Les Vivants et les Morts/Agrigente

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Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 152-155).

AGRIGENTE


Ô nymphe d’Agrigente aux élégantes parures, qui règnes sur la plus belle des cités mortelles, nous implorons ta bienveillance !
Pindare.

Le ciel est chaud, le vent est mou ;
Quel silence dans Agrigente !
Un temple roux, sur le sol roux
Met son reflet comme une tente…

Les oiseaux chantent dans les airs ;
Le soleil ravage la plaine ;
Je vois, au bout de ce désert,
L’indolente mer africaine.

Brusquement un cri triste et fort
Perce l’air intact et sans vie ;
La voix qui dit que Pan est mort
M’a-t-elle jusqu’ici suivie ?


Et puis l’air retombe ; la mer
Frappe la rive comme un socle ;
Tout dort. Un fanal rouge et vert
S’allume au vieux port Empédocle.

L’ombre vient, par calmes remous.
Dans l’éther pur et pathétique
Les astres installent d’un coup
Leur brasillante arithmétique !

— Soudain, sous mon balcon branlant,
J’entends des moissonneurs, des filles
Défricher un champ de blé blanc,
Qui gicle au contact des faucilles ;

Et leur fièvre, leur sèche ardeur,
Leur clameur nocturne et païenne
Imitent, dans l’air plein d’odeurs,
Le cri des nuits éleusiennes !

Un pâtre, sur un lourd mulet,
Monte la côte tortueuse ;
Sa chanson lascive accolait
La noble nuit silencieuse ;


Dans les lis, lourds de pollen brun,
Le bêlement mélancolique
D’une chèvre, ivre de parfums,
Semble une flûte bucolique.

— Donc, je vous vois, cité des dieux,
Lampe d’argile consumée,
Agrigente au nom spacieux,
Vous que Pindare a tant aimée !

Porteuse d’un songe éternel,
Ô compagne de Pythagore !
C’est vous cette ruche sans miel,
Cette éparse et gisante amphore !

C’est vous ces enclos d’amandiers,
Ce sol dur que les bœufs gravissent,
Ce désert de sèches mélisses,
Où mon âme vient mendier.

Ah ! quelle indigente agonie !
Et l’on comprendrait mon émoi,
Si l’on savait ce qu’est pour moi
Un peu de l’Hellade infinie ;


Car, sur ce rivage humble et long,
Dans ce calme et morne désastre,
Le vent des flûtes d’Apollon
Passe entre mon cœur et les astres !