Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 44.

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Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 146-149).


Comme Antonio de Faria arriue à la Baye de Camoy, où ſe fait la peſche des perles, pour la Royne de la Chine.


Chapitre XLIV.



Le lendemain apres midy, Antonio de Faria partit du lieu où il s’eſtoit anchré, & retourna vers la côte d’Ainan, d’où il la rangea tout le reſte du iour, & la nuict ſuiuante, auec vn fonds d’eau de vingt-cinq ou trente braſſes. Le lendemain matin il ſe treuua en vne baye, ou plage, où il y auoit de grands batteaux qui peſchoient de la ſemence de perles. Là ne pouuant ſe reſoudre touchant la route qu’il deuoit prendre, il employa toute cette matinée à ſe conſeiller là-deſſus auec les ſiens, dont les vns furent d’aduis que l’on prit les batteaux qui peſchoient de la ſemence de perles, & les autres s’y oppoſerent, diſants qu’il eſtoit plus aſſeuré de traitter auec ces peſcheurs comme auec des Marchands, dautant qu’en eſchange de la grande quantité de perles qu’il y auoit en ce lieu, ils pourroient facilement debiter la plus grande partie de la marchandiſe. Cét aduis eſtant treuué le meilleur & le plus aſſeuré, Antonio de Faria fit mettre la banniere de marchandiſe, & de paix, à la couſtume de la Chine. Tellement qu’à l’heure meſme il vint à nous de terre deux Lanteaas, vaiſſeaux ſemblables à des Fuſtes, auec force rafraichiſſemens. Alors ceux qui eſtoient dedans, apres auoir fait leurs ſaluës, entrerent dans le grand Iunco où eſtoit Antonio de Faria. Mais comme ils y veirent des hommes faits comme nous, n’en ayant iamais veu de ſemblables, ils demeurerent tous eſtonnez, & demanderent quelles gens nous eſtions & ce que nous venions faire en leur pays. Alors nous leur fiſmes reſponse par vn truchement, que nous eſtions des Marchands natifs du Royaume de Siam, venus en ce lieu pour leur vendre & eſchanger auec eux la marchandiſe que nous auions, s’ils nous en donnoient permiſſion. A quoy vn vieillard reſpecté de tous les autres reſpondit, qu’oüy ; mais que le lieu où nous eſtions, n’eſtoit où l’on trafiquoit, & que c’eſtoit en vn autre port plus auant qui s’appelloit Guamboy, pour ce qu’en iceluy eſtoit la manufacture pour les Eſtrangers qui y venoient, comme à Cantan, Chincheo, Lamau, Comhay, Sumbor, Liampau, & autres villes qui eſtoient le long de la mer pour receuoir les nauigeãs qui venoient de dehors. C’eſt pourquoy il leur conſeilloit, comme au chef de ſes membres qu’il auoit ſoubs ſon gouuernement, qu’il s’en allat incontinent de-là, à cauſe que ce lieu ne ſeruoit qu’à la peſche des perles, pour le threſor de la maiſon du fils du Soleil, en laquelle par ordonnance du Tutam de Comhay, qui eſtoit le ſouuerain Gouuerneur de tout ce païs de Cauchenchina, auoient ſeulement permiſſion d’approcher les barques deſtinées pour ce faire, & que tous autres nauires qui y eſtoient treuuez, eſtoient incontinent par ordonnance de Iuſtice bruſlez auec ceux qui eſtoient dedans, qu’ainſi puiſque luy, comme Eſtranger, ignorant les Loix du pays, les auoit tranſgreſſées, non par meſpris, mais par ignorance, qu’il eſtoit bien-aiſe de l’en aduertir, afin qu’il s’en allaſt incontinent auant l’arriuée du Mandarin de l’armée, que nous appellons General, à qui appartenoit le gouuernement de cette peſcherie ; qu’au reſte il ne pouuoit tarder au plus que trois ou quatre iours, & qu’il n’eſtoit allé que pour prendre des viures à vn village qui eſtoit à ſix ou ſept lieuës de-là, nommé Buhaquirim. Antonio de Faria le remercia de ſon bon aduis, luy demandant combien de voiles, & quelles gens auoit le Mandarin auec luy ? A quoy ce vieillard fit reſponſe qu’il eſtoit accompagné de quarante grands Iuncos, & vingt-cinq Vancons de rame, dans leſquels il y auoit ſept mille hommes, à ſçauoir cinq mille combattans, & le ſurplus gens de chiourme & de marine, & que cette flotte eſtoit là tous les ans ſix mois, pendant lequel temps l’on faiſoit la peſche des perles, à ſçauoir depuis le premier de Mars, iuſques au dernier d’Aouſt. Noſtre Capitaine deſirant ſçauoir quels droicts l’on payoit de cette peſche, & quel reuenu elle rendoit en ces ſix mois ; le Vieillard luy dit, que des perles qui peſoient plus de cinq caras, l’on donnoit les deux tiers, des plus baſſes la moitié moins, & de la ſemence le tiers, & que ce reuenu n’eſtoit pas tousiours égal ny aſſeuré, à cauſe que la peſche eſtoit ſouuent meilleure en vne année qu’en l’autre ; mais qu’il luy ſembloit que l’vn portant l’autre, cela pouuoit valoir quatre cent mille Taeis. Antonio de Faria careſſa fort ce Vieillard, pour ce qu’il deſiroit ſçauoir de luy toutes les particularitez, & luy fiſt donner deux pains de cire, vn ſac de poivre, & vne dent d’yuoire, dequoy luy & tous les autres demeurerent fort ſatisfaicts. Il leur demanda auſſi de quelle grandeur eſtoit cette Iſle d’Ainam, de laquelle l’on diſoit tant de merueilles ? Dictes nous, reſpondirent-ils, premierement qui vous eſtes, & ce que vous venez faire en ce pays, puis nous ſatisferons à ce que vous deſirez ? par ce que nous vous iurons en foy de verité, que iamais en iour de noſtre vie nous ne viſmes tant de ieunes gens dãs des Nauires Marchãds, cõme nous en voyõs à preſent auec vous, ny ſi bien polis & bien traitez, car il nous sẽble qu’en leur pays les ſoyes de la Chine ſoiẽs à ſi bon marché qu’elles n’y ſont d’aucune eſtime, ou qu’ils les ont euës à ſi bon prix, qu’ils n’ont donné pour icelles que beaucoup moins qu’elles ne valẽt. Car nous voyons qu’en vn ſeul coup de dé ils iettent au hazard vne piece de Damas, comme gens à qui cela ne couſte guere ; parolle qui fit ſouſrire ſecrettement Antonio de Faria, pour ce qu’il vit bien que ces peſcheurs auoient deſia la connoiſſance que cela auoit eſté volé ; ce qui fit qu’il leur dit qu’ils faiſoient cela comme de ieunes hommes, fils de fort riches Marchands, qu’à cauſe qu’ils eſtoient tels, il eſtimoient les choſes beaucoup moins qu’elles n’auoient couſté à leurs peres ; eux diſſimulants ce qu’ils auoient deſia reconneu, reſpondirent de cette ſorte ; il ſemble qu’il ſoit ainſi que vous le dites. Alors Antonio de Faria fit ſignal aux ſoldats qu’ils n’euſſent plus à iouër, & qu’ils cachaſſent les pieces qu’ils raffloient, pour n’eſtre point reconnus de ces gens-là, de peur d’eſtre tenus en qualité de voleurs, ce qu’ils firent incontinent ; & pour aſſeurer ces Chinois que nous eſtions gens de bien & marchands, le Capitaine fit ouurir les eſcotilles du Iunco, que la nuict precedente nous auions pris au Capitaine Sardinha, qui eſtoit chargé de poiure ; ce qui les remit vn peu, & leur oſta la mauuaiſe opinion qu’ils auoient de nous, diſans les vns aux autres, Puis que nous ſommes aſſeurez que ce ſont des marchands, nous pouuions librement reſpondre à leur demande, afin qu’ils ne croyent de nous, que pour eſtre rudes & ſauuages, nous ne ſçachions faire autre choſe, que peſcher des huiſtres & du poiſſon.