Les ancêtres du violon et du violoncelle/La Vièle
LA VIÈLE
peu près de même taille que l’alto moderne, la vièle proprement dite, celle dont le nom servit pour désigner d’une façon générale, durant le Moyen Age, tous les instruments de musique à cordes frottées, se jouait tantôt placée sous le menton, tantôt appuyée contre la poitrine. Ce qui la différenciait des autres vièles, telles que la rubèbe et la gigue, c’est qu’elle avait un manche indépendant de sa caisse de résonance, ne faisant pas corps avec cette dernière, et que le fond de cette caisse était le plus souvent plat.
On doit la considérer comme étant imitée du crouth, à cause de ces deux particularités. Et même, si l’on admettait, ainsi que nous le laissons entendre à la fin du précédent chapitre, qu’elle ait été inspirée à la fois du crouth et de la lyra, que l’on ait appliqué les principes du premier à la seconde, pour l’obtenir, on devrait encore lui donner la même origine, car elle aurait, dans ce cas, bien plus emprunté au crouth qu’à la lyra. Mais comme ce sont les principes de construction qui caractérisent un instrument et non sa dimension plus ou moins grande, ni le dessin de ses contours, en réalité, la vièle à archet n’était donc pas autre chose qu’un dessus de crouth à manche dégagé.
Nous avons déjà expliqué, en parlant du crouth, qu’un instrument était dans l’obligation d’avoir un manche indépendant lorsqu’il possédait un certain nombre de cordes, et cela, pour permettre aux doigts de les toucher toutes. Nous n’y reviendrons pas, puisque la vièle était régulièrement montée de cinq cordes, ainsi qu’en font foi les textes d’Élie Salomon et de Jérôme de Moravie, et comme le montrent la plupart de ses reproductions. Mais nous ajouterons que le fond plat était également d’une grande nécessité pour la vièle, non seulement parce qu’elle aurait été plus difficile à tenir, soit sous le menton, ou bien appuyée contre la poitrine si le fond en avait été bombé ; mais encore parce que son manche fixé à un des bouts de la caisse ne permettait guère de la construire autrement qu’avec un fond plat et des éclisses.
Tout porte à croire que l’art de la lutherie n’était pas très avancé dans ce temps-là, et si ces vers suivants du Roman d’Alexandre :
Li uns tiennent une vièle, l’arçon fu de saphir ;
Et l’autre une harpe, moult fu boine à oir.
nous montrent que la vièle, l’instrument artistique de l’époque, possédait parfois des ornements d’une grande richesse, il est de toute probabilité qu’on la construisait, le plus souvent, d’une façon assez sommaire, tout simplement d’un seul morceau de bois creusé ou bien de deux : l’un pour le manche et l’autre pour la caisse, sur laquelle on collait la table.
La vièle a occupé une place prépondérante dans la musique au Moyen Âge, et son histoire est intimement liée à celle de l’art. On la voit entre les mains des trouvères[1] et des troubadours[2], des jongleurs et des ménestrels[3], au nord, au sud, à l’est, à l’ouest, partout enfin où l’on chante une ballade ou un lai d’amour :
Li aulcuns chantent pastourelles ;
Les autres dient en leurs vièles
Chansons, rondiaux et estampies,
Danses, notes et gaberies ;
Lais d’amour chantent et ballades.
C’était bien un instrument à archet :
J’alai o li el praelet,
O tote la vièle et l’archet,
Si li ai chanté le muset.
Fétis, qui cite ces deux vers[4], dit : « L’archet n’a jamais servi à jouer de la vielle, cet instrument s’appelait rote dans le Moyen Âge. » Les mots : la vièle et l’archet, ne laissent cependant aucun doute sur ce point. Nous nous réservons, du reste, de revenir sur l’erreur de Fétis, lorsque nous parlerons de la rote.
Les chansons de geste se chantaient avec l’accompagnement de la vièle et de la harpe :
Quand les tables ostées furent,
Cil jugléeurs en pies s’esturent,
S’ont vièles et harpes prises,
Cançons, sons lais, vers et reprises,
Et de gestes canté nos ont.
C’est aux sons de la vièle que l’on chantait, dans les rues, les exploits de Charlemagne :
De Karolo clari præclara prole Pipini,
Cujus apud populos venerabile nomen in omni,
Ores satis claret, et decantata per orbem,
Gesta solent melitis aunes sopire viellis.
Les deux vers suivants, du Roman de A. Mahomet, par Alexandre Dupont :
Mainte vièle delicieuse,
L’apportent li jongléour.
montrent combien la vièle était goûtée, et expliquent les heureux effets que Constantin l’Africain espérait obtenir pour la guérison des malades, lorsqu’il recommandait de jouer devant eux de la vièle, de la rote et d’instruments semblables[5].
On dansait au son de la vièle :
Ce fut en mai,
Au dous tems gai
Que la saison est belle ;
Main me levai
Joer m’alai
Lez une fontenelle ;
En un vergier
Clos d’eiglentier
Oï une vièle ;
Là vie dansier
Un chevalier
Et une damoiselle.
Les harmonies que l’on faisait sur la vièle embellissaient les mélodies :
Harpes sonnent et vièles
Qui font les mélodies bêles.
On pratiquait aussi le déchant sur la vièle :
Cil jugleor viellent lais
Et sons et notes et conduis.
car, selon Francon de Cologne, le conduis (conductus) était une sorte de déchant dans lequel la mélodie ou partie principale était improvisée par le déchanteur, et la partie qui formait le déchant proprement dit, c’est-à-dire celle qui découlait de la première, appelée souvent ténor, était avec ou sans parole, suivant qu’elle devait être chantée ou exécutée sur un instrument.
Quelques auteurs lui donnent le nom de viole :
Devant eux font li jugleor chanter,
Rotes, harpes et violes soner.
Guillaume de Machault emploie tantôt le mot vièle, tantôt celui de viole pour la désigner :
Orgues, vielles, micamon.
Car je vis là tout en un cerne,
Viole, rubèbe, guiterne.
Mais le mot vièle a été généralement employé jusqu’au xve siècle. À partir de cette époque, il est devenu le nom exclusif de la vielle à roue, qui jusque-là s’était appelée symphonie, chiffonie, cifonie. C’est alors que celui de viole est resté définitivement aux instruments à archet du genre de la vièle. Nous continuerons donc à donner ce dernier nom à celui qui nous occupe.
Il est hors de doute que la vièle était déjà connue pendant le xe siècle, car on trouve de ses représentations tout au début du siècle suivant.
Coussemaker parle d’une vièle de forme ovale, ayant le manche dégagé et le fond plat, qui se voit dans une niche de marbre creusée dans le montant de droite de la porte de l’église Saint-Aventin, près de Bagnères, qui, à sa connaissance, est le plus ancien exemple de cet instrument, et dont il regrette de ne pouvoir donner la figure, parce que cette sculpture, de la fin du xie siècle, est assez grossière, et qu’il en possédait un dessin trop imparfait.
Nous en avons découvert d’antérieures à celle-ci, en Charollais, dans la verte vallée de l’Arconce, sur le portail de l’ancienne église du prieuré d’Anzy-le-Duc (Saône-et-Loire), aujourd’hui église paroissiale de cette commune.
Une inscription moderne, pointe sur bois et appendue intérieurement au-dessus de la porte principale de l’église d’Anzy, par les soins de l’ancien curé M. Gauthier, annonce que ce monument aurait été bâti en huit cent quatre-vingts. Mais l’abbé Cucherat[6] prouve surabondamment qu’il y a là une erreur de date, et que la construction de cette belle église romano-byzantine primaire a eu lieu dans la première moitié du xie siècle, très probablement de l’an mil à mil vingt-quatre, après les miracles opérés par les reliques de saint Hugues, premier prieur de ce monastère, que l’on promenait sur les grands chemins pour les faire figurer dans les assemblées ou Conciles tenus par les évêques, notamment à celui qui eut lieu à Anse (Rhône), vers la fin du xe siècle ; et aussi après que le fatal an mil, où l’on s’attendait à la fin du monde, se fut écoulé, car les fidèles, croyant ne plus avoir besoin de rien et espérant gagner ainsi une excellente place au ciel, donnèrent une grande partie de leurs biens aux communautés religieuses. C’est à partir de cette époque que les abbayes et les couvents prirent un grand développement, et qu’à la place de leurs modestes chapelles on construisit de superbes basiliques.
Celle d’Anzy[7] renferme de nombreux chapitaux, tous plus intéressants les uns que les autres, et sur son portail est représentée la vision de saint Jean. Le tympan est occupé par la figure du Christ assis sur un trône et entouré par deux anges. Sur l’archivolte se trouvent les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse qui, de même qu’à Moissac, sont vêtus de longues robes avec des couronnes sur leurs têtes et tiennent aussi des vases et des instruments de musique, qui ne sont pas non plus des harpes.
Cette sculpture, que nous avons examinée de très près, a été mutilée, soit pendant les guerres de religion, qui ont été très violentes dans le pays, ou bien lors de la Révolution. Dans l’état actuel, huit instruments, sur vingt-quatre, s’y voient encore à peu près intacts. Nous avons fait dessiner ceux qui ont le moins souffert.
L’exécution en est assez sommaire, le cordier, le chevalet et les cordes ne sont représentés sur aucun d’eux ; mais les ouïes, figurées par deux trous percés en regard de la place où devrait se trouver le chevalet, montrent que ce sont bien des instruments à archet, et cela, malgré l’absence des archets que les personnages ne pourraient tenir puisqu’ils ont déjà des coupes dans leurs mains droites. Ces instruments, qui sont tous de même forme, rappellent les lyras de Moissac que nous avons décrites. Toutefois, les côtés des caisses de résonance y sont à angles droits, ce qui indique des éclisses ; le manche, quoique faisant aussi corps avec la caisse sonore, s’y trouve plus allongé, sauf cependant sur la figure où l’artiste ne disposait sans doute pas d’un emplacement suffisant pour lui donner toute sa longueur ; de plus, le cheviller en trifolium est percé de trous, dont quelques-uns ne se voient plus aujourd’hui ; mais comme ceux qui ont été effacés par le temps n’occupaient pas les mêmes places, il est facile d’en connaître le nombre exact en comparant les chevillers des instruments que nous donnons ; or, il y avait cinq trous, ce qui veut dire cinq chevilles et, par suite, cinq cordes.
La lyra, n’ayant pas d’éclisses et n’étant montée que d’une seule corde, on se trouve donc en présence de vièles, et, si le manche, qui est d’un maniement facile à cause de sa longueur, n’en a pas tout à fait le caractère, s’il n’est pas complètement indépendant de la caisse, c’est que l’artiste a négligé de rendre ce détail auquel il n’attachait sans doute pas grande importance.
vièle à cinq cordes
Portail de l’abbaye de
Saint-Denis (xiie siècle).Heureusement, il a eu le soin d’indiquer les éclisses, les ouïes et le nombre des chevilles, ce dont on doit lui savoir beaucoup de gré, car les personnages et leurs accessoires sont relativement petits, sur cette sculpture assez simple et peu avancée en art.
La grande vièle ovale, à cinq cordes, jouée par un personnage à longue barbe, qui se voit sur le portail de l’église de l’abbaye de Saint-Denis, du xiie siècle, doit être la reproduction fidèle d’un instrument du temps. Sa table est ornée d’une élégante bordure ; les deux ouïes, allongées, sont plus rapprochées du manche que sur les instruments à archet modernes ; son manche est complètement indépendant de la caisse et tous les accessoires : cordier, chevalet, cordes, etc., sont exécutés avec beaucoup de soin.
Sur le portail occidental de la cathédrale de Chartres, xiie siècle, se trouve une élégante vièle à cinq cordes, de forme allongée qui est aussi une copie fidèle. Le fond de sa caisse est absolument plat ; elle a un cordier, mais pas de chevalet, et un grand trou rond, percé au milieu de la table, figure les ouïes.
Il n’en est pas de même sur celle qui est jouée, comme un violon, par un des rois du chapiteau de l’église de Saint-Georges de Boscherville. Ici, tout est incertitude quant au nombre et à la disposition des cordes, car sur le moulage de ce chapiteau,
vièle à cinq cordes
Portail occidental de la cathédrale de Chartres
(xiie siècle).que nous avons étudié minutieusement au Musée des antiquités, à Rouen, il n’y a pas trace d’accessoires. C’est ce qui explique l’indécision de Coussernaker,
vièle à quatre ou cinq cordes
Chapiteau de Saint-Georges de Boscherville
(xiie siècle).qui, après avoir d’abord classé cet instrument sous le nom de vièle[8], le présente ensuite comme étant une gigue[9]. Cependant, en l’absence des petits détails, si précieux, on peut toujours consulter l’instrument lui-même. Or, les côtés de la caisse étant à angles droits, il devait avoir certainement des éclisses ; le fond n’y est pas entièrement plat, mais légèrement voûté, comme sur certaines guitares et le cheviller, en trifolium, est disposé pour recevoir quatre ou cinq chevilles. En raison de ces particularités, nous considérons que cet instrument est bien une vièle et que la première classification, faite par Coussemaker, était la meilleure. La vièle, petit crouth à manche dégagé, avait conservé à peu près le même nombre de cordes que son devancier. On vient devoir que celles d’Anzy-le-Duc et de Saint-Denis en possédaient cinq ; ce chiffre est aussi celui que lui assigne Elie de Salomon, au xiiie siècle[10].
Jérôme de Moravie[11] donne trois manières différentes d’accorder la vièle[12] ; voici, d’après M. Peine[13], la traduction de ce précieux document :
« La vièle, dit-il, quoiqu’elle monte plus haut que la rubèbe, ne monte plus ou moins que selon les différentes manières dont elle est accordée par diverses personnes, car la vièle peut être accordée de trois manières. Elle a et doit avoir cinq cordes. Dans la première manière, elle s’accorde ainsi : la première corde sonne D (RÉ grave) ([14]) ; la seconde Γ (GAMMA VT, SOL, note ou corde la plus grave de tout le système) ; la troisième, G dans les graves (SOL grave, octave du sol précédent) ; les quatrième et cinquième, toutes deux à l’unisson, donnent le D dans l’aigu (RÉ aigu) ; et alors la vièle peut monter depuis gamma ut (SOL le plus grave) jusqu’à double (LA aigu, quinte de RÉ aigu), de la manière suivante :
« Or, nous disons que la seconde corde donne par elle-même Γ (SOL le plus grave) ; par l’application de l’index, elle donnera A (LA grave) ; du médiaire B (Si bécarre grave) ; de l’annulaire C dans le grave (UT grave).
« La seconde corde, qui, la première dans la vièle, est le bourdon des autres, ne rend que D (RÉ grave) ; et cela parce que, étant attachée en dehors du corps de la vièle, c’est-à-dire sur le côté, elle se dérobe à l’application des doigts ; mais les deux sons qu’elle ne peut rendre, c’est-à-dire E et F (MI et F grave), sont donnés à l’octave par les quatrième et cinquième cordes qui y suppléent.
« La troisième corde donne par elle-même (à vide) G ( SOL octave de SOL le plus grave) ; par l’application de l’index, a (LA octave de LA grave) ; par l’application du médiaire recourbé sur lui-même, ♭ (b) (SI bémol) et du même doigt tombant naturellement, b bécarre (Si bécarre) ; par l’application de l’annulaire, c aigu (UT aigu).
« La quatrième corde et la cinquième donnent par elles-mêmes d aigu (RÉ aigu) ; en appliquant l’index, on obtient e (MI aigu) ; par le médium, on a f (FA aigu) ; par l’annulaire g (SOL aigu) et par l’auriculaire on obtient double (LA aigu). Telle est la vièle, qu’elle embrasse la propriété de tous les modes, ainsi qu’on vient de le voir clairement. C’est la première manière d’accorder la vièle. »
D’après ce qui précède, les cordes à vide de la vièle devaient donner :
la 1re ou bourdon : | la 2e : | la 3e : | la 4e et la 5e à l’unisson : |
Avec l’application des doigts on obtenait donc l’échelle suivante :
Mais le passage de la deuxième corde à la première, puis de celle-ci à la troisième, devait être très incommode pour l’archet qui touchait sans doute bien souvent la deuxième corde, soit à l’aller ou au retour. Il semblerait plus logique d’admettre, que, les deuxième et troisième cordes s’employaient simultanément et formaient à elles deux une corde double accordée à l’octave ? Cependant, Jérôme de Moravie indique séparément le doigté de chacune d’elles, tandis qu’il donne en même temps celui des quatrième et cinquième, qui sont accordées à l’unisson. Peut-être a-t-il voulu désigner, par là, que la seconde et la troisième étaient bien des cordes simples ?
Nous pensons que, si Jérôme de Moravie parle de la seconde corde avant la première, quand il décrit les sons obtenus avec l’application des doigts, c’est parce qu’il a voulu commencer sa démonstration par la note la plus grave de l’instrument, et qu’il a préféré intervertir l’ordre des cordes, plutôt que de présenter une suite de sons ne se succédant pas logiquement de bas en haut. C’est même ce qui nous donne la certitude que la première corde devait sonner :
et non pas l’octave inférieure : | , |
qui serait du reste trop grave pour être obtenue, la vièle n’étant pas d’assez grandes dimensions pour cela.
Il est bon de faire remarquer aussi que lorsque Perne fait suivre le nom des notes par les expressions « grave » ou « aigu », il doit interpréter fidèlement la pensée de Jérôme de Moravie, et établir de cette façon une comparaison avec les voix d’hommes que la vièle était appelée à accompagner. Or, depuis que, pour la facilité de l’écriture, et surtout pour la grande commodité des chanteurs, on emploie la clef de sol deuxième ligne, au lieu de la clef d’ut quatrième, pour les parties de ténors, ces voix sont écrites une octave au-dessus de leur diapason réel ; aussi croyons-nous être dans le vrai en plaçant ainsi le la aigu :
C’est sans doute conformément à cette première manière que devait s’accorder la vièle à cinq cordes qui est tenue de la main droite par le premier vieillard du deuxième rang à gauche sur le tympan du portail de l’église de
vièle à cinq cordes
Portail de l’église de Moissac (xiie siècle).Moissac ; car, deux de ses cordes, celles qui sont placées sur le côté gauche, paraissent être accouplées pour former une corde double, tandis que les trois autres, d’abord à égale distance, dans l’espace compris entre le cordier et le chevalet, se séparent légèrement après avoir passé sur celui-ci. Les deux placées au centre continuent leur chemin aussi rapprochées l’une de l’autre qu’elles l’étaient au départ, pendant que celle qui se trouve sur le côté droit s’éloigne d’elles et a l’air de devenir un bourdon. La main qui tient l’instrument empêche de s’assurer quel est exactement le rôle de cette corde, mais nous croyons que c’est un bourdon et nous fondons notre opinion sur les instructions de Jérôme de Moravie que l’on vient de lire et aussi sur celles qui vont suivre. Le bourdon de cette vièle se trouve à la place occupée par la chanterelle sur les instruments à archet modernes : on rencontre assez souvent des cas semblables à cette époque.
Il y a trois vièles de forme allongée, avec des éclisses circulaires et montées de cinq cordes sur le portail de Moissac ; seulement, les deux autres n’ont pas de cordes doubles, toutes y sont simples.
Le moulage de celle que nous reproduisons existe au Musée instrumental du Conservatoire de musique à Paris, où M. Pillant lui donne le nom de « rebec du xiiie siècle[15] ». Il nous semble impossible d’accepter cette classification, la disposition de ses cordes, conforme à la première manière d’accorder la vièle selon Jérôme de Moravie, étant une indication précieuse, qui ne laisse aucun doute sur le genre et le caractère de cet instrument. La table du fond est-elle réellement demi-bombée, ou est-ce l’adhérence de la pierre qui lui donne cette forme ? Ces deux hypothèses sont permises. Mais que le fond soit bombé ou non, nous n’avons à faire ni à un rebec, ni à un instrument de fantaisie, comme on pourrait l’insinuer. Il n’y a, en effet, qu’à se rendre compte de l’exactitude scrupuleuse avec laquelle le cordier, le chevalet, les ouïes, le cheviller et les cordes ont été exécutés, pour être certain que l’artiste est un copiste fidèle.
Cette sculpture figure donc, selon nous, une vièle à archet.
C’est grâce à l’obligeance de M. Pillant que nous pouvons en donner le dessin. Il s’est mis à notre entière disposition avec beaucoup d’empressement, et cela, quoiqu’il nous sache d’un avis contraire au sien. Nous lui renouvelons ici tous nos remercîments, car on ne saurait être plus aimable.
Mais revenons à Jérôme de Moravie :
« La deuxième manière est nécessaire aux laïcs qui veulent parcourir fréquemment dans toute la main (sans doute l’étendue du système) tous les autres chants, surtout les chants irréguliers ; alors il est nécessaire que les cinq cordes de la vièle soient attachées au corps solide (de l’instrument) et qu’il n’y avait aucune fixée sur le côté, afin qu’elles soient toutes disposées de façon à recevoir l’application des doigts selon le son (qu’on veut obtenir) et de manière qu’elles forment, par elles-mêmes, les mêmes notes que dans la première manière. Dans cette manière d’accorder, la première corde, c’est-à-dire le bourdon, donne F et F (MI et FA graves), par l’application de l’index et du médiaire. La deuxième corde, la troisième et la quatrième sont comme dans la première manière d’accorder, mais non la cinquième, qui n’est point à l’unisson de la quatrième, mais qui doit être à la quarte de d (RÉ), c’est-à-dire placée à l’aigu à la quarte de g (SOL), Alors cette cinquième corde, par l’application de l’index, donnera (LA suraigu) ; par l’application du médiaire recourbé bb (SI bémol suraigu) et du médiaire tombant naturellement B bécarre (SI bécarre suraigu) par l’application de l’annulaire (UT suraigu) ; et enfin par celle de l’auriculaire (RÉ suraigu), pour les autres cordes, ainsi qu’on l’a dit précédemment. »
Accordée ainsi, la vièle offrait de grandes ressources ; on ne démanchait pas à cette époque, mais à la première position elle avait trois notes de plus dans le grave, et une de moins dans l’aigu que l’alto moderne :
Le côté amusant de cette manœuvre, c’est qu’il fallait, comme avec la première manière d’accorder, passer de la deuxième à la première corde, avant de revenir à la troisième, pour faire entendre une gamme montante dans toute l’étendue. Jérôme de Moravie s’est-il expliqué assez clairement ? Les deuxième et troisième cordes ne formaient-elles pas une corde double, accordée à l’octave ?
« La troisième manière est opposée à la première, en ce que la première corde donne Γ (SOL le plus grave) ; la deuxième C (UT grave), la troisième G (SOL, octave du SOL le plus grave) ; la quatrième et la cinquième d (RÉ aigu). Dans cette troisième manière, à l’exception de ♭ aigu (SI bémol aigu), qu’on ne peut faire sur la troisième corde[16], les sons intermédiaires se trouvent comme dans la première manière susdésignée. En pratiquant ce que l’on vient de voir et en le fixant dans sa mémoire, on possédera entièrement l’art de viéler. »
Voici la disposition et l’étendue, avec la troisième manière d’accorder :
« Finalement cependant, il est à remarquer que ce qui, dans cet art, est le plus difficile, le plus solennel et le plus beau, c’est de savoir répondre avec les bourdons par les premières des consonances à chacun des sons dont se compose chaque mélodie ; c’est que le bourdon ne doit être touché avec le pouce que lorsque les autres cordes, touchées par l’archet, produisent des sons avec lesquels le bourdon forme une des susdites consonances, comme la quinte, l’octave, la quarte, etc. ; car la première corde, c’est-à-dire la supérieure des extérieures, que l’on appelle bourdon dans la première manière d’accorder, donne D grave (RÉ grave), et dans la troisième, elle donne Γ gamma (SOL le plus grave). Or, en suivant la main, ces deux cordes forment consonances avec ces mêmes lettres. Ce qui est facile pour une main habile qui n’ajoute ces moyens secondaires qu’en raison de ses progrès et de la connaissance de la main. »
Kastner, parlant des trois manières d’accorder la vièle d’après Jérôme de Moravie, dit par erreur, que parmi ses cinq cordes : « on comptait deux bourdons, lesquels, résonnant à vide, formaient une basse d’accompagnement à la mélodie que les autres cordes faisaient entendre[17] ». Or, on vient de voir que la vièle avait un bourdon dans la première, ainsi que dans la troisième manière d’accorder ; mais qu’elle n’en avait jamais qu’un seul à la fois.
vièle ovale à cinq cordes
Bas-relief de l'église de Norrey
(Calvados), xiiie siècle.
Nous ferons aussi observer que les anciens auteurs désignent presque toujours, comme première corde, celle qui est la plus grave de toutes, tandis que dans le violon et ses dérivés, c’est la chanterelle, la corde la plus aiguë, qui se nomme ainsi.
On vient de voir avec quel soin Jérôme de Moravie décrit non seulement les diverses manières d’accorder la vièle, mais encore les sons que l’on obtenait avec chaque accord différent, tant sur les cordes à vide que par l’application des doigts.
La musique de cette époque étant basée sur le plain-chant, qui exclut tout intervalle chromatique, il ne faut pas être étonné que les trois échelles de sons, qu’il donne, ne contiennent qu’une seule altération, celle du si par le bémol, la seule tolérée exceptionnellement, et dans l’aigu seulement, pour éviter l’intervalle de triton, si et fa, que l’on nommait alors le diable en musique :
Il est même certain que si les musiciens déchanteurs de son temps avaient commis d’autres altérations que celle-là il les aurait également données, car le mot laïcs lui sert bien certainement à désigner les trouvères et les ménestrels, et ce sont également leurs compositions qu’il nomme chants irréguliers.
Nous pensons que par cette dernière dénomination l’auteur a voulu désigner, non seulement les chants qui ne se tenaient pas toujours sévèrement dans les limites des tons ecclésiastiques, ceux dans lesquels on employait des notes de passage, des ornements ou fioritures qu’il indique sous les noms de plica, flos et reverberatio ; mais aussi les chants qui avaient une plus grande étendue que les anciens plains-chants, et qui, pour cette raison, devaient utiliser une grande partie des ressources qu’offrait la vièle, accordée de la seconde manière, laquelle, ainsi qu’il le laisse entendre semble avoir été réglée tout exprès pour ces chants.
Les trois accords différents de la vièle n’étaient pas seulement disposés en vue de jouer des mélodies ; mais encore et principalement pour exécuter : « ce qui dans l’art est le plus difficile, le plus solennel et le plus beau », c’est-à-dire des consonances : la quarte, la quinte, l’octave et leurs redoublements[18].
Par suite de l’absence d’échancrures sur les côtés de la caisse de l’instrument, pour le passage de l’archet, l’exécutant touchait au moins deux cordes à la fois ; il devenait donc facile de faire entendre sur la vièle des accords dans le genre de ceux décrits par Hucbald[19], sous le nom d’Organum ou Diaphonia.
vièle ronde à quatre cordes
Portail de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon
(xiiie siècle).Il existe de nombreux exemples de vièles à cinq cordes, en plus de ceux que nous avons déjà donnés, ce qui porte à croire que les instructions de Jérôme de Moravie étaient assez suivies.
Celle, de forme ovale, qui est sur un bas-relief de l’église de Norrey (Calvados), du xiiie siècle, a son cheviller brisé : elle possède un cordier très court, on n’y voit pas de chevalet ; une ouverture, pratiquée au milieu de la table au-dessous des cordes, y figure les ouïes.
Mais on rencontre des vièles ayant un nombre de cordes très variable, tantôt trois, quatre ou six, quelquefois deux seulement. Les instrumentistes les montaient sans doute selon leur besoin ou leur caprice ; cependant, la négligence des artistes qui les ont reproduites doit bien y être aussi pour quelque chose.
Parmi les anges musiciens qui décorent le grand portail de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, du xiiie siècle, il y en a deux qui jouent des vièles montées de quatre cordes.
Celui qui est tout en haut, à gauche, tient ou plutôt tenait une vièle ronde, car ses deux mains sont brisées. Il ne reste, de l’archet, que la partie se trouvant au-dessus de l’instrument,
grande vièle à quatre cordes
Portail de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon
(xiiie siècle).et son adhérence empêche de se rendre compte s’il y a deux ouïes ou simplement un trou rond au-dessous des cordes.
L’autre qui est également tout en haut, mais à droite, faisant vis-à-vis au premier, joue d’une grande vièle, en forme de guitare, sans échancrures, qu’il tient appuyée sur son épaule. Comme sur l’exemple précédent, les quatre cordes s’y distinguent parfaitement ainsi que le cordier, le chevalet, les chevilles et les deux ouïes taillées en S très allongées, de chaque côté et au milieu de la table.
Sur un vase ou plat à eau émaillé, du xiiie siècle, trouvé près de Soissons, qui est maintenant à la Bibliothèque nationale, au cabinet des médailles, et dont Coussemaker a donné un très beau dessin[20], sont représentées deux harpes et deux vièles ovales. L’une, qui est figurée au milieu du vase, a deux ouïes et trois cordes. L’autre, dessinée dans un des compartiments de ce plat, est ornée de trois ouïes[21], dont deux à droite et la troisième à gauche.
vièle ovale
Maison des Musiciens, à Reims (xiiie siècle).Par suite de la fantaisie du dessinateur, l’archet frotte sur les deux cordes dont elle est montée, dans un espace compris entre deux chevalets, de sorte que l’action des doigts y est complètement nulle. Coussemaker se demande si ce n’est pas une rubèbe, à cause de ses deux cordes. Tel n’est pas notre avis, car elle possède un manche, très court il est vrai, mais tout à fait indépendant de sa caisse.
Nous donnons, d’après un dessin à la mine de plomb, fait en 1840 par M. Boeswilwald et qui est aux archives de la Commission des Monuments historiques, un personnage de la Maison des Musiciens, située rue du Tambour, à Reims, qui joue d’une vièle montée seulement de trois cordes, bien que cinq chevilles soient indiquées sur le cheviller. La façade de cette maison, du xiiie siècle, est décorée de plusieurs statues qui représentent des musiciens jouant de divers instruments. Notre homme porte un chapel de roses sur la tête[22], les autres n’en ont pas ; c’est peut-être le portrait d’un ménestrel ou d’un trouvère couronné dans un puy d’amour[23]. Sa vièle est ovale, avec un fond plat ; les deux ouïes, taillées en forme d’oreilles,
sont placées en regard du chevalet qui se trouve à peu de distance du cordier ; l’archet, qui est en fer, a sans doute été renouvelé, car sa forme est à peu près celle de nos archets modernes.
Coussemaker dit à propos de cet instrument : « Les cordes sont au nombre de trois ; mais il y en a une placée en dehors du manche et destinée à former le bourdon. » Il est bien difficile de vérifier ce fait, surtout aujourd’hui que l’instrument a été brisé. En tous cas, on ne voit ce détail ni sur le dessin que nous donnons, qui a été fait sur place, ni sur celui publié par Viollet-le-Duc[24].
Si l’une de ses cordes était réellement disposée en bourdon, il est probable que cette vièle s’accordait d’après la première manière décrite par Jérôme de Moravie et qu’elle avait l’étendue suivante :
La charmante rosace d’un vitrail de l’ancienne église Saint-Eloi, à Rouen, du xive ou du xve siècle, qui est actuellement au Musée des antiquités de cette ville, nous offre un autre exemple de vièle à trois cordes. Ici, l’instrument est joué par un ange qui le tient appuyé contre sa poitrine, le bas de la caisse allant jusqu’à son épaule droite. Cette caisse, de forme allongée, à fond plat, n’a pas d’échancrures. Le cheviller est comme celui d’un luth, c’est-à-dire en équerre. Le cordier et le chevalet n’y sont pas figurés ; mais trois ou quatre petits ronds, dessinés sur le côté de la touche, semblent être des indications ou des repères pour le doigté. C’est la première fois que des signes de ce genre se voient sur le manche d’un instrument à archet ; plus tard, à partir du xve siècle, on y verra des touches, comme il y en a encore aujourd’hui sur les mandolines et les guitares. C’est encore un ange, qui est représenté jouant d’une vièle montée seulement de deux cordes, sur un vitrail de l’abbaye de Bon-Port, du xiiie siècle.
vièle à deux cordes
Vitrail de l’abbaye de Bon-Port (Normandie), xiiie siècle.L’instrument qui a servi de modèle au peintre verrier devait en posséder un plus grand nombre, car le cheviller de cette vièle paraît disposé pour contenir quatre ou cinq chevilles.
Déjà au xie siècle Jean de Garlande trace un tableau des concerts de son temps. La vièle y tient sa place : « Dans les maisons des riches, dit-il, j’ai vu des joueurs de lyre, de flûte, de cor, des vièleurs avec leurs vièles, d’autres avec un sistre, une symphonie, un psaltérion, une citole, un chœur, un tambour, des cimbales… » (in domibus divitum vidi liricines, tybicines, conricines, vidulalores cum vidulis, alios cum sistro, cum giga, cum symphonia, cum psalterio, cum choro, cum cilola, cum tympano, cum cimbalis… » Magistri Johannis de Garlandis Dictionarus, art. LXXX).
Il arrivait parfois après les repas, que les invités prenaient part au concert :
Quant mengiée orent à plenté
Et li doblier furent osté,
Cil lecheor dont mout i ot
Monstra chascun ce que il sot ;
Li uns atrempe sa vièle.
Cil flauste, cil chalmèle,
Et cil autre rechante et note
O a la lyre o a la rote.
Celui qui savait un conte ou une chanson de geste, devait l’interpréter sans trop se faire prier :
Fiz, se tu sez contes conter
Ou chanson de geste chanter
Ne le laisse pas trop proier.
Dans le passage suivant, il est question de deux lais de Marie de France : le lai des Deux Amans et le lai du Chèvrefeuille, anecdote empruntée au roman de Tristan et Yseult :
Grans fut la feste, mes pleines i ot tant,
Mout a anui les iroie contant
Bondissent timbres et font feste mout grand.
Harpes et gigues et jugleors chantant,
En lor vièle vont les lais vièlant,
Qui en Bretagne firent ja li amant,
Del chevrefoie vont le sonet disant,
Que Tristan fit que Yseut aima tant.
C’est aux airs à danser que la musique doit, en grande partie, la vivacité de ses rythmes. Quelques-uns sont venus jusqu’à nous, soit par leurs noms, soit par les mélodies populaires ; le fameux branle du Poitou est déjà cité au xiiie siècle :
Car j’oï si grant mélodie,
C’onques tèle ne fut oïe
En citoles et en vièles ;
Oï faire notes nouvelles,
Dames et sons poitevinois
Oï en cors sarrazinois,
Timbres y avoit et araines,
Psaltérion, muse, douçaine,
Chevrettes, buisines, tabors,
Dont mout me plaisoit li labors ;
Instruments de toute manière
I avoient et a vois plenière
Chantoient cil qui les menoient.
On voit, par les deux derniers vers, que les musiciens chantaient et jouaient tout à la fois.
C’est ainsi qu’un personnage, fort curieux est représenté sur une sculpture de l’ancienne église abbatiale de Cluny (Saône-et-Loire), actuellement au musée de cette ville, coiffé d’une sorte de bonnet phrygien ; il a l’air de chanter, tout en s’accompagnant vigoureusement sur sa vièle à quatre cordes.
En France, ce furent les ménestrels qui remplacèrent les bardes druidiques, et de même que leurs devanciers, ils chantèrent les hauts faits des guerriers qui s’étaient le plus distingués par leur valeur ou qui étaient morts en combattant. Nos premiers rois eurent, sous le nom de ménestriers, des poètes pour célébrer leur victoire et transmettre à la postérité les belles actions dont ils avaient été témoins. Les ménestrels marchaient à la suite des armées, et leur emploi ne consistait pas seulement à entonner les chansons de Clotaire[25], de Charlemagne et de Roland[26], mais encore à commencer l’attaque et à ouvrir le combat.
De curieux détails sur la profession des ménétriers qui suivaient les armées, et principalement celle de Guillaume le Conquérant, sont racontés par Geoffroy Gaimar, poète anglo-saxon du xiie siècle[27], et par Augustin Thierry : « À la bataille d’Hastings (14 octobre 1066), dit ce dernier[28], un Normand, appelé Taillefer, poussa son cheval en avant du front de bataille et entonna le chant, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland[29]. En chantant, il jouait de son épée, la lançait en l’air avec force et la recevait dans sa main droite. Les Normands répétaient ces refrains en criant : Dieu aide ! Dieu aide ! »
Robert Wace rappelle le même fait :
Taillefer ki molt bien cantoit
Sur un caval ki tost aloit
Devant ax s’en aloit cantant
De Karlemaine et de Roland
Et d’Olivier et des vassaus
Ki morurent à Rainscevaux.
Les tours d’adresse du ménestrier Taillefer ont été représentés sur la tapisserie de Bayeux, dite de la reine Mathilde.
Le ménestrel Berdic, ainsi que plusieurs autres, accompagnaient également Guillaume le Conquérant.
Mais les ménestrels n’excitaient pas toujours les guerriers, ainsi que les bardes, ils s’employaient parfois pour séparer les combattants[30].
Philippe-Aupfuste avait à sa cour le poète Hélinand, qui lui racontait pendant son repas des aventures de chevalerie et d’autres sujets tirés de la fable ou de l’histoire :
Quant li rois ot mangié, s’appela Élinant.
Por li esbannoïer commande que il chant ;
Cil commence à noter ainsi com li jaïant
Vourent monter au ciel, come gens mescréant
Entre les Dieux en ot une bataille grant,
Se ne fust Jupiter, à la foudre bruïant,
Oui tous les desrocha : j’a n’eussent garant.
Déjà, dans l’antiquité, on ajoutait aux plaisirs de la table, par des spectacles, des jeux et des concerts. Cette coutume, qui semble avoir été commune à tous les peuples, existait encore dans la Gaule après l’invasion des Francs et se continua très longtemps après, car l’abbé Choisy rapporte, dans sa Vie de Charles V, que pendant le dîner de la reine, il y avait un prud’homme qui faisait des contes. On lit aussi dans le roman d’Anseis de Carthage :
Rois Anseis doit maintenant souper ;
Mais il faisoit un Breton viéler
Le lai Goron comment il doit finer
Comme faitement le convient définer.
Ce n’étaient pas seulement les rois et les nobles qui avaient des jongleurs attitrés pour égayer les repas ; les évèques, les abbés, les papes même se plurent à embellir ainsi leurs fêtes[31] et introduisirent des comédiens et des bouffons dans leur intimité[32]. De plus, il y eut des prêtres et des moines qui prirent part à ces divertissements et remplirent eux-mêmes le rôle de ménestrels et de jongleurs[33].
Présents en tous lieux, les ménestrels chantaient les exploits guerriers, les miracles, les aventures d’amour, les plaisirs de la vie et de la société ou les charmes de la solitude et du cloître. Ils figuraient dans les processions[34], on les rencontrait mêlés à des bandes de pèlerins ou accompagnant une troupe de croisés partant pour la Terre Sainte[35]. On les récompensait par des dons en argent, en chevaux, en habits et en fourrures. Les seigneurs quittaient souvent leur robe pour la donner au ménestrier qui les avait amusés, et celui-ci se faisait un honneur de la porter dans les grandes occasions, pour inviter celui qui l’écoutait à ne pas être moins généreux que les autres[36].
Les ménétriers rapportaient dans leurs compositions les traits de magnificence dont ils avaient été témoins, ou bien ils en attribuaient aux héros dont ils chantaient les exploits :
Anchois i ot joie moult grant
Que font li petit et li grant.
Cil jongléour de plusiors terres[37]
Cantent et sonent lor vièles,
Muses, harpes et orcanons
Timpanes et salterions
Gigues, estives et frestiaus
Et buisines et calemiaus
Cascuns d’els grant joie demaine ;
De joie est toute la Cors plaine.
Car moult ert li roi Artus rices
Oncques ne fu malvais ne chiches ;
Moult lor fist bien à tous aidier
De quanqu’il lor fust mestier
Tuit cascuns o s’espousée,
Si come lui plest et agrée.
Au matin quant il fu grant jor,
Furent païé li jougléor,
Li un orent biax palefrois,
Beles robes, et biaux agrois
Li autre lonc ce qu’il estoient
Tuit robes et deniers avoient ;
Tuit furent paié à lor gré,
Li plus povro orent à plenté.
Quant li jougléour sont paié
En lor pais sont repairié ;
Et la Cours estoit départie
Cascuns chevaliers o sa mie
S’en vet à joie et à bandor.
Dinaux cite les deux passages suivants qui ont trait au même sujet :
Al jor furent jugléor lie,
Main belle don leur fût donné.
Robes de vair et d’herminette
De conin et de violette.
La feste fut si belle que quinze jours dura.
Où maint bon Ménestrel de son mestier joua.
Qui fut gentil de cuer sa robe dépouilla
Et pour s’onneur à un d’els la donna[38].
Ce ne sont pas précisément des compliments que Colin Muset adressa à un comte de Champagne qui l’avait congédié sans lui offrir le moindre présent :
Sire, cuens j’ai viellé
Devant vos en vostre ostel
Si ne m’avés rien donné
C’est vilanie !
Foi que doit sainte Marie
En si ne vos fièvre — je mie,
M’ausmonière est mal garnie
Et ma borse mal farsie.
Mais il devait y avoir beaucoup d’aléas dans le métier de jongleur, et tous n’étaient pas riches :
Il ot un jugleour à Sens
Oui moult est de povre rivière,
N’avoit pas souvent robe entière,
Mes moult souvent en la chemise
Estoit au vent et à la bise[39].
Le dit de la Maaille, pièce de vers du xiiie siècle, contient le récit d’un ménestrier populaire qui fait l’éloge de cette monnaie[40], et avoue qu’il en reçoit beaucoup plus que de deniers, de sous et de livres :
Si je ne menjoie de lart
De char de vache ne de buet
Devant que aucuns X ou IX
M’eust doné por mon chanter,
Je me pourroie bien vanter
Jamais de char ne manjeroie
Quar certes je ne troveroie
Qui tel présent me voustit fère.
Tant s’eusse bien d’arçon trère.
Si me convient le petit prendre
Quar je ne puis la grand atendre
En aucune place m’avient
Que aucun preudhomme me vient
Pour escouter chançon ou note,
Que tost m’a donné sa cote,
Son garde-corps, son hérigaut.
Si en suis plus liez et plus haut
Et en chante plus volontiers.
Tels i a qui de ses deniers
Me donne, iiij, ou iij, ou ij.
Oyez, il y a plus de ceus
Qui me donnent ainz moins que plus,
El je suis cil qui ne refus
Denier, monnoie, ne maaille,
Ainz le praing, ainçois que je faille.
La situation de ce pauvre diable était loin d’être brillante, et peut se comparer à celle des mauvais racleurs qui, de nos jours, courent de cafés en cafés accompagnant des chanteurs et des chanteuses interlopes, faisant la quête et acceptant à la fois les sous et les pièces blanches. Aussi les vrais jongleurs faisaient-ils tout leur possible pour ne pas être confondus avec cette basse catégorie d’artistes qui ravalaient la profession. On en trouve la preuve dans une requête adressée à Alphonse X, roi de Castille et de Léon, par le jongleur Giraud Riquier, et dont voici un court extrait :
« Il n’est pas convenable de comprendre tous les jongleurs sous une même dénomination, puisqu’il y a entre eux de grandes différences. Ceux qui font bien leur état ont le droit de se plaindre de ce qu’on les confond avec de misérables coureurs de rues qui jouent de quelque instrument tant bien que mal et qui chantent au milieu des carrefours, entourés de la plus vile canaille, mendiant leur pain sans pudeur, n’osant se montrer dans une noble maison et s’en allant ramasser quelques sous dans de méchants cabarets. Est-il juste d’appeler jongleurs des gens dont la seule ressource est de montrer des singes et autres bêtes ?
« La jonglerie a été instituée par des hommes de science et de savoir pour divertir la noblesse et lui faire honneur par le jeu des instruments. Aussi les nobles seigneurs ont-ils eu des jongleurs à leur service et en ont-ils encore par bienséance. Puis vinrent les troubadours pour raconter les hauts faits, louer les preux et les enhardir dans leurs prouesses ; car qui ne peut les faire peut les juger, et celui qui sait ce qu’elles doivent être n’est pas tenu de les accomplir. Ainsi commença la jonglerie et chacun vécut à son plaisir chez les nobles[41]. »
La vie joyeuse et facile des ménestrels, les présents qu’ils recevaient, l’estime dont ils jouissaient, en fit tellement augmenter le nombre, que Philippe-Auguste les chassa. Mais ils ne tardèrent pas à rentrer dans le royaume et s’organisèrent sous le nom de Menestrandie. C’est à cette époque que fut instituée la royauté des ménestriers.
Roquefort, à qui nous empruntons la plupart de ces renseignements, dit : « L’art de la jonglerie ou de la menestrandie fut alors divisé en quatre espèces de talents. Les trouvères ou fabliers composoient les romans, les fabliaux, etc. ; ils mettoient en rimes les sujets que les chantères exécutoient. L’un étoit poète, et l’autre acteur-musicien ; quelquefois, ils réunissoient ces deux arts. Les conteurs débitoient les productions des fabliers et faisaient en rime ou eu prose les récits et les contes. On a quelquefois même confondu les historiens sous ce nom. On nommait chantères ou ménestriers les musiciens dont le métier étoit de chanter et de jouer des instruments. Les jongleurs, qui jouoient aussi d’un instrument, étoient une sorte de baladins ou de joueurs de gobelets, qui, habiles dans l’escamotage, conduisoient les animaux dressés. Cette classe, la plus considérable, gagnoit beaucoup d’argent. Enfin, le ménestrel étoit le chef d’une troupe de conteurs et de ménestriers[42]. »
Les ménestrels et les jongleurs étaient dans l’obligation de connaître les instruments de musique, et ne pouvaient ignorer la vièle sans s’exposer à de graves reproches :
Mal saps viular
Mal t’enseignet
Cel que t’montret
Los detz à menar ni l’arçon.
dit Giraud de Cabrière, troubadour du xiiie siècle, à un jongleur nommé Cabra. Il lui dit encore : « Tu ne sais ni chanter, ni danser, ni escamoter, comme fait jongleur gascon. »
Un fabliau du xiiie siècle, souvent cité, Les deux Bordéors ribaus, contient la longue énumération des nombreux talents exigés pour la profession de ménestrel. La liste en est excessivement longue et l’on se demande s’il serait possible de les réunir tous aujourd’hui. Ils devaient connaître les poètes, leurs contemporains et leurs œuvres, savoir conter en roman et en latin, réciter les aventures des chevaliers de Charlemagne ou du roi Arthur, les chansons de toute espèce, jouer de tous les instruments de musique, donner des conseils aux amants, connaître encore tous les jeux imaginables, toutes les poésies chantées, déclamées ou contées, etc. Ils se donnaient des sobriquets ou des noms de guerre ridicules, tels que Tranche-côte, Bornicant, Fier-à-bras, Gros-groing, Rouge-foie, Brise-tête, Tue-bœuf, Brise-barre, Courte-épée, Tourne-en-fuite, Arrache-cœur, etc.
L’un des deux rivaux dit à l’autre :
Ge te dirai que ge sai faire
Ge sui jugleres de vièle,
Si sai de muse et de frestele
Et de harpe et de chifonie
De la gigue, de l’armonie ;
Et el salteire et en la rôte
Sai-ge bien chanter une note.
Saint Louis exempta les jongleurs qui arrivaient à Paris du droit de péage qui se percevait à l’entrée de la ville, sous le petit Chastelet, à condition qu’ils feraient sauter leurs singes et chanteraient une chanson devant le péager : « Li singes au marchant doit quatre deniers, se il pour vendre la porte ; et si li singes est à home qui l’ai acheté par son déduit, si est quites, et se li singes est au joueur, jouer en doit devant le paagier, et por son jeu doit estre quites de toute la chose qu’il achète à son usage, et ausitost li jongleur sont quite por un ver de chançon[43] » De là le proverbe, payer en gambades on en monnaie de singe.
Les trouvères cultivaient aussi la vièle, de là les noms et surnoms de viéleurs donnés à quelques poètes musiciens. Parmi les plus célèbres, on cite Jonglet : « qui fut, dit Fauchet, un menestrier appris, fort renommé et estimé… comme principal en ce mestier près le dit empereur Conrad ».
Un sien vielor qu’il a
Qu’on appelle arrort Jonglet,
Fit appeler par un varlet.
Il est sage et grant apris,
Et savoit oi et apris,
Mainte chanson et maint biau conte[44].
Mais il y avait aussi des femmes menestrelles. La belle Dœte, de Troyes, l’une des plus renommées, était également au nombre des poètes chanteurs de l’empereur Conrad, à Mayence[45].
À cette même cour de Conrad, Hue de Braie Selve, ménestrel français, y enseignait la danse :
L’empereres le tint molt cort,
Que li apprist une dance,
Que firent pucelles de France
À l’ormel de Tremelli.
Colin Muset, dont nous avons déjà donné plusieurs fragments de poésies, était un viéleur non moins estimé ; mais Adenès li rois est un de ceux qui honorent le plus la vièle et la ménestrandie. Trouvère et ménestrel de Henri III, duc de Brabant, un de ses ouvrages obtint le chapel de rose dans un Puy d’amour et lui valut son surnom. Ce poète est l’auteur des romans de Cléomadès, qui contient 18 688 vers, Les enfances d’Ogier le Danois, Aymeri de Narbonne et de Berthe et Pépin. On le représente, sur une miniature de son roman de Cléomadès, la tête couronnée, à demi agenouillé devant la reine Marie de France et tenant sa vièle à la main[46].
L’épisode des noces du roi Cléomadès avec sa bien-aimée Clarmondine donne une idée très exacte de ce qu’était, au xiiie siècle, le rôle des instruments de musique :
Se vous à ce point là fussiez
Planté d’estrumens oyssiez :
Vièles et sauterions,
Harpes, gigues et canons,
Leiis, rubèbes et kitaires,
Et ot en plusieurs liens nacaires
Qui moult très grand noise faisoient.
Mais fors des routes mis étoient.
Cymbales, rotes, tympanons
Et mandoires et micamons,
I ot, et cornes et doucaines
Et trompes et grosses araines,
Cors sarrazinois et tabours
I avoit moult en lieus plusours ;
Estrumens de mainte manière
I ot, et avant et arrière,
De toutes parts et de tous lés
Que ne vous ai pas nommés.
Car maint pays i estoient
Ménestrel qui assez savoient
De ce K’assiert à Ménestrel.
Un nommé Blegabres, jongleur du xiiie siècle, est appelé par Robert Wace le dieu des jongleurs et des chanteurs :
Blegabres régna après li.
Cil sot de nature de cant,
Oncques nus n’en sot plus, ne tant :
De tes estrumens sot maistrie,
Et de diverse canterie ;
Et mult sot de lais et de note.
De vièle sot et de rote.
De lire et de satérion,
De harpe sot et de choron,
De gighe sot, de simphonie.
Si savoit assés d’armonie ;
De tous giex sot à grand planté
Plain fu de débonnaireté.
Parce qu’il ert de si bon sens
Disoienl li gent à son tens.
Que il est Dex des jugléors
Et Dex de tos les chanteors.
Quand les jongleurs étaient en nombre, ils alternaient, se partageaient la besogne :
Après se levon li junglar
Cascus se volt faire auzir.
L’us mena harpa, l’autre viula
L’us flautella, l’autre siula ;
L’us mena giga, l’autre rota
L’us diz los mots e l’autr’els nota.
Le troubadour Perdigos était à la fois poète, chanteur et viéleur :
Perdigos fo joglar e sap tro ben violar e trobar e cantar.
Et Pons de Capdueil également :
Pons de Capduilh e trobara e violara e cantara be.
C’est un viéleur, nommé Bierre de Sygelart, que Gautiers de Coinsi fait figurer dans la poétique légende : Du cierge que Nostre-Dame de Rochemadour envoia seur la vièle au menestrel qui viéloit et chantoit devant s’ymage. Ce ménestrel ne passait jamais devant une image de la Vierge sans y prier et sans chanter :
Ouant oroison a dite et faite,
Sa vièle a dou fuerre traite :
L’arçon as cordes fait sentir
Et la vièle à retentir ;
Fait si, qu’entour sanz nul délai,
S’assemblent tous et clercs et lai[47].
La miniature placée en tête du miracle représente un moine vêtu d’une robe noire qui tient un cierge immense, tandis que le ménestrel, qui porte une robe rouge, est agenouillé et joue de sa vièle en regardant l’image de la Vierge. Cette peinture est mutilée, l’image de la Vierge a été coupée. C’est pourquoi nous n’avons pas cru devoir la reproduire ici[48].
Il n’y avait pas que devant les images de la Vierge et des saints que l’on chantait et jouait de la vielle ; les bretteurs s’offraient aussi des concerts très variés avant d’aller ferrailler au coin d’une ruelle ou d’un carrefour :
À ceulz de Rome veul un petit repairier
Qui contre leur seigneur moult noblement aloient ;
Trompes, harpes, naquaires et vièles sonnoient ;
Nus ne porroit conter la feste qu’il faisoient
À pièce ne pensassent au duel qu’il atendoit.
Ainsi que nous l’avons déjà dit, la vièle était un instrument d’accompagnement :
Quant un chanterre vient entre gent honorée
Et il a en droit soit sa vièle atrempée
Jà tant n’aura mantel, ne caste des ramée
Que sa première lais ne soit bien escoutée.
Mais on s’en servait aussi pour jouer les airs des chansons et les populariser :
Cil jongleur en leurs vièles
Vont chantant ces chansons novels.
Cel jugleor là où ils veunt
Tuit leur vièles traites uns
Laiz sonnez veunt viellant.
Les auteurs des deux citations précédentes ont certainement voulu designer plusieurs instruments par le mot vièles, dont ils se sont servi d’une façon générique ; et on peut supposer que la vielle à roue devait en faire partie, car à cette époque tout ménestrel digne de ce nom était tenu de la connaître.
Guillaume de Machault la cite honorablement parmi les instruments qui prenaient part au concert de Prague ; il ajoute qu’aux xiie et xiiie siècles elle passait pour un instrument très doux et très harmonieux[49]. Elle portait alors le nom de symphonie, ou chiffonie, mais les vieux poètes l’ont aussi appelée vièle et viole.
L’une des plus agréables productions du xiiie siècle, le Roman de Gérard de Nevers ou de la Violette, contient le passage suivant :
Après le souper se couchièrent
Dusqu’al demain h’il ajourna,
Gérars mie ne séjourna,
Ains se leva isnièlement
Et vesti j vies garnement.
Et pent à son col la vièle
Que Gérars bien et bel vièle[50].
Sur la miniature placée en tête du chapitre[51] contenant ces vers, Gérard est représente déguisé en ménestrel et ayant une vielle à roue ou chiffonie pendue à son côté gauche, qu’il porte comme une rapière. Au-dessous de la vignette on lit : « Comment Girart vinst à Nevers la viole au col où il chanta devant Liziart. » Logiquement, c’est le fond de l’instrument qui devrait être appuyé sur la hanche du personnage, et non le côté des cordes ; le dessinateur l’a sans doute placé ainsi pour qu’il fût plus décoratif. Dans tous les cas, c’est bien une chiffonie puisqu’il y a une manivelle.
ou chiffonie, (la vielle actuelle) pendue au côté.
Roquefort[52] constate que c’est bien l’instrument que nous appelons maintenant vielle, tout en faisant remarquer que le manuscrit où il figure date du xve siècle. C’est, en effet, vers 1440 qu’il a été exécuté, d’après les ordres de Philippe le Bon, duc de Bourgogne[53], mais le roman n’en est pas moins du xiiie siècle[54] et l’auteur a bien écrit :
Et pent à son col la vièle.
Or, une seule vièle à archet se jouait de cette manière, c’était la rote, et il nous paraît peu probable que l’élégant Gérard se soit présenté avec un instrument presque aussi grand que notre violoncelle, pendu à son cou et appuyé contre son ventre, dont le moindre inconvénient aurait été de le masquer presque complètement. Il nous semble plus logique d’admettre que l’auteur s’est servi du mot vièle parce qu’il était plus répandu.
Un exemple du même genre se trouve dans un manuscrit du xve siècle, qui a pour titre Le Pèlerinage de la vie humaine. Une des vignettes représente un ménestrel jouant de la vielle à roue, et le texte dit :
Assés près de ce chasteau estoit
Qu’avoie ouy qui vielloit
D’une vielle avec son chant.
Du reste, les poètes modernes agissent de même et ne se préoccupent pas toujours de la vérité. Dans Mignon, d’Ambroise Thomas, au premier acte, avant le charmant duo des Hirondelles, Mignon dit à Lothario : « Donne-moi ton luth », et celui-ci lui passe tranquillement une petite harpe. De sorte que si, dans deux ou trois cents ans, on fait des commentaires d’après un dessin représentant cette scène, on pourra dire qu’au xixe siècle le luth était une harpe.
Les erreurs de ce genre fourmillent. Dans les Œuvres complètes de Musset[55], se trouve la Nuit de mai, qui commence par ce vers célèbre :
Poète, prends ton luth et me donne un baiser.
Et sur la gravure qui est en regard, le luth qui se trouve aux pieds du poète n’est autre qu’une lyre antique de fantaisie, montée de cinq cordes.
Gérard de Nevers n’a pas été seul à endosser le costume de ménestrel. On voit aussi sur une miniature du Roman de Guion, du xiiie siècle, la belle Josiane déguisée en jongleresse et jouant d’une vièle à archet, sur laquelle on ne compte que quatre chevilles, bien qu’il y ait cinq cordes, et de plus, par suite d’une anomalie, celles-ci passent sous la touche, de sorte qu’elles ne peuvent être actionnées par les doigts.
Alfred le Grand, roi d’Angleterre, qui était aussi bon poète qu’habile musicien, se déguisa en ménestrel pour pénétrer dans le camp des Danois, qui avaient pris possession de son royaume, et parvint ainsi à connaître leur position et leur nombre, ce qui lui permit de les attaquer avec un grand avantage et d’en délivrer son pays.
Au xe siècle, Anlaf, qui commandait une armée très nombreuse de Danois, usa du même stratagème pour s’introduire dans le camp des Anglais, où il fut reçu dans la tente du roi Athelstan, qui lui donna une forte récompense pour le remercier de ses talents. Mais le faux ménestrel, dédaignant d’emporter la somme qui venait de lui être offerte, l’enfouit sous terre et fut reconnu par un soldat qui avait servi sous ses ordres. Celui-ci prévint le roi Athelstan, qui regretta vivement de n’avoir pas reçu cet avis au moment où son ennemi était encore en son pouvoir ; mais il s’en vengea le lendemain en mettant l’armée d’Anlaf en déroute.
L’anecdote suivante montre la confiance et la considération qui étaient accordées aux ménestrels, même à une époque où ils avaient déjà beaucoup perdu de leur prestige.
En 1316, le jour de la Pentecôte, Édouard II célébrait sa fête à Westminster ; il était à table, entouré de ses pairs, lorsqu’une femme, vêtue et parée comme un ménestrel, entra dans la salle sur un grand cheval richement harnaché, comme en avaient d’ordinaire les poètes-chanteurs. Après avoir tourné autour des tables, elle s’approcha de celle du roi et mit un placet devant lui, puis elle salua, piqua son cheval et disparut. Ce placet contenait une remontrance au roi sur les faveurs qu’il prodiguait à ses favoris, tandis qu’il négligeait ses plus braves chevaliers et ses plus fidèles serviteurs. Les courtisans blâmèrent le portier d’avoir laissé passer cette femme ; mais il répondit que ce n’était pas l’usage de refuser jamais l’entrée des maisons royales à un ménestrel[56].
Si un ménestrel mérita jamais la confiance du prince auquel il était attaché, c’est assurément Blondel[57], qui se dévoua à Richard Ier dit Cœur de Lion, roi d’Angleterre, lorsque celui-ci fut fait prisonnier par le duc d’Autriche à son retour de la troisième croisade.
Voici cette touchante histoire, d’après la Chronique de Reims[58].
« Chapitre VIII — Coment li rois Ricars fu mis hors de prison par Blondiel le menestrel.
« Dés oremais vous dirons del roi Richart que li dus d’Osterriche tenoit en prison ; et ne savoit nus nouvieles de lui, fors seulement li dus et ses consaus. Si avint qu’il avoit longuement tenu. 1. ménestrel, qui nés estoit deviers Artois, et avoit à nom Blondiaus. Cius afferma en soi qu’il querroit son signeur par touttes terres tant qu’il l’auroit trové ou qu’il en oroit novièles. Et se mist en chemin et tant erra l’un jour et l’autre, par laid et par biel, qu’il ot demourè an et demi, n’onques ne pot oir nouvièle del roi. Et tant aventura qu’il entra en Osterriche ensi come aventures le menoit. Et vint droit au castiel ou li rois estoit en prison, et se hiébrega ciès une vaine feme, et li demanda à cui castiaus estoit, qui tant estoit biaus et fors et bien séans ? Li otesse respondi et dist qu’il estoit au dus d’Osterriche. « — O bièle ostesse, dist Blondiaus, a-il ore nul prisonier dedens ?
« — Ciertes, dist-elle, oil, un qui ja estoit bien a. iiii. ans, mais nous ne poons savoii’qui il est ciertainement. Mais on le garde moult songnensement, et bien espérons qu’il est gentius hom et grant sires. » Et quand Blondiaus entendi ces paroles si fu merveilles liés el li sembla en son cuer qu’il avoit trouvé çou qu’il quéroit. Mais ains ne fist samblant al ostesse. La nuit dormi et fu aise et quant il oï la gaite corner le jour, si se leva et ala à l’église proijer Dieu qu’il li aidast, et puis vint au castiel et s’accointa au castelain de laiens, et dist qu’il estoit menestreus de viièle et volontiers demouroit avec lui s’il lui plaisoit. Li caslelains estoit jouenes chevaliers et jobs et dist qu’il le retenroit volentiers. Adonc fu liés Blondiaiis et ala querre sa viièle et ses estrumens et tant servi le castelain qu’il fu moult bien de laiens et de toute la maisnie et moult plot ses siervices. Ensi demoura laiens tout l’iver, onques ne pot savoir qui li prisoniers estoit. Et tant qu’il aloit.1. jour, es fiestes de Pasques, par le jardin qui estoit lès la tour, et regarda entour, savoir se par aventure poroit veoir le prisonier. Ensi come il estoit en cette pensée, li rois regarde et vit Blondiel et pensa coment il se feroit à lui conoistre ; et li souvint d’une canchon qu’il avoient fait entr’eaux deux, que nus ne savoit fors que eux deus. Si comencha haut et clèrement à canter le premier vier, car il cantoit très bien. Et quant Blondiaus l’oï, si sot certainement que c’estoit ses Sires. Si ot à cuer le plus grant joie quil ot onques mès à nul jour. Et se parti maintenant dou vergier et entra en sa cambre où il gisoit, et prist sa viièle et comencha à vièler une note, et en violant se delitoit de son Signeur qu’il avoit trouvé. Ensi demoura Blondiaus deschi à pentecouste, et si bien se couvri que nus ne se pierchut de son affaire. Adont vint Blondiaus au castelain et li dist : « Sire, s’il vous plaist, je me iroie volentiers en mon pays, car lonc tans a que je n’i fui. — Blondiel, biau frère, ce dist li castelains, ce ne ferez vous mie, se vous m’en créés. Mais demorès encore et je vous ferai grant bien. — Ciertes, Sire, dist Blondiaus, je ne demouroie en nule manière. » Quant li castelains vit qu’il ne le pooit retenir, si li octria le congier et li donna boine ronchi noeve. À tant se parti Rlondiaus dou castelain et ala tant par ses journées qu’il vint en Engletère et dist as amis le Roi et as barons, où il avoit le Roi trouvé et coment. Quant il orent entendu ces nouvièles si en furent moult liés. Car li rois estoit li plus larges chevaliers qui onques cauçast esporon. Et prisent consel entr’aus quil envoiroient en Osteriche au dus pour le roi raiiembre : et eslurent .ii. chevaliers qui là iroient, des plus vaillans et des plus sages. Et tant alèrent par lor journées qu’il vinrent à Osteriche au dus et le trouvèrent en .1. sien castiel et le saluèrent de par les barons d’Engleterre et li disent : « Sire, il vous mandent et prient que vous prendès de lor signor raenchon : et il vous en donront tant qu’il vous venra en gré. » Li dus lor respondi qu’il s’en conselleroit. Et quant il s’en fu conselliés si dist : Signeur se vous le volès ravoir, il le vous convient racaterde .ii. cens mil mars d’esterlins ; et si n’en reprendès plus ma parole, car ce seroit paine perdue. — Atant prisent li message congiet au dus et disent que ce reporteroient li as barons et puis si en eussent conselg. Adont revinrent en Engletère et disent as barons çou que li dus lor avoit dit. Et il disent que ja pour cou ne demouroit. Adonc fisent âprester lor raenchon et le fisent envoier au dus. Et li dus délivra le roi. Mais anchois li fist donner boine sureté que jamais il n’en seroit moliesté.
« Ensi avint que li rois Richars fu raiiens et fu recheus en Engleterre à grant houneur : mais sa terre en fut moult grevée et les églises del regne, car il lor convint mettre jusques as calices, et cantèrent lonc tans en calisces d’estain. »
Les ménestrels jouaient un rôle important dans la création des chevaliers. Avant la cérémonie du bain, « vont par devant les chevaliers, chantans, dansans, et esbatans jusques à l’huys de la chambre dudit escuyer ». Après celle cérémonie : « les escuyers esbatans et dansans seront admenez par devant l’escuyer avec les ménestrels faisant leurs mélodies jusques à la chapelle[59] ». Cela devait être très gai et très animé quand on armait un chevalier. En résumé, les ménestrels étaient toujours avec l’écuyer candidat, à toutes les cérémonies préparatoires, et lorsque le roi lui avait donné l’accolade, en lui disant : soyez bon chevalier, ils accompagnaient encore le nouvel élu jusqu’à sa chambre.
En récompense des fonctions qu’ils avaient exercées en pareil cas, ils recevaient : les vêtements que l’écuyer avait quittés pour revêtir le costume de chevalier, plus un marc d’argent si l’écuyer nouvellement élu était bachelier, le double s’il était baron, et le double encore s’il était comte ou plus que comte.
L’Allemagne avait aussi ses poètes, chanteurs et musiciens appelés Minnesinger (chanteurs d’amour), qui étaient, pour la plupart, de très haute lignée ; car on trouve parmi eux un empereur, des rois, des princes, des ducs, des margraves et des comtes. Les plus célèbres furent Klingsor, Wolfram d’Eschenbach, Walther de Vogelweide, maître Gottfried de Strasbourg, Reinmar l’Ancien, Ulric de Lichtenstein, Tannhäuser (le héros de R. Wagner), etc.
Dans les Nibelungen, qui ont été terminées, dit-on, vers 1210, le poète donne les rôles les plus brillants aux chanteurs joueurs d’instruments. Lorsque Ezel, roi des Huns, envoie des ambassadeurs vers les rois des Burgondes, il choisit deux joueurs de vièle, Werbel et Swemmel, pour remplir cette mission, les couvre d’habits précieux et les charge de présents magnifiques[60].
Plus tard, parmi les plus vaillants héros :
« Voici venir le seigneur Volker, un hardi joueur de vièle… Je veux vous faire savoir ce qu’était Volker ; c’était un noble seigneur, on l’appelait le joueur, parce qu’il savait jouer de la vièle[61]. »
« Volker plaça près de lui, sur le banc, un archet puissant, long et fort, tout semblable à un glaive large et acéré[62] !… »
« …Wolker, son compagnon, s’élança de la table, son archet retentissant résonna dans sa main, il joua de la vièle d’une manière terrible, le hardi joueur[63] !… »
Hagen de Troneje, l’un des plus farouches guerriers des Burgondes, aperçoit Werbel le joueur de vièle à une table : d’un coup de glaive, il lui abat la main sur sa vièle. « Oh ! malheur à moi, s’écrie Werbel, le joueur de vièle de Ezel ; seigneur Hagen de Troneje, que vous ai-je fait ? Comment, maintenant, ferai-je résonner les accords, ayant perdu ma main[64] ? »
Ces passages, dont nous empruntons la traduction à Vidal[65], montrent combien le Minnesinger instrumentiste était honoré.
Le manuscrit du xiiie siècle, qui a pour titre Minnesinger Manessische Sammlung, dont la Bibliothèque nationale possède une reproduction photographique[66], contient un grand nombre de poésies des Minnesinger ainsi que des peintures sur lesquelles la vièle à archet est souvent reproduite.
C’est le seigneur Reinmar le vièleur[67] (Her Reinmar der Videller) qui est représenté sur la miniature que nous reproduisons.
Son instrument, monté de quatre cordes, n’a pas d’échancrures. Trois ouvertures, en carré long, figurent les ouïes, dont doux sont placées de chaque côté du cordier, et la troisième en travers de la table en dessous des cordes. La manière dont Reinmar tient sa vièle est des plus intéressantes ; appuyée contre l’épaule droite, elle masque le haut de son corps et lui cache le bas du visage. Les deux vièles, plus petites, qui sont dans le haut de la vignette, l’une, sur un écusson, l’autre, avec des sortes d’ailes, ressemblent à celle que joue Reinmar, mais n’ont que trois cordes.
Nous donnons un autre Minnesinger jouant une vièle qui offre les mêmes particularités.
À la fin du xiiie siècle, les Minnesinger disparurent et firent place aux Meistersinger (maîtres chanteurs), qui formèrent des corporations soumises à des règles, tandis que les premiers étaient libres et indépendants. L’enthousiasme lyrique des princes et des chevaliers, qui avait pris naissance au moment des croisades, étant épuisé, les nouvelles associations furent entièrement composées de bourgeois et d’artisans. Presque toutes les villes d’Allemagne eurent des corporations de Meistersinger ; celle de Nuremberg a été une des plus célèbres et a eu, comme chef, Hans Sachs, dont Richard Wagner a fait un des principaux personnages de ses Maîtres Chanteurs.
Indépendamment de ses Minnesinger et de ses Meistersinger, l’Allemagne a possédé un grand nombre d’artistes ambulants désignés sous les noms génériques de Fiedler et Spielleute.
… Puis truis à la rue à Jugleeur
C’on ne me tienne à Jeugleeurs[68].
Plus tard elle prit le nom de rue des Ménestrels, et en 1482, celui de rue des Ménestriers[69].
De véritables concerts ambulants avaient lieu dans cette rue : « C’est encore après midi que, dans la rue des Ménestriers, commencent des concerts d’instrumens hauts et bas qui ne finissent qu’à la nuit[70]. »
« Item, se aucun vient en la rue aux Jongleurs pour louer aucuns jongleurs ou jongleresses, etc.[71].)
Et comme les jongleurs et jongleresses se rendaient bien souvent aux fêtes en plus grand nombre qu’il n’avait été convenu, et qu’ils exigeaient tous le même salaire, une sentence de Guillaume de Germont, prévôt de Paris, réprima cet abus, et fit défense aux ménétriers engagés pour jouer dans une assemblée de plaisir quelconque, d’y envoyer d’autres à leurs places[72].
À la fin du xiiie siècle et au commencement du xive, les grands seigneurs ne cultivaient pas autant l’art musical, et se contentaient d’avoir à leur cour des ménestrels historiens, chargés de les distraire et de transmettre leurs hauts faits à la postérité, ainsi que des chanteurs et des instrumentistes pour le service de leur chapelle et pour les faire danser ; de sorte que tout ce qui touchait à la musique était peu à peu devenu l’apanage exclusif des ménétriers, des professionnels. Ceux-ci, sentant le besoin de se soutenir, ne tardèrent pas à se former en corporation régulière, créant ainsi un lien artistique et commercial entre eux. Aussi, le lundi, jour de la Sainte-Croix, 14 septembre de l’année 1321, trente-sept jongleurs et jongleresses présentèrent à la sanction du prévôt de Paris un règlement, contenant onze articles, qu’ils avaient rédigé d’un commun accord. Ces statuts, délivrés à la nouvelle corporation le même jour, furent enregistrés à la prévôté de Paris, le 22 octobre 1341.
Voici ce document in extenso :
« À tous ceux qui ces lettres verront Guillaume Germont, garde de la prevosté de Paris, salut.
« Sachient tuit que nous l’an mcccxlj, le lundi xxij jour d’octobre, veismes bones letres scellées du scel de la dicte prevosté contenant cette fourme.
« À tous ceux qui ces letres veirent Gille Haquin, garde de la prevosté de Paris, salut.
« Sachient tuit que vos à la cort du commun des mènestreus et menestrelles, jongleurs et jongleresses demourant en la ville de Paris dont les noms sont ci-dessous escrips pour la réformacion du mestier de yceuls et le profit commun de la ville de Paris, avons ordoné et ordenons les poins et articles ci-dessous contenus et esclarcis, lesquiex, les personnes ci-dessous nommées ont tesmoingnié et afermé par leurs seremens estre profitables et valables à leur dit mestier et au dit commun de ladite ville, lesquiex poinz et articles sont tiex.
« C’est assavoir que d’ore-en-avant nul trompeur de la ville de Paris ne puist alouer à une feste que lui et ses compaignons ne autre jongleur et jongleresse d’autruy mestier qui soint nécessaires pour ce qu’il en va aucuns qui font marchié d’amener nul taboureurs, villeurs, organeurs et autre jongleurs d’autre jonglerie avecq eulx, et puis prennent lesquiex que il veulent dont il ont bon loié et bon courratage et prennent gent qui riens ne sevent et laissent les bons ouvriers, de quoy li peuple et les bonnes genz sont aucunes fois déçeus, et ainsi le font ou préjudice du mestier et du commun proufit. Car, comment que ceus qu’il prenne sachent peu, ne leur font il pas demander mendre salaire et à leur proufit et les tesmoignent autres qu’il ne sont, en décevant les bonnes gens.
« Item, que se trompeurs ou autres menestreurs ont fait marchié ou promis d’aler à une feste que il ne la puissent laissier tant comme ycelle feste durra pour autre prendre.
« Item, que il ne puissent envoier à la feste à laquelle il sont aloués nul autre persone pour euts se ce n’estoit ou cas de maladie, de prison ou d’autre nécessité.
« Item, que nuls menestreurs ou menestrelles, ne aprentiz quelque il soient ne voissent à-val la ville de Paris pour soy présenter à feste ne à nopces pour euls, ne pour autres et s’il fait ou font le contraire qu’il enchée en l’amende.
« Item, que nuls menestreurs aprentis qui voist à-val taverne ne puisse louer autrui que luy ne enviter ou amonester, ou faire aucun mençon de son mestier ou dit louage par fait, ne par parole, ne par signe quelque il soit, ne par interprète coustume, se ne sont ses enfans à marier tant seulement ou de qui les maris soient alé en estrange pais ou estrange de leurs fames, mais se l’en leur demande aucun ménestrel jongleur pour louer qu’il respondent tant seulement à ceus qui les requerront, seigneur, je ne puis alouer autrui que moi mesmes par les ordenances de nostre métier, mais se il vous fault menestreus ou aprentis alés en la rue aus jongleurs, vous en trouverés de bons sanz ce que le dit aprentis qui en sera requis puisse nommer, enseingner, ne présenter aucun par especial et se li aprentis fait le contraire que ses maistres ou lui soient tenuz de l’amende lequel qu’il plaira miex aus maistres du mestier, et se le maistre ne veult paier l’amende que le vallet aprentis soit bannis du mestier un an et jour de la ville de Paris ou au mains jusques à tant que le maistre ou aprentis aient paié l’amende.
« Item, se aucun vient en la rue aus jongleurs pour louer aucuns jongleurs ou jongleresse et sur le premier qui li demanderres appelera pour louer nuls autres ne s’embate en leurs paroles ne ne facent fuers, ne facent faires et ne l’appellent nus autres pour soy présenter ne autrui jusques à tant que li demanderres s’envoit pour louer un autre.
« Item, que ce mesmes soit fait des aprentis.
« Item, que tous menestreus et menestrelles, jongleurs et jongleresses tant privé comme estrange jurrons et seront tenuz de jurer à garder les dites ordenances par foy et serement.
« Item, que se il vient dans la dite ville aucun menestrel, jongleur maistre ou aprentis que li prevost de saint Julian ou ceyus qui y seront établis de par le roy pour mestre du dit mestier et pour garder, li puissent deffendre d’ouvrer, et sus estre bannis un an et un jour de la ville de Paris jusques à tant qu’il auroit juré à tenir et garder les dites ordenances et sur les poines qui mises y sont.
« Item, que nulz ne se face louer par queux ne par personne aucun qui louer ne promesse aucune, ne aucune courtoisie en i prengne.
« Item, que ou dit mestier sont ordené deux ou quatre preudeshomes de par nous ou de par nos successeurs prevos de Paris ou nom du roy qui corrigeront et punir puissent les mesprenans contre les dites ordenances en telle manière que la moitié des amendes tournent par devers le roy, et l’autre moitié au proufit de la confrairie du dit mestier et sera chascun amende tauxée à dix sous par toutes les foiz que aucun mesprendra contre les ordenances dessus dites ou contre aucun d’icelles, les noms des menestreuz jongleurs et jongleresses qui à l’ordenance dessus esclaircie se sont accordés son tiex.
« Pariset ménestrel le Roy, pour lui et pour ses enfans ; Gervaisot la Guete ; Renaut le Chastignier ; Jehan la Guete du Louvre ; Jehan de Biaumont ; Jehan Guerin ; Thibaut le Paage ; Vuynant Jehanot de Chaumont ; Jehan de Biauvès, Thibaut de Chaumont ; Jehanot Langlois ; Huet le Lorrain ; Jehan Baleavaine ; Guillot le Bourguegnon ; Pierot l’Estureur ; Jehan des Champs ; Alixandre de Biauvès ; Jancon, filz le Moine ; Jehan Coquelet ; Jehan Petit ; Michiel de Douay ; Raoul de Berele ; Thomassin Roussiau ; Gieffroy la Guete ; Vynot le Bourguegnon ; Guillin de Landus ; Raoulin Lanchart ; Olivier le Bourguegnon ; Ysabelet la Rousselle ; Marcel la Chartaine ; Liegart, fame Bienviegnant ; Marguerite, la fame au moine : Jehane la Ferpiere ; Alixon, fame Guillot Guerin ; Adeline, fame de Langlois ; Ysabiau la Lorraine ; Jaque le jongleur.
« Les quiex poins et ordenances ci dessus éclaircies ; les persones ci dessus nommées ont juré et affermé par leurs sermens et foy, à tenir et garder sanz enfraindre et de non venir encontre par aucune mande et à la poine dessus ditte et avec ce voudront et accorderent que chascun cui les mestres du mestier fussent renouvelés, se ainssi estoitque il ne souffisissent au commun des mestres du dit mestier et au prevost de Paris en tesmoing de ce, nous, à la requeste et supplication des dessus nommés avons mis en ces lettres le scel de la prevosté de Paris.
« Ce fu fait et donné en jugement le lundi, jour de feste sainte Crois en septembre l’an de grâce mcccxxj, et toutes les choses dessus dites et chascun por soy on l’a mande que dessus est dit et devisé nous à greigneur seurté et confirmation, avons fait enregistrer en nos registres du Chastelet de Paris l’an et le jour dessus dict[73]. »
Ces statuts assuraient donc le monopole et les profits du métier aux associés ; ils réglaient l’administration de la corporation, garantissaient les intérêts respectifs de tous les membres et imposaient en même temps à ceux-ci une discipline toute à l’honneur de l’association.
Quelques années plus tard, la corporation des ménétriers fonda l’hospice et l’église de Saint-Julien et de Saint-Genès.
Le bénédictin Jacques du Breul raconte cet événement en ces termes :
« En l’an de grâce 1328, le mardy devant la sainte Croix en septembre, il y avait en la rue Sainct-Martin des Champs deux compagnons ménétriers, lesquels s’entre-aimoyent parfaictement, et estoient toujours ensemble. Si estoit l’un de Lombardie, et avait nom Jacques Grare de Pistoye, autrement dit Lappe : l’autre estoit de Lorraine et avoit nom Huet le guette du palais du roy. Or avint que le jour susdit, après disner, ces deux compagnons estans assis sur le siège de la maison dudit Lappe, et parlans de leur besongne, virent de l’autre part de la voye une pauvre femme appellée Fleurie de Chartres. Laquelle estoit en une petite charette, et n’en bougeoit jour et nuit comme entreprinse d’une partie de ses membres ; et là vivoit des aumosnes des bonnes gens. Ces deux, esmeus de pitié, s’enquièrent à qui appartenoit la place, désirans l’achepter et y bastir quelque petit hospital. Et après avoir entendu que c’estoit à l’abbesse de Montmartre, ils l’allèrent trouver : et pour le faire court, elle leur quitta le lieu à perpétuité, à la charge de payer par chacun an cent solz de rente, et huict livres d’amendement dedans six ans seulement[74] ; et sur ce leur fit expédier lettres en octobre, le dimanche de devant la sainct Denys[75]. »
Lappe et Huet prirent possession de ce lieu dès le lendemain et y réunirent une maison voisine qu’ils achetèrent à Étienne Auxerre, avocat. Après avoir « pour la mémoire et souvenir, fait festin à leurs amis[76] », ils firent élever un mur de clôture autour de cet emplacement, et établir « sur l’entrée une belle chambre, et au dessoubs, des bancs à lits, au premier desquels fut couchée la pauvre femme paralytique et n’en bougea jusques à son décès. Ils ordonnèrent que ce lieu seroit dorénavant appelé l’hôpital de Saïnt-Julien et de Saint-Genès[77] et pendirent une boiste à la porte de l’entrée, pour recevoir les aumosnes de ceux qui y auroient dévotion[78] ».
Saint-Julien a sa légende :
« C’est celuy lequel après avoir longuement voyagé, s’en revint en sa maison, et trouvant deux personnes couchez en son lict, pensa que ce fut un adultère couché avec sa femme, et les tua tous deux. Et s’estoient ses père et mère, que sa femme avait charitablement receus pendant qu’il estoit absent. Après avoir cognu sa faute, il prend congé de sa femme pour s’en aller en pays incognu pour faire pénitence le reste de sa vie. Mais elle ne voulut l’abandonner, et s’en allèrent tous deux auprès une rivière fort dangereuse à passer, où ils bastirent un petit hospital pour recevoir les pauvres, et firent un basteau pour passer l’eau à ceux qui se présenteroient. Faisant cet office, il mérita recevoir nostre Seigneur en forme de ladre, lequel luy annonça son péché luy estre pardonné, et incontinent se disparut. C’est pourquoi il est figuré au milieu du basteau, pendant que S. Julian et sa femme avironnent. Et est le vray patron dudit Hospital de Paris[79]. »
Saint Genès ou Genest, mime romain, était, par sa profession, le patron naturel de la corporation. Voici le passage que lui consacre du Breul : « Du 2e patron, S. Génois (ou pour mieux dire Genès), il y en a 2 martyrs de ce mesme nom. Le 1 qui estoit excepteur, c’est-à-dire greffier de justice, et ne vouloit enregistrer les sentences iniques données contre les Chrestiens, fut martyrisé à Arles en France. Et l’autre à Rome : pour d’un payen jongleur, latino joculator (diction en Picardie usitée pour basteleur), devenu en un moment chrestien très constant, iusques à souffrir toutes sortes de tourmens et mourir en plein théâtre, présent l’Empereur Dioclétian. C’est cestui-cy qui est patron des menestriers. Aussi est-il figuré et peint avec une vielle[80]. »
Un sceau de cuivre, dont le sujet est emprunté à la légende de saint Julien, fut exécuté pour sceller les actes de l’hospice.
« L’an 1331, il se fit une assemblée au dit hospital de jongleurs et menestriers, lesquels tous d’un commun accord consentirent l’érection d’une confrairie, sous les noms des glorieux saint Julian et Genois, promettans en chacun d’y aider selon ses facultés et moyens. Et en furent lettres passées et scellées au Chastelet le 23 novembre dudit an[81]. »
L’œuvre tirait en partie ses ressources des membres de la corporation ; chaque ménétrier était tenu de recueillir, aux fêtes et aux noces, pour l’entretien de l’hospice, ce que l’on appelait l’aumosne de saint Julien : « Il faut probablement reconnaître dans cette redevance, dit judicieusement Kastner, l’origine de ce qu’on appelle aujourd’hui le droit des pauvres[82] ». L’œuvre percevait en outre la moitié du prix payé pour le droit de maîtrise et le quart des amendes encourues par les membres de la corporation.
On fit richement sculpter la façade de ce monument dans le goût de l’époque.
Millin en donne la description suivante :
« La façade de la chapelle Saint-Julien, dit-il, étoit très pittoresque : son portail (planche I), d’une architecture gothique, très délicate, étoit composé d’une grande arcade, accompagnée de quatre niches.
« La frise de l’arcade est remplie de petits anges délicatement sculptés ; ils sont occupés à jouer de divers instrumens, tels que l’orgue, la harpe, un instrument fait en triangle, et dont les cordes, au lieu d’être perpendiculaires, sont horizontales ; le violon[83], le rebec à trois cordes, la vielle, la mandoline, le psaltérion, la musette, le cor, le hautbois, la flûte à bec, la flûte de Pan ou syrinx, les timbales, le luth et le timpanon. »
« …Dans la niche à gauche de la porte est la figure de saint Julien… »
« Quelques personnes ont pensé que la statue de l’autre niche étoit celle de Colin-Muset, qu’on dit avoir contribué de ses deniers à la construction du portail ; mais il est plus naturel de penser qu’en face de la statue de saint Julien on a placé celle de saint Genest, patron des menestriers et de leur église… »
« Cette statue de saint-Genest[84] est coiffée d’une espèce de toque, et vêtue d’une tunique et d’un ample manteau ; elle tient à la main un violon : elle a été souvent citée par les antiquaires. »
« Ce violon est à quatre cordes et absolument semblable à ceux d’aujourd’hui ; la statue a été mutilée, et le bras droit a été cassé avec l’archet[85]. »
Primitivement, ce violon devait être une vièle ou une viole, à moins toutefois que la statue, sinon le portail, ne soit postérieure au xve siècle.
En 1407, la corporation rédigea de nouveaux règlements qui furent confirmés par lettres patentes du 21 avril de la même année. Ces nouveaux statuts, dans lesquels les ménétriers se disent pour la première fois joueurs des instruments tant hauts comme bas, reproduisent en grande partie les anciens.
En ce temps-là, les chefs de tous les corps de métiers étant pompeusement décorés du titre d’empereur, de roi ou prince, la corporation des ménétriers ne pouvait moins faire que de s’offrir aussi un roi, et ce premier haut fonctionnaire musical fut probablement Pariset, dit ménestrel le roy dans les statuts de 1321. Nous disons, probablement, parce que la première charte connue où il est fait mention d’un roi des ménestrels date de l’année 1338 ; elle commence ainsi : « Je, Robert Caveron roy des menestrels du royaume de France[86]. » Plus tard, cette charge fut désignée sous ce titre : « Roy et maistre de tous les menestriers et tous les joueurs d’instrumens tant haut que bas du royaume ». Il était préposé à la police du jeu des instruments et jugeait de l’aptitude des candidats à la maîtrise, qu’il devait reconnaître comme souffisans, dit l’article 5 des statuts de 1407. Il était en même temps le roi des maîtres à danser du royaume, parce que les joueurs de viole, de violon et de rebec, enseignaient généralement la danse ; mais il vint un temps où les danseurs s’érigèrent en Académie, et refusèrent de se soumettre à son autorité. Le roi des ménestrels ne se nommait pas à l’élection, cette dignité était un office de la Maison du roi, conféré par lui, et qui fut de tout temps géré par un musicien de la cour.
Dans un compte pour la rançon du roi Jean de l’année 1367, il est dit qu’une somme avait été fournie par la vente d’une couronne d’argent que le roi avait donnée le jour de la Tiphaine (Épiphanie) au roi des ménestrels.
Du Cange nous a conservé les noms de quelques membres de la corporation qui furent revêtus de cette dignité, mais la liste est loin d’être complète. Après Robert Caveron, déjà cité, il nous fait encore connaître, d’après un document de 1357 à 1362 : Copin de Brequin, roy des ménestrels du royaume de France. Deux chartes de 1392 citent, en la même qualité, Jehan Portevin, auquel paraît avoir succédé Jehan Boissard, dit Verdelet, dont le nom figure dans un compte des menus plaisirs de la reine Isabeau de Bavière (1416-1417), puis Jehan Facien.
Il faut arriver ensuite à l’année 1575 pour savoir que Claude de Bouchandon ou Bouchardon, hautbois du roi Henri III, succéda à un nommé Roussel. Puis vient Claude Nyon, violon ordinaire de la chambre de Henri IV, et après lui, un autre Claude Nyon, dit Lafont, également violon de la chambre.
Nommé à cette dignité en 1620, François Richomme modifia le titre de roi des ménestrels en celui de roi des violons, et fut le premier à le porter ainsi ; il signa : F. Richomme, Roy des violons et ordinaire de Sa Majesté, au baptême du quatrième enfant de son ami Louis Constantin. Celui-ci succéda à Richomme en 1624 et gouverna jusqu’en 1657. Après, ce fut le tour de Guillaume Dumanoir. Le roi lui donna la royauté des violons et la charge de premier violon de son cabinet, offices devenus vacants par la mort de Louis Constantin.
En 1668, son fils ou neveu Michel Guillaume obtint cette dignité ; il signait : G. du Manoir, joüeur de violon de Sa Majesté, l’un des vingt-cinq de sa grand’Bande, et pourveu aussi de l’Office de Roy des joüeurs d’instrumens et des Maîtres à Dancer de France. Il eut à lutter contre de grandes difficultés et donna sa démission le 31 décembre 1685.
Celle-ci ne fut pas acceptée ; mais en 1691, par une décision de Louis XIV, dont le trésor royal eut à bénéficier, l’élection des jurés pour tous les corps d’arts et métiers fut supprimée et remplacée par des charges prenant le titre d’offices héréditaires et vénaux.
Thomas Duchesne, Vincent Pesant, Jean Aubert, tous trois joueurs de violon ordinaires de la chambre du roi, et Jean Gaudefroy, maître à danser, se firent concéder les quatre offices de jurés syndics de la communauté des ménétriers,
vièle à cinq cordes
Vitrail des Grands Cordeliers de la rue de Lourcine (xve siècle).moyennant la somme de dix-huit mille livres.
G. Dumanoir s’opposa à la réception des nouveaux titulaires, mais le Trésor royal tenant à conserver les dix-huit mille livres touchées, on passa outre. Il donna sa démission irrévocable en 1693 et n’eut pas de successeur immédiat ; la communauté fut administrée provisoirement par les jurés syndics.
Cela dura ainsi jusqu’en 1741. Alors, Jean-Pierre Guignon reçut le titre de Roy des violons et Maître de tous les instrumens, tant hauts que bas, dans toute l’étendue du Royaume, avec attribution de tous les honneurs, autorités, prérogatives, prééminences, franchises, libertés, droits, profits, revenus et émolumens accoutumés et y appartenans. Mais malgré toute sa bonne volonté, son règne ne fut pas heureux, il démissionna et Louis XV abolit la royauté ménestrière en France par un édit du mois de mars 1773.
C’est en 1691 que l’on fit refaire l’image de la confrérie et l’on ajouta le mot hautbois aux autres qualifications, parce que plusieurs ménétriers jouant de cet instrument s’employaient à faire danser dans les bals et les assemblées, et pour ce motif devaient se faire recevoir à la communauté de Saint-Julien.
Les armes qui ornent la partie supérieure de la gravure sont celles du roi et celles du dauphin.
L’image du roi Louis XIV et sa devise (le soleil et Nec pluribus impar éclairant et surmontant le globe du monde) expliquent la présence de ces armes.
Les armes du roi sont mi-partie de France (d’azur à trois fleurs de lis d’or) et de Navarre (de gueules aux chaînes d’or posées en croix, sautoir et orle). Les colliers qui les entourent sont ceux des ordres du roi (Saint-Michel et Saint-Esprit).
Les armes du dauphin sont écartelées de France (comme ci-dessus) et de Dauphiné (d’or au dauphin d’azur). Mais le graveur a commis une erreur ; il n’a pas sablé le champ de ces dernières, de sorte qu’elles sont d’argent au lieu d’être d’or.
Le fond adopté par l’artiste est celui du manteau royal, un semis de fleurs de lis d’or sur champ d’azur.
Saint Genest et saint Julien sont représentés au-dessous de la devise du roi Louis XIV. De chaque cote se trouvent des médaillons surmontant des trophées d’instruments. Le médaillon de gauche nous montre saint Julien ramant (la nuit sans doute, car sa femme tient une lanterne) pendant que Notre-Seigneur, debout au milieu de la barque, lui annonce le pardon de son crime. L’autre médaillon a sans doute rapport à la vie de saint Genest, mais il est difficile de se l’expliquer d’après la légende de ce saint donnée plus haut.
Sur les deux trophées on voit un luth, une guitare, une timbale, des flûtes à bec,
vièle à quatre cordes
Manuscrit des Adages (xve siècle)..une flûte de Pan, une trompette, un masque tragique, des hautbois, un tambour de basque, un violon, une harpe, un cromorne, une viole, un serpent, une trompette marine, etc.
Sur une draperie, placée au-dessous des deux patrons, se trouvent une antienne et un Oremus, après lesquels on lit :
« L’Église et la Chapelle de Saint-Julien des menestriers, et de Saint-Genest fondée à Paris, rue Saint-Martin, doit son establissement et sa dotation aux Maîtres de dance et joueurs d’instruments tant haut que bas de chez le Roy, et de cette Ville, qui en 1331 la firent bastir, et construire, et dès le mesme temps érigèrent avec la permission des supérieurs une confrairie, pour rendre cet ouvrage de piété durable à toujours. Cette louable entreprise parut de si bonne exemple au publique que toutes les puissances ecclésiastiques, et séculiers y donnèrent leur aprobation, et mesme contribuèrent à son advencement. Et en 1332 Madame l’Abbesse de Montmartre leur donna l’amortissement de la terre, ce qui fut confirmé en 1333 par le Roy Philippes de Valois de glorieuse mémoire. La de Chapelle fut érigée en titre de bénéfice perpétuel, par l’authorité du pape Clement VI, qui en fit expédier la Bulle d’érection au mois de mars 1343 au droit de nommination et présentation accordée aus d° confrères, ce qui fut aprouvé par Mr l’evesque de Paris,
vièle ronde avec cheviller en forme de luth
Manuscrit de Froissard (xve siècle).qui dans la mesme année donna des provisions de cette Chapelle sur la présentation des Patrons. Depuis la de Chapelle a toujours esté maintenue par les soins et les deniers des d° Ms et patrons dycelle jusques à présent.
« La feste ce Solemnise le 2 Aoust. »
Et plus bas, dans un médaillon :
« Cette planche a esté retouchée en l’année 1691, par les soins des Srs Thomas Duchesne, Jean Gaudefroy, Vincent Pesant, et Jean Aubert Jurés Sindic en titre d’Office, de la Communauté, Et gouverneur perpétuels de la Chapelle. »
Tout en bas de chaque côté de ce médaillon, quatre anges jouent du violon, du basson, du hautbois et du violoncelle.
On voit par la nomenclature des instruments représentés sur cette planche, qu’il n’y figure que ceux qui étaient usités à l’époque où elle fut retouchée. Il est bien étonnant de ne pas y trouver la vielle à roue qui commençait alors à redevenir très en honneur, grâce à Janot et à Laroze. Quant à l’absence du rebec, elle s’explique tout naturellement, puisque la corporation ne le considérait pas comme un instrument artistique et faisait défense, comme on le verra plus tard, d’en jouer ailleurs que dans les cabarets.
Le 17 décembre 1789, une députation des membres de l’ancienne corporation, composée des sieurs Le Lièvre, Desnoyers, Deshayes, Soli, Bruillard, Adnet, Gigou et Perrin, se présenta à la barre de l’Assemblée constituante, présidée par Fréteau, et fit don à la nation de la chapelle de Saint-Julien et Saint-Genès. Estimée 18 025 livres, elle fut vendue puis démolie.
De semblables corporations se formèrent également à l’étranger ; il s’en fonda une en Autriche, au xive siècle, sous le nom de Pfeiflerschaft, qui reconnaissait un chef suprême portant le titre de comte et ayant le droit de nommer un lieutenant, lequel portait le titre de roi. Les chanteurs et instrumentistes associés prirent, chez les Allemands, les noms de Stadpfeiffer, Kunstpfeiffer, Thürner. En Angleterre, sous le règne d’Edouard II, on trouve un sergent du roi des ménestrels, qui avait accès auprès du roi à toute heure et en toutes circonstances[87].
Mais revenons à la vièle, que nous avons quittée un instant pour parler de ses interprètes.
On a dû remarquer sur la plupart des figures données jusqu’ici, que les personnages qui jouent de la vièle frottent généralement l’archet sur les cordes assez près de la touche, et semblent chercher l’endroit le moins large de l’instrument pour jouer avec plus de facilité.
Si la forme ovale, ronde ou carrée de la vièle était déjà une cause de gêne, par sa largeur, pour jouer des mélodies lentes et faire entendre des concordances ou accompagnements d’après le système diaphonique,
vièle du xve siècle
Tableau de Meinling
(musée des offices, à Florence).ce fut bien autre chose lorsqu’on voulut exécuter des airs plus vifs, des ornements, des fioritures, et utiliser séparément chacune des cordes. On fut alors, et afin de faciliter le jeu, obligé d’arrondir le chevalet, puis de pratiquer de légères échancrures sur les côtés de la caisse pour rendre le passage de l’archet plus libre et empêcher qu’il ne frottât sur les bords en même temps que sur les cordes.
Cette heureuse modification se voit, ou plutôt, se devine déjà vers la fin du xiiie siècle, et la vièle à cinq cordes provenant d’un vitrail du couvent des grands cordeliers de la rue de Lourcine, fondé par saint Louis, en est certainement un des premiers exemples.
Ici, les échancrures sont à peine accusées, les côtés de la caisse sont plutôt légèrement creusés et ressemblent à ceux des guitares. Il n’y a pas d’ouies, le cheviller est en forme de disque, et de même que sur la vièle de la belle Josiane, donnée plus haut, les cordes passent sous la touche et se dérobent ainsi à l’action des doigts.
L’élégante vièle de fantaisie, à trois cordes, xive siècle, possède des bords à peu près semblables à ceux de la précédente.
Quant à celle du manuscrit des Adages du xve siècle, qui a une caisse courte, avec un manche très long, les côtés y sont aussi un peu creusés. Deux rosaces, percées en dessous des cordes, figurent les ouïes ; le cordier et le chevalet, qui est plat, s’y distinguent parfaitement ; mais le détail le plus intéressant se remarque sur son cheviller, arrondi et orné d’une tête sculptée, qui nous montre, pour la première fois, des chevilles placées sur les côtés, comme elles le sont sur les instruments à archet modernes.
On continuait cependant à faire des vièles rondes, sans échancrures, au xve siècle. Telle est celle du beau manuscrit de Froissard, que joue un enfant nu, dessiné dans une des marges, et dont le cheviller est en équerre, semblable à celui d’un luth.
La vièle d’une des sirènes du charmant bas-relief qui se voit sur le portail de droite de la cathédrale Saint-Jean, à Lyon, n’a pas non plus d’échancrures ; mais cela n’a rien de surprenant, puisque le monument est du xiiie siècle.
Dans le superbe tableau de Memling, xve siècle, La Madone et l’enfant entre deux anges, qui se trouve au musée des Offices, à Florence, on voit une vièle fort gracieuse à laquelle on pourrait presque donner le nom de viole. Montée de six cordes, elle a un élégant cordier ; les ouïes sont placées comme sur le violon, de chaque côté du chevalet ; de plus, quatre petites rosaces décorent la table, dont les bords sont à peine échancrés ; le manche, carré, est de la même épaisseur que la caisse ; quant au cordier, il ne diffère pas de ceux des autres vièles.
Le même maître a peint une vièle semblable, sur la chasse de sainte Ursule, à Bruges. On peut considérer ces deux instruments comme les plus parfaits modèles de transition entre la vièle primitive et la viole.
- ↑ Les trouvères étaient les poètes chanteurs et musiciens de l’ouest et du nord de la France.
- ↑ Troubadour, en provençal trobador. signifie : trouveur de poésie et de musique.
- ↑ Les jongleurs et les ménestrels étaient parfois poètes, mais, le plus souvent, chanteurs et instrumentistes. Ils interprétaient les œuvres des trouvères et des troubadours, lesquels ne cultivaient la poésie et la musique que pour l’honneur : tandis que les autres en faisaient leur métier.
- ↑ Bibliographie universelle des musiciens.
- ↑ Ante infirmum dulcis sonitus fiat de musicorum generibus, sicut campanula, vitula, rota et similibus. De marborum curatione, lib. I.
On a bien souvent employé la musique dans le même but. Wekerlin raconte que : « Thalès de Crète trouva dans la musique un puissant auxiliaire contre la peste. En Béotie, Isménias, par son jeu sur la flûte, guérissait les maux de reins. Asclépiade, au moyen de la trompette, rendit l’ouïe à un sourd… Théophraste affirme que les morsures des serpents venimeux ne sont guérissables que par la musique. » Musiciana, chap. vi, p. 122.
- ↑ Le B. Hugues de Poitiers, le Prieuré, l’église et les peintures murales d’Anzy-le-Duc, par l’abbé F. Cucherat, Mâcon, 1862.
- ↑ Après la Révolution, l’église ne fut pas comprise dans la vente du prieuré et des terres qui en dépendaient, que l’on vendit comme biens nationaux ; elle demeura abandonnée et fut considérée comme une place publique. On y jouait, on y faisait le négoce, dit l’abbé Cucherat, dans plusieurs endroits on avait établi des alambics pour la distillation de l’eau-de-vie. En 1808, elle fut mise en vente par le département et des entrepreneurs, connus sous le nom de bande noire, allaient l’acheter pour la démolir, comme le fut la superbe église abbatiale de Cluny, lorsque quatre habitants d’Anzy, MM. G.-M. Grisard, L. Thomas, A. Bachelet et E. Saulnier, formèrent une société, désintéressèrent la bande noire, avec 300 francs et se virent adjuger ce bel édifice pour la modique somme de 2 800 francs. Ils l’ont offert à la commune d’Anzy qui en a fait, depuis, son église paroissiale.
- ↑ Mémoires sur Huchald.
- ↑ Essai sur les instruments de musique au Moyen Âge.
- ↑ « Sicut vidimus, quod in viellâ non sunt nisi quinquæ chordæ et tamen, secundum diversitatem tactum chordarum, puncti et soni vieillæ possunt multiplicari ultra quinquæ punctos, pro voluntate actoris et cantûs qui regitur in illis instrumentis, velint vel nolint actores. » — De scientiâ artis musicæ (1274), ouvrage dédié au pape Grégoire X et publié par Gerbert dans Scriptores ecclesaistici, t. III. p. 20.
- ↑ Le dominicain Jérôme de Moravie passa une partie de sa vie dans le couvent de la rue Saint-Jacques, à Paris.
- ↑ Speculum musicæ, chap. xxviii.
- ↑ Revue musicale, t. II. Celle traduction a été reproduite par Coussernaker.
- ↑ Ce qui est entre parenthèses dans la traduction n’existe pas dans le texte primitif.
- ↑ Premier supplément au catalogue.
- ↑ Nous ne nous expliquons pas pourquoi ?
- ↑ Danse des Morts, p. 245.
- ↑ C’est de là que sont venus les termes discant, déchant, double chant, triple, quadruple, médius, et les verbes quarter ou quartoyer, quintoyer, etc.
Diex, ne sa mère nul délit,
N’ont en la bouche s’elle organe,
Ne qu’en un asne s’il requane,
En l’orguener ou wesbloier,
Ou deschanter ou quintoier.
En la voiz haute, en la voiz clère
Force ne fait Diex, ne sa mère,
Tiex chante bas et rudement,
Qu’escoute Diex plus doucement,
Ne fait celui qui se cointoie
Quant organe ou haut quintoie
La clère voiz plaisant et bele.(Miracles de la Vierge. Gautier de Coissi.) - ↑ Hucbald ou Hugbalde, moine de Saint-Amand (Nord), qui naquit vers 840 et mourut en 932, n’est pas seulement célèbre par ses traités de musique. Il a écrit un poème à la louange des chauves — Ægloga de Calvis — qu’il dédia à Charles le Chauve, roi de France, et dont tous les mots commencent par des C.
- ↑ Essai, ouvrage déjà cité.
- ↑ Coussemaker compte quatre ouïes sur cette vièle, parce qu’il en suppose une qui serait cachée par l’archet, mais on ne la voit pas.
- ↑ C’est ainsi que s’appelaient ces couronnes.
- ↑ Les trouvères et les ménestrels organisèrent entre eux des fêtes, des concours, qui portèrent d’abord le nom de Puy d’amour ou Puy de musique, et plus tard, ceux de Gieux sous l’ormel et de Palinod. Il y en eut partout, au Puy, en Auvergne, à Caen, à Dieppe, à Rouen, à Beauvais, à Amiens, à Arras, à Valenciennes, etc. Le nom de puy fut donné à ces assemblées, parce que les poètes y disaient leurs productions sur un théâtre ou lieu élevé, nommé en basse latinité podium. Les plus célèbres trouvères et ménestrels ; Adenès li Rois, Adam de la Halle, Giraut de Calencon, Thomas Herrier, Pierquin de la Coupelle, Andrieux Contredit, etc., furent lauréats dans ces concours. Le Palinod de Caen se nommait le Puy de la Conception, parce qu’il se tenait le huit décembre. Toutes les poésies devaient y être dites en l’honneur de la Vierge.
- ↑ Viollet-le-Duc. Dictionnaire raisonné de l’Architecture.
- ↑ Cette chanson en latin et rimée, fut composée au retour d’une sanglante expédition contre le pays Saxon, où, d’après la chronique, le roi franc ne laissa vivant aucun des hommes dont la taille dépassait la longueur de son épée :
De Clotario cancre est rege Francorum,
Qui ivit pugnare cum gente Saxonum,
Quam graviter provenisset missis Saxonum,
Si non fuisset inelitus Faro de gente Burgudionum.
Quando veniunt in terram Francorum,
Faro ubi erat princeps, missi Saxonum,
Instinatu Dei transeunt per urbem Meldorum,
Ne interficiantur a rege Francorum. - ↑ Pour cette chanson, voir Kastner, Manuel général de musique militaire, p. 65, renv. 3, et pp. 72, 73 et 74.
- ↑ Histoire des Rois anglo-saxons, qui se trouve au Museum Britannicum. Voyez Roquefort, État de la poésie françoise dans les xiie et xiiie siècles, p. 83 et 84.
- ↑ Augustin Thierry. Histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, t. i. p. 213.
- ↑ On connaît l’anecdote du roi Jean II dit le Bon, qui, à la bataille de Poitiers, en 1356. ayant entendu un soldat chanter cet hymne au moment même où l’action allait s’engager, lui dit : Il y a longtemps qu’il n’y a plus de Roland. Ce à quoi le soldat lui répondit : Il y a longtemps aussi qu’il n’y a plus de Charlemagne.
- ↑ « Ouant aux bardes, ils chantaient, an son de la lyre ou autre instrument de musique, les faits des vaillants hommes mis en vers héroïques, et donnaient telle autorité à la poésie, qu’aucuns poètes, se mettant entre deux armées maintes fois apaisèrent la fureur des gens d’armes prêts à choquer. » Fauchet Antiquités gauloises, liv. I. chap. iv.
- ↑ Dans beaucoup de monastères, les jongleurs furent employés à traduire en langue vulgaire des légendes de saints, ainsi qu’à composer et à représenter des petites pièces ou scènes dramatiques sur des sujets puisés dans les Saintes Écritures. » Kastner, Danse des Morts.
- ↑ « Aux viiie et ixe siècles, les évêques, les abbés et jusqu’aux abbesses en avaient auprès d’eux, en titre d’office. Nous savons que Charlemagne, dans un capitulaire de l’année 789, défendit cet usage : mais ni les ordonnances des souverains, ni les arrêts de prohibition des conciles, ne purent l’abolir. » Id. Ce même capitulaire « défend aux fils de prêtres et à tous les chrétiens d’assister à ces spectacles, ou l’on ne voit, dit-il, que des indécences ».
- ↑ « Le concile de Saltzbourg, l’an 1310, défendit aux clercs de faire les bouffons et les bateleurs ne sint joculatores seu gogliardi, défense que réitérèrent plusieurs autres conciles. Le synode diocésain de Chartres, de l’an 1358, interdit aux prêtres, et surtout aux curés, de faire le métier d’histrions et de jongleurs non histriones, non joculatores. Id. « Ce goût de gaîté frivole étoit si général, dit Roquefort, qu’en Normandie, dans les longues processions, tandis que le clergé reprenoit haleine, les femmes chanloient des chansons badines », dans le genre du pied qui remue ? probablement.
- ↑ Un antique cérémonial d’une église de Toulouse parle de pécheurs (piscatores) qui avaient amené des ménestrels dans une fête célébrée en l’honneur de la Sainte-Croix. (Voyez Du Fresne, Gloss., v° Rex Ministellorum.) Le concile de Nyon de l’an 1334 défendit les processions faites par les jongleurs.
- ↑ Saint Louis était accompagné, aux Croisades, par des chanteurs et des trouvères. Lorsqu’il s’embarqua le 25 août 1248 à Aiguesmortes : « Quand les clercs et les trouvères furent entrés dans la nef, dit Joinville, le maître nautonnier cria : Chantez, de par Dieu ! et ils entonnèrent tous à une voix : Veni creator spiritus. » Plus tard, lorsqu’il se rendit en pèlerinage à Nazareth : « Il fit, dit Xangis, chanter la messe et solennellement glorieuses vespres et matines, et tout le service à chant et à déchant, à ogre et à treble avec orgue et instruments à cordes). »
- ↑ Au xve siècle, l’usage de se dépouiller et de donner son habit subsistait encore : « La royne estant accouchée d’ung filz, le 4 février 1435, li roy (Charles VII) despécha le hyrault, qui avoit nom Constance, pour en mander la novelle au duc de Bourgogne : de laquelle novelle icelui duc témoigna d’estre fort joyeulx, et bailla au dict hyrault cent riders d’or et la belle robe brodée dont il étoit vestu. » Jehan Chartier, Grandes chroniques de France.
- ↑ Il y a sans doute une faute du copiste dans le manuscrit, car deux vers ne riment pas ensemble.
- ↑ Dinaux. Trouvères et Ménestrels du nord de la France.
- ↑ De Barbazan. Contes et Fabliaux, Paris, 1756, t. II. p. 184.
- ↑ La maille était une petite monnaie de cuivre qui valait la moitié d’un denier.
- ↑ Diez. Poésie des Troubadours.
- ↑ Rochefort. Essai sur la poésie, etc., ouvrage déjà cité.
- ↑ Establissements des métiers de Paris, par Estienne Boileau, qui fust prévost de Paris, depuis 1258 jusqu’en 1268, manuscr. fonds de Sorbonne, chap. del paage de petil pont. Cité par Roquefort.
« À Rouen, une franchise semblable fut accordée naguère, non pas aux singes, mais aux célestins. Les religieux de cet ordre n’étaient exempts de payer l’entrée de leur boisson qu’à la charge qu’un père célestin marcherait à la tête de la première des charrettes sur lesquelles on conduisait le vin, et sauterait d’un air gai, en passant auprès de la maison du gouverneur de la ville. Le père Lecomte, célestin, donna connaissance à Richelet de cette singulière coutume : il ajoute qu’une fois un de leurs frères parut devant les charrettes plus gaillard que tous ceux qu’on avait vus auparavant, et que le gouverneur s’écria : « voilà un plaisant célestin ! » c’est-à-dire un célestin qui, en matière de gambades, l’emportait sur tous ses compagnons. Cela passa en proverbe ; mais lorsqu’on dit à un homme : « Vous êtes un plaisant célestin, on marque à cet homme qu’il n’a pas le sens tout à fait droit. » (Kastner, ouvrage déjà cité.)
- ↑ Fauchet. Antiquit.. p. 577.
- ↑
Li Menestrel de mainte terre.
Oui ere venue por aquerre,
De Troie la belle Dœte
I chantoit cette chansonnette :
Quand revient la seson
Que l’herbe reverdoie. - ↑ Vidal a reproduit cette miniature, dont l’original est à la bibliothèque de l’Arsenal.
- ↑ Gautiers de Coinsy. Les Miracles de la Vierge, manuscrit, Bibl. nat.
- ↑ Le même miracle se reproduisait un peu partout. Le plus célèbre est celui de « la sainte chandelle d’Arras » xiiie siècle.
- ↑ Émile Travers. Les instruments de musique au xive siècle, d’après Guillaume de Machault.
- ↑ Le Roman de la Violette, ou de Gérard de Nevers, du xiiie siècle, par Gilbert de Montreuil, publié par Francisque Michel, Paris, 1834, d’après le manuscrit de la Bibl. nat., fonds la Vallière. no 92.
- ↑ P. 69.
- ↑ État de la poésie, déjà cité.
- ↑ L’auteur de ce roman l’a dédié à Maria, comtesse de Ponthieu, fille unique de Guillaume III, mariée depuis l’an 1208 à Simon de Dammartin, comte d’Aumale, puis en secondes noces, l’an 1243, à Mathieu de Montmorency, sire d’Athichy. Ce roman fut traduit en prose au xve siècle par un anonyme, qui dédia sa version à Charles Ier, comte de Nevers, de Rhetel, baron de Donzy, qui, âgé d’un an hérita, en 1415, des états de Philippe II, son père, sous la tutelle de Bonne d’Artois, sa mère, remariée ensuite, en 1424, à Philippe le Bon, duc de Bourgogne. C’est aux ordres de ce dernier prince que nous devons l’exécution du superbe et unique manuscrit qui nous en reste.
- ↑ « Cet ouvrage, écrit en vers, parait avoir été publié vers l’an 1230. L’auteur ne dit pas s’il l’a traduit du latin. » Roquefort. État, etc., p. 165.
- ↑ Œuvres complètes de Musset, Paris, Charpentier, t. II, p. 58.
- ↑ Stow, Description de Londres, cité par Kastner.
- ↑ Blondel, surnommé de Nesles, du lieu de sa naissance, a été l’un des chansonniers les plus estimés du xiie siècle
- ↑ La Chronique de Reims, publiée sur le manuscrit de la Bibliothèque du roi par Louis Paris, archiviste de la ville de Reims, membre de la Société royale des antiquaires de France. Paris, Techner, place du Louvre, 12, 1837, p. 53 et suivantes.
- ↑ Cérémonial rapporté par du Cange dans son Glossaire.
- ↑ Das Nibelungenlied, von F. Zarncke. Leipzig, 1856, XXIII aventiur.
- ↑ Avent. XXIV, stroph. 60-61.
- ↑ Avent. XXIX, stroph. 28.
- ↑ Avent. XXXIII, stroph. 15.
- ↑ Avent. XXXIII, stroph. 13.
- ↑ Ouvrage déjà cité.
- ↑ Fonds allemand, no 32.
- ↑ Reinmar l’Ancien, minnesinger, mort vers 1215. Après avoir en 1197 accompagné le duc Frédéric à la croisade, il revint à Vienne, où il mourut. On connaît un autre Reinmar, qu’on appelle le Jeune, probablement fils du précédent, mort vers 1245 à Essfeld en Franconie. (Fétis. Biographie.)
- ↑ Puis je trouve la rue aux Jongleurs
Qu’on ne me prenne pas pour un railleur.
(Les rues de Paris mises en vers, mss. du xvie siècle, vers 372, De Barbazan.) - ↑ Cette rue a fait place à la rue de Rambuteau.
- ↑ A. Monteil. Histoire des Français des divers états aux cinq derniers siècles, Paris. 1827, t. I, p. 23, xive siècle.
- ↑ Au début du xixe siècle, c’était encore au même endroit que les musiciens pour bals et fêtes des environs de Paris venaient chercher des engagements. Lorsque l’on perça la rue de Rambuteau, cette sorte de marché se transporta rue du Petit-Carreau, à l’angle de la rue Thévenot. L’achèvement de la rue Réaumur vient de disperser les habitués des Petits-Carreaux. Plusieurs se réunissent au café de la Chartreuse, boulevard Saint-Denis.
- ↑ L’usage de se faire remplacer dans les orchestres parisiens, n’est donc pas nouveau.
- ↑ B. Bernhard. Recherches sur l’histoire de la corporation des ménétriers (Biblothèque de l’École des chartes, série A, t. III, p. 400).
- ↑ Il parait que l’abbesse de Montmartre accueillit d’abord assez froidement les ouvertures qui lui furent faites. Peut-être doutait-elle du caractère sérieux de ce projet ; car elle répondit à l’un des ménétriers qui lui exposa le plan de l’hospice Saint-Julien « qu’il avoit la mine de savoir mieux faire une danse ou une feste que de fonder un hospital ». La bonne abbesse, en ce moment, dit Kastner, avait oublié que la charité commande de ne pas juger les gens sur la mine.
- ↑ Théâtre des Antiquitez de Paris où est traicté de la fondation des églises, etc. par le R. P. F. Jacques du Breul, Parisien, Paris, 1639, p. 737.
- ↑ Ibid.
- ↑ Cet hôpital était situé autrefois rue Jehan Paulée, depuis rue ou cour du Maure, sur l’emplacement du no 90 de la rue Saint-Martin.
- ↑ Du Breul, déjà cité.
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid.
- ↑ Ibid.
- ↑ Parémiologie musicale de la langue française. G. Kastner.
- ↑ Ce violon était probablement une vièle à archet ou une viole, le portail ayant été édifié au xve siècle, au plus tard.
- ↑ Rotrou a fait de Saint-Genès le héros d’une de ses meilleures tragédies.
- ↑ Millin. Antiquités nationales, ou recueil de monuments pour servir à l’histoire générale de l’empire françois, Paris, 1790.
- ↑ Il est parlé d’un Jean Charmillon, roi des jongleurs de la ville de Troyes, en 1296 (du Cange, Glossaire). Mais rien n’indique que cet office soit identique avec celui qui est sorti de la corporation des ménétriers ; dans tous les cas, l’autorité attachée à la charge n’était pas la même.
- ↑ Wyrton, History of English poetry, cité par Kastner.