Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 39.

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Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 130-132).


Du partement que fit Antonio de Faria, pour s’en aller en l’Iſle d’Ainan, afin d’y trouuer le Mahumetan Coia Acem, & de la rencontre qu’il euſt auparauant qu’y arriuer.


Chapitre XXXIX.



Sitost qu’Antonio de Faria euſt fait ſes préparatifs, il partit de ce lieu de Patane vn Samedy neufuieſme May 1540. & mit la prouë par Nord-Nord-oü-eſt, vers le Royaume de Champaa, à deſſein d’y découurir les ports & les havres, & là meſme par le moyen de quelque bon butin, s’y en fournir de ce dont il auoit besoin, pource que la promptitude de ſon départ de Patane, auoit eſté ſi grãde qu’il n’auoit eu le temps de ſe bien pourueoir de ce qui luy eſtoit neceſſaire, ny meſme de viures & de munitions de guerre. Apres auoir eſté ſept iours à la voile ſuiuant noſtre route, nous euſmes la veuë d’vne Iſle nommée Pullo Condor, à la hauteur de huict degrez & vn tiers, du coſté du Nord-oü-eſt ſu-eſt, vers l’emboucheure de Camboja, & ayant fait le tour de tous coſtez, nous decouuriſmes vers le Rhomb de l’Eſt vn bon havre, où nous trouuaſmes l’Iſle de Camboja, où eſtans vers l’Eſt nommé Bralapiſan, eloigné de terre ferme de ſix lieuë ou enuiron, où nous trouuaſmes vn Iunco de Lequios qui s’en alloit au Royaume de Siam, auec vn Ambaſſadeur de Nautaquim de Lindau, Prince de l’Iſle de Toſa, ſituée à la hauteur de trente ſix degrez, lequel ne nous euſt pas pluſtot deſcouuerts, qu’il fit voile vers Antonio de Faria, & luy enuoya faire vn meſſage par vn Pilote Chinois remply de compliments d’vne veritable affection. A quoy furent adiouſtez ces mots de la part de tous, Que le temps viendroit qu’ils communiqueroient auec nous la vraye amitié de la loy de Dieu, & de ſa clemence infinie, qui par ſa mort auoit donné la vie à tous les hommes, auec vn perpetuel heritage en la maiſon des bons, & qu’ils croyaient qu’il deuoit eſtre ainſi apres auoir paſſé la moitié de la moitié des temps. Auec ce compliment ils luy enuoyerent vn coutelas de grand prix, qui auoit la poignée & le fourreau d’or, & 26. perles qui eſtoient dans vne petite boëtte aussi d’or, faite en forme de ſaliere ; dequoy Antonio de Faria fut bien faſché, à cauſe qu’il ne pouuoit pas rendre le ſemblable à ce Prince, comme il eſtoit oblige de faire. Car lors que le Chinois arriua auec ce meſſage, ils eſtoient éloignez de nous d’vne grande lieuë dans la mer ; nous miſmes alors pied à terre, où nous fuſmes trois iours à faire eau, & à peſcher des Sargues & des Coruines en grande quantité, puis nous allaſmes gaigner la coſte de la terre-ferme, pour y chercher vne riuiere nommée Pullo Cambim, qui diuiſe l’Eſtat de Camboia d’auec le Royaume de Champaa, à la hauteur de neuf degrez, où eſtans arriuez vn Dimanche dernier iour de May, le Pilote monta trois lieuës dans cette riuiere, où il ancra vis à vis d’vn grãd bourg nommé Catimparu ; là nous demeuraſmes douze iours en paix, pendant leſquels nous fiſmes noſtre prouiſion de ce qui nous eſtoit neceſſaire. Mais à cauſe qu’Antonio de Faria eſtoit naturellement curieux, & qu’il s’efforçoit de ſçauoir des gens du pays quelle nation habitoit plus auant, & d’où cette grande riuiere prenoit ſa ſource, ils luy firent reſponſe qu’elle naiſſoit d’vn lac nommé Pinator, éloigné de cette mer du coſté de l’Eſt de 260. lieuës au Royaume de Quitiroan, & qui eſtoit entouré de grandes montagnes, au bas deſquelles ſur le bord de l’eau il y auoit 38. villages, dont il y en auoit 13. fort grands, & les autres fort petits, & que ſeulement dans vn des grands nommé Xincaleu, il y auoit vne ſi grande mine d’or, qu’ils eſtoient aſſeurez par le rapport des habitans du pays, qu’il ne ſe paſſoit iour que l’on n’en tiraſt vn bar & demy, qui ſelon la valeur de noſtre monnoye, eſt en vne année vingt-deux millions, & que quatre Seigneurs y auoient part, leſquels en eſtoient ſi ambitieux qu’ils ſe faiſoient vne guerre continuelle les vns aux autres, chacun d’eux taſchant de s’en faire maiſtre, meſme que l’vn d’eux nommé Raiahitau auoit dans la baſſe-court de ſa maiſon, en des pots ſous terre pleins iuſqu’au goulet, ſix cens bars d’or en poudre, comme celuy de Menancabo de l’Iſle de Samatra, & que ſi trois cens hommes de noſtre nation l’alloient attaquer auec les harquebuziers, qu’indubitablement ils s’en feroient maiſtres ; ioint qu’en vn autre de ces villages nommé Buaquirim, il y auoit vne carriere, de laquelle on tiroit vne grande quantité de fins diamans, d’vne vieille roche, & de plus grand prix que ceux de Laue, & de Taniampura en l’Iſle de Iaoa. Antonio de Faria leur ayant demandé là-deſſus pluſieurs autres particularitez, ils luy firent vn recit de la fertilité du pays, qui eſtoit à mont cette riuiere, auſſi propre à ſouhaitter, que facile & de peu de fraiz à conquérir.