, qui occupait le trône depuis soixante ans, mourut le 29 janvier 1820. Je me rappelle ici quelques lignes de Chateaubriand écrites vers cette époque. « George III, dit-il, avait perdu la raison et la vue. Chaque session, à l’ouverture du parlement, les ministres lisaient aux chambres silencieuses et attendries le bulletin de la santé du roi. Un jour, j’étais allé visiter Windsor ; j’obtins pour quelques shillings de l’obligeance d’un concierge qu’il me cachât de manière à voir le roi. Le monarque en cheveux blancs et aveugle parut, errant comme le roi Lear dans ses palais, et tâtonnant avec ses mains les murs des salles. Il s’assit devant un piano dont il connaissait la place, et joua quelques morceaux d’une sonate de Haendel. C’était une belle fin de la vieille Angleterre. » Cette ombre de la vieille Angleterre avait longtemps protégé la princesse de Galles. On sait que le roi était son oncle en même temps que son beau-père ; il le lui rappelait souvent en des lettres affectueuses. Une fois l’ombre évanouie, de mauvais jours se levèrent pour la pauvre insensée ; ce fut pourtant cette même ombre qui reparut aux heures décisives, elle reparut surtout, évoquée par la voix de Brougham, le jour où de si nombreux suffrages dans la chambre des lords refusèrent de condamner la reine accusée d’adultère.

Le 29 janvier 1820, le prince de Galles, régent d’Angleterre depuis 1810, était devenu roi sous le nom de George IV. Quelle allait être la situation de la princesse de Galles ? Suivant la loi et la raison, tant qu’un jugement régulier ne l’avait pas déclarée indigne, elle était reine d’Angleterre. Le conseil des ministres ne l’entendit pas de la sorte ; soit que, d’après sa conduite en Italie, on la considérât comme ayant abandonné volontairement ses droits, soit qu’avec le rapport de Milan on se crût en mesure d’étouffer ses réclamations, si jamais elle osait en élever, le ministère se hâta de trancher la question. Le nom de la reine, selon l’usage, devait être inscrit à côté du nom du roi dans les prières liturgiques ; le premier acte du gouvernement de George IV fut de lui retirer cet honneur. Un ordre du conseil, en date du 11 février, statua qu’à l’avenir on prierait pour le roi et la famille royale, sans faire aucune mention particulière de la reine.

Cependant le ministère n’était pas sans inquiétude : le nom de la reine Caroline effacé du livre de l’église, n’était-ce pas un commencement de dégradation ? Il était prudent de s’assurer qu’elle ne protesterait pas. Précisément elle venait d’exercer une de ses prérogatives royales en nommant M. Brougham son procureur-général (attorney general) et M. Denman son procureur-général adjoint (solicitor general). Le chef de la justice, lord Ellenborough, celui-là même qui avait dirigé contre la princesse de Galles la délicate enquête de 1806, avait été obligé de dire aux deux illustres avocats en pleine cour de justice suivant la formule consacrée : « Sa majesté la reine vous ayant choisi, selon son bon plaisir, pour être son procureur-général et son procureur-général adjoint, vous prendrez place à la barre avec le rang qui appartient à vos offices. » C’étaient là des symptômes qui devaient alarmer les ministres. Après quelque hésitation, le 15 avril 1820, lord Liverpool, au nom du cabinet, remit à M. Brougham une proposition d’arrangement avec prière de la communiquer à la reine. Il était dit dans ce document que la pension annuelle de 35,000 livres assurée à la princesse de Galles avait cessé d’être valable par suite du changement de règne, mais que le roi demanderait au parlement de voter à la princesse une pension annuelle de 50,000 livres, à la condition expresse qu’elle ne remettrait jamais les pieds sur aucun point du territoire britannique, que jamais elle ne prendrait le titre de reine, jamais n’exercerait aucun des droits, ne réclamerait aucun des privilèges attachés à ce titre, sauf celui de nommer elle-même ses représentans devant la justice (law officers). Brougham eut le tort de ne pas communiquer ce document à sa cliente, il eut le tort plus grave de laisser croire au gouvernement que la réponse serait conforme à ses désirs. Pourquoi cette négligence ? Interrogé là-dessus dans le parlement, il donna plus tard des excuses singulières ; ses occupations de la chambre des communes et du barreau dans cette saison de l’année ne lui avaient pas permis de se rendre à Rome, où la reine se trouvait alors ; la mission était de telle nature qu’il n’avait pu la confier à des mains étrangères, il avait cru d’ailleurs que le gouvernement n’était pas si pressé de recevoir une réponse ou qu’il aurait trouvé un autre moyen de se mettre en relations avec la reine. Ces allures insouciantes dans une affaire qui ne souffrait point de retard ont paru justement suspectes ; on s’est demandé si Brougham n’avait pas un intérêt personnel à empêcher tout accommodement, la défense publique de la reine Caroline devant lui procurer plus de gloire et de profit que l’arrangement secret de la guerre des deux époux. Pour moi, je suis persuadé que Brougham connaissait trop bien le caractère de la reine pour se faire illusion sur l’efficacité des offres du ministère, et que son seul tort est de ne pas l’avoir dit franchement en déclinant la mission dont on le chargeait. Quoi qu’il en soit, la reine, ignorant le projet de ses ennemis, et apprenant que son nom est effacé des prières de la liturgie anglicane, s’empresse d’écrire à lord Liverpool. Elle est reine, c’est au premier ministre du roi que s’adressent ses plaintes : — Pourquoi a-t-on effacé son nom de la liturgie ? Pourquoi n’a-t-elle pas été informée de la mort de George III ? Pourquoi se conduit-on, en tout ce qui la concerne, comme si elle n’existait point ? Elle va se rendre immédiatement en Angleterre pour y maintenir ses droits.

Elle part en effet le 19 avril. Elle quitte Rome, remonte l’Italie du nord, entre en Suisse et s’arrête quelques jours à Genève. C’est là qu’elle écrit à M. Brougham de venir la trouver. M. Brougham demande que cette conférence ait lieu dans une ville plus rapprochée de l’Angleterre. On convient de se rencontrer à Saint-Omer, et rendez-vous est pris pour les premiers jours de juin. Le ministère, informé de ce qui se passe, charge lord Hutchinson de se rendre à Saint-Omer avec M. Brougham, ils travailleront ensemble à une transaction et s’efforceront de prévenir un éclat qui peut bouleverser le royaume. Le 3 juin, les deux envoyés arrivent à Saint-Omer, la reine est déjà exacte au rendez-vous. M. Brougham se fait introduire chez elle et lui annonce que lord Hutchinson est venu avec lui dans un esprit de sincère amitié, pour lui faire des propositions au nom de sa majesté le roi George IV. « Je serai heureuse de le voir, » répond la reine, et le représentant du roi est introduit ; mais lord Hutchinson, persuadé que la reine a déjà eu connaissance des propositions confiées à M. Brougham par lord Liverpool, attend qu’il plaise à sa majesté de mettre la conversation sur ce chapitre. La reine attend de son côté les offres de lord Hutchinson. On échange des banalités, on parle de tout et de rien, c’est presque une scène de comédie. Aurait-on voulu par hasard amuser la reine afin de gagner du temps ? Ce n’est pas elle qui se prêterait à pareil jeu. Le lendemain, 4 juin, lord Hutchinson reçoit un avis ainsi conçu : « M. Brougham ayant humblement expliqué à la reine qu’il avait lieu de croire que lord Hutchinson était porteur de propositions à elle adressées par sa majesté le roi, la reine a commandé à M. Brougham de prier lord Hutchinson de lui communiquer ces propositions par écrit dans le plus bref délai. » La reine évidemment ne voulait pas recommencer la conversation de la veille ; il fallait écrire et ne pas perdre une minute. Écrire, c’est chose grave pour un ambassadeur qui est chargé simplement de négocier d’une façon générale, et qui croit d’ailleurs que les écritures précises sont déjà faites. Lord Hutchinson n’a point qualité pour cela, il le dit fort nettement dans sa réponse au billet qu’on vient de lire. Seulement il se rappelle les intentions du roi, et, puisque la reine ne paraît pas les connaître, il les lui indiquera à titre de renseignement. Donc le roi propose de faire attribuer à la reine une pension annuelle de 50,000 livres (1,250,000 francs), mais cela sous des conditions expresses qu’il a fixées lui-même irrévocablement. Ces conditions, lord Hutchinson a lieu de croire qu’elles se résument ainsi : la reine ne prendra pas le titre de reine d’Angleterre, ni aucun autre titre appartenant à la famille royale ; la reine ne résidera jamais sur aucun point du territoire britannique, elle n’y fera même aucun voyage, aucune visite, sous peine d’être poursuivie devant le parlement et de voir la présente convention à jamais rompue. Le gouvernement est décidé à commencer son procès le jour même où elle mettrait le pied sur les côtes d’Angleterre.

Telle était en substance la réponse de lord Hutchinson. Devinez-vous quelle fut la réplique de la reine ? À peine eut-elle lu le dernier mot de cette lettre qu’elle demanda des chevaux de poste, et, brûlant le pavé, se fit conduire à Calais. « M. Brougham, dit lord Campbell, n’est pas responsable de cette résolution ; il pouvait à peine en croire ses yeux lorsque de la fenêtre de son hôtel il aperçut la voiture de la reine emportée au galop. » Arrivée à Calais, elle ne descendit pas dans un hôtel, elle s’installa immédiatement à bord d’un paquebot anglais, tant elle craignait que la police française, sur des ordres venus de Paris pour complaire à George IV, ne fît obstacle à son départ. Le lendemain 6 juin, elle débarquait à Douvres.

Cette brusque apparition de la reine prit le ministère au dépourvu. Lord Liverpool la croyait encore à Saint-Omer hésitante, indécise, ou plutôt terrifiée devant l’ultimatum de lord Hutchinson, quand déjà elle était saluée à Douvres par des acclamations frénétiques. Le gouverneur de Douvres, qui n’avait pas d’ordres contraires, l’avait reçue avec les honneurs dus à la majesté royale. Simple affaire d’étiquette, cette réception n’a pas de valeur ; mais ces cris, ces hurras, cette ovation tumultueuse, comment en méconnaître le sens et la portée ? C’est le signe de l’exécration qui poursuit George IV. Sur la route de Douvres à Londres, la nouvelle du retour de la reine se propage avec une rapidité inouïe, et les paroisses, les communes, les villes, s’empressent de fêter sa bienvenue. Partout les populations accourent à sa rencontre, partout les travaux sont suspendus, les cloches sonnent à pleine volée, les conseils présentent des adresses, et la reine y répond dignement, courtoisement, selon les formules de la vieille Angleterre.

Elle arrive à Londres : nouvelles acclamations, nouveau triomphe. Ce n’est pas un des palais de la couronne qu’elle va occuper ; lord Liverpool n’a pas répondu à la lettre écrite de France par laquelle, annonçant son arrivée prochaine, elle demandait qu’on se préparât à la recevoir. Que lui importe ce refus de lord Liverpool ? Un des notables de la cité, l’alderman Wood, est allé au-devant d’elle jusqu’en France, jusqu’à Montbard ; il l’accompagne depuis cette ville, et se fera honneur de l’installer dans sa maison. C’est là qu’elle arrive le 6 juin, vers six heures du soir, au milieu d’une foule enivrée qui la salue d’applaudissemens sans fin. La maison de South Audley-street va être pendant plusieurs mois le centre de l’immense capitale. Tandis que le roi, pâle d’effroi et de fureur, s’agite au milieu de ses conseillers, la reine, dans les salons de l’alderman, reçoit les députations que lui envoient toutes les villes, tous les comtés de l’Angleterre et du pays de Galles, de l’Écosse et de l’Irlande. On dirait que la souveraineté se déplace. Est-ce le prélude d’une révolution ?


II

Depuis qu’on avait appris le débarquement de la reine à Douvres, le ministère était atterré dans Saint-James. D’heure en heure, on voyait monter le flot populaire qui semblait l’apporter. Quand les ministres, en 1819, après les rapports des commissaires de Milan, avaient promis de poursuivre la princesse, si elle mettait le pied en Angleterre, ils avaient eu l’idée que c’était là un cas impossible. Tous étaient persuadés que devant la publication du rapport et le scandale d’un procès, devant la menace d’une déchéance, bien plus, d’une dégradation publique, la princesse reculerait[4]. C’est ainsi qu’ils avaient pris cet engagement afin de mettre un terme aux obsessions du prince. Eh bien ! l’événement qu’ils ont jugé impossible, le voilà ; la reine arrive, la reine est arrivée : se peut-il maintenant qu’ils manquent de parole à George IV ? L’affaire est si grave qu’ils hésitent, ils sont frappés d’épouvante. Dans l’état de crise aiguë où se trouve l’Angleterre, au milieu des émeutes, des conspirations, en face de cette agitation menaçante qui a fait suspendre la loi de l’habeas corpus, le procès de la reine peut être le signal d’une insurrection qui renversera le gouvernement des tories et compromettra la monarchie elle-même. « Tous les hommes de sens et de réflexion voyaient cela, dit lord Brougham dans son portrait de George IV[5] ; les ministres le voyaient, Liverpool et Castlereagh le voyaient, le chancelier surtout, lord Eldon, de son regard perçant et sûr, apercevait distinctement les conséquences possibles d’une telle mesure. » Comment s’étonner qu’ils aient hésité à tenir leur engagement ? Brougham est d’avis qu’ils auraient du tenir bon jusqu’au bout et refuser de poursuivre la reine. Fort bien, mais le roi est là, irrité, hautain, menaçant. Si on ne tient pas la promesse donnée, il changera de ministère, il changera de politique, les whigs remplaceront les tories. Et qu’on ne lui dise pas que les whigs refuseront de poursuivre la reine, il ne leur demandera pas ce sacrifice, à eux qui ne lui ont rien promis. Le procès de la reine n’aura pas lieu ; qu’à cela ne tienne ! Le roi du moins aura puni les hommes qui lui auront manqué de parole. Tenir ce langage à des tories aussi passionnés que lord Eldon et lord Castlereagh, lord Liverpool et le duc de Wellington, c’était leur mettre le couteau sur la gorge. Ils cédèrent séance tenante. Avant que la reine fût dans la maison de l’alderman Wood, lord Liverpool avait envoyé aux deux chambres le rapport de la commission de Milan.

Voilà donc la lutte engagée. Nous savons d’avance que la reine ne faillira point, la faveur populaire en est un sûr garant. Cette faveur, qui va croissant de jour en jour, n’est pas le résultat d’une effervescence passagère. Les Anglais sentent fortement et ne s’émeuvent pas à demi. À un sens pratique très précis, ils joignent des convictions élevées qui peuvent, dans les grandes circonstances, devenir des passions énergiques. Pour apprécier ces agitations de l’année 1820, oublions un instant l’Angleterre de nos jours, où quarante années d’un gouvernement parlementaire toujours exact, toujours consciencieux à travers les vicissitudes des partis, a réalisé à temps les réformes nécessaires et prévenu les violences démocratiques. À l’époque où se passent ces événemens, les exigences les plus légitimes se font jour de toutes parts et rencontrent une résistance aveugle. Deux ans plus tard, lord Castlereagh, poussé au désespoir par l’impuissance de sa politique, se coupera la gorge ; sept ans plus tard, lord Liverpool, accablé par la maladie, quittera ce champ de bataille si vivement disputé ; enfin douze années plus tard, après notre révolution de 1830, s’accomplira en Angleterre la grande réforme du parlement, signal d’une ère nouvelle. De 1820 à 1832, quel malaise dans toutes les classes de la nation ! Voilà ce dont il faut se souvenir, si l’on veut se faire une idée juste de ces explosions du sentiment public et des conséquences qu’elles pouvaient entraîner. Évidemment la reine Caroline profitait du mécontentement général soulevé par la domination des tories, et de l’aversion particulière excitée par la personne de George IV. À ces causes principales de la faveur populaire se joignent deux explications accessoires qui ont un caractère bien anglais. Tout ce peuple qui de Douvres à Londres criait si ardemment : Vive la reine ! ces paroisses, ces communes, qui de tous les points du royaume lui adressaient des vœux de victoire, ne prétendaient nullement juger sa conduite en Italie. On disait simplement, et nous ne faisons que répéter ici le résumé que lord Brougham a donné des raisonnemens de l’opinion : « À supposer que la reine ait fait tout ce dont l’accusent ses ennemis, peu nous importe ; elle a été maltraitée, elle a été persécutée, elle a été chassée de la maison de son époux, elle a été frustrée de ses droits et comme femme et comme mère, elle a été condamnée à mener la vie d’une veuve, d’une veuve sans enfans, afin que l’homme qui aurait dû être son appui pût mener la vie d’un libertin adultère ; nous ne souffrirons pas aujourd’hui qu’elle soit foulée aux pieds, qu’elle soit exterminée, pour assouvir la vengeance du roi ou pour satisfaire son caprice. » L’autre cause de cette faveur enthousiaste, c’est l’admiration qu’inspirait l’énergie de sa résistance. Plus résignée, elle eût éveillé les mêmes sympathies, elle n’aurait pas eu de partisans aussi nombreux. Il y a un mot très significatif de lord Dudley qui peint bien ce sentiment. On sait que la reine Caroline était la fille de ce duc de Brunswick qui en 1792 avait jeté le défi à la révolution française et qui en 1806, généralissime de l’armée prussienne, fut frappé de mort à Auerstaedt. « Si son père, écrivait lord Dudley, avait montré autrefois la moitié seulement de cette résolution pour marcher sur Paris, il aurait épargné au monde vingt-cinq années de guerre. » Que le duc de Brunswick, par une marche hardie sur Paris en 92, eût pu supprimer la république et l’empire, c’est une appréciation qu’il faut laisser au noble lord ; nous ne citons ce mot que pour montrer l’estime toute britannique accordée à l’intrépidité de la reine Caroline.

Ainsi le mécontentement général au sujet du ministère, l’odieuse conduite de George IV envers la reine, la sympathie de la nation anglaise pour une femme outragée qui se défendait si vaillamment, voilà les motifs de l’accueil fait à Caroline de Brunswick au mois de juin 1820. Telle était l’exaltation des esprits, que l’on reprochait à M. Brougham, son conseiller depuis bien des années, son procureur-général depuis la mort du feu roi, de ne pas l’avoir protégée plus efficacement contre les attaques de George IV. C’est pour cela que l’alderman de Londres, M. Wood, était allé la chercher jusqu’à Montbard ; c’est pour cela qu’il essaya de substituer à M. Brougham tel et tel défenseur, auxquels les partisans de la reine attribuaient un dévoûment plus actif, d’abord M. Scarlett, le premier avocat de Londres à cette date, celui qui devint plus tard lord Abinger, puis, à défaut de M. Scarlett, M. Wilde, un autre avocat éminent, destiné à s’asseoir un jour sur le sac de laine. Heureusement Brougham conserva son poste auprès de la reine. Après quelques hésitations, dont personne n’a jamais eu la clé, il accepta la lutte avec une vigueur digne de sa cliente, « faisant trembler le roi sur son trône, dit lord Campbell, et s’assurant à lui-même un immortel renom[6]. »

Le ministère, une fois son parti pris, résolut de mener l’affaire à bride abattue. Il fallait ne pas perdre une seconde pour étourdir le pays par les révélations de Milan. On espérait que cette douche d’eau glacée calmerait l’effervescence publique. C’est pourquoi dès le 6 juin un message du roi avait été adressé aux deux chambres avec le fameux sac vert (green bag) qui contenait le dossier de la commission. Ce dossier était recommandé à l’attention immédiate et sérieuse du parlement. « Le roi, disait le message, avait éprouvé le plus ardent désir de se soustraire à la nécessité de ces révélations et de ces débats aussi pénibles pour le pays que pour lui-même, mais la démarche de la reine ne lui laissait pas d’alternative. » Le lendemain, la chambre des communes devait délibérer sur une adresse en réponse au gracieux message de sa majesté. La langue parlementaire des Anglais veut que tout message de la couronne soit qualifié de la sorte, alors même qu’il s’agit des choses les plus disgracieuses. On allait donc répondre à ce gracieux message, quand M. Brougham se leva au nom de la reine et parla en ces termes :


« La reine croit nécessaire d’informer la chambre des communes qu’elle a été obligée de revenir en Angleterre par suite des mesures dirigées contre son honneur et son repos, mesures prises d’abord à l’étranger il y a un certain temps et sanctionnées récemment en Angleterre par la conduite du gouvernement. En adoptant cette résolution, la reine ne s’est proposé que deux choses : premièrement défendre son caractère, ensuite maintenir les justes droits à elle dévolus par la mort du monarque vénéré dont la haute estime et l’affection constante ont toujours été son appui le plus sûr.

« La reine, à son arrivée, est surprise d’apprendre qu’un message a été envoyé au parlement pour appeler son attention sur des documens écrits ; elle apprend avec un étonnement plus grand encore qu’on a l’intention de proposer le renvoi de ces documens à l’examen d’un comité secret. Il y a juste quatorze ans que les premières accusations de ce genre ont été dirigées contre sa majesté. Alors, et en toute occasion, elle a montré le plus grand empressement à voir ses accusateurs en face et à provoquer l’enquête la plus complète sur sa conduite. Aujourd’hui donc elle demande une investigation publique où elle puisse connaître et les accusations et les témoignages portés contre elle, — privilège qu’on ne refuse pas au dernier sujet du royaume.

« À la face du souverain, du parlement et du pays, la reine proteste solennellement contre la formation d’un tribunal secret chargé d’examiner des documens que ses adversaires ont secrètement préparés ; elle proteste contre cette procédure inconnue à la loi du pays, contre cette violation manifeste de tous les principes de la justice. Elle s’en remet avec pleine confiance à la loyauté, de la chambre des communes pour déjouer la seule tentative qu’elle ait quelque raison de redouter.

« La reine ne craint pas d’ajouter que, même avant de se décider à la poursuivre, on l’a traitée d’une manière trop bien calculée pour préjuger sa cause. L’omission de son nom dans la liturgie, le refus de lui fournir les moyens de transport assurés à tous les membres de la famille royale, le refus même de lui répondre quand elle réclamait une résidence dans un des palais de la couronne, les manques d’égards dont elle a souffert à l’étranger, soit des ministres anglais, soit des agens de toutes les puissances sur lesquelles l’Angleterre exerçait quelque influence, ce sont là autant de mesures destinées à exciter contre elle les préventions du monde entier, tandis qu’elles n’auraient pu être justifiées que par un procès et une condamnation. »


Cette protestation ne pouvait arrêter le cours du procès. Lord Castlereagh se lève, et malgré les éloquentes paroles de M. Brougham il demande qu’une commission soit élue pour examiner les pièces du sac vert. Brougham riposte par un coup de maître. Il se doute bien que les ministres ne se sont résignés que malgré eux à engager cette périlleuse affaire ; sous ce masque d’une résolution d’emprunt, il devine leurs perplexités. C’est précisément par là qu’il les attaque. Sait-on ce que peut amener cette enquête ? Ce ne sera point assez de suivre la reine pendant ses voyages, de l’épier en telle ville de Suisse ou d’Italie, il faudra interroger sa vie entière, l’histoire de son mariage, l’histoire de ses affronts. La reine ne sera pas seule assise sur le banc des accusés… Mais c’est Brougham lui-même qu’il faut entendre. Il vient de signaler l’injustice de la procédure qui se prépare. Quoi ! une commission a été chargée de faire un rapport sur une cause criminelle avant que cette cause fût soumise aux juges, et c’est le poursuivant qui a nommé cette commission ! Quoi ! un comité secret va interroger des documens tronqués, et c’est le poursuivant qui dans ces documens a trié lui-même les pièces qu’il croit les plus propres à frapper ce comité secret ! Se peut-il plus grande injustice ? se peut-il aussi témérité plus grande ? Après les protestations du légiste, voici les protestations de l’homme d’état :


« Ce n’est pas seulement le caractère de la reine qui est en question ici, ce n’est pas seulement la manière dont on l’a traitée qui doit être l’objet des recherches de la justice ; non, l’histoire intime des personnes du plus haut rang avec lesquelles elle a été en relations, cette histoire intime tout entière pourra être forcément introduite dans le conflit. Ce serait un adroit personnage celui qui prétendrait circonscrire la marche de l’enquête, celui qui dirait d’avance quelles démarches pourront être jugées nécessaires par des hommes que leur devoir professionnel oblige de songer par-dessus toute chose au salut de leur client. Ce serait un audacieux personnage celui qui oserait dire que, se trouvant à la place des conseillers de la reine, il hésiterait une seconde à sauver sa cliente par des moyens désespérés. L’avocat ne doit considérer qu’une chose. Il est ruiné, il est déshonoré, il est dégradé, il devient digne d’être placé à la tête d’une commission de Milan, s’il s’inquiète des conséquences, funestes pour d’autres, que produira l’acquittement de la personne dont il a entrepris la défense. Ce serait un homme plus audacieux encore celui qui témérairement plongerait le pays dans l’irritation et la ruine, tant qu’il resterait une possibilité d’arrangement à l’amiable. Au nom de Dieu, au nom de tous ceux qui sont attachés à l’honneur et à l’équité, au nom de tous ceux que leurs souvenirs peuvent décevoir, que leurs désirs peuvent égarer, que leur aveuglement peut perdre, au nom des femmes et des filles de tous ceux qui aiment la décence, qui tiennent aux convenances morales, et qui se rappellent comment, — il y a de cela quelques années à peine, — les journaux ne pouvaient être ouverts sans crainte et sans dégoût par le chef d’une famille modeste et bien conduite, — je supplie la chambre de suspendre l’affaire, de la suspendre seulement, et de chercher s’il n’est pas encore possible d’échapper aux calamités qui nous menacent. La reine juge nécessaire pour la justification de son honneur que l’enquête soit poursuivie jusqu’à la fin, elle ne la fuit pas, elle rappelle, elle est prête à y répondre, du sein de son repos elle est venue affronter, je ne dis pas le péril, — il n’y a point de péril pour l’innocent dans ce pays de la loi et de la liberté, — mais les chagrins, les tourmens, les anxiétés, pour traverser cette pénible et, à mon avis, cette odieuse, cette épouvantable investigation. J’ai l’honneur d’être au service de sa majesté la reine, j’ai aussi l’honneur d’appartenir à cette chambre. Comme serviteur de la reine, je ne désobéirai point à ses ordres, et, si son honneur est en question, je le défendrai de mon mieux ; mais pour remplir loyalement mon devoir envers cette assemblée, je sens que je suis tenu de contrarier le désir de la reine et de lui dire : « Madame, si une négociation est encore possible, mieux vaut aller trop loin en vous reposant sur le pays et le parlement du soin de votre vengeance que de ne pas faire assez ; s’il est encore possible, votre honneur étant sauf, de détourner la ruine qui menace la nation, soyez prête pour tout le reste à tous les sacrifices. » Et s’il m’était permis de donner des conseils à ceux qui occupent la même situation à l’égard du roi, je leur dirais : « Agissez en honnêtes gens, ne regardez pas aux conséquences, donnez à votre souveraine les avis que l’affaire commande, sans craindre que le parlement vous trahisse ni que le pays vous abandonne. Ne craignez même pas qu’une disgrâce politique vous atteigne, car, si l’on devait vous chercher des successeurs, on ne les trouverait pas dans cette enceinte. »


Ce langage produisit une impression profonde sur la chambre des communes. Un des ministres, et non pas le moins illustre, M. Canning, soit que cette admonestation l’eût subitement touché, soit que les paroles de M. Brougham répondissent à une résolution arrêtée déjà dans son esprit, profita de cette occasion pour se séparer de ses collègues. Ayant pris la parole dans la discussion qui suivit, il déclara que, sur les périls de l’enquête, son sentiment était d’accord avec celui de M. Brougham ; une telle procédure ne pouvait qu’être pernicieuse au royaume et aux personnes qu’elle concernait. Il soutint, il est vrai, et cela était parfaitement exact, que les ministres, loin de désirer cette enquête, avaient fait tous leurs efforts pour l’empêcher. Il glissa rapidement sur la mesure qui avait effacé le nom de la reine des prières liturgiques, il affirma qu’on n’avait pas demandé à la reine de renoncer à son titre, qu’on l’avait priée seulement d’en prendre un autre comme font les souverains qui voyagent incognito. Il rappela qu’en 1814, consulté à ce sujet par la princesse, il lui avait conseillé de vivre désormais à l’étranger et qu’elle y avait consenti. Il regretta dans les termes les plus vifs que les négociations de Saint-Omer eussent échoué ; sans attribuer cet échec ni à lord Hutchinson ni à M. Brougham, il y signala un parti-pris déplorable, et des conseils occultes qui, s’ils n’étaient pas dictés par de mauvais desseins, l’étaient moins encore par la sagesse ; puis, après cette explication, à la fois très honnête et légèrement embarrassée, il déclara qu’une fois en règle avec son devoir de ministre par les observations qu’il venait de faire à la chambre, il suivrait ses sentimens particuliers ; son intention était de ne prendre aucune part à la discussion de l’affaire.

La retraite de M. Canning donnait une nouvelle force aux argumens de M. Brougham. Un des membres les plus respectés du parlement, M. Wilberforce, demanda que les propositions d’accommodement fussent renouvelées sans retard. Tant qu’on n’avait pas perdu tout espoir de réussir, il fallait s’efforcer de conjurer le péril. Lord Castlereagh, voyant la chambre incliner de ce côté, se hâta de déclarer que le ministère ne s’opposait point à l’ajournement. La proposition de M. Wilberforce fut votée par acclamation.

Les représentans des deux parties se donnèrent aussitôt rendez-vous pour aviser aux moyens de conclure un arrangement. C’étaient au nom du roi le duc de Wellington et lord Castlereagh, au nom de la reine M. Brougham et M. Denman. Cinq conférences eurent lieu au foreign office, et des protocoles en forme furent dressés et signés par les plénipotentiaires. À la cinquième, tout fut rompu. La reine consentait bien à fixer sa résidence hors de l’Angleterre, mais, ne pouvant se résigner à paraître déchue du trône et chassée de la terre anglaise, elle exigeait comme une condition sine qua non que son nom fût inscrit dans la liturgie. C’était précisément ce que le roi refusait d’une façon absolue. Les résolutions étant inflexibles de part et d’autre, il fut impossible de s’entendre.

Pendant que ces conférences avaient lieu au foreign office, l’agitation populaire devenait de jour en jour plus menaçante. Le 7 et le 8 juin, dès la nomination du comité secret, dès la première protestation de la reine, 10,000 individus se portèrent vers la demeure de l’alderman Wood, remplissant South Audley-street et les rues environnantes. Ils forçaient les passans à se découvrir sous les fenêtres de la reine ; le soir, ils demandaient aux habitans voisins d’illuminer leurs maisons, et, quand on s’y refusait, ils brisaient les vitres à coups de pierre. Quelques-uns même s’apprêtaient à marcher sur Carlton-house ; si d’habiles dispositions stratégiques n’eussent été prises vigoureusement par les troupes, George IV eût été attaqué dans son palais. On arrêta quelques-uns des plus furieux, mais comment empêcher des manifestations auxquelles prenaient part des hommes de tous les rangs ? Comment étouffer ce cri qui retentissait de toutes parts : Queen Caroline for ever ! Ce soulèvement de la ville de Londres aurait dû faire comprendre au roi la nécessité d’une solution pacifique et l’engager à n’y mettre aucune entrave. Il ne comprit rien, il ne voulut rien voir ni rien entendre. Les rudes avertissemens de l’opinion n’eurent pas plus de prise sur cette âme hautaine que les sages paroles de ses conseillers. Il suivait sa passion en aveugle. Une lettre de lord Eldon à sa fille citée par lord Campbell nous, apprend que, dans les conférences du foreign office, les représentans de George IV, obéissant à ses ordres, montrèrent bien plus d’acharnement que les représentans de la reine. La reine ne voulait que sauver son honneur ; elle eût quitté l’Angleterre sans esprit de retour, à la condition que son nom fût rétabli dans les prières publiques et que le gouvernement anglais l’introduisît officiellement auprès des cours étrangères. Quant au roi, indifférent aux clauses pécuniaires, il tenait absolument à déshonorer la reine. « Demain, écrivait lord Eldon à la veille des conférences, demain sera un jour terrible, si la reine fait quelque proposition d’arrangement. Le roi n’en fera aucune, et, s’il trouve un ministère qui veuille jusqu’au dernier instant soutenir la lutte à tout risque, il n’en recevra aucune[7]. »

C’est donc la guerre désormais, une guerre à outrance. Les négociations du foreign office avaient été rompues le 19 juin, et ce même jour lord Castlereagh s’était hâté d’en communiquer les procès-verbaux à la chambre des communes. Au moment de voir s’engager sans rémission la scandaleuse bataille, la chambre tenta un suprême effort pour l’arrêter. Sur une proposition de M. Wilberforce, elle décida qu’une députation serait envoyée à la reine pour la supplier de relâcher quelque chose de ses conditions. Vainement M. Brougham avait-il répondu que la reine ne pouvait plus rien concéder, puisqu’elle s’était résignée à tout, excepté au déshonneur ; vainement sir Francis Burdett avait-il prouvé l’inutilité de cette démarche dans un discours très habile, très modéré, qui obtint des applaudissemens unanimes : 391 voix contre 124 adoptèrent la proposition et l’adresse de M. Wilberforce. L’adresse, on le pense bien, était conçue dans les termes les plus respectueux. C’est au nom de la nation, au nom du salut public, que la chambre des communes conjurait la reine d’épargner à l’Angleterre la douleur et les périls d’une pareille lutte. Les députés d’ailleurs, quand ils se présentèrent chez la reine le 24 juin, lui prodiguèrent les marques du respect le plus profond. Vaines précautions de langage ; en réalité, que venait-on demander à la reine ? De consentir à son déshonneur. Elle répondit avec beaucoup de dignité : le ton affectueux de l’adresse l’avait touchée profondément ; elle en exprima sa gratitude et protesta de son ardent désir d’une conciliation ; fallait-il pourtant que ce fût aux dépens de son honneur ? Elle savait bien qu’en résistant au vœu de la chambre des communes elle courait le risque de déplaire à des hommes qui bientôt sans doute allaient être ses juges ; mais elle avait confiance dans leur honneur et leur intégrité. « Comme sujette de l’état, dit-elle en terminant, je me soumettrai sans murmure à tout acte de l’autorité souveraine ; comme reine accusée et outragée, je dois au roi, à moi-même, à tous mes concitoyens d’Angleterre, sujets comme moi de l’état, de ne sacrifier aucune des prérogatives de mon rang. »

Un fait à noter ici, c’est que la députation de la chambre des communes, malgré les bienveillantes intentions qui l’animaient, fut très mal reçue de la population de Londres. Il suffisait que la Chambre eût conseillé à la reine de céder encore pour que l’irritation publique se manifestât. Au moment où les députés entrèrent dans la maison de la reine, au moment où ils en sortirent, la foule qui se pressait dans la rue les couvrit de huées.

La réponse de la reine à la députation de la chambre des communes ayant été communiquée le soir même à l’assemblée (26 juin), plusieurs membres essayèrent encore d’empêcher le scandale du procès. Les uns étaient préoccupés avant tout de la paix publique, les autres n’étaient pas fâchés de faire échec au roi et de lui arracher sa victime ; tous s’entendirent pour proposer un ajournement de l’affaire à six mois. Une motion dans ce sens fut faite par M. Western et soutenue par M. Tierney, l’un des plus habiles orateurs de l’opposition. La tentative était condamnée d’avance, lord Castlereagh et M. Brougham demandant chacun, quoique dans une vue bien différente, la continuation de l’enquête : 195 contre 100 décidèrent que le procès suivrait son cours. Seulement quelle serait la procédure ? quelles seraient les formes de justice ? quel serait le tribunal ? C’est ce que le ministère allait décider sur le rapport du comité secret de la chambre des lords chargé d’examiner les pièces du sac vert. La reine et ses conseillers avaient protesté en vain contre cette enquête mystérieuse ; malgré leur ardent appel à la publicité pour les préliminaires du procès comme pour le procès lui-même, le comité de la chambre des lords poursuivait sa besogne dans l’ombre. Ce travail, terminé le 4 juillet, fut communiqué le soir même en séance publique. Le rapporteur concluait à la nécessité d’une enquête solennelle, le premier examen secret fournissant assez de preuves de la culpabilité de la reine ; il ajoutait que, d’après l’avis du comité, le moyen le plus convenable de faire cette enquête était une procédure devant le parlement.

Le lendemain, au début de la séance, nouvelle pétition de la reine à la chambre des lords ; elle proteste contre ce rapport et demande que ses avocats soient admis à la barre pour le combattre. Lord Eldon répond que cette demande est prématurée, que le rapport s’adresse à la chambre, qu’un bill va lui être présenté à la suite de ce rapport, et que ce droit de présenter un bill, même sans avis préalable, ne saurait être entravé par aucune circonstance extérieure. En même temps, lord Liverpool, au nom du gouvernement, présente un bill de peines et punitions contre la reine. Le ministère, dit-il, après en avoir conféré avec les plus savans jurisconsultes, s’est convaincu qu’il n’y a pas lieu de procéder par un acte d’accusation, parce que les lois qui statuent sur le crime d’adultère commis par une reine avec un sujet du roi sont muettes sur le même crime commis avec un étranger ; il est donc nécessaire de recourir à une mesure législative. Le premier ministre lit alors ce projet de loi : le préambule, suivant les formes précises de la procédure criminelle, énumérait les offenses imputées à la reine, l’accusait de relations adultères avec l’Italien Bergami, racontait toutes les histoires et remuait toutes les vilenies rassemblées par la commission de Milan, après, quoi les articles de loi statuaient, premièrement : que Caroline-Amélie-Elisabeth de Brunswick, s’étant rendue indigne, par sa conduite scandaleuse et déshonorante, du titre de reine-épouse, serait, aussitôt que le bill aurait reçu l’approbation des deux chambres, déclarée incapable de jouir des droits, prérogatives, privilèges et immunités attachés à ce titre ; secondement, que le mariage du roi George IV avec Caroline-Amélie-Élisabeth de Brunswick serait annulé.

Le soir même, 5 juillet, l’huissier de la chambre des lords se rendit chez la reine et lui remit officiellement la copie du bill. La reine fut saisie d’abord d’une émotion profonde ; elle la réprima aussitôt, et, recevant le bill d’un air calme, elle dit simplement qu’elle en appelait à la justice d’un monde meilleur.


III

On comprend sans peine ce qu’il y avait de révoltant dans le bill présenté à la chambre des lords. L’Angleterre du XIXe siècle, accoutumée à un régime de justice et de liberté, voyait reparaître la législation des temps de barbarie. On était reporté aux plus mauvais jours de la tyrannie politique et religieuse. C’était par des bills of attainder comme celui-là que Henry VIII avait frappé tant de victimes ; c’était par de telles procédures qu’il avait fait tomber la tête d’Anne de Boleyn et de Catherine Howard. S’il n’était pas question cette fois de vie et de mort, il s’agissait de déchéance, de dégradation, de divorce. Était-ce par une loi d’état qu’il fallait décider de l’honneur d’une femme et de la dignité d’une reine ? Dans tous les pays libres, l’accusé est jugé d’après les lois existantes ; ici on proposait de faire la loi pour juger l’accusé. Et quelle loi ? Une loi d’exception, une loi qui frappait d’avance, une loi qui supprimait les formes protectrices de la justice commune. La reine et ses avocats ne connaissaient pas même les noms des témoins sur les dépositions desquels le ministère avait commencé la poursuite. Le jour de la présentation du bill, quelques lords ayant demandé que la liste des témoins fût communiquée à la reine : « Nous ne le pouvons pas, répondit lord Liverpool. Ce qui est de mise en matière judiciaire ne l’est point en matière législative. » Le premier ministre revendiquait sans embarras toutes les conséquences de l’iniquité commise par le gouvernement. Il ajoutait seulement que, dans le cours du procès, la reine obtiendrait tout le temps nécessaire pour convoquer les témoins à décharge. On verra tout à l’heure ce que valait cette concession.

La reine, qui ne se lasse pas de tenir tête à l’ennemi, adresse dès le lendemain (6 juillet) une nouvelle pétition à la chambre des lords ; elle demande que ses avocats soient admis à la barre de la chambre, afin de protester en son nom et contre le principe du bill et contre la procédure qu’on s’apprête à suivre. Cette demande est accueillie. M. Brougham paraît à la barre avec ses confrères, et alors commence cette série de discours qui, selon l’expression de lord Campbell, si peu favorable pourtant à lord Brougham, demeureront l’éternel honneur du forum britannique. Jusqu’ici, dans ce procès de la reine Caroline, nous n’avons entendu M. Brougham qu’à titre de député ; c’était le grand debater de la chambre des communes qui discutait la conduite du gouvernement. Désormais c’est le grand avocat qui prend place à la barre de la chambre des lords. Le chancelier, lord Eldon, est assis sur le sac de laine. Dès que M. Brougham est introduit, lord Eldon lui annonce quelle sera la marche des débats, quelles seront les phases de la procédure, et en quel temps elles auront lieu. M. Brougham se lève et prononce ces paroles :


« Il a été dit, je le sais, par les promoteurs de ce bill, que mon illustre cliente serait traitée comme si elle était le plus humble sujet du royaume, et non le premier. Ah ! plût à Dieu qu’elle fût dans la situation du dernier sujet du royaume ! Plût à Dieu qu’elle ne se fût jamais élevée au-dessus du plus humble de ceux qui doivent soumission à sa majesté ! Elle eût été protégée par le triple rempart à l’abri duquel les lois de l’Angleterre gardent la vie et l’honneur de la plus pauvre femme. Avant qu’un pareil bill eût pu être présenté contre tout autre individu, il y aurait eu une sentence de divorce prononcée par la cour du consistoire, il y aurait eu un verdict prononcé par un jury qui eût sympathisé avec les sentimens de l’accusée, et qui, pris dans les mêmes rangs de la société, sachant que les preuves produites contre elle pourraient, dans des circonstances analogues, être produites contre leurs femmes et leurs filles, eussent éprouvé le besoin de se défendre contre un danger commun. Il n’y aurait eu parmi ses juges nul homme attaché au service de son mari, car son avocat aurait eu le droit de le récuser, nul homme pris à gages par son mari selon son bon plaisir, nul homme en situation d’être enchaîné à son mari soit par la reconnaissance pour des faveurs passées, soit par l’attente de faveurs futures. Elle eût été jugée par douze Anglais honnêtes, impartiaux, désintéressés, au seuil desquels l’influence exercée sur les présens juges aurait pu s’agiter pendant des années sans faire sur eux en aucune manière cette impression soit de crainte, soit d’espérance, objet de ses calculs et de ses efforts. Elle a donc bien raison de se plaindre de ne pas être le dernier sujet de sa majesté, et je puis assurer vos seigneuries qu’elle sacrifierait bien volontiers toutes choses, excepté son honneur, qui lui est plus cher que la vie, pour obtenir le plus pauvre de ces cottages où toute femme anglaise est à l’abri de l’iniquité. »


Voilà un début qui promet. Que vous semble de cette comparaison entre les douze jurés et les juges de la chambre des lords ? En signalant ces audacieux sarcasmes, lord Campbell remarque spirituellement que, si la noble assemblée n’était guère accoutumée à pareil langage, M. Brougham allait bientôt le lui rendre familier. Le premier jour, la surprise fut grande ; lord Eldon, le grave et austère lord Eldon, était scandalisé. Brougham fut rappelé à l’ordre plusieurs fois comme ayant excédé les droits de la défense. Ces avertissemens, bien loin de le gêner, lui fournirent de nouveaux avantages. Il arrangea ses paroles, il retira d’une main adroite les traits qu’il venait de lancer, il cessa de les appliquer à tous pour les enfoncer plus profondément chez quelques-uns ; bref, il ménagea la chambre en attaquant le ministère, et termina par ces mots :


« La reine, confiante dans son innocence outragée, a la ferme conviction qu’aucun obstacle, ni l’esprit de parti, ni la présence de personnes intéressées, ni des influences étrangères exercées en dehors de la chambre, ni le manque supposé de sympathie pour les sentimens du pays, ni la tendance attribuée aux lords, mais attribuée faussement, qui les ferait se courber devant la faveur royale, — que rien enfin, qu’aucun obstacle ne se dressera entre elle et la justice, que rien n’empêchera sa cause de recevoir une décision droite, impartiale, dégagée de toute idée préconçue. »


Après ces observations, la chambre prononça la clôture des débats sur la première lecture du bill et s’ajourna au 10 juillet pour décider quel jour elle entendrait la seconde. Le 10 juillet, il fut décidé que la seconde lecture aurait lieu le 17 août suivant ; il fut décidé aussi que le débat porterait alors sur la preuve des faits énoncés dans le préambule et que le procès de la reine commencerait.

C’est donc après un délai de cinq semaines et demie que devait s’engager la grande lutte. L’impatience publique était au comble ; on comptait les jours et les heures. Du 10 juillet au 17 août, l’agitation alla en croissant. La reine recevait toujours des députations venues de divers points du royaume ; elle y répondit d’abord en termes modérés, sur un ton de dignité triste qui convenait à sa situation ; mais peu à peu ses réponses prirent un caractère d’extrême véhémence. Enhardie par l’irritation publique soulevée contre George IV, elle donnait un libre cours à ses propres colères. À mesure qu’on approchait du terme fixé pour le procès, l’agitation populaire était si violente que l’on pouvait craindre une émeute, même une révolution. Le ministère avait dû prendre les précautions les plus sérieuses : des troupes étaient consignées dans tous les quartiers de la ville ainsi que dans les villages environnans. De jour en jour, on s’attendait à une bataille. Il est à peine nécessaire de dire que le couronnement de George IV, annoncé depuis plusieurs mois pour le 1er août, avait dû être ajourné à l’année suivante. Beaucoup de pairs, les uns mécontens de la conduite du gouvernement en toute cette affaire, les autres effrayés de l’irritation publique, cherchaient les moyens de se soustraire à leurs fonctions de juges. Il y avait bien longtemps en effet que la noble assemblée ne s’était vue au milieu d’une telle fournaise. Des bruits étranges lui arrivaient de tous côtés. On disait que la reine viendrait assister de sa personne à toutes les séances, et qu’une moitié de la population de Londres l’escorterait jusqu’aux portes de Westminster. Les inquiétudes étaient si vives que le ministère craignit de voir toute une partie de la chambre disparaître aux approches du péril. Comme tout était extraordinaire dans ce procès, il fallut prendre des mesures extraordinaires pour retenir les lords trop empressés d’aller visiter leurs domaines ; la chambre décida qu’aucun de ses membres ne pourrait s’absenter sous peine d’une amende de 100 livres (2,500 francs) pour chacun des trois premiers jours, et de 50 livres (1,250 francs) pour chacun des jours suivans. Étaient excusés les pairs âgés de plus de soixante-dix ans, ceux qui se trouvaient hors du royaume au 10 juillet, jour où la seconde lecture du bill avait été ordonnée, ceux qui étaient absens pour le service du roi, enfin ceux qui étaient sous le coup d’un grand deuil de famille, ayant perdu leur père ou leur mère, leur femme ou leur enfant.

L’heure sonne enfin, la séance du 17 août a commencé. Pendant qu’on procède à l’appel des pairs, dont quarante-huit ont envoyé leurs excuses, la reine entre dans la salle. Tous les pairs se lèvent. Elle fait trois révérences et va prendre place sur un siège préparé pour elle à côté des degrés du trône. Elle est vêtue de noir, avec un voile blanc qui lui couvre le visage. L’appel des lords terminé, une discussion préliminaire s’engage comme celle qui a déjà eu lieu à la première lecture du bill ; M. Brougham dit que son auguste cliente lui a défendu toute récrimination, que cet ordre venu d’en haut est conforme à ses propres sentimens, que ce sont là des argumens périlleux, des argumens redoutables, mais que les formes arbitraires de ce bill pourront, malgré ses répugnances, le contraindre à s’en servir. L’avocat ne connaît que son devoir, et, coûte que coûte, il est tenu de le remplir. Son devoir en ce moment est de combattre par tous les moyens le principe même du bill. Il se tourne alors vers les archevêques qui siègent parmi les lords, et leur demande si l’adultère n’est un crime que chez la femme. Qu’il convienne aux personnes présentes de voir ou de ne pas voir les intentions cachées sous de misérables prétextes, on ne réussira pas à tromper le bon sens de la nation ; tous ceux qui jugeront la chose à distance seront surpris et choqués. « Dans leur langage familier, ils qualifieront d’attentat l’idée de poursuivre sous le masque un dessein qu’on n’avoue pas. — Voilà un homme, diront-ils, qui veut se débarrasser de sa femme. Il parle de l’honneur du pays, de la sécurité du pays, et les plus chers intérêts de ce pays, son repos, sa moralité, son bonheur, vont être sacrifiés à l’assouvissement de sa passion. » Les lois de l’Angleterre, les décisions constantes de la chambre des lords, sont explicites sur ce point : le mari qui demande le divorce est tenu de prouver qu’il paraît lui-même reclus in curia, et qu’ayant toujours été un fidèle mari, il a le droit de requérir la dissolution du mariage en raison de l’infidélité de sa femme.

Ainsi s’ouvrirent ces dramatiques débats. Le procureur-général du roi, M. Gifford, et l’avocat-général, M. Copley, qui répondirent très habilement à la vigoureuse attaque de M. Brougham, furent écoutés avec beaucoup de faveur. La chambre, sans se prononcer encore sur le fond, admettait la forme proposée pour le jugement de la reine, et voulait que la procédure fût suivie jusqu’au bout. Ces ardentes contradictions avaient rempli trois séances (17-19 août). Alors commença le procès véritable, le réquisitoire du procureur-général et l’interrogatoire des témoins.

C’étaient presque tous des Italiens, des gens de service, valets de pied et femmes de chambre. Le premier, Teodoro Majocchi, postillon du général Pino, avait, selon le dossier de Milan, quitté volontairement le service de la reine, qui lui avait donné un bon certificat ; sa déposition, soutenait l’accusateur, ne pouvait donc être attribuée à un motif de ressentiment. Le dossier de Milan ne disait pas que le témoin avait désiré reprendre son emploi dans la domesticité de la reine et qu’on n’avait plus voulu de ses services. Un incident curieux marqua la séance où il comparut (21 août) ; dès que son nom fut appelé, la reine se leva et sortit. Était-ce une protestation contre les indignités de cette enquête ? était-ce un mouvement de dégoût à la vue du principal calomniateur ? L’un et l’autre assurément. Malgré cette protestation muette, la déposition de Majocchi, conduite et soutenue par les interrogations du procureur-général, produisirent l’effet d’une révélation accablante. Les amis de la reine la croyaient déjà perdue. Ils se rassurèrent le lendemain quand M. Brougham reprit le Majocchi en sous-œuvre. Ce contre-interrogatoire démantela pièce à pièce le terrible échafaudage. Il le harcelait de questions nettes et précises afin de contrôler le précédent interrogatoire ; persuadé que Majocchi jouait un rôle appris par cœur, il s’efforçait de l’arracher au texte du scénario, il serrait, il tordait, si je puis dire, ses réponses de la veille, comme pour en faire éclater le mensonge, et l’Italien, interdit, balbutiant, en homme qui craint de se couper, s’appliquait à répéter invariablement : Non mi ricordo. On devine ce que devenait cette litanie dans le commentaire de Brougham. Non mi ricordo ! si ces paroles se rapportaient parfois à des choses que le témoin n’avait point dites, souvent aussi elles tombaient sur des points qu’il avait affirmés. Quelle occasion pour le terrible athlète ! avec quelle joie et quelle verve il assénait ses coups ! Toute la scène s’est gravée si bien dans la mémoire des Anglais que leur langue familière, au dire de lord Campbell, s’est enrichie d’une expression piquante : accuser quelqu’un d’un non mi ricordo, c’est l’accuser de mensonge[8]. Ainsi fut démolie la plus redoutable batterie de l’accusation ; suivant l’expression de Brougham lui-même, Majocchi était détruit.

Une autre déposition bien menaçante était celle de Mlle Demont, une des femmes de chambre de la reine. L’un des assesseurs de Brougham, M. Justice Williams, se chargea de la détruire à son tour. Il y réussit admirablement ; c’est le témoignage que lui rend Brougham dans une de ses belles études sur les hommes d’état de son temps. « Il serait malaisé, dit-il, d’évaluer l’immense effet que produisit cette discussion de M. Williams et sur la chambre des lords et sur la nation tout entière. » Mlle Demont et Teodoro Majocchi, c’étaient les deux engins de guerre sur lesquels l’accusation comptait le plus. Ces deux maîtresses pièces mises hors de combat, les autres furent aisément balayées. Voyez comparaître et les Sacchi, et les Tastelli, et les Guggiari, et ce Pietro Cucchi dont l’orateur a trouvé le portrait parmi les damnés d’Alighieri ; que reste-t-il de leurs dépositions après que Brougham les a fait passer au crible de sa dialectique ?

Dans cette lutte, qui se prolongea du 17 août au 5 septembre 1820, soit que le principe du bill fût attaqué par Brougham, soit que les témoins fussent attaqués à fond, il y eut de part et d’autre une ardeur acharnée, et en mainte occasion des merveilles d’éloquence. Le procureur-général du roi, M. Gifford, n’avait pas, il est vrai, la forte éducation littéraire qui assurait la supériorité de Brougham ; bien que le sentiment de cette faiblesse le rendît parfois timide, c’était un légiste délié, retors, et à ce titre singulièrement redoutable. Quant à l’avocat-général[9], M. Copley, il avait complété son savoir judiciaire par des études de toute sorte, il avait voyagé, il connaissait le monde, il était en outre hardi et batailleur[10] ; on le vit en plus d’une séance soutenir l’accusation avec tant de force qu’il semblait que la reine ne s’en relèverait pas. Entre de pareils adversaires, le combat donnait lieu aux plus dramatiques incidens. L’imposant aspect de la chambre des lords, et au dehors du palais ces auditoires immenses, l’Angleterre si directement intéressée, si violemment passionnée, l’Europe entière curieuse, attentive, émue, stupéfaite, tout enfin concourait à enflammer l’ardeur des combattans. Sous les formes graves de la parole anglaise, on sentait les fureurs d’un duel à mort ; point de trêve, point de merci. Un coup avait frappé la reine, la riposte allait frapper le roi. Le grand art de Brougham était de mettre George IV en cause sans qu’on pût lui retirer la parole, de dire tout ce qu’il voulait dire sans donner prise au lord-chancelier. Allusions, insinuations, toutes les ruses du langage lui étaient bonnes pour attirer le roi devant les juges et lui demander des comptes au nom de la reine. À bon entendeur, salut ! En Angleterre et dans toute l’Europe il y avait de fines oreilles auxquelles suffisait un demi-mot. Ce qu’il n’était pas libre d’exprimer clairement, il le suggérait tout bas aux esprits attentifs. Sous la plaidoirie publique on lisait entre les lignes la plaidoirie secrète. Un jour qu’il s’était efforcé de réduire l’affaire à un procès de divorce, le procureur-général déclara au nom du gouvernement que son adversaire essaierait en vain de dénaturer la cause : il ne s’agissait pas des plaintes d’un mari contre sa femme, il s’agissait de l’état, de l’honneur et du salut de l’état. Brougham va-t-il renoncer à mettre le roi en cause ? Pas le moins du monde. Seulement il redoublera d’adresse, et le sarcasme à demi caché n’en sera que plus cruel. Au moment même où il a l’air de se rendre aux observations du procureur-général, il lui adresse une question terriblement embarrassante. « D’après l’assertion de mon savant ami, dit-il, je suis obligé de croire que le gouvernement n’a pas proposé ce bill pour complaire aux désirs personnels du roi, et que sa majesté, regardant tout ceci avec indifférence, demande seulement que la justice suive son cours. Mais alors quel est donc le poursuivant ? quel est donc cet être mystérieux ? » Et tout à coup, armé d’une citation de Milton, il la lance avec tant d’adresse que la flèche d’or, sifflant par-dessus les ministres, s’en va frapper la couronne même :

De quel nom le nommer, cet être ? Il est sans corps,
Sans appareil vivant, sans forme, sans figure ;
Il n’a rien d’arrêté, ni membre, ni jointure.
Nulle substance enfin. C’est un fantôme alors.
Il porte, spectre vain qu’un nuage environne,
Sur son semblant de tête un semblant de couronne.

Si Brougham a voulu découronner un instant l’odieux George IV, aucun trait ne pouvait porter plus juste. L’effet de la citation fut immense. Ce semblant de couronne sur ce semblant de tête[11] rappelait à tous le danger que la conduite du roi faisait courir, non pas à la royauté elle-même, mais à la dynastie de Hanovre. Les courtisans du roi étaient irrités ; quelques-uns des lords, en sortant de la séance, reprochaient au lord-chancelier de ne pas avoir retiré la parole à l’audacieux. D’autres prononçaient le mot de lèse-majesté ; la chambre, à les entendre, aurait dû l’envoyer à la Tour de Londres. « Il est vrai, dit ingénument lord Campbell, que cette mesure n’aurait servi qu’à le rendre plus populaire. »

Au reste, les deux adversaires du grand avocat, M. Gifford et M. Copley, étaient en mesure de lui causer à leur tour les plus graves embarras. La procédure d’un bill of attainder leur assurait des avantages dont ils profitaient sans scrupules. Ainsi le 9 septembre l’avocat-général du roi, M. Copley, ayant prononcé un réquisitoire qui avait produit une impression profonde, Brougham aurait désiré répondre immédiatement, sans perdre le droit de faire comparaître les témoins de la reine ; or les règles de cette procédure exceptionnelle, qui ne permettaient pas de disjoindre les deux choses (l’appel des témoins à décharge et le discours de la défense), ne permettaient pas non plus que l’appel des témoins à décharge eût lieu avant le réquisitoire. Brougham, effrayé de l’effet produit par l’attaque véhémente de M. Copley, demanda la permission de répondre sur-le-champ, tout en réservant de convoquer plus tard les témoins de la reine et de faire valoir leur témoignage. En d’autres termes, il voulait diviser sa défense en deux parties : l’une qu’il ferait séance tenante, l’autre qu’il ajournerait à quelques semaines. Le lord-chancelier s’y refusa ; Brougham était libre de répondre s’il le voulait, mais il ne pourrait plus appeler de nouveaux témoins et donner une suite à sa défense. À quoi se résoudre ? D’une part, laisser la chambre des lords sous le coup du discours qu’elle vient d’entendre, c’est bien dur pour le vaillant lutteur ; de l’autre, renoncer au droit de faire attester l’honneur de la reine par des voix respectables, se résigner à ne pas confondre une dernière fois cette canaille italienne en lui opposant des personnes de noble vie, n’est-ce pas donner prise à des soupçons fâcheux ? N’aura-t-il pas l’air de douter lui-même de ces témoignages qu’il invoque ? Les récits du temps nous apprennent que Brougham, obligé de prendre son parti, fut en proie à de véritables angoisses. Il lui parut enfin qu’il ne devait pas renoncer à des témoignages dont sa royale cliente avait lieu de s’honorer. Il se résigna, puisque c’était la loi de cette procédure barbare, à ne pas détruire immédiatement le réquisitoire de Copley. Interrogé sur la date où toutes les formalités pourraient être remplies, il répondit que sa défense commencerait le 3 octobre.


IV

Le 3 octobre arrive, ce sera le grand jour de Brougham. La chambre des lords est pleine ; il y a foule au dehors comme au dedans. À l’heure dite, la séance est ouverte. Comme aux séances précédentes, c’est lord Eldon qui est assis sur le sac de laine. Il donne la parole au procureur-général de la reine. Brougham se lève et s’exprime en ces termes :

« Plaise à vos seigneuries ! L’heure est venue où je sens que j’ai vraiment besoin de toute votre indulgence. Ce n’est pas seulement la présence de cette auguste assemblée qui m’embarrasse, j’ai déjà fait plusieurs fois l’épreuve de sa bienveillance ; ce n’est pas la nouveauté de cette procédure qui me trouble, car l’esprit se réconcilie peu à peu avec les choses les plus étranges ; enfin ce n’est pas la grandeur de cette cause qui m’accable, car je suis porté, je suis soutenu par la conviction de sa justice, conviction que je partage avec tout le genre humain ; mais c’est précisément, mylords, la force de cette conviction, la certitude que j’ai qu’elle est universelle, le sentiment que j’ai qu’elle est juste, c’est tout cela qui me fait craindre de ne pas la traiter comme il convient, et de lui faire tort pour la première fois. Tandis que d’autres peuvent trembler pour un client coupable, éprouver des inquiétudes dans une affaire douteuse, se sentir paralysés par la conscience d’une faiblesse cachée, être glacés par les influences du dehors ou terrifiés par l’hostilité de l’opinion publique, moi, sachant bien qu’il n’y a point de crime à déguiser ici, sachant bien qu’il n’y a rien à craindre ici, rien, excepté les inventions du parjure, l’appréhension qui m’obsède, c’est l’idée qu’en m’acquittant faiblement de mon devoir je puis exposer cette cause à paraître douteuse pour la première fois, et m’exposer moi-même à être condamné, mylords, par ces millions de vos compatriotes dont les yeux jaloux nous surveillent, car bien certainement ils s’en prendraient à moi, s’il vous arrivait de casser le jugement que l’évidence de la cause leur a fait prononcer. Cette pensée accablante me trouble à un tel point que, même après le répit de plusieurs semaines dont je suis redevable à l’indulgence de vos seigneuries, je puis à peine rassembler mes esprits pour m’acquitter de mon devoir professionnel, sous le poids de la grave responsabilité qui l’accompagne. »


Après cet exorde, d’une ampleur trop cicéronienne, mais qui faisait apparaître au-dessus du premier tribunal de l’Angleterre le tribunal supérieur de l’opinion, Brougham entre vigoureusement en matière. En quelques mots, il rappelle l’arrivée de Caroline de Brunswick sur le sol de l’Angleterre, il montre la nièce du roi George III venant d’une cour d’Allemagne pour épouser son cousin le prince de Galles ; va-t-il donc raconter tout ce qui a suivi ? Bien des auditeurs frémissent d’avance. Les chefs des tories étaient alors les amis de la princesse et les adversaires du prince. Celui-là même qui préside aujourd’hui la séance, lord Eldon, ne l’a-t-il pas défendue en 1806 contre les violences de son mari ? Brougham a beau jeu s’il veut parler ; non, il s’arrête, il se retire, mais la façon dont il opère sa retraite est plus terrible qu’un assaut. L’intérêt de sa cause, il le déclare, ne lui impose pas l’obligation de remuer ces souvenirs. S’il avait à le faire, il le ferait. On sait déjà ce qu’il pense sur ce point, il le répète avec force : le devoir, le devoir impérieux de l’avocat est de dire tout ce qui peut sauver son client. Aucune considération extérieure ne le doit retenir. Dussent ses paroles être accablantes pour un autre, dussent-elles le faire frissonner d’épouvante, le torturer, le supplicier, le détruire, il est tenu en conscience d’aller jusqu’au bout ; Bien plus, si ses devoirs de patriote ne sont pas d’accord avec ses devoirs d’avocat, il les jettera au vent, alors même qu’il devrait précipiter son pays dans la confusion. Voilà les devoirs de l’avocat ; heureusement, dans l’affaire dont il s’agit, l’intérêt de la défense ne le réduit pas à ces extrémités. S’il employait de tels moyens, on croirait qu’il cherche à excuser les crimes de sa cliente ; or il ne plaide pas excusable, il plaide non coupable. L’accusation a dit que la défense elle-même avait été obligée de reconnaître plusieurs des faits criminels imputés à la reine ; c’est faux, c’est effrontément et scandaleusement faux. La défense n’admet rien, ne concède rien, la défense prouvera que toutes ces imputations sont calomnieuses.

Épargner ainsi George IV, c’était lui imprimer une flétrissure publique. Quant à la reine, s’il y avait de la fierté à se priver ainsi d’une partie de ses armes, cette fierté n’était-elle pas bien téméraire ? Brougham avait-il raison de soutenir si résolument qu’il n’avait rien à concéder ? Il sent qu’il va trop loin, et tout à coup, reprenant ses dernières paroles, il concède les fautes de tenue dont on ne saurait absoudre sa cliente, mais il les concède de façon que les lords eux-mêmes en partagent la responsabilité. Oui sans doute, la reine a eu tort de quitter l’Angleterre, d’aller s’établir en Italie, de s’y faire une société au-dessous de son rang, mais ce n’est pas aux lords de le lui reprocher.


« Que d’autres l’accusent d’avoir déserté son pays, que d’autres forgent des histoires sur les conséquences de son séjour parmi les Italiens, qu’ils regrettent de ne pas l’avoir vue demeurer dans la compagnie des nobles dames de sa patrie d’adoption, ce ne sont pas vos seigneuries qui ont le droit de tenir ce langage. Ce n’est pas vous, mylords, qui pouvez jeter cette pierre à sa majesté. Vous êtes les dernières personnes du monde, — oui, vous qui aujourd’hui prenez la liberté de la juger, vous êtes les dernières personnes du monde à qui il appartienne de proférer cette accusation, car vous êtes les témoins qu’elle est obligée d’invoquer pour s’en défendre. Vous êtes les dernières personnes du monde qui puissent l’accuser, car vous n’êtes pas seulement les témoins de son innocence, vous êtes les instigateurs de la seule faute que nous ayons à reconnaître dans sa conduite. Pendant qu’elle habitait l’Angleterre, elle ouvrait gracieusement les portes de son palais aux familles de vos seigneuries. Gracieusement elle daignait mêler sa vie, et de la façon la plus familière, à la vie de ces vertueuses et illustres personnes. Elle daignait rechercher votre société, et aussi longtemps que cela put convenir à certains projets (non pas des projets qui vinssent d’elle), — aussi longtemps que cela put aider à de certaines vues (non pas à des vues qui lui fussent propres), — aussi longtemps que cela put servir certains intérêts (non pas des intérêts où elle eût rien à voir), elle ne rechercha point votre société en vain ; mais quand la situation changea, quand il fallut retenir ce pouvoir qu’on avait saisi en se servant d’elle comme d’un instrument, quand les affamés de pouvoir et de places voulurent prolonger leur jouissance, cette jouissance à laquelle, pour condition première, la princesse dut être sacrifiée en victime, alors les portes de son palais, toujours accessibles, le furent inutilement, alors la société des pairesses d’Angleterre se retira d’elle, alors elle fut réduite à cette alternative, très humiliante en vérité, — ou bien de reconnaître que vous l’abandonniez, et de chercher parmi vous ceux qui, en continuant de la voir, lui feraient une faveur accordée de mauvaise grâce, — ou bien de quitter ce pays et de chercher au loin une compagnie inférieure à la vôtre. »


Est-il besoin de faire remarquer avec quelle précision ces traits sanglans atteignaient en plein visage lord Eldon, lord Liverpool, lord Castlereagh, tous les chefs du gouvernement tory ?

Les torts de la reine une fois expliqués de la sorte et placés hors de cause, l’orateur arrive au fond même de l’accusation. Il ne s’agit plus de l’observation des convenances, il s’agit de l’adultère de Caroline de Brunswick, princesse de Galles, femme du prince-régent d’Angleterre, accusée d’avoir pris pour amant un postillon italien. Qui dit cela ? Un autre postillon de la reine et l’une de ses femmes de chambre. Écoutons, dit Brougham, et jugeons. Ce que racontent ces gens-là offre d’étranges caractères. Quelle violence de haine et quelle richesse de détails ! Ce n’est point le ton de la vérité. Si la reine a fait ce dont on l’accuse à Naples, elle a dû chercher l’ombre, comme Tibère à Caprée. Quoi ! c’est au grand jour qu’elle étale sa honte ! c’est à la face du monde qu’elle mène la vie d’une prostituée ! Et personne n’en sait rien ! et ces infamies ne sont révélées que bien des années plus tard à la commission de Milan ! Et les personnes les plus respectables, lady Charlotte Lindsay, lord et lady Glenbervie, Mme Falconet, d’autres encore continuent à la voir avec les marques du plus profond respect ! — Brougham prend alors l’un après l’autre tous ces témoignages, il en montre les non-sens, les contradictions, les mensonges, les effronteries abominables. Parmi ceux qui ont déposé, il y a des hommes d’imagination vive ou de crédulité sotte, il y a ceux qui sont vains et légers, il y a les ignorans et les stupides. D’où vient que la commission de Milan leur a fait à tous le même accueil et qu’elle a écarté les bons, les sages, les véridiques, ceux qui ne disent rien sans peser leurs paroles ? Sunt in illo numero multi boni, docti, prudentes, qui ad hoc judicium deducti non sunt : multi impudentes, illiterati, leves, quos, variis de causis, vides concitalos. Brougham aime beaucoup ces souvenirs du barreau antique, et sa mémoire en est si richement pourvue qu’il trouve toujours à point la citation la plus appropriée. Ne pensez-vous pas que la suite s’adapte merveilleusement à ce qu’il veut dire ? Il a prouvé que toutes ces dépositions ont été acquises à beaux deniers comptant, c’est l’orateur latin qu’il charge de caractériser cette race d’hommes pour qui le serment est une comédie et le témoignage un jeu : quibus jusjurandum jocus est ; testimonium ludus ; existimatio vestra tenebrœ ; laus, merces, gratin, gratulatio proposita est omnis in impudenti mendacio.

Sur ce sujet, Brougham est inépuisable. Il sait bien que toute la cause est là, et que, s’il veut sauver la reine, il est obligé de détruire, comme il dit, les agens de la commission de Milan. Il l’a flétrie, cette commission ténébreuse, il l’a comparée, pièces en main, à la justice secrète de Henri VIII préparant par ordre la ruine de Catherine Howard ; maintenant voici le tour des témoins. Le contre-interrogaioire dont nous parlions tout à l’heure n’a été qu’une préparation et un prélude. Il faut le suivre quand il reprend une à une toutes les histoires contées par Majocchi et Mlle Demont, par Sacchi et Paturzo. Quelle vigueur et quelle verve ! On reconnaît un orateur nourri des modèles antiques, mais qui se souvient aussi des mémoires de Beaumarchais. Tout à l’heure il était impétueux, serré, pressant, à la façon de Démosthène, abondant et harmonieux comme Cicéron ; écoutez à présent, c’est le sarcasme de Figaro. Il a des traits sanglans, des mots à l’emporte-pièce. Voici une jeune Suissesse, autrefois servante chez la princesse de Galles, qui, attirée dans les filets de la commission de Milan, a déclaré que la maison de sa maîtresse était un mauvais lieu. Le fait est grave. L’accusation ne l’oublie pas, et des termes ignobles sont prononcés. Seulement l’accusation a négligé de dire que l’honnête servante avait placé une de ses sœurs dans ce mauvais lieu et qu’au temps même où elle tenait ce langage, elle était en instance pour en placer une autre. Il y a un mensonge ici, mensonge en action ou mensonge en paroles. Quand donc a-t-elle menti ? Quand donc a-t-elle dit vrai ? Le doute est impossible ; c’est sa conduite qui donne un démenti à son langage, sans quoi elle serait la dernière des créatures. Infâme, si elle a calomnié la reine pour gagner l’argent du roi, plus infâme encore, si elle a jeté ses propres sœurs dans le bourbier dont elle parle, telle est l’alternative. Dans l’un et l’autre cas, que vaut son témoignage ?

Ce qu’a fait cette malheureuse, tous les autres l’ont fait de même : ils mentent. Ils mentent pour de l’argent, ils mentent pour jouer le rôle qu’on leur a enseigné ; troupe de comédiens aux gages de la haine. C’est précisément cette hideuse conspiration qui fournit à Brougham ses argumens les plus forts. Si l’on ne voyait pas à travers tous ces masques la figure détestée de George IV, on penserait davantage aux imprudences et aux folies de la reine. Heureusement pour elle, la fureur atroce qui la poursuit depuis vingt-cinq ans ne permet pas à son égard une impartialité absolue. Devant ces accusations abominables, on oublie les reproches mérités. Quoi ! les agens de George IV prétendent en faire une Messaline ! Quoi ! ils lui imputent des crimes contre nature ! Quoi ! ces turpitudes, dont les jacobins ont voulu souiller l’auguste figure de Marie-Antoinette, c’est le roi qui essaie d’en salir la reine ! représentez-vous l’effet de ces véhémentes paroles adressées par un orateur whig à une assemblée anglaise. Du haut en bas de la société britannique, il n’y a qu’un sentiment d’horreur contre le jacobinisme, et quels sont ici les hommes qui rappellent les violences de 93 ? Où sont les jacobins qui dégradent à plaisir la majesté royale ? Sur le trône, autour du trône. L’opinion publique indignée prêtait ici à Brougham une assistance victorieuse. Les fautes de la reine disparaissaient à tous les yeux quand on la voyait ainsi traînée dans la fange. Cependant la chambre des lords ne juge pas comme l’opinion ; il peut rester encore bien des doutes ; ne résulte-t-il pas de la discussion même de Brougham que la reine s’est compromise par des accointances indignes ? C’est alors que Brougham, en terminant, évoque la vie passée de la princesse de Galles.


« Si la reine avait fréquenté des compagnies au-dessous de son rang, si elle avait abaissé sa dignité, si elle s’était laissé entraîner à des actes qui, sans être coupables, pourraient être blâmés comme inconvenans, comme incompatibles avec sa haute situation, si l’on avait prouvé enfin qu’elle est coupable de quelque indignité de ce genre, des raisons impérieuses m’auraient fait garder le silence sur ce point. Il n’en est rien, je n’ai aucun motif de me taire. Je dis : il n’y a ici aucun crime, il n’y a aucune légèreté, il n’y a aucune indignité. Supposez pourtant qu’il y en ait eu, supposez qu’en mettant ses accusateurs au défi de prouver les crimes qu’on lui impute, j’eusse admis chez elle des légèretés et même des choses contraires au décorum, je n’en aurais pas moins fait appel à ce qui est toujours la sauvegarde de la vertu en péril, j’en aurais appelé à sa vie passée, quand elle demeurait dans ce pays, au milieu de ses relations personnelles, quand elle n’avait pas encore été obligée de s’expatrier, quand elle avait encore des protections parmi nous, quand elle avait encore la plus puissante de toutes les protections, celle de feu notre vénéré monarque. J’ai entre les mains un témoignage qu’on ne saurait lire, qu’on ne saurait apprécier, j’en suis sûr, sans un profond sentiment de son importance, surtout sans une profonde impression de tristesse, si, nous rappelant le règne qui vient de finir, nous le comparons à la situation présente. C’est une preuve mélancolique, — d’autant plus mélancolique, hélas ! que celui qui nous la fournit nous a quittés plus récemment, — c’est une preuve, dis-je, que cet illustre souverain avait les yeux sur la princesse, qu’il la connaissait mieux que ne la connaissaient tous les autres, qu’il l’aimait mieux que ne l’aimaient tous les autres membres de la famille royale, y compris ceux-là même à l’affection desquels elle avait le plus de droits, enfin qu’il la préférait à ses propres enfans. Il y a dans cette lettre une telle droiture, une telle honnêteté, un sens si ferme et si viril que je ne puis résister, au désir de la lire. »


Brougham lit alors une lettre que George III écrivait à sa belle-fille le 13 novembre 1804, lettre aussi honorable pour la princesse de Galles que fâcheuse pour le prince. On savait déjà que, dans la querelle du prince et de sa femme, le roi avait pris parti pour sa belle-fille contre son fils ; la lettre de George III rend la chose plus présente en nous introduisant dans l’intérieur de la famille royale. « Hier, écrit-il, moi et les autres membres de ma famille nous avons eu une entrevue avec le prince de Galles au château de Kew. On a eu soin de tous côtés d’éviter tous les sujets d’altercation ou d’explication, aussi la conversation n’a-t-elle été ni instructive ni intéressante ; mais elle laisse le prince de Galles en situation de montrer si son désir de revenir à sa famille est une parole vaine ou une réalité, » only verbal or real. Brougham, interrompant ici sa lecture, fait remarquer que George III n’a jamais connu cette distinction pour lui-même ; c’est seulement en parlant des autres que le vieux souverain si honnête, si droit, si simple, a pu distinguer le langage et les sentimens que le langage exprime, ce qui est dans le cœur et ce qui n’est que sur les lèvres. Dans la. dernière partie de sa lettre, le bon vieux roi se plaint de son peu d’adresse à terminer ces pénibles affaires. Il parle de la chère enfant (la princesse Charlotte âgée alors de huit ans), il constate les droits maternels de la princesse de Galles, et dit combien il serait heureux de trouver un arrangement qui lui permît de vivre encore plus dans sa compagnie. C’est ce sentiment qui l’empêche de se décourager de la poursuite des moyens, si difficile que soit la tâche. La lettre finit par ces mots : « croyez-moi en tout temps, ma très chère belle-fille et nièce, votre très affectionné beau-père et oncle. George, roi. »

Un curieux pendant à cette lettre de George III, c’est le billet que son illustre successeur, comme dit gravement Brougham, avait écrit à la princesse de Galles un an après son mariage pour lui signifier qu’ils vivraient dorénavant chacun de son côté. Brougham hésite à en donner lecture, tant la chose est connue. Cependant il ne serait pas inutile de la placer auprès de la lettre du roi, cette lettre qui n’est pas écrite assurément dans le même ton, qui n’exprime pas les mêmes sentimens affectueux, mais qui n’indique aucun manque de confiance, qui ne révèle du moins aucun désir de soumettre la conduite de la reine à une scandaleuse inquisition. L’auteur de la lettre donne à la princesse de Galles la permission de vivre à part, il désire ne plus la rencontrer jamais, il affirme que cette séparation absolue est ce qu’il y a de plus souhaitable pour leur bonheur à tous deux ; après cela, devait-on s’attendre à voir la conduite de sa majesté scrutée avec l’impitoyable rigueur qu’amène nécessairement un bill de peines et de châtimens ? Ah ! certes il serait intéressant de la relire, cette lettre du prince de Galles, en face du bill odieux présenté par ses ministres. — Lisez ! lisez ! lui crient plusieurs voix. Il la lit, et la signification de ce document a été si bien indiquée par avance que l’orateur n’a plus besoin d’en donner le commentaire. C’est comme s’il disait de sa voix la plus vibrante : A supposer que la reine eût failli, vous n’auriez pas le droit de la poursuivre, vous, le roi, bien plus coupable qu’elle, qui l’avez induite à faillir. À supposer qu’elle eût compromis en Italie sa dignité souveraine, vous n’auriez pas le droit de la condamner, vous, lords d’Angleterre, qui avez repoussé la fille adoptive de George III et l’avez obligée à s’exiler du royaume.

La discussion est finie, l’orateur n’a plus qu’à se résumer. Comment a-t-il renversé l’accusation ? Il a prouvé que chacune des dépositions était entachée de mensonge. Des témoins convaincus d’avoir menti sur un point peuvent-ils être crus sur le reste, alors même qu’ils s’accordent dans une partie de leurs narrations ? Non, cet accord même n’est qu’un mensonge de plus, il prouve qu’il y a un complot. L’histoire en a vu de ces complots infâmes soutenus avec art, avec autorité, avec toutes les apparences du vrai, et que la découverte d’une seule contradiction a démasqués subitement. Il cite alors, d’après le livre de Daniel, les deux juges Israélites à Babylone, calomniant la femme de Joachim. Leur complot semblait avoir réussi de tout point. « Ils avaient détourné les yeux, dit le récit biblique, pour ne point voir le ciel et ne se point souvenir des justes jugemens[12]. » Cependant tout à coup, dans ce réseau de mensonges si adroitement préparé, un fil éclate, une maille se rompt ; c’est bien peu de chose en apparence, c’est assez pour tout détruire. Brougham supplie les lords de se rappeler cette grande scène. « Je dis grande, parce qu’elle est poétiquement grande et juste, à part même la place qu’elle tient dans les livres inspirés. » Les deux infâmes vieillards ont tout combiné pour perdre Suzanne, la femme de Joachim. Suzanne est condamnée, on la conduit au supplice ; elle va mourir, quand Daniel, le jeune voyant, obtient la permission d’interroger séparément les deux accusateurs. Il leur demande sous quel arbre du jardin de Joachim a été commis le crime d’adultère. « Sous un tamaris, » dit l’un ; l’autre dit : « Sous un chêne. » Ainsi dans ce complot horrible, un seul point, un tout petit point de leur rôle a été oublié. Ce point, c’est l’arme que se réservait la Providence, « la Providence, ajoute Brougham, qui ne veut pas que l’iniquité triomphe et que l’innocence soit foulée aux pieds. »


« Telle est, mylords, la cause qui vous est soumise. Telles sont les preuves qui vous sont offertes à l’appui de ce bill, preuves insuffisantes pour établir une dette, impuissantes pour priver un citoyen de l’un de ses droits, scandaleuses si elles doivent soutenir la plus haute accusation que connaisse la loi, monstrueuses si elles prétendent ruiner l’honneur et flétrir le nom d’une reine d’Angleterre ! Comment donc les qualifier, ces preuves, s’il s’agit d’une législation judiciaire, d’une sentence parlementaire, d’une loi ex post facto, dirigée contre une femme sans défense ? Mylords, je vous supplie de réfléchir. Je vous engage sérieusement. à prendre garde. Vous êtes sur le bord d’un précipice ; faites attention ! Votre jugement ira loin, si vous condamnez la reine ; mais ce sera la première fois qu’un de vos jugemens, au lieu d’atteindre la personne qui en est l’objet, se retournera, rebondira en arrière pour frapper ceux qui l’auront prononcé. Sauvez le pays, mylords, de cette catastrophe ! Vous-mêmes sauvez-vous de ce péril ! Oui, préservez ce pays, dont vous êtes l’ornement, mais où vous ne pourrez continuer de fleurir, si vous vous séparez du peuple, pas plus que la fleur séparée de sa racine, pas plus que la branche séparée du tronc de l’arbre. Sauvez ce pays afin que vous puissiez l’embellir encore, sauvez la couronne en péril, sauvez l’aristocratie ébranlée ; sauvez l’autel menacé du même coup qui renverserait le trône. Vous avez décidé, mylords, vous avez voulu, l’église et le roi ont voulu que la reine fût privée du service solennel auquel elle a droit. Au lieu de ce service solennel, elle a aujourd’hui les prières qui s’élèvent du fond du cœur de son peuple. Je n’y joindrai pas les miennes, dont elle n’a pas besoin ; j’adresserai seulement mes humbles supplications au Dieu de miséricorde, pour qu’il ne mesure pas sa miséricorde envers ce peuple aux mérites de ceux qui le gouvernent et pour qu’il incline vos cœurs à la justice. »

Brougham, en prononçant ces derniers mots, se souvint d’une attitude particulière aux prédicateurs de son pays. Quand les ministres écossais, à la fin d’un service, bénissent l’assemblée des fidèles, ils élèvent leurs mains au-dessus de leur tête et les tiennent immobiles jusqu’à ce que leur voix ait cessé de se faire entendre[13]. Tel, le grand avocat, dans une inspiration sublime, appelait du fond des deux et faisait descendre sur les juges l’esprit de miséricorde.

L’effet de ce discours fut immense. Si la cause personnelle de la reine n’était pas absolument gagnée, la cause du bill était perdue. On entendit pourtant d’autres orateurs encore ; les assesseurs de Brougham, M. Williams, M. Denman, le docteur Lushington, parlèrent avec talent, des témoins favorables à la reine furent entendus, de nouvelles discussions s’engagèrent ; mais au milieu de ces formalités insipides la grande scène oratoire du 4 octobre était présente à tous les souvenirs. La vibrante parole de Brougham remplissait toujours l’enceinte. Enfin le 10 novembre, quand le vote décisif eut lieu, il n’y eut qu’une majorité de 9 suffrages pour ordonner la troisième lecture du bill. Dans le débat précédent au sujet de la seconde lecture, la majorité avait été de 28 voix. Cette décroissance était un avertissement assez clair. Dût le ministère conserver à la dernière épreuve cette majorité insignifiante, pouvait-il porter à la chambre des communes un bill condamné d’avance ? Le résultat du scrutin étant connu, le premier ministre, lord Liverpool, déclara que l’affaire était ajournée à six mois. C’est la formule d’usage pour annoncer l’abandon d’un bill.


V

L’échec du ministère fournissait des armes terribles à l’opposition. Lord Grey s’en saisit sur-le-champ. Il se leva, et, dans un discours véhément, il dénonça la partialité, la servilité, la détestable incapacité des ministres. Ses paroles résonnaient comme un acte d’accusation. Il leur reprocha d’avoir tenu pendant plusieurs mois le royaume tout entier dans un état d’agitation fiévreuse, d’avoir provoqué les passions, trahi la cause de l’ordre, donné des prétextes aux plus dangereux ennemis de la paix publique. Si l’on parlait ainsi à la chambre des lords, il est facile de deviner ce qui se passait dans la ville. La nouvelle de l’ajournement du bill y fut le signal d’une explosion de joie tumultueuse. On n’avait pas vu pareille manifestation depuis la victoire de Waterloo. Tous les édifices de la cité étaient illuminés. La plus grande partie des rues de Londres présentait le même spectacle. Le port s’associait à ce triomphe, tous les navires à l’ancre semblaient fêter une solennité nationale ; sur les tillacs, sur les vergues, à la pointe des mâts, éclataient des feux et se balançaient des girandoles. Les voitures publiques étaient ornées de feuillages. Une foule ardente se portait chaque soir aux hôtels des ministres et aux bureaux : des journaux ministériels pour les forcer d’illuminer. Les constables et la troupe réussirent pourtant à maintenir un certain ordre au milieu de ce délire. Il y eut en somme peu de fenêtres brisées. Le jour, des scènes étranges ameutaient la populace. Les témoins de la commission de Milan, si vigoureusement flagellés par Brougham, furent brûlés en effigie au milieu des acclamations. Dans les hautes sphères de la société de Londres, des marques d’approbation bien plus graves encore accueillirent la défaite de George IV. Le prince Léopold, si réservé, si attentif à toutes ses démarches, car l’Angleterre, on l’a vu, avait constamment les yeux sur lui, s’empressa d’aller rendre visite à sa belle-mère. Un frère même du roi, le duc de Sussex, porta ses félicitations à la reine. Enfin, symptôme significatif dans ce monde des grandes affaires, il y eut le lendemain même de l’ajournement du bill une hausse considérable des fonds publics. Les mêmes transports éclatèrent d’un bout du royaume à l’autre. D’Angleterre, du pays de Galles, d’Ecosse, d’Irlande, des adresses arrivaient par milliers à la reine Caroline. On pense bien que Brougham eut sa large part dans ces démonstrations de l’enthousiasme public. De tous les quartiers de la ville et de tous les points du royaume, des corporations ouvrières lui envoyaient leurs diplômes enfermés dans des boîtes d’or. Il reçut un jour une magnifique paire de candélabres ; c’était le produit d’une souscription à un penny ouverte par des paysans et des mécaniciens. On vendait son buste dans les rues avec celui de la reine. Enfin, c’est un détail qui nous est signalé par lord Campbell, ces mots, à la tête de Brougham, devinrent une enseigne pour les débits de bière[14]. « Une chose de plus grande importance, ajoute lord Campbell avec une pointe d’ironie, c’est que sa clientèle doubla immédiatement. Dès qu’il paraissait devant un tribunal, à Londres ou ailleurs, les avocats s’empressaient autour de lui. Dans une de ses tournées, aux assises d’York, de Durham, de Newcastle, de Carlisle, d’Appleby, de Lancastre, on arrivait de tous côtés pour voir et entendre l’illustre défenseur de la reine. Partout enfin la cour civile et la cour de la couronne étaient pleines ou désertes, suivant qu’il avait à parler devant l’une ou devant l’autre[15]. »

Ainsi manifestations populaires, sympathies de la nation, témoignages venus de la cour elle-même, hommages de toute sorte rendus à son principal défenseur, rien ne manquait au triomphe de la reine Caroline. Elle voulut donner à cette victoire une consécration solennelle. Le 20 novembre, quand l’effervescence publique fut calmée, elle alla faire ses dévotions à l’église cathédrale de Saint-Paul et rendre grâce à Dieu de l’issue du procès. On sait que l’église Saint-Paul est située dans le quartier qui est le cœur même de Londres. Tout avait été préparé pour l’arrivée de la royale visiteuse ; le lord-maire et tous les membres du conseil municipal la reçurent à cheval au seuil de la Cité.

Transportez-vous maintenant huit mois plus tard, et lisez la lettre que le lord-chancelier écrit à sa fille, lady F.-J. Bankes, le lendemain du couronnement de George IV. C’est le 20 juillet 1821. Cette lettre a été publiée par lord Campbell dans sa Vie de lord Eldon ; on y trouve ces mots : « tout est fini, tout est sauvé, tout s’est passé émerveille. La journée d’hier a dû apprendre à la reine combien la faveur populaire est inconstante. » Qu’est-ce à dire ? et de quoi s’agit-il ? Depuis les jours où les rues de Londres retentissaient d’acclamations, où les fenêtres s’illuminaient, où les mâts des vaisseaux, comme des rangées de phares, s’éclairaient dans la brume, depuis l’heure où le lord-maire, avec une escorte de gentlemen, tous à cheval et en grande tenue, attendaient la reine aux environs de Temple-Bar, qu’est-ce donc qui s’est passé ?

C’est le couronnement du roi qui a renouvelé la lutte. La cérémonie, retardée par le scandale du procès, avait été fixée au 19 juillet 1821. Le 20 juin, le ministère est interpellé à ce sujet : la reine sera-t-elle couronnée ? Le ministère répond sans hésiter que la reine en a fait la demande, mais que cette demande ne peut être admise. Le droit d’être couronnée officiellement par l’église n’appartient pas à l’épouse du souverain. Ce n’est pas là une des prérogatives de son rang, c’est simplement une faveur que le souverain peut accorder ou refuser ; or, dans le cas en question, le ministère n’est pas d’avis que la reine participe à la cérémonie du couronnement. Là-dessus une discussion s’engage entre Liverpool et M. Brougham, discussion des plus vives qui se poursuit devant le conseil privé, auquel vient de s’adresser la reine. Ses avocats y sont admis à faire valoir sa requête, ils plaident devant ce nouveau tribunal, ils développent les motifs du droit et les raisons politiques ; à défaut de textes précis inscrits dans la législation, ils interprètent l’histoire, ils invoquent la coutume, ils sont ingénieux, habiles, pressans, mais comment réussiraient-ils à écarter une décision arrêtée d’avance ? C’est en vain que pendant trois jours ils déploient toutes les ressources de la parole et de la dialectique, le conseil privé repousse à une majorité considérable la réclamation de la reine.

La reine proteste solennellement contre la décision du conseil privé (17 juillet) ; en même temps elle adresse une lettre à lord Sidmouth, ministre de l’intérieur, et, lui annonçant son intention d’assister au couronnement du roi, elle le prie de lui faire assigner une place convenable. Elle écrit ensuite à l’archevêque de Cantorbéry, et lui exprime son désir d’être couronnée non pas dans la cérémonie où sera couronné le roi, puisque le conseil privé a cru devoir le lui refuser, mais séparément, quelques jours après, afin que les dispositions prises pour la première solennité puissent servir à la seconde ; on évitera ainsi de nouvelles dépenses. M lord Sidmouth ni l’archevêque ne répondirent à ces missives ; le roi fit écrire directement à la reine que sa volonté formelle était qu’elle n’assistât point au couronnement et qu’elle ne fût point couronnée.

Voici le jour fixé pour le couronnement de George IV. C’est le 19 juillet 1821. La reine est décidée à lutter jusqu’au bout. Cette place qu’on lui dénie, elle essaiera de la prendre. Elle avait fait prévenir les autorités ecclésiastiques qu’elle arriverait dès huit heures du matin à l’abbaye de Westminster. Se ravisant ensuite, afin de pénétrer par surprise, elle se mit en route entre six et sept heures. Une foule immense occupait déjà toutes les avenues. Hélas ! ce n’était plus le même peuple qui avait protesté si énergiquement contre les outrages du procès. L’abandon du bill avait paru à la longue une satisfaction suffisante. Les Anglais, gens pratiques, comprenaient enfin qu’il était peu raisonnable de s’attacher obstinément à une cause équivoque. Sans qu’il y eut plus d’estime pour le roi ni plus de sympathie pour ses ministres, le bon sens public se disait qu’on avait d’autres moyens de combattre leur politique. C’est au milieu de cette multitude, indifférente d’abord et bientôt hostile, que la reine parcourut une partie de la ville dans une voiture à six chevaux. Arrivée à l’abbaye de Westminster, elle trouva toutes les portes fermées. Les personnes de sa suite essayèrent en vain de les faire ouvrir. À toutes les instances, à toutes les sommations, les huissiers répondaient avec une gravité imperturbable que les ordres étaient formels et que nul ne pouvait entrer sans billet. Ce débat se prolongea une demi-heure au milieu d’un vacarme effroyable. On sait quel est le respect des Anglais pour le bâton du constable et les prescriptions de l’autorité. En essayant de violer la consigne des portes, la reine se mettait dans son tort. Jusque-là elle n’avait fait que se défendre ; c’est d’elle cette fois que venait l’agression. Des huées et des sifflets éclatèrent. On entendit bien quelques voix crier : Vive la reine ! la reine pour toujours ! mais ce n’était plus une clameur unanime comme aux jours du procès, il était trop évident que la sympathie publique s’était retirée. Caroline de Brunswick n’était plus soutenue que par une populace infime, le peuple de Londres l’abandonnait. Dans ce désordre, dans ce tumulte, parmi les protestations et les injures, un gentleman (lord Eldon affirme le fait) eut l’indignité de lui crier : Va retrouver Bergami ! C’est l’expression brutale du revirement d’opinion qui s’était déclaré peu à peu depuis l’abandon du bill. Quand la malheureuse remonta dans sa voiture, elle pleurait à chaudes larmes.

Comprenez-vous maintenant ce que voulait dire le vieux chef tory, lord Eldon, quand il écrivait à sa fille le 20 juillet 1821 : « Tout est fini, tout est sauvé ? » Après cette triste scène du matin, la journée s’était passée sans encombre. Le couronnement du roi avait eu lieu selon le cérémonial accoutumé. Même, sans parler des illuminations officielles, plusieurs des quartiers aristocratiques avaient éclairé çà et là leurs fenêtres, et il n’y eut en somme qu’un petit nombre de vitres cassées. Lord Eldon en prend assez gaîment son parti : « on a brisé, dit-il, les fenêtres de Castlereagh, de Montrose, de quelques autres encore, au moment où les illuminations se préparaient : » Puis il ajoute : « Nous avions une très belle illumination. John Bull nous a épargnés. Sa famille a même été fort polie à mon égard pendant que ma voiture se rendait à l’abbaye. L’affaire s’est terminée d’une façon que personne ne pouvait espérer. Le matin, chacun s’était rendu à la cérémonie sous une impression de crainte et d’angoisses. » En effet, quelques fenêtres brisées dans le West-End, qu’est-ce que cela quand on avait redouté une bataille dans les rues ? Tandis que plusieurs bandes facilement dissipées insultaient l’hôtel, de lord Castlereagh, la foule se portait aux feux d’artifice et aux spectacles gratis. Lord Eldon avait raison de résumer ainsi cette journée inquiétante : Tout est fini, tout est sauvé !

Pendant ce temps, la reine, accablée d’humiliations et de honte, était obligée de se dire à elle-même : tout est fini ! tout est perdu ! Elle essaya pourtant de se montrer encore au pays, tant il y avait d’énergie et de ténacité dans cette singulière nature. Le roi se disposait à faire un voyage en Irlande pour faire entrevoir un avenir meilleur à cette race opprimée ; la reine, dans l’espoir de ramener à elle les sympathies publiques, eut l’idée de partir pour l’Ecosse. L’Ecosse était la patrie de son éloquent avocat, l’Ecosse était fière d’Henry Brougham, c’était d’Ecosse que lui étaient venues les plus chaleureuses adresses ; elle espérait y prendre sa revanche de l’injurieux abandon du peuple de Londres. Le roi se mit en route le 31 juillet ; trois jours après, la reine, au milieu des apprêts de son départ, fut saisie d’une fièvre qui prit immédiatement le caractère le plus grave. Elle était tombée malade le 3 août ; le 7 elle expira.

On dirait que l’étrange créature a voulu montrer jusque dans la mort les deux traits principaux de son caractère, je ne sais quel besoin de braver l’opinion et une ardeur de lutte véritablement indomptable. Sauf quelques legs aux personnes de sa maison, elle laissait par son testament tous ses biens présens. et tous ceux qui devaient lui revenir de sa mère, la duchesse de Brunswick, à un jeune homme nommé William Austin. C’était précisément ce même enfant qui, élevé dans sa villa de Blackheath, avait excité contre elle en 1806 les premiers soupçons d’inconduite. Bien que l’enquête dirigée alors par les plus grands personnages du royaume eût écarté toute accusation d’adultère, il en était résulté cependant une impression fâcheuse et pour les juges et pour le public ; en instituant son légataire universel l’enfant dont la présence mystérieuse avait causé un tel scandale, la reine prenait plaisir à montrer à la face du monde son mépris de l’opinion. Elle montrait aussi son implacable haine lorsque, décidée à poursuivre du fond du cercueil l’odieux persécuteur, elle écrivait ces mots dans son codicille : « Je veux que mon corps soit porté sans pompe à Brunswick et que l’on grave cette inscription sur mon tombeau : « à la mémoire de Caroline-Amélie-Elisabeth de Brunswick, reine outragée d’Angleterre. »

Cette mort soudaine, sans réveiller pour la reine les sympathies passées, souleva de nouveaux murmures contre le roi. Des bruits sinistres couraient par la ville. George IV, recevant la nouvelle en Irlande, n’avait pas dissimulé sa joie. On lui attribue cette parole odieuse : « C’est la plus grande délivrance que je puisse désirer. » La délivrance arrivait si fort à point que bien des gens le soupçonnèrent d’y avoir aidé. Telle était la confiance qu’inspirait George IV : la reine est morte, c’est le roi qui l’a tuée ! Effrayé de ces rumeurs croissantes, le ministère prit immédiatement des mesures. Il fallait prévenir une manifestation où la personne du souverain aurait subi de terribles atteintes. On décida que le cercueil de la reine serait enlevé le 14 de Brandenburg-house, dans un carrosse à huit chevaux, et que, sans traverser la cité, il serait dirigé sur Harwich, où une frégate le recevrait pour le transporter sur le continent. Vaines précautions ! quand le cortège, avec son escorte de dragons et de troupes de ligne, voulut prendre les rues qui lui permettaient d’éviter le centre de la ville, il les trouva barricadées par des charrettes. S’il se détournait à droite ou à gauche, il était arrêté à chaque pas par des troupes d’hommes à cheval qui lui disputaient le passage. Lentement, lentement, à force de rames, comme une barque trop chargée qui remonte la Tamise aux heures du reflux, le cortège avançait toujours, mais lorsqu’il avait écarté les bandes de cavaliers, il rencontrait des piétons entassés en masses profondes. De toutes parts éclataient des vociférations effroyables. Les soldats étaient insultés. Plus d’une fois il fallut repousser la force par la force. Parvenu aux limites occidentales de Westminster, le cortège allait prendre la rue qui longe au nord cette partie de la ville, quand les clameurs redoublèrent. Des pierres furent jetées aux dragons, qui firent feu ; plusieurs personnes furent tuées ou blessées. Un peu plus loin, dans un carrefour, la foule exaspérée, débouchant par quatre issues, se précipita sur les troupes avec une telle violence qu’elle les mit hors de combat. Le cortège, que ne protégeaient plus les soldats dispersés, fut entraîné dans la rue d’Oxford et de là dans le Strand. La populace était maîtresse. De rue en rue, les hérauts de l’émeute s’élançaient en criant : La reine arrive, la reine assassinée ! Les plus forcenés parlaient de conduire le corbillard devant le palais de Carlton-house, résidence habituelle du roi. Cependant, grâce à l’énergie pacifique des constables, le cortège put continuer sa route. On suivit le Strand jusqu’aux portes de la cité, où la présence du lord-maire à cheval établit un peu de calme. Conformément aux privilèges de la cité, ce magistrat interdit l’entrée aux troupes : il ne laissa pénétrer qu’une compagnie de dragons dont on avait remarqué la modération au milieu de ces provocations sauvages. Enfin, arrivé aux limites de la Cité après une marche et une lutte qui n’avaient pas duré moins de huit heures, le catafalque s’achemina paisiblement vers Colchester, où le corps fut déposé dans l’église pour y rester jusqu’au lendemain matin, sous la surveillance d’un détachement de la garde.

Vers le milieu de la nuit, les exécuteurs testamentaires de la reine, avec quelques personnes dévouées à sa mémoire, pénétrèrent secrètement dans l’église et firent clouer sur le cercueil une plaque portant ces mots, d’après les instructions du codicille : ci-git Caroline de Brunswick, reine outragée d’Angleterre. Quelques heures après, le ministère ayant été prévenu par la police, un officier du gouvernement se présenta, fit déclouer la plaque et y substitua une inscription qui mentionnait simplement son titre : Caroline de Brunswick, reine d’Angleterre. Le lendemain 15 août, le cortège se remit en marche au point du jour et atteignit Harwich, où une frégate l’attendait. Le cercueil y fut embarqué avec tous les honneurs militaires et le navire mit à la voile. Cinq jours après, le 20 août, il abordait à Stade, sur les côtes de Hanovre.

Telles furent les funérailles de la reine Caroline. C’est au milieu des clameurs, des violences, des coups de feu, que la malheureuse créature fut conduite à sa dernière demeure, tandis que son ennemi triomphant était salué comme un messie par les acclamations de la crédule Irlande. Il y eut pourtant une justice. L’idole menteuse devant laquelle les enfans de la verte Erin s’agenouillaient avec tant de candeur fut lapidée en ce moment-là même par de terribles mains, et l’exécution arrivait si à propos qu’elle semblait faite au nom de la reine outragée. Cette scène appartient au tableau des obsèques de la reine Caroline de Brunswick. Vous connaissez les strophes que lord Byron a intitulées l’Avatar irlandais ; voici le moment de les relire. Placée en regard des événemens que nous venons de raconter, l’invective du poète acquiert toute sa valeur :


« Avant que la fille de Brunswick soit refroidie dans sa tombe, pendant que ses cendres ballottées par les vagues voguent encore vers sa patrie, voyez ! George le triomphant s’avance sur les flots vers l’île bien-aimée qu’il chérit depuis longtemps, — comme son épouse.

« Il est vrai qu’ils ne sont plus, les grands hommes de cette ère si éclatante et si courte, arc-en-ciel de la liberté, trêve de quelques années dérobées à des siècles d’esclavage pendant lesquelles l’Irlande n’eut point à pleurer sa cause, trahie ou écrasée.

« Il est vrai que les chaînes du catholique résonnent sur ses haillons. Le château de Dublin est encore debout, mais le sénat a disparu, et la famine qui habitait ses montagnes asservies s’étend de proche en proche jusqu’à son rivage désolé, —

« Jusqu’à son rivage désolé où l’émigrant s’arrête un instant pour contempler encore son foyer natal avant de le quitter à jamais. Ses larmes tombent sur ses chaînes à peine détachées de ses mains, car cette prison d’où il s’échappe est le lieu de sa naissance.

« Mais il vient ! il vient, le messie de la royauté, pareil à un léviathan énorme que les vagues rouleraient vers la plage ! Recevez-le donc comme il convient de recevoir un tel hôte, avec une légion de cuisiniers et une armée d’esclaves.

« Il vient, dans la promesse et la fleur de ses soixante ans, jouer son rôle de souverain au milieu de la parade. — Mais vive le trèfle dont il s’est couvert ! Et puisse le vert qu’il porte à son chapeau passer au fond de son cœur !

« Ah ! puisse-t-il reverdir, ce cœur si longtemps flétri ! puisse en jaillir une somme d’affections nobles ! Alors, ô Erin, la liberté te pardonnerait de danser sous tes chaînes et de pousser ces cris d’esclaves qui attristent les cieux.

« Est-ce démence ou bassesse ? Fût-il Dieu lui-même, — au lieu d’être fait, comme il l’est, de la plus grossière argile, avec plus de souillures dans l’âme que de rides sur le front, — ton dévoûment servile le ferait fuir de dégoût.

« Oui, hurle à sa suite ! que tes orateurs se fouettent l’imagination pour trouver de quoi repaître son orgueil. — Ce n’est pas ainsi que sur la liberté implorée en vain éclatait l’âme indignée de ton Grattan !

« À jamais glorieux Grattan ! le meilleur parmi les bons ! Si simple de cœur, si sublime dans tout le reste ! Doué de tout ce qui manquait à Démosthène, son rival ou son vainqueur en tout ce qu’il possédait ! ..

« Servez, servez pour Vitellius le banquet royal jusqu’à ce que le despote glouton s’étouffe et que les hurlemens de ses courtisans ivres le proclament le quatrième des imbéciles et des oppresseurs du nom de George.

« Que les tables gémissent sous le poids des mets, qu’elles gémissent, Erin, comme a gémi ton peuple pendant des siècles de malheur ! Que le vin coule en ruisseaux autour du trône de ce vieux suppôt de Bacchus, comme ton sang, Erin, a coulé, comme il coulera encore ! »


L’invective continue longtemps de la sorte, terrible, implacable, contre le roi George IV et contre le peuple d’Irlande. Ce n’est pas le peuple d’Irlande qui nous occupe en ce moment ; nous n’avons pas à expliquer ses illusions confiantes si tôt remplacées par des accès de rage ; la seule chose qui nous intéresse en ce dramatique épisode, c’est la colère du poète contre George IV, écho de ces clameurs que nous venons d’entendre, écho douloureux et sinistre qui se prolonge à travers l’océan, tandis qu’une frégate emporte au champ du repos les cendres insultées de la fille de Brunswick.

Maintenant, cette fille de Brunswick, est-il nécessaire de la juger ? Après de telles accusations et de telles défenses, après ces mouvemens de l’opinion si passionnés en sens contraires, est-il besoin de prononcer le verdict de l’histoire ? Si le récit qu’on vient de lire a rendu fidèlement notre pensée, le jugement qui s’en dégage ne saurait présenter aucun doute. Il est évident tout d’abord que la sympathie accordée à la reine Caroline a été en toute circonstance, et particulièrement en 1820, une protestation contre les indignités de George IV[16]. De cette façon de voir les choses à un acquittement sans ; réserve, il y a loin. Lord Holland, dans ses Mémoires du parti whig, l’appelle « une femme étrange, une triste héroïne bien peu digne d’intérêt. » Il lui reconnaît des talens, un fonds de bonne humeur, le don de la plaisanterie, surtout beaucoup de caractère et de courage, mais il la montre « dépourvue de toute délicatesse féminine. » Il ajoute ces paroles doublement dures dans la bouche d’un chef des whigs : « Si la reine Caroline n’était pas folle, c’était une femme très méprisable. » Lord Eldon, le vieux tory, qui l’a poursuivie avec tant d’acharnement après avoir été un des familiers de sa petite cour, a confessé dans une heure d’épanchement, sauf à se condamner lui-même, qu’il ne la croyait point « saine d’esprit. » Lord Campbell, dans sa Vie de lord Brougham, rejette toutes les fautes de la reine sur la bizarrerie de son caractère, bizarrerie qui semble indiquer un trouble du cerveau ; selon lui, elle aimait à braver le qu’en dira-t-on, elle se plaisait aux situations équivoques pour faire nargue des convenances, une de ses joies était de scandaliser le monde par goût des mystifications. Enfin l’historien allemand Gervinus, celui de tous qui l’a jugée, avec le plus de faveur, dit que la reine Caroline, dans une période de réaction, a été victime d’un prince débauché, comme Marie-Antoinette, pendant la révolution, avait été victime d’un peuple en furie. Il est vrai que, pour justifier ce rapprochement inattendu, il aurait besoin de recourir à des procédés qui ne sont pas ceux de l’histoire. « Sa biographie, dit-il, élevée à une certaine hauteur poétique, formerait un des tableaux psychologiques les plus tragiques et les plus saisissans. » Malheureusement cette hauteur poétique n’apparaît qu’à l’heure de la lutte et dans les discours d’Henry Brougham ; partout ailleurs on la chercherait en vain. Gervinus lui-même nous rend impossible ce travail de transfiguration quand il nous représente la pauvre princesse si mal élevée à Brunswick, respirant l’atmosphère d’une cour licencieuse, d’une famille divisée, n’ayant sous les yeux que de mauvais exemples, quinteuse, fantasque, incohérente, « capable de se plaire à des folies, à des plaisanteries de bas étage, et de s’élever soudain à de surprenantes hauteurs de sympathie et de caractère. »


Voilà bien des jugemens sur la reine Caroline, et des jugemens qui renferment tous une part de vérité. Le plus vrai de tous, à mon avis, est celui que la princesse Charlotte, dans les épanchemens de son âme, exprimait un jour d’une façon si poignante, et que Stockmar nous a conservé mot pour mot : « Ma mère a mal vécu ; elle n’aurait pas vécu si mal, si mon père n’eût vécu bien plus mal encore. »


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier, la première partie de ces études, la Princesse Charlotte.
  2. Voyez Defence of queen Caroline dans l’ouvrage intitulé Speeches on social and political subjects, by Henry lord Brougham. Londres 1857, t. Ier p. 87.
  3. Ces lignes, que la malice de lord Brougham a si adroitement rassemblées, forment deux passages distincts dans le Brutus de Cicéron ; le premier s’applique à un certain Cépion, orateur sans étude, le second à un certain Arrius, avocat pour tout faire. Il a fallu, suivant lord Brougham, joindre la servilité d’Arrius à l’ignorance de Cépion pour exprimer la ressemblance complète de sir John Leach.
  4. Lord Eldon écrivait à sa fille quelques jours avant l’arrivée de la reine à Saint-Orner : « Notre reine menace de s’approcher de l’Angleterre. Si elle y entre, ce sera la plus courageuse lady dont j’aie jamais entendu parler. » Et peu de temps après, lorsque la reine était déjà en vue des côtes : « La ville ne s’occupe que de spéculer sur la question de savoir si la reine viendra ou ne viendra pas. De grands paris sont engagés… Pour moi, je garde mon ancienne opinion : elle ne viendra pas, à moins qu’elle n’ait perdu le sens. » Voyez Lives of the lord chancellors and Keepers of the great seal of England, by the late John lord Campbell. Londres 1869, t. VII, p. 359-360.
  5. Voyez Historical Sketches of statesmen who flourished in the time of George III, by Henry lord Brougham. Londres et Glasgow, 1856, t. II, p. 32.
  6. Tome VIII, p. 303.
  7. Lord Campbell, Life of lord Eldon, dans le septième volume des Lives of the lord chancellors, p. 364.
  8. Voyez lord Campbell, Lives of the lord chancellors, L. VIII, p. 311.
  9. Avocat-général ou procureur-général-adjoint ; le titre de solicitor general se traduit de ces deux manières.
  10. Bold and pugnacions, nous dit lord Campbell.
  11. What seems his head
    The likeness of a kingly crown has on.
    (Milton, the Paradise lost, book II, v. 60.)
  12. Daniel, chapitre XIII, verset 9 : « Declinaverunt oculos suos ut non vidèrent cœlum neque recordarentur judiciorum justorum. »
  13. Nous devons ces détails à lord Campbell. Brougham lui avait déclaré lui-même que les prédicateurs du clergé écossais avaient été ses maîtres dans l’art oratoire, his instructors in oratory. Il citait surtout le docteur Greenfield, qui lui avait enseigné certains procédés infaillibles pour commander l’attention.
  14. The Brougham’s head became a common sign for beershops. Lives of the lord chancellors, t. VIII, p. 324.
  15. Lord Campbell, Lives of the lord chancellors, t. VIII, p. 324.
  16. Nous avons parlé plus d’une fois du mépris publié attaché à la personne de George IV ; il est bon de rappeler ici que les esprits les plus graves partageaient ce sentiment. Le duc de Wellington, qui fut premier ministre sous George IV, le jugeait comme la nation tout entière. Dans une belle étude publiée ici même sur la vie politique de sir Robert Peel, M. Guizot a dit : « George IV détestait le duc de Wellington, comme on déteste un homme de qui on se sent méprisé et avec qui on est forcé de compter. »