Les Vivants et les Morts/Un Soir en Flandre

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Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 214-217).


UN SOIR EN FLANDRE


Ah ! si d’ardeur ton cœur expire,
Si tu meurs d’un rêve hautain,
Descends dans le calme jardin,
Ne dis rien, regarde, respire ;

Le parfum des pois de senteur
Ouvre ses ailes et se pâme ;
Le ciel d’azur, le ciel de flamme,
Est sombre à force de chaleur !

Demeure là, les mains croisées,
Les yeux perdus à l’horizon,
À voir luire sur les maisons
Les toits aux pentes ardoisées.


Des coqs, chantant dans le lointain,
Soupirent comme des colombes,
Sous la chaleur qui les surplombe.
Le soir semble un brumeux matin.

Douceur du soir ! le hameau fume,
La rue est vive comme un quai
Où le poisson est débarqué ;
Un pigeon flotte, blanche écume.

Vois, il n’y a pas que l’amour
Sur la profonde et douce terre ;
Sache aimer cet autre mystère :
L’effort, le travail, le labour ;

Des corps, que la vie exténue,
S’en viennent sur les pavés bleus ;
Les bras, les visages caleux
Sont emplis de joie ingénue.

Un homme tient un arrosoir ;
Ce plumage d’eau se balance
Sur les choux qui, dans le silence,
Goûtent aussi la paix du soir.


Il se forme au ciel un nuage ;
Regarde les bonds, les sursauts,
De quatre tout petits oiseaux,
Qui volent sur le ciel d’orage !

Un œillet tremble, secoué
D’un coup vif de petite trique,
Quand le lourd frelon électrique
À sa tige reste cloué.

Par la vapeur d’eau des rivières
Les prés verts semblent enlacés ;
Le soir vient, les bruits ont cessé ;
— Étranger, mon ami, mon frère,

Il n’est pas que la passion,
Que le désir et que l’ivresse,
La nature aussi te caresse
D’une paisible pression ;

Les rêves que ton cœur exhale
Te font gémir et défaillir ;
Éteins ces feux et viens cueillir
Le jasmin aux quatre pétales.


Abdique le sublime orgueil
De la langueur où tu t’abîmes,
Et vois, flambeau des vertes cimes,
Bondir le sauvage écureuil !