Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 20.

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Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 69-72).


De ce qui m’arriua depuis que ie fus party de la riuiere de Parles, iuſqu’à mon retour à Malaca, & des relations que ie fis de certaines choſes à Pedro de Faria.


Chapitre XX.



Estant party de la riuiere de Parles, vn Samedy enuiron Soleil couché, ie fis toute la diligence qui me fut poſſible, & continuay ma route iuſqu’au Mardy ſuiuant, qu’il pleuſt à Dieu me faire arriuer aux Iſles de Pullo Sambillan, premiere terre de la coſte de Mallayo. Là de bonne fortune ie treuuay trois Nauires Portugais, deux deſquelles venoient de Bengala, & l’autre de Pegu, où commandoit Triſtan de Gaa, qui auoit autresfois eſté Gouuerneur de la perſonne de Dom Laurens, fils du Vice Roy Dom François d’Almeda, qui depuis fut mis à mort par Miroocem à la rade de Chaül, dequoy il eſt amplement traicté dans les Histoires du découurement des Indes. Ce meſme Tristan me fournit beaucoup de choſes dont i’auois vn extréme beſoin, comme de cordages, & de mariniers ; enſenble de deux ſoldats, & d’vn Pilote ; puis luy-meſme, & les deux autres vaiſſeaux eurent touſiours ſoin de moy iuſqu’au port de Malaca. M’y eſtant deſembarqué, la première choſe que ie fis, fut de m’en aller à la fortereſſe, pour y ſaluër le Capitaine, & luy rendre compte de tous les ſuccez de mon voyage. Par meſme moyen ie l’entretins amplement ſur ce que i’auois veu pluſieurs riuieres, ports, & havres nouuellement deſcouuerts en l’Iſle de Samatra, tant du coſté de la Mer Mediterranée, que de l’Ocean. Ie luy parlay auſſi du commerce des habitans du pays, qui iuſques alors n’en auoient point eu encore auec les Portugais. En ſuite de cela ie luy declaray quelle eſtoit tout ceſte coſte, quels ſes ports, & quelles ſes riuieres. À quoy ie n’oubliay point d’adiouſter les ſituations, les hauteurs, les degrez, les noms, & les profondeurs des ports, ſuiuant l’ordre qu’il m’en auoit donné à mon partement. Auec cela ie luy fis vne deſcription de la rade où s’eſtoit perdu Roſado, Capitaine d’vn vaiſſeau François, & vn autre nommé Matalote de Brigas, auſſi Capitaine d’vn autre Nauire, qui par vne tempeſte de mer fut ietté dans le port de Diu, en l’an 1529. du regne de Sultan Bandur, Roy de Cambaye. Ce prince les ayant tous conuertis à la Loy Moriſque, fut cauſe qu’ils renierent leur foy iuſqu’au nombre d’octante deux, qui apres s’eſtre faits renegats, le ſuiuirent depuis en l’année 1533. & luy ſeruirent de Canonniers, en la guerre qu’il eut contre le Roy de Mogor, où ces miſerables moururent ſans qu’il en eſchappaſt vn ſeul. En outre ie luy apportay la deſcription d’vn lieu propre à l’anchrage, dans la rade Pullo Botum, où ſe perdit autresfois le Nauire Biſquain, que l’on diſoit eſtre celuy-là meſme dans lequel Magellan fit le tour du monde, & que l’on appelle le vaiſſeau Vittoria, qui trauerſant l’Iſle de Iooa, fit naufrage à l’emboucheure de Sonde. Ie luy fis auſſi recit de pluſieurs differentes nations, qui habitent le long de cet Ocean, & de la riuiere Lampon, d’où l’or de Menancabo eſt tranſporté au Royaume de Campar, ſur les fleuues de Iambes & Broteo. Car les habitans du païs affirment que leurs Chroniques font foy, qu’en cette meſme ville de Lampon, il y auoit anciennement vn Bureau de Marchands, eſtably par la Royne de Saba, dont quelques-vns tiennent qu’vn bien faicteur nommé Nauſem, luy enuoya vne grande quantité d’or, qu’elle fit depuis porter au Temple de Hieruſalem, lors qu’elle y fut voir le ſage Roy Solomon. De là meſme quelques vns tiennent qu’elle s’en reuint enceinte d’vn fils, qui ſucceda depuis à l’Empire d’Ethiopie, que nous appellons maintenant le Preſte-Iean, de la race duquel les Abyſſins ſe vantent d’eſtre deſcendus. Ie luy dis encore l’ordre qu’on tient ordinairement à la peſche de la ſemonce des perles, qui ſe fait entre Pullo Tiquos, & Pullo Quenim, d’où les Batas en ſouloient anciennement porter quantité à Pazem, & à Pedir, que les Turcs du détroit de la Mecque, & les Nauires de Iudaa prenoient en eſchange des marchandiſes qu’ils apportoient du grand Caire, & des ports de toute l’Arabie heureuſe. I’obmets pluſieurs autres choſes que ie luy racontay, les ayant appriſes du Roy des Batas, & des Marchands de la ville de Panaiu. Ioinct que ie luy baillay par eſcrit l’information que i’auois faite de l’Iſle d’Or, dequoy il m’auoit grandement prié. Ie luy dis comme ceſte Iſle est le long de la riuiere de Calandor, à cinq degrez du coſté du Sud, enuironnée de pluſieurs bancs de ſable, & de grands courants d’eau : qu’au reſte elle peut eſtre eſloignée d’enuiron cent ſoixante lieuës de la poincte de l’Iſle de Samatra ; de tous leſquels rapports Pedro de Faria demeura fort ſatisfait, tant pour le regard de ce que ie luy en diſois, que de la lettre que ie luy auois apportée de la part du Roy des Batas. Auſſi en fit-il la relation tout de meſme au Roy Dom Iouan troiſieſme d’heureuſe memoire, qui l’année d’apres ordonna pour Capitaine à deſcouurir ceſte Iſle d’Or, François d’Almeida, Gentilhomme de ſa maiſon, homme de merite, & grandement capable de ceſte charge ; comme en effet il l’auoit demandée au Roy long temps auparauant, pour recompenſe des ſeruicẽs par luy rendus dans les Iſles de Banda, de Molucques, de Ternate, & de Geilolo. Mais le malheur voulut que ce meſme François d’Almeida eſtant party des Indes pour s’en aller en ce lieu, mourut d’vne fiévre aux Iſles de Nicubar. Dequoy le Roy de Portugal ayant eu des nouuelles certaines, il honora de ceſte charge pour la ſeconde fois vn certain nommé Diago Cabral, natif de l’Iſle de Madere. Neantmoins la Iuſtice la luy oſta depuis, par l’exprés commandement de Martin Alphonſo de Souſa, qui pour lors eſtoit Gouuerneur ; ce qui proceda en partie de ce qu’on diſoit qu’il auoit murmuré contre luy. Il la bailla doncques à Hieroſme Figuereydo, Gentilhomme du Duc de Bragance, qui en l’année mil cinq cens quarante deux, partit de Goa auec deux Fuſtes, & vne Carauelle, où il y auoit quatre vingts hommes, tant Soldats, qu’Officiers de marine. Mais l’on tient que ſon voyage fut ſans effet, pource que ſelon les apparences qu’il en donna depuis, il ſembleroit qu’il deſiraſt de s’enrichir au delà de ſon eſperance, par l’ordre & la charge qu’il en auoit. Pour cet effet il paſſa vers la coſte de Tanaſſery, où il prit quelques Nauires qui venoient du détroit de la Mecque, d’Adem, d’Alcoſſer, de Iudaa, & d’autres lieux de la coſte de Perſe. Et vrayement ce butin fut la cauſe de ſa perte, & fit que pour ne l’auoir également partagé auec ſes ſoldats, & n’eſtre demeuré d’accord auec eux, ils ſe mutinerent contre luy ; ſi bien qu’apres luy auoir fait pluſieurs indignitez, qu’il me ſemble n’eſtre pas à propos de mettre en auant, ils le lierent pieds & mains, & ainſi garotté le menerent en l’Iſle de Ceilan : là il fut mis à terre, au port nommé Galle, & la Carauelle, enſemble les deux Fuſtes, furent amenées au Gouuerneur Dom Ioan de Caſtre. La neceſſité preſente fit qu’il leur pardonna ceſte faute, à cauſe que ſous ſa conduite ils accompagnerent l’armée qui s’en alloit à Diu, pour y ſecourir Dom Ioan Maſcarenhas, que les Capitaines du Roy de Cambaye tenoient pour lors aſſiegé. Depuis, il ne ſe parla point du découurement de ceſte Iſle d’Or, quoy que cela ſemble importer beaucoup au commun bien de ce Royaume de Portugal, s’il plaiſoit à Dieu qu’on en pût venir à bout.