Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 13.
Arnould Cotinet et Jean Roger, (p. 43-46).
edro de Faria ſucceda à la charge de Capitaine de Malaca, à Dom Eſteuan de Gama ; & y fut auec la flotte, ſans qu’en cette nauigation il luy aduint aucune choſe qui mérite d’eſtre miſe par eſcript. Or dautant qu’à son arriuée, Dom Eſteuan de Gama n’auoit encore acheué le temps de ſa commiſſion, il ne fut point mis en poſſeſſion de ce Gouuernement, iuſques au iour qu’il deuoit entrer en charge. Toutesfois, à cauſe que Pedro de Faria eſtoit Gouuerneur de la fortereſſe, & nouuellement arriué ; ioint qu’en ce temps-là il commençoit d’entrer en charge, les Roys voiſins l’enuoyerent viſiter par leurs Ambaſſadeurs, qui luy vinrent teſmoigner la grande ioye qu’ils auoient de ſa bien-venuë, par les offres qu’ils luy firent de leur amitié, & d’vne mutuelle conſeruation de paix auec le Roy de Portugal. Or parmy ces Ambaſſadeurs il y en auoit vn de la part du Roy des Batas, qui du coſté de l’Ocean demeure en l’Iſle de Samatra, où l’on tient pour choſe aſſeurée qu’eſt l’Iſle d’Or, que le Roy de Portugal, Dom Iouan troiſieſme, s’eſt mis en eſtat de faire deſcouurir par l’aduis de quelques Capitaines du païs. Cét Ambaſſadeur, qui eſtoit beau frere du Roy des Batas, nommé Aquarem Dabolay, luy apportoit vn riche preſent de bois d’Aloës, Calambaa, & cinq quintaux de Bemoin à fleurs, auec vne lettre eſcrite ſur de l’eſcorce de Palmier, ou ſe liſoient ces paroles.
Ambitieux plus que tous les hommes du ſeruice du Lyon Couronné, aßis au Throſne eſpouuentable de la Mer, par le pouuoir incroyable du ſoufflement de tous les vents, Prince riche & puiſſant du grand Portugal, ton Maiſtre & le mien, auquel en toy Pedro de Faria, Baron de la Colonne d’Acier, i’obeys nouuellement par vne ſincere & veritable amitié, afin que déſormais ie me rende ſon ſuiet, auec toute l’affection & la pureté qu’vn vaſſal eſt obligé de teſmoigner à ſon Maiſtre, moy Angeeſsiry, Timorraja, Roy des Batas, deſirant de m’inſinuer en ton amitié, afin que tes ſujets s’enrichiſſent des fruicts de ce mien païs, ie m’offre par vn nouueau traitté à remplir les magazins de ton Roy, qui eſt le mien, d’or, de poivre, de camfre, de benjoin, & d’aloy, à condition qu’auec vne entiere confiance tu m’enuoyeras vn ſauf-conduit, eſcript & ſigné de ta propre main, par le moyen duquel tous mes Lanchares, & Iurupanges, puiſſent nauiger en ſeureté. Davantage, en faueur de cette nouuelle amitié, ie te ſupplie derechef que tu me ſecoures des balles à canon, & des poudres que tu as de trop dans tes magazins, & qui te ſont inutiles par conſequent ; car ie n’eus iamais ſi grand beſoin que i’ay maintenant de toute ſorte de munitions de guerre. Cela eſtant, ie te ſeray grandement redeuable, ſi par ton moyen ie puis vne fois chaſtier ces pariures Achems, ennemis mortels de ton ancienne Malaca, auec leſquels ie te iure que ie n’auray iamais de paix tant que ie viuray, iuſques à ce que i’aye tiré raiſon du ſang de mes trois enfans qui m’en demande la vengeance, & qu’auec cela i’aye ſatisfaict aux larmes que ie voy couler des yeux de leur noble Mere, qui les ayant alaittez, & eſleuez, m’ont eſté tuez depuis par ce cruel Tyran Achem, dans les Villes de Iacur & de Lingau. Dequoy t’entretiendra plus particulierement de ma part Aquaram Dabolay, frere de la deſolée Mere de ces enfans, que ie t’enuoye pour confirmation de noſtre nouuelle amitié, afin, Seigneur, qu’il puiſſe traitter auec toy de tout ce que bon te ſemblera, tant pour le ſeruice de Dieu, que pour le bien de ton peuple. De Panaju, le 5. iour de la 8. Lune.
Cét Ambaſſadeur receut de Pedro Faria tous les honneurs qu’il luy pût faire à leur mode ; & incontinent apres qu’il luy euſt baillé la lettre, elle fut traduite en Portugais de la langue Malaya, en laquelle elle eſtoit eſcritte. Apres cela, cét Ambaſſadeur luy fit dire par son Interprete le ſuiet du diſcord qu’il y auoit entre ce Tyran Achem, & le Roy des Batas, qui procedoit de ce qu’Achem ayant depuis quelque temps propoſé à ce Roy des Batas, qui eſtoit Gentil, de ſuiure la Loy de Mahomet, à condition qu’il le marieroit auec vne ſienne ſœur, & que luy pour cét effet quitteroit ſa femme, qui eſtoit auſſi Gentile, & mariée depuis vingt-ſix ans. Or d’autant que le Roy des Batas ne luy voulut point accorder cela, le Tyran Achem incité par vn ſien Cacis, luy declara la guerre tout auſſi-toſt. Ainſi chacun d’eux ayant mis ſur pied vne groſſe armée, ils ſe donnerent tous deux vne ſanglante bataille, qui dura plus de trois heures, pendant laquelle Achem connoiſſant le grand aduantage qu’auoient ſur luy les Batas, apres auoir perdu vn grand nombre de ſes gens, il fit ſa retraitte en vne Montagne appellée Cagerrendan, où les Batas le tinrent aſſiegé par l’eſpace de vingt-trois iours. Or à cauſe que durant ce temps-là beaucoup de ſoldats tombèrent malade ; ioint que le camp ennemy vint à manquer de viures, ils firent tous deux la paix à condition qu’Achem donneroit à Bata cinq barres d’or (qui valent deux cens mille eſcus de noſtre monnoye) pour payer les ſoldats eſtrangers qu’il auoit auec luy, & que Bata marieroit ſon fils aiſné auec la ſœur d’Achem, qui eſtoit celle-là meſme, pour le ſuiet de laquelle on auoit fait cette guerre. Cét accord eſtant fait & ſigné de part & d’autre, le Bata s’en retourna en ſon païs, où il ne fut pas ſi toſt arriué, que s’aſſeurant en ce traitté de paix, il ſe défit de ſon armée, congedia tous ſes ſoldats. La tranquillité de ceſte paix ne dura pas dauãtage que deux mois & demy, pendant leſquels il vint au Roy Achem 300. Turcs, qu’il attendoit du deſtroit de la Mecque depuis vn long-temps, & leſquels il auoit enuoyé querir dans quatre vaiſſeaux chargez de poivre, dans leſquels l’on fiſt auſſi venir quantité de caiſſes, pleines de mouſquets & d’eſcoupettes, enſemble pluſieurs pieces d’artillerie de bronze, & de fer. Alors la premiere choſe que fit Achem, ce fut de ioindre ces 300. Turcs, auec quelques gens qu’il auoit encore ; puis feignant d’aller à Pacem prendre vn Capitaine qui s’eſtoit reuolté contre luy, il ſe ietta ſubtilement ſur deux places nommées Iacur & Lingau, qui appartenoient à Bata, leſquelles il ſurprit lors que ceux de dedans y penſoient le moins. Car ce qui leur oſtoit la défiance, c’eſtoit la paix nouuellement faite entr’eux ; tellement que par ce moyen il luy fut facile de ſe rendre maiſtre de ces fortereſſes. Les ayant priſes il mit à mort le fils de Bata, auec ſept cens Ouroballones, c’eſt ainſi qu’on appelle les plus nobles, & les plus vaillans du Royaume. Cependant le Roy Bata ſe reſſentant à bon droit d’vne ſi grande trahiſon, à ſçauoir de la mort de ſes trois fils, & de la priſe de ſes places, iura ſur la teſte de ſon Dieu Quzay Hocombinor, principale Idole de la ſecte des Gentils, qui la tiennent pour leur Dieu de Iustice, de ne manger, ny fruict, ny ſel, ny choſe quelconque qui luy pût apporter la moindre ſaueur à la bouche, qu’il n’euſt premierement vengé la mort de ſes trois enfans, & qu’il n’euſt tiré raiſon de cette perte ; proteſtant derechef qu’il eſtoit reſolu de mourir en faiſant vne guerre ſi iuſte. Pour cét effet, afin d’y mieux paruenir, le Roy Bata deſirant de faire reüſſir ſon deſſein, aſſembla deſlors vne armée de 15000. hommes, tant naturels, qu’eſtrangers, & ce par le moyen du ſecours que luy donnerent quelques Princes ſes amis. N’eſtant pas content de cela, il implora par meſme moyen les forces de nous autres Chreſtiens. Et voyla pourquoy il propoſa à Pedro de Faria de contracter auec luy la nouuelle amitié, dont nous auons parlé cy-deuant. Dequoy Pedro de Faria fut tres-content, pource qu’il connoiſſoit en effet que telle choſe importait grandement au ſeruice du Roy de Portugal, & à la conſeruation de la fortereſſe ; ioint que par ce moyen il eſperoit de beaucoup augmenter le reuenu des doüanes, enſemble ſon profit particulier, & celuy de tous les Portugais, pour le grand commerce qu’ils ont en ces contrées du Sud.