Les ancêtres du violon et du violoncelle/Les Violes

La bibliothèque libre.

tritons musiciens
Ballet comique de la Royne, M.D.LXXXII.


LES VIOLES

I


On a vu que nos anciens poètes se servaient parfois du mot viole comme synonyme de vièle :

Devant eux font li jugleor chanter
Rotes, harpes et violes soner.

(Roman de Garin.)

Guillaume de Machault écrivait indifféremment vielle ou viole :

Orgues, vielles, micamon
Rubèbes et psalterion

(La prise d’Alexandrie.)


Car je vis là tout en un cerne
Viole, rubèbe, guitêrne.

(Li Temps pastour.)
La première de ces dénominations était généralement employée par les trouvères, tandis que la seconde semble avoir été préférée par les troubadours :

Lus viola lais del Cabrefoil,
E l’autre cel de Tintafoil ;
L’us cantet cels del fis Aimanz,
E l’autre cel que fes Iwanz :
L’us menet arpa, l’autre viula
L’us flaustella, l’autre siula.

(Giraud de Cabrera, Roman de Flamenca.)

Le même auteur dit aussi :

Mal saps viular
Mal t’enseignet
Cel que t’montret
Los dotz à menar ni l’arçon.

À partir du xve siècle, le nom de viole resta définitivement à l’instrument à archet, à éclisses et à manche et cela, quelle que fût sa taille. C’est aussi vers cette époque que la symphonie hérita du nom de vielle, qu’elle a toujours porté depuis.

II

Les violes étaient le résultat des améliorations successivement apportées aux vièles. Ce n’était plus un ensemble d’instruments, mais bien une famille, dans laquelle chaque individu, tout en ayant quelques petits détails particuliers et des proportions différentes à cause de son diapason plus ou moins élevé, reproduisait à peu près le même modèle.

Les nouveaux instruments sont uniformes, on ne les voit plus tantôt plats, tantôt bombés. Que la viole soit petite ou grande, la caisse de résonance est toujours plate, des éclisses assez hautes en font le tour et relient les deux tables. — Les échancruress pratiquées sur les côtés sont en forme de C très ouvert. — La table d’harmonie est légèrement voûtée, tandis que celle du fond, généralement plate, est presque toujours coupée en sifflet du côté du manche. — Les ouïes, régulièrement fixées au nombre de deux, sont percées de chaque côté du chevalet à la hauteur des échancrures ; elles représentent, le plus souvent des C, sauf dans la viole d’amour où ce sont des flammes. — Sur les grandes violes, on voyait aussi au xve et au xvie siècle une rosace découpée à jour, entre le chevalet et la touche, vers l’extrémité de cette dernière, qui n’était pas très longue ; cette rosace ne se rencontre que très rarement sur les basses de violes du xviie et du xviiie siècle. — Les bords des tables ne dépassent pas les éclisses, ils sont coupés au ras de ces dernières. La table d’harmonie étant presque toujours en sapin, pour donner de la solidité à ses bords et les empêcher de s’effriter, on y incrusta des filets qui en suivaient tous les contours. Celle du fond en eut aussi, et souvent ces filets étaient assez capricieux.

La division des cordes était marquée sur la touche des violes, comme cela se pratique encore sur la mandoline et la guitare ; il y avait sept cases, qui étaient faites tout simplement avec de la corde à boyau entourant à la fois la touche et la poignée du manche. Cet usage fut abandonné lorsque les exécutants devinrent plus habiles ; mais il reste encore quelques basses de violes ayant ces divisions, et nous avons vu d’anciens manches de violes où l’on distinguait parfaitement les emplacements qu’elles y occupaient.

Les violes sont toujours munies d’un cordier, qui est souvent de coupe élégante. Au lieu du trifolium et de l’équerre renversée que l’on remarque dans les anciennes vièles, on adopta la forme de crosse légèrement recourbée en arrière pour les chevillers des violes. Les têtes sculptées, qui commençaient à être de mode au Moyen Âge, devinrent plus tard d’un usage général. Dans les petites violes, ce sont des têtes de femmes. Les basses de violes ont tantôt des têtes de cheval ou de lion ; parfois des rois y sont représentés.

viole à quatre cordes dont une en bourdon
Fra Angelico, Le Couronnement de la Vierge, musée du Louvre (xve siècle)

Pour créer la famille des violes, qui était très nombreuse, il n’y eut pas à faire un grand effort. La rote du chapiteau de Saint-Georges de Boscherville, contenant déjà, en principe, la forme qui fut adoptée, il a donc suffi de fixer le nombre des ouïes, d’en déterminer la place, et de modifier le cheviller pour avoir le modèle-type ; et il est de toute probabilité que le premier instrument ainsi perfectionné, celui qui fut ensuite reproduit dans toutes les grandeurs, était une basse de viole.

III

L’époque de transition, de la vièle à la viole, nous offre des modèles nombreux et variés de forme, qui permettent de suivre les transformations successives des côtés de la caisse.

Ainsi, une viole ayant des échancrures dont les extrémités ne sont pas arrêtées
viole à quatre cordes
Psaultier de René II, duc de Lorraine (fin du xve siècle), bibliothèque de l’Arsenal.
et ressemblant à celles d’une guitare, est jouée par un ange que l’on voit à gauche, et en face de celui qui joue du rebec Nous avons donné cet ange musicien, page 140., sur le Couronnement de la Vierge de Fra Angolico, qui est au musée du Louvre. Le cordier, le chevalet et les deux ouïes en forme d’oreille sont à leurs places respectives. La touche n’est pas en élévation au-dessus de la table, mais au même plan que celle-ci. Le manche, très long, aussi épais que la caisse, n’a pas sa poignée arrondie, il est carré au-dessous, ce qui devait être fort incommode pour l’exécutant. Trois cordes seulement, sur quatre, passent sur la touche, l’autre est disposée en bourdon et ne peut être actionnée par les doigts, l’archet seul est appelé à la faire résonner. Celui-ci n’est tenu que par le pouce et l’index, les autres doigts de la main droite sont relevés de façon très gracieuse. Ceux de la main gauche ne touchent pas les cordes à plat, comme nous l’avons vu jusqu’ici, mais en s’arrondissant, ainsi qu’on le fait sur le violon. Ces derniers détails font supposer une exécution musicale assez avancée et ne manquant pas de légèreté. Quant à la corde pédale ou bourdon, que nous avons déjà vue sur le crouth et sur la vièle, et que nous retrouvons, disposée de la même façon, à une distance de neuf ou dix siècles, elle montre, une fois de plus, l’intime parenté qui existe entre les instruments à archet, à éclisses et à manche :

Une viole, dont les échancrures sont un peu plus profondes, mais très ouvertes, se trouve sur la miniature qui sert de frontispice au superbe Psaultier de René II,
viole à six cordes
Doten-Dantz (xve siècle).
duc de Lorraine (fin du xve siècle), qui est à la bibliothèque de l’Arsenal. Montée de quatre cordes, passant toutes sur la touche, les ouïes sont figurées par deux rosaces découpées dans la table d’harmonie au-dessous des cordes. Le cheviller est renversé, et les chevilles sont placées sur les côtés. L’archet, très primitif, est tenu à pleine main par le musicien.

Un instrument semblable se voit aussi sur une gravure des Antiquités judaïques, de Flavius Josèphe, édition de 1754. Le musicien qui en joue est à côté d’un joueur de luth et se trouve derrière David, qui joue de la harpe devant l’Arche.

Le spectre du Doten-Dantz (xve siècle) que nous donnons tient une viole sans échancrures, avant un grand trou rond au-dessous des cordes, en guise d’ouïes, il n’y a pas de cordier ; un attache-cordes le remplace. Le chevalet n’est pas figuré, mais les divisions de la touche sont parfaitement indiquées.

Viole
Vitrail de l’église de la Fresnoye
(Somme)
(xvie siècle).

On voit aussi un ange jouant d’une viole n’ayant presque pas d’échancrures, sur un vitrail de l’église de la Fresnoye (Somme) du xvie siècle. Nous reproduisons cette verrière d’après le relevé exécuté, en 1846, par M. Lettelier, et appartenant aux archives de la Commission des Monuments historiques. Cet instrument ressemble à la lyre-viole, du P. Mersenne que nous donnons plus loin, mais il n’y a ni cordier, ni chevalet. Deux grandes ouïes sont percées dans la table à la place habituelle ; de plus, un grand trou rond existe au-dessous des quatre cordes. À l’extrémité du manche, qui est très court, se trouve un cheviller en équerre.

IV

Il y avait des violes de toutes tailles ; mais les principales, celles qui étaient les plus usitées, avaient conservé les proportions des anciennes vièles qu’elles remplaçaient.

La « viola a braccio », ou viole proprement dite, correspondait, comme dimension, à la vièle. La « viola a gambe », basse de viole, qui se jouait placée entre les jambes comme notre violoncelle, remplaçait la rote. Le dessus de viole était équivalent, par sa grandeur, au rebec. Et le pardessus de viole ou violette, improprement appelé quinton, que les Italiens nommaient aussi « violino piccolo alla francese », succédait à la gigue et avait le même emploi.

viola a braccio à six cordes
Voussure de l’orgue de Gonesse (début du xvie siècle).

La famille des violes comprenait encore : la taille de viole, la « viola bastarda », la « viola a spalla » ou viole d’épaule, qui était une variété de la « viola a braccio », la viole d’amour, la « viola pomposa », sorte de petite basse de viole à cinq cordes inventée, dit-on, par J.-S. Bach, la « viola bordone » ou baryton, la viole-lyre, et le « violone » ou contrebasse de viole. Tous ces noms avaient été donnés aux violes, tant à cause de leurs proportions plus ou moins grandes et du nombre de leurs cordes, que d’après la manière de les tenir pour les jouer. On voit qu’il y en avait une certaine quantité et qu’un jeu de violes, comme on disait alors, contenant toutes les variétés, pouvait être très important.

La voussure de l’orgue de Gonesse (Seine-et-Oise), à laquelle nous avons déjà emprunté un ange jouant du rebec, nous fournit encore deux exemples, l’un d’une « viola a braccio », l’autre d’une « viola a gambe », qui reproduisent le même modèle à des grandeurs différentes.

viola a gambe à cinq cordes jouée pizzicato
Voussure de l’orgue de Gonesse (début du xvie siècle).


Les costumes des anges qui les jouent montrent que cette peinture a du être exécutée lors de l’installation de l’orgue, c’est-à-dire vers 1508.

De profondes échancrures en forme de C se voient sur les côtés des caisses de résonance, qui sont fort larges. Une grande rosace découpée au milieu de la table en dessous des cordes, et quatre autres rosaces plus petites, percées à droite et à gauche, à égale distance de la première, figurent les ouïes. Le manche, qui est plus large prés de la caisse qu’à son extrémité, se termine par un cheviller renversé comme celui d’un luth. Les divisions de la touche ne sont pas indiquées ; et sur les deux instruments, par suite d’une erreur de l’artiste peintre, les chevalets, au lieu de se trouver près du cordier, sont placés en avant de la touche, entre celle-ci et l’endroit réservé pour le passage de l’archet.

Montée de six cordes, la « viola a braccio » est jouée comme un violon. On y distingue le bouton après lequel est attaché le cordier. La position du bras gauche de l’instrumentiste paraît excellente, les doigts retombent naturellement sur les cordes. L’archet, qui occupe aussi une très bonne position, a sa baguette penchée du côté du cordier, contrairement à ce qui se fait de nos jours ; il est tenu entre le pouce et l’index de la main droite, et l’annulaire semble le soutenir. La ligne qui traverse cette viole et la coupe en deux est un joint du plancher sur lequel sont peints directement l’instrument et l’instrumentiste, et qui a un peu dévié.

La « viola a gambe » qui n’a que cinq cordes, reproduit le même type ; mais on n’y remarque pas le bouton qui sert à attacher le cordier. Elle est jouée en pizzicato et l’ange musicien a ses doigts de la main droite placés de façon à pincer plusieurs cordes à la fois ; il tient l’archet dans sa main gauche, entre le pouce et la poignée du manche, en même temps que ses doigts appuient tout à fait à plat sur les cordes.

Une charmante majolique italienne, du xvie siècle, qui est au musée Correr, à Venise, nous offre un très beau modèle d’une grande « viola a braccio », jouée par Orphée charmant des animaux, parmi lesquels on remarque un lion, un cerf, un tigre, etc. L’instrument, fort bien dessiné, a aussi des échancrures assez profondes en forme de C. Les deux ouïes, qui sont également des C, se trouvent à la place habituelle. On y compte, quatre cordes, passant sur un chevalet placé près de l’attache-cordes, car il n’y a pas de cordier.

orphée charmant les animaux aux sons de la viole
Majolique italienne (xvie siècle), Musée Correr, Venise.


Un filet décore les bords arrondis de la table. La touche, qui n’est pas plus longue que le manche, n’a pas de divisions, et le cheviller représente un trèfle. L’index, le médius et l’annulaire de la main gauche appuient à plat sur la corde, mais le petit doigt est arrondi. Quant à l’archet, Orphée le tient penché du côté de la touche, comme nos violonistes modernes.

Nous reproduisons une « viola a spalla » italienne, qui est montée de sept cordes, dont deux en bourdons, d’après Gio. Bellini, La Vierge et l’enfant Jésus entourés de divers saints (église Saint-Zacharie, à Venise), tableau daté de 1505.

viola a spala a sept cordes, dont deux en bourdons
Gio. Bellini, La Vierge et l’enfant Jésus entourés de divers saints
Église Saint-Zacharie, à Venise (1505).


Cet instrument paraît être disposé pour faire entendre des harmonies, l’archet devait y toucher facilement plusieurs cordes à la fois. C’est sans doute pour cela que les échancrures y sont peu profondes mais assez longues et bien arrêtées.

viole à cinq cordes
Buffet d’orgue de l’église N.-D. du Grand-Andely (Eure) (xvie siècle).


Les cordes sont attachées à un cordier et passent sur un chevalet placé entre les ouïes, deux C allongés et peu ouverts. La touche s’avance assez loin au-dessus de la table, on n’y remarque pas de divisions ou cases pour indiquer l’emplacement des doigts. Le manche, relativement court, se termine par un cheviller ayant la forme d’une lance dont on aurait coupé la pointe.

La ravissante jeune fille qui joue cette viole et qui figure un ange, appuie la table du fond sur son épaule gauche et penche sa tête au-dessus pour la maintenir ; elle tient l’archet délicatement, le tire très droit et incline la baguette du côté du chevalet. Le pouce, le médius, l’annulaire et le petit doigt de sa main gauche pressent les cordes sur la touche ; son index est au-dessous de la poignée, on n’en voit que l’extrémité près du sillet.

Sur un panneau du buffet de l’orgue de l’église Notre-Dame du Grand-Andely (Eure), est représentée une femme, debout, et jouant d’une grande viole à cinq cordes, qu’elle tient appuyée contre elle. Nous donnons cette sculpture du xvie siècle, d’après la photographie qui appartient aux archives de la Commission des Monuments historiques. Cette viole a des échancrures à peu près semblables à celles du violon. Les deux ouïes sont des S. La table du fond devait être percée d’un trou au milieu, permettant d’y passer une agrafe, pour accrocher et maintenir l’instrument, ou bien celui-ci était suspendu à la ceinture, par un fil attaché au bouton du cordier. C’est sans doute ainsi que l’on a joué de la basse de viole et plus tard du violoncelle dans les processions.

V

En Allemagne, il y avait, en outre des « klein Geigen » que nous avons présentées dans le chapitre relatif an rebec et à la gigue, différentes violes, dont le nombre des cordes variait de quatre à douze. Sébastien Virdung, Agricola, Luscinius et Prætorius les décrivent sous les noms de Grosz Geigen (grandes gigues), et en donnent des dessins absolument semblables à celui que nous reproduisons, et qui se trouve dans l’ouvrage de Prætorius, planche XXXIV, où il est indiqué par le numéro 14 et accompagne des mots : Alte Fiddel.


viole allemande
D’après Prætorius (début du xviie siècle).
De grandes échancrures sont pratiquées sur les côtés de la caisse pour le passage de l’archet, qui est placé près de l’instrument et ressemble un peu à celui dont se servait Dragonetti. Une grande rosace décore le milieu de la table ; de plus, deux ouïes se voient dans le haut, de chaque côte des cinq cordes, lesquelles sont fixées à un attache-cordes. Le dessinateur a oublié de représenter le chevalet, mais il a très bien indiqué les sept cases de la touche, ainsi que les chevilles qui garnissent les côtés du cheviller, qui est renversé, presque en équerre.

Virdung donne le dessin d’une « Grosz Geigen » exactement pareille, où le chevalet n’est pas représenté non plus, et qui à neuf cordes.

Déjà, vers la fin du xve siècle, ces violes formaient un quatuor complet, composé du discant, de l’alto, du ténor et de la basse, et reproduisant absolument le même modèle avec des proportions différentes.

Agricola nous fait connaître l’accord de celles que l’on montait de quatre cordes ; par exception, la basse en avait cinq ; le voici :

Mais cet accord était sans doute très variable, chaque instrumentiste devait s’accorder un peu à sa guise et d’après la tonalité du morceau qu’il avait à jouer ou à accompagner.

basses de viole a six cordes
Triomphe de Maximilien, par Albert Dürer (xvie siècle).

On voit des basses de violes du même type, jouées par deux musiciens couronnés, sur un des chars du Triomphe de l’empereur Maximilien, dessiné par Albert Dürer, planche XVIII. Elles sont montées de six cordes attachées à un cordier très court et passent sur un chevalet qui n’a pas été oublié par le grand artiste. Les échancrures sont moins grandes que sur le dessin de Prœtorius, et il n’y a pas de rosace ; les deux ouïes se trouvent à la place habituelle. La touche s’avance un peu au-dessus de la table, les divisions y sont indiquées. Le cheviller, arrondi, se termine par une sorte de volute. Ces deux musiciens sont à l’avant du char et tournent le dos au conducteur. Albert Dürer les a représentés l’un tenant son archet de la main droite et l’autre de la main gauche, afin que l’on puisse mieux les voir sans doute.
atelier de luthier
Par J. Amman (xvie siècle).
On ne s’explique pas très bien pourquoi les caisses de ces deux instruments sont moins hautes du côté où l’on tire l’archet que de celui où les doigts agissent sur les cordes. Cette disposition serait très avantageuse pour démancher, mais à la condition que la caisse fût moins élevée du côté opposé.

Jost Amman, qui nous montre un atelier de luthier, où le maître de céans, délaissant ses outils et les instruments qu’il a commencé de fabriquer, joue du luth pour se distraire en attendant l’arrivée des clients, a aussi dessiné un trio de musiciens ambulants allemands, dont l’un joue d’une sorte de petite gigue, et les deux autres de très grandes basses ou plutôt contrebasses de viole. Les sons aigres de la gigue, se combinant avec les ronflements de ces grandes basses devaient certainement produire un effet bizarre et peu harmonieux. On se figure mal la Sérénade de l’immortel Beethoven exécutée par un semblable trio. Toutefois les instruments, les grands surtout, méritent qu’on les examine, car nous n’en rencontrerons pas très souvent de ce modèle. Ils ont des caisses tout à fait plates et très basses d’éclisses. Deux ouïes se voient sur la table d’harmonie, en dessous des échancrures, de chaque côté du cordier, auquel sont attachées les trois cordes, qui passent ensuite sur un chevalet arrondi. Les manches, très longs et peu larges, semblent avoir des divisions. Les chevillers recourbés se terminent par des volutes.
musiciens ambulants jouant de la gigue et de la contrebasse de viole
Par J. Amman (xvie siècle).
Les deux musiciens scient les cordes en travers, avec de grands archets. L’un d’eux, celui qui tourne le dos, joue à la première position, tandis que l’autre, qui est vu de face, a sa main gauche avancée sur le manche et presse les cordes à la quatrième case.

Avec la planche XX de Prætorius, nous retrouvons des instruments artistiques. Les cinq violes qui y sont dessinées et qui paraissent l’être avec beaucoup de soin et d’exactitude, ont toutes leurs tables d’harmonie voûtées. Il n’est pas douteux que ces voûtes devaient exister depuis longtemps déjà sur les violes montées d’un certain nombre de cordes, car elles offrent une très grande force de résistance et permettent, par conséquent, à l’instrument de supporter plus facilement le tirage des cordes ; de plus, elles sont très favorables à la sonorité. Cependant, comme c’est la première fois qu’on les remarque sur les nombreuses représentations d’instruments à archet données jusqu’ici, le fait méritait d’être signalé[1].

violes
D’après Prætorius (début du xvie siècle).

Les numéros 1, 2 et 3 nous montrent des « violes à gambe » de grandeurs très différentes, quoique faites sur le même modèle. Il est assez curieux de constater que la même dénomination s’appliquait à des instruments de diapasons divers, car à première vue on prendrait plutôt ces trois violes pour un alto ou ténor, une basse et une contrebasse, que pour trois basses. Ceci nous amène à croire que la qualification de « viola a gambe » donnée à une viole,
viole à cinq cordes
d’après Mersenne (xviie siècle).
indiquait seulement la manière dont on la tenait pour la jouer, mais n’impliquait pas pour cela que c’était une basse.

Ces trois instruments ont les bords de leurs tables décorées de doubles filets ; ceux des cordiers le sont aussi. — Il n’y a pas de bouton dans l’éclisse pour accrocher le cordier, comme cela se pratique sur le violon ; mais une petite barre de bois est collée en travers de cette éclisse et dépasse les bords de la table supérieure ; c’est elle qui entre dans une ouverture ménagée à l’extrémité du cordier, et le fixe d’une façon assez rigide. — Les deux ouïes ont la forme de C, et se trouvent, comme sur nos instruments modernes, de chaque côté du chevalet, lequel n’est pas plat, mais arrondi, afin de permettre à l’archet de passer sur une seule corde, sans toucher ses voisines. — Le haut de la caisse s’amincit pour arriver au manche, qui n’est pas fixé à angle droit dans l’eclisse. — Les touches, qui s’avancent un peu au-dessus des tables d’harmonie, sont garnies de sept cases, placées à égale distance l’une de l’autre, et faites avec des liens qui entourent à la fois la touche et la poignée du manche. — Une tête sculptée se voit à l’extrémité de chacun des chevillers ; ceux-ci ne sont pas plus renversés que de nos jours, et les chevilles se trouvent aussi sur les côtés. — Elles sont montres de six cordes, mais celle qui est désignée par le numéro 3 a deux de ses cordes, les plus grosses, qui sont filées. C’est la première fois que nous en rencontrons. De plus, les six cordes de cette viole sont attachées au cordier par des bouclettes. — Les tables du fond, très probablement plates, paraissent être coupées en sifflet dans le haut, près du manche. Ce détail est très bien indiqué sur le numéro 2.

La « viola bastarda », qui porte le numéro 4, est semblable aux trois premières, mais un peu moins large en proportion de sa longueur. Une rosace est percée dans la table, en plus des deux ouïes, et se voit au-dessous des cordes en avant de la touche. Ses six cordes sont attachées au cordier par des bouclettes, comme sur le numéro 3. Une volute y termine le cheviller.

Quant au numéro 5, « italianische lyra da braccio », sa caisse de résonance est absolument semblable à celle d’un violon, mais avec des éclisses un peu plus élevées, et sans filets autour de la table. Les ouïes ont aussi la forme d’une f. Le manche, court et large, n’a que cinq cases, et se termine par un cheviller comme en avaient assez souvent les anciennes vièles. Cette viole est montée de sept cordes, dont deux accouplées et deux autres en bourdons ; de sorte, qu’il y a exactement : trois cordes simples, une corde double, et deux bourdons, indépendants de la touche, mais très rapprochés de celle-ci.

VI

Nous reproduisons d’après Mersenne une ancienne viole : « laquelle n’avait que cinq chordes, dont le nom se void sur la touche du manche près du sillet, à sçavoir chanterelle seconde, tierce, quarte et bourdon[2]. Et puis l’on void l’accord par lettres avec la clef de G ré sol sur la seconde chorde[3]. »

Elle était accordée par quartes. Les cordes à vide sonnaient : la chanterelle, ut ; la seconde, sol ; la tierce,  ; la quarte, la et le bourdon, mi.

Après avoir fait une description des violes à six cordes, le même auteur en donne aussi l’accord suivant :

accords des violes à six cordes
D’après Mersenne (xviie siècle).

« Lequel enseigne que la Taille et la Haute-contre sont à la quinte de la Basse et que le Dessus est à son octave ; quoy que plusieurs mettent la Taille à la quarte de la Basse, et le Dessus seulement à un ton de la Haute-contre[4]. »

On voit par ces explications qu’il n’y avait rien de bien fixe pour l’accord des violes : cependant, celui de la basse de viole à sept cordes donné environ cinquante ans plus tard par Jean Rousseau[5], est le même que le précédent, avec une corde de plus dans le grave, accordée à une quarte au-dessous de la sixième :

Parlant de l’accord des violes, Prætorius termine en disant : « Il faut remarquer qu’on ne doit pas attacher grande importance à la manière dont chacun accorde les violons et les violes, pourvu qu’on joue juste et bien, etc…[6] »

Le seul fait à retenir, c’est que l’on accordait les cordes des violes à un intervalle de quarte, sauf pour les deux du milieu, qui se trouvaient toujours à la distance d’une tierce. Avec ce système, il était facile de faire entendre des harmonies et de les soutenir. Ainsi, en se servant de l’accord de Jean Rousseau, rien qu’en appuyant le premier doigt sur les troisième, quatrième et cinquième cordes à la fois, on obtenait un accord de ré majeur.

VII

Mais l’instrument harmonique par excellence était la lyre-viole. Voici ce qu’en dit Mersenne :

« Proposition X.

« Expliquer la figure, l’accord et l’usage de la lyre.

« La figure de la Lyre est fort peu différente de celle de la Viole, néantmoins son manche et la touche du manche est beaucoup plus large, d’autant qu’elle est couverte de quinze chordes,
lyre-viole à quinze cordes
dont deux en bourdons et son accord

D’après Mersenne (xviie siècle).
dont les six premières ne font que trois rangs, et si l’on veut doubler chaque rang, comme l’on fait sur le Luth, l’on aura ving-deux chordes. L’on met les deux plus grosses hors du manche, comme l’on voit depuis H jusques à K ; et le petit manche H I est adjousté pour les bander. Il n’est pas besoin d’avertir que l’on peut adjouster un second manche semblable au second des Tuorbes, pour y mettre tant de basses que l’on voudra, puisque cela se pratique déjà sur les Violes. Il faut encore remarquer que le chevalet K L est plus long, plus bas, et plus plat que celui des Violes, parce qu’il porte une plus grande multitude de chordes, dont il faut toucher trois ou quatre en mesme temps d’un mesme coup d’archet afin de faire des accords. Or, le son de la lyre est fort languissant et propre pour exciter la dévotion, et pour faire rentrer l’esprit dans soy-mesme, l’on en use pour accompagner la voix et les récits. »

« Quant a son accord, il n’est pas difficile comme plusieurs se l’imaginent, quoy qu’il soit fort considérable et extraordinaire comme l’on void aux notes qui suivent dont chacune répond à chaque chorde, encore que l’on peut l’accorder comme les Violes et en plusieurs autres manières ; quoy qu’il en soit, il suffit d’expliquer icy l’accord dont on peut user en touchant la lyre, lequel est représenté par la figure A D E G : les sept lettres quii sont à costé du manche, à sçavoir, b, c, d, e, f, et b, représentent les sept touches ; B est le lien du sifflet ; Q et R montrent les deux ouyes, et N O M la queue à laquelle on attache les chordes et qui est attachée avec la cheville de bois M E. L’espaisseur qui est fort grande est représentée par G E F. Quant au manche et à ses chevilles, on les fait de telle forme que l’on veut, aussi bien que la table et les autres parties ; car il importe nullement pourveu que la lyre et les autres instrumens ayent une bonne harmonie. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Au reste il est libre à chacun d’accorder la Lyre comme il voudra, car il importe pourveu que l’on puisse toucher les accords aysement, en couchant l’index sur les touches comme l’on fait ordinairement pour faire quatre ou cinq accords[7].))

Plus loin[8], il donne l’exemple suivant, et avertit que « cet accord est celuy de M. Baillif » :

accord de la lyre (celui de m. baillif)
D’après Mersenne.

Le même auteur fait encore connaître l’accord que voici[9] :

accord de la lyre italienne
D’après Mersenne.

Prætorius publie aussi le dessin d’une « lyra a gambe », à douze cordes, dont deux sont disposées en bourdons. Cet instrument est absolument semblable à celui qui porte le n° 5 sur sa planche XX et qui est indiqué : « Italianische Lyra de braccio » ; seulement ce dernier possède un plus grand nombre de cordes. Ceci nous montre qu’il y avait des lyres de différentes grandeurs.

En Italie, les lyres étaient utilisées dans les églises. Étant à Rome, en 1639, notre célèbre violiste Maugars dit : « Quant à la musique instrumentale, elle estoit composée d’un orgue, d’un grand clavessin, d’une lyre, de deux ou trois violes, de deux ou trois archiluths[10]. »

VIII

La viole d’amour n’est autre qu’une « viola a braccio » à laquelle on a ajouté des cordes vibrantes en laiton. Ces cordes sont accrochées à des petits boutons d’ivoire ou de métal, fixés dans l’éclisse de chaque côté de l’attache du cordier. Elles reposent sur le chevalet, au-dessous des cordes de boyau, passent dans l’intérieur de la poignée du manche, où un espace leur est ménagé sous la touche, et vont retrouver leurs chevilles, qui sont placées à l’extrémité du cheviller. Elles ne peuvent être actionnées, ni par les doigts, ni par l’archet. Elles vibrent par sympathie, à l’unisson de leurs sœurs, les cordes supérieures, chaque fois que l’on émet sur ces dernières un son qui correspond harmoniquement avec les leurs.


lyra à gambe à douze cordes, dont deux en bourdons
D’après Prætorius
(début du xviie siècle).
C’est le principe de la harpe éolienne appliqué aux instruments à archet, avec cette différence toutefois que, dans la harpe éolienne, les cordes vibrent au contact de l’air, tandis que dans la viole d’amour ce sont les vibrations des autres cordes qui font résonner les cordes métalliques.

Cette adjonction de cordes harmoniques n’augmente pas beaucoup le son de la viole, mais elle le prolonge, l’adoucit et le rend plus pur.

Le nom charmant de viole d’amour, qui lui a été donné, définit avec une grande poésie l’union de ces deux jeux de cordes, semblables à deux cœurs amoureux, dont l’un, tendre et timide, vibre à l’unisson de l’autre par sympathie.

La sarangie ou sarungie du Bengale, étant montée de quatre cordes de boyau et de onze cordes métalliques, Fétis en conclut que l’idée des instruments à archet et à double espèce de cordes appartient à l’Hindoustan, et dit : « La viole d’amour était connue antérieurement à Constantinople, où on la retrouve encore. Il paraît que c’est de cette ville que l’instrument a pénétré en Hongrie, par la Valachie et la Serbie… La viole d’amour et le baryton sont nés de ce principe de résonance par sympathie harmonique qui de l’Inde a passé en Turquie par la Perse[11]. »

Selon Prætorius c’est à la « viola bastarda », dont on a vu le dessin plus haut, que les Anglais eurent les premiers l’idée d’adapter des cordes sympathiques[12].

Quoi qu’il en soit, voici ce que Jean Rousseau dit à propos des cordes de laiton :

« Le père Kircher dit que les violes des Anglois estoient ci-devant montées en partie de semblables chordes, et l’on voit encore aujourd’huy une espèce de dessus de viole monté de chordes de laton, qu’on appelle Viole d’Amour ; mais il est certain que ces chordes font un méchant effet sous l’archet, et qu’elles rendent un son trop aigre ; c’est pour cela que les François ne se sont jamais servy de pareilles chordes, quoyque quelques uns en ayent voulu faire l’essay[13]. »

Cet auteur ne connaissait pas l’emploi des cordes de laiton, en tant que cordes vibrantes ; mais il ne résulte pas moins de ce qui précède, qu’à l’époque où il publia son traité, la viole d’amour était connue depuis longtemps en Angleterre. Les mots : « Et l’on voit encore aujourd’huy une espèce de dessus de viole monté de chordes de laton, qu’on appelle Viole d’Amour », ne laissent aucun doute à ce sujet. Fétis ne donne donc pas un renseignement exact lorsqu’il dit que c’est Ariosti qui fit entendre la viole d’amour pour la première fois à Londres, à la sixième représentation d’Amadis, de Hændel, en 1716[14] c’est-à-dire environ trente ans après la publication du traité de Jean Rousseau.

On devait connaître la viole d’amour en Italie, avant la fin du xviie siècle. Il suffit d’examiner les beaux modèles qui ont été construits par les luthiers italiens au début du xviiie siècle,
viole d’amour (xviiie s.)
Appartenant à M. Louis Van Waefelghem.
pour être convaincu que l’on n’était déjà plus à la période des essais, et que ces artistes n’auraient pu réussir à les faire aussi parfaits, si ces instruments n’avaient pas été pratiqués depuis longtemps. Du reste, dans une exposition d’instruments de musique et d’autographes d’artistes célèbres, faite en 1898 à Brescia, il y avait « une viole d’amour fabriquée à Brescia en 1500[15] ». Si l’instrument ainsi désigné est bien réellement une viole d’amour, l’usage européen des instruments à archet et à double espèce de cordes serait donc très ancien.

Nous reproduisons la charmante viole d’amour que M. L. van Waefelghem fait entendre avec tant de succès à la Société des Instrumens anciens[16], car elle est tout à fait remarquable comme facture.

Montée de sept cordes en boyau, dont trois filées d’argent, et de sept cordes vibrantes, elle est signée : Paolo Aletzie, Venetia, 1720. Son cheviller, d’une grande élégance, est orné d’une ravissante sculpture représentant un Amour ailé, ayant un bandeau sur les yeux.

Elle mesure :

Longueur du corps sonore 
400 millimètres.
Largeur du bas 
240
            du mileu 
125
            du haut 
190
Hauteur des éclisses, en bas 
55
                                en haut 
45
Longueur du cheviller y compris la tête sculptée 
240

On rencontre assez souvent des violes qui ont été montées en viole d’amour. Pour arriver à ce résultat, on a dû creuser le manche sous la touche, afin d’avoir l’espace nécessaire pour le passage des cordes vibrantes, et comme le cheviller n’était pas assez long pour qu’on pût y ajouter de nouvelles chevilles, ces cordes ont été attachées à de petites chevilles en fer que l’on a placées en dessous, près du sillet.

Ariosti (Attilio), moine dominicain, né à Bologne vers 1660, remporta de grands succès sur la viole d’amour. Compositeur distingué et instrumentiste habile, le pape lui avait accordé, dit-on, une dispense qui l’exemptait des devoirs de son état et lui permettait de composer pour le théâtre. Après avoir fait représenter Daphne et Erifile, à Venise, il devint, en 1698, maître de chapelle de l’électrice de Brandebourg, et donna plusieurs opéras à Berlin, à Lutzenbourg, à Bologne et à Vienne. Mais c’est à Londres, où il se rendit en 1716, que l’attendaient ses plus grands triomphes. Fait sans précédent jusqu’alors en Angleterre, on imprima entièrement ses partitions de Coriolan et de Lucius Verus, dont la réussite avait été complète. De plus, il se fit entendre comme virtuose sur la viole d’amour, à la sixième représentation de l’Amadis de Hændel, dans un entr’acte, et son beau talent excita un véritable enthousiasme.

Il a laissé, sous forme de lezioni, six sonates pour la viole d’amour ; elles se trouvent dans un volume, fort rare aujourd’hui, contenant également six cantates, lequel a été publié par souscription, à Londres, en 1728, et porte ce titre : Cantates and a collection of lessons for the viole d’amore.

Ganswid, qui vivait à Prague au siècle dernier, se fit également remarquer comme virtuose sur la viole d’amour. Il composa plusieurs concertos, des sonates, des duos et des trios pour son instrument, et forma de bons élèves, parmi lesquels on remarque Powliezck, Eberle et François Richter, qui fut le plus habile.

Désirant faire vrai, autant que possible, et rappeler les douces et pénétrantes sonorités des instruments en usage au temps où se passe l’action de son opéra Les Huguenots, Meyerbeer a eu l’heureuse idée d’utiliser la viole d’amour pour le prélude et l’accompagnement de la romance du ténor qui se trouve au premier acte de cet ouvrage. C’est d’un effet charmant ; mais on doit regretter que les artistes chargés d’exécuter cette partie à l’orchestre de l’Opéra, à Paris, aient pris, depuis longtemps déjà, l’habitude de ne faire entendre seulement que le prélude de ce morceau sur la viole d’amour, et d’en accompagner tout le reste avec l’alto. Telle n’a pas été l’intention de l’auteur, et il nous semble qu’avec un peu de bonne volonté, il serait facile de restituer cet accompagnement à l’instrument pour lequel il a été écrit. En le faisant, on montrerait du respect à la fois pour le maître et pour le public.

M. Gustave Charpentier vient aussi de faire un très heureux emploi de la viole d’amour dans sa Louise, dont la première représentation a eu lieu tout récemment à l’Opéra-Comique.

IX

La « viola bordone », ou baryton, avait aussi des cordes vibrantes, dont le nombre a souvent varié ;

viola bordone
(Musée instrumental du Conservatoire de musique, à Paris).


d’abord de sept et de onze cordes, il est arrivé progressivement au chiffre de vingt-deux.

Il en existe, à Londres, au South Kensington Museum, un très beau spécimen dont la caisse rappelle, par ses contours, celle de la lyre-viole de Mersenne, et qui porte la signature de Joachim Thielke, Hambourg, 1686, lequel a laissé divers instruments : luth, viole, guitare, etc., qui sont des chefs-d’œuvre de marqueterie et d’incrustation de bois, nacre, ivoire, or et argent.

Un non moins beau modèle de « viola bordone » se trouve au musée instrumental du Conservatoire de musique à Paris[17]. Il est de Norbert Bedler, luthier de la cour de Bavière, et daté de Würtzbourg, 1723.

Ce baryton est monté de six cordes de boyau et de dix-huit cordes de laiton. Il a des échancrures sur les côtés de la caisse, comme une viole ordinaire, deux ouïes et une toute petite rosace au-dessous de la touche. Attachées à un cordier, les six cordes de boyau reposent sur un chevalet très élevé et passent au-dessus de la touche qui n’a pas de divisions ou cases, avant d’aller retrouver leurs chevilles, lesquelles sont placées sur les côtés du cheviller. Les dix-huit cordes de laiton, accrochées à des boutons qui sont enfoncés dans l’éclisse, de chaque côté de la cheville servant à retenir le cordier, s’appuient sur un chevalet très large et très bas, placé en travers et au-dessous du grand, et de là vont rejoindre le cheviller en passant à découvert, dans l’intérieur de la poignée du manche. Elles sont protégées, au-dessus de la table, par la touche et par une petite tablette décorée d’ébène et d’ivoire. Les tables sont ornées de filets et ont des bords arrondis, dépassant les éclisses ; celle du fond est coupée en sifflet ; dans le haut, près du manche, une charmante tête sculptée termine le cheviller.

Voici les proportions de cet instrument :

Longueur totale 
1 400 millimètres.
            de la caisse y compris les bords des tables 
690
Largeur du bas 
400 millimètres.
            du milieu 
250
            du haut 
330
Hauteur des éclisses, en bas 
133
                                en haut 
115
Longueur des ouïes 
118
               de la poignée du manche 
270
               du cheviller 
400

Vidal donne l’accord suivant du baryton à six cordes, mais sans en indiquer la source :


et dit : « La plus grave des cordes sympathiques s’accordait sur :


en montant par succession diatonique jusqu’à la dernière[18] »

L’intervalle de sixte qui se trouve entre la quatrième et la cinquième corde nous surprend beaucoup ; il doit probablement y avoir erreur.

D’après Carl Engel, la « viola bordone » à sept cordes s’accordait ainsi :



et la corde sympathique la plus grave était aussi

[19]

Le baryton, qui n’a jamais été en faveur qu’en Allemagne. y était déjà connu au début du xvie siècle, car la collection de la Gesellschaft der Musikfreunde, à Vienne, en possède un spécimen signé Magnus Felden, Wien, 1556. Ant. Lidl, de Vienne, et Karl Frantz, musiciens attachés au service du prince Esterhazy, le remirent en honneur au xviiie siècle. Karl Frantz, publia même, en 1785, douze concertos pour cet instrument. Le prince N. Esterhazy en jouait assez bien et fit écrire par Joseph Haydn soixante-trois pièces pour cette viole, dont le grand nombre de cordes sympathiques, difficiles à bien accorder, occasionnait, un chevrotement désagréable.

Le système des cordes vibrantes a aussi été appliqué à la basse de viole (où elles ont été ajoutées après coup), au violon, à la vielle, à la trompette marine. Logiquement, tous ces instruments ainsi montés de cordes sympathiques auraient dû prendre le qualificatif d’amour, pour les distinguer des autres, et s’appeler baryton d’amour, basse de viole d’amour, violon d’amour[20], vielle d’amour et trompette marine d’amour.

Mais, si tous les instruments qui ont des cordes vibrantes ne portent pas, ce qui est un tort à notre avis, le qualificatif d’amour, en revanche, un dessus de viole n’en ayant pas, et qui est tout simplement monté de sept cordes de boyau, est désigné sous le nom de viole d’amour par M. A.-J. Hipkins[21]. Il est bien question de cordes vibrantes dans le texte[22], mais l’instrument qui est donné comme exemple n’en a jamais eu, même d’additionnelles.

X

Jean Rousseau donne les renseignements suivants sur le « violone » ou contrebasse de viole :

« Les premières violes dont on a joué en France estoient à cinq chordes et fort grandes, leur usage estoit d’accompagner ; le chevalet estoit fort bas et placé au-dessous des ouyes, le bas de la touche touchoit à la table, les chordes estoient fort grosses et son accord estoit tout par quartes : sçavoir, la chanterelle en C sol ut, la seconde en G ré sol, la tierce ou troisième en D la ré, la quatrième en A mi la, et la cinquième, qu’ils appeloient bourdon, estoit en E si mi. La figure de cette viole approchoit fort de la basse de violon.

« Dans la suite, on a changé cette figure en celle des violes dont nous nous servons aujourd’huy, à la réserve du manche ; car il estoit rond et massif et trop penché sur le devant, outre que l’instrument estoit fort grand, en sorte que le père Mersenne dit que l’on pouvoit enfermer un des jeunes Pages de Musique dedans pour chanter le dessus pendant que l’on jouoit la basse, et il dit de plus que cela a esté pratiqué par le nommé Granier devant la royne Marguerite, où il jouoit la basse et chantoit la taille, pendant qu’un petit page enfermé dans la viole chantoit le dessus[23]. »

Granier, le héros de cette histoire, mourut vers 1600. Il fut un des premiers à se faire remarquer sur la basse de viole, et devint l’un des sous-maîtres de la chapelle du roi, après avoir été au service de Marguerite de Valois. Cette princesse, qui était fort belle, mais impérieuse et vindicative, faisait, sur les plus légers prétextes, fustiger de coups de bâton un autre de ses musiciens nommé Choisnin[24]. L’histoire ne dit pas si elle était aussi aimable pour le célèbre Granier.

Au siècle précédent, Marguerite d’Écosse, dauphine de France, depuis reine de France, épouse de Louis XI, n’usait pas des mêmes procédés envers le poète Alain Chartier, qui fut secrétaire de Charles VI et de Charles VII. L’ayant trouvé un jour endormi dans l’antichambre du roi, elle lui donna un baiser et s’en justifia agréablement, selon Titon du Tillet, « en disant qu’elle ne baisoit pas l’homme, mais seulement la bouche d’où sortoient de si belles pensées et des expressions si aimables[25] ». F. Halévy ignorait sans doute cette anecdote, sans cela, il aurait malicieusement insinué que le mode myxo-lydien n’était peut-être pas tout à fait étranger à cette tendre preuve d’admiration[26].

XI

J. S. Bach passe pour avoir imaginé, vers 1720, une viole à cinq cordes seulement, qui est connue sous le nom de « viola pomposa ». C’était une petite « viola a gambe », ou plutôt un petit violoncelle, ayant une corde de plus dans l’aigu ; lequel s’accordait par quintes : ut sol ré la mi, et qui permettait aux exécutants encore peu habiles à cette époque, d’atteindre les notes élevées sans démancher. Ce fut, dit-on, Martin Hoffmann, célèbre luthier de Leipsig, qui construisit la « viola pomposa », d’après les indications de Bach ; et Jean-Georges Pisendel[27], maître des concerts de l’Électeur de Saxe, roi de Pologne, qui la fit entendre.

Les rapides progrès d’exécution la rendirent inutile, aussi fut-elle promptement abandonnée ; et son inventeur, le grand Bach lui-même, qui a beaucoup écrit pour la « viola a gambe » et un peu pour la viole d’amour, ne nous a rien laissé dans ses œuvres si nombreuses, pour la « viola pomposa ».

XII

On a vu que la « viola a gambe », désignée par le numéro 3 sur la planche XX de Prætorius, est montée de six cordes, dont deux, les plus graves, sont filées, c’est-à-dire entourées d’un fil de métal très fin ; et que Mersenne ne fait pas connaître des violes ayant plus de six cordes et n’indique pas non plus s’il y en avait de filées.

D’après Jean Rousseau, ce fut vers 1675, que Sainte-Colombe ajouta la septième corde, afin d’augmenter l’étendue d’une quarte, en même temps qu’il introduisit en France l’usage des cordes filées d’argent. Nous pensons donc que Titon du Tillet commet une erreur en disant : « Pour rendre la viole plus sonore, Marais est le premier qui ait imaginé de faire filer en laiton les trois dernières cordes des basses[28] », et qu’il vaut mieux s’en rapporter à Rousseau, contemporain de Sainte-Colombe, qui en attribue la paternité, en France, à ce dernier.

Nous ne savons si la date de l’adjonction de la septième corde, donnée par Rousseau est bien exacte ; dans tous les cas, déjà en 1675, un gentilhomme est représenté jouant d’une basse de viole montée de sept cordes, dont trois, les plus graves, semblent être filées[29]. Le dessinateur n’a donc pas attendu pour reproduire l’instrument augmenté d’une corde par Sainte-Colombe, et le fini d’exécution montre qu’il a travaillé d’après un modèle.

gentilhomme jouant de la basse de viole à sept cordes
(xviie siècle).


Ce qui nous fait supposer que l’on se trouve en présence de trois cordes filées, c’est que celles-ci ne sont pas attachées au cordier par des bouclettes, comme le sont les quatre autres, et que ce genre d’attache serait plus difficile à faire avec des cordes
pardessus de viole ou quinton de louis guersan
(Paris, 1768).
filées. Nous faisons remarquer cependant que, sur le dessin de Prætorius, les deux cordes, dont on distingue très bien le filage, sont attachées, ainsi que leurs voisines, avec des bouclettes.

La tenue de l’instrument est excellente ainsi que la position de la main gauche, dont les doigts s’arrondissent au-dessus des cordes. Le personnage tient l’archet comme l’on faisait dans ce temps-là, c’est-à-dire les doigts en dessous de la baguette et le pouce au-dessus, mais il le tire très droit.

XIII

Presque tous les luthiers français ont construit des pardessus de viole ou quintons vers le milieu du xviiie siècle.
pardessus de viole ou quinton de louis guersan
(Paris, 1768).
Ces instruments, dont le son est dur et sec, n’ont presque pas été joués. Nous en reproduisons un de Louis Gersan, daté de 1768, qui est en parfait état de conservation et n’a pas subi la plus petite réparation. Le fond et les éclisses y sont en bois de deux couleurs ; le vernis est jaune ; la table d’harmonie est voûtée ; celle du fond est plate et coupée en sifflet près du manche ; les bords, qui sont ornés de doubles filets, ne dépassent pas les éclisses, et le cheviller finement sculpté, se termine par une ravissante tête de femme. L’instrument mesure :

Longueur totale 
620 millimètres.
                de la caisse 
320
Largeur du bas 
195
            du milieu 
110
            du haut 
155
Hauteur des éclisses, en bas 
57
            des éclisses, en haut 
55
            des éclisses, près du manche 
48
Longueur des ouïes 
64
                de la poignée du manche 
125
            du cheviller, depuis le sillet jusqu’à l’extrémité de la tête 
137

Après la description de toutes les violes que nous venons de faire, on sera sans doute très étonné de lire ce passage de M. Mahillon :

« Au xve siècle, la viole succède à la vielle à archet que nous trouvons reproduite sur un grand nombre de monuments d’architecture du Moyen Âge ; à partir du xvie siècle, elle se classe déjà en famille. Dès le commencement du xviie siècle, nous constatons l’existence de deux familles différentes et complètes de violes, les violes da gamba (en all : knéegeige) : ainsi nommées parce que les principales se tenaient entre les jambes, et les violes da braccia ou da spalla, ou violons qui se tenaient sur les bras ou contre l’épaule. Les caractères distinctifs des violes da gamba comparés à ceux des violes da braccia, dont la forme s’est assez exactement conservée dans nos instruments à archet actuels, sont les suivants : les violes da gamba sont généralement à six cordes (les violes da braccia n’en avaient que quatre), le manche des premières violes est plus large, il est pourvu de divisions de même que la touche ; le cheviller est presque toujours terminé par une figure sculptée ; les éclisses sont très hautes, les échancrures arrondies et les ouïes de la table découpées en CC[30]. »

C’est à peu près comme si l’on disait que la contrebasse à trois cordes n’est pas de la même famille que la contrebasse à quatre cordes ; ou que le violon et le violoncelle sont de familles différentes, parce que l’un se joue placé sous le menton et que l’autre se tient entre les jambes.

On ne dit pas que les flûtes à une et à six clefs sont de familles différentes, ni que la flûte Boëhm est d’une autre famille que les premières ; mais simplement que ces flûtes ne sont pas du même système, tant pour la perce que pour le nombre et la disposition des clefs.

Les violes aussi étaient de divers systèmes pour le nombre et pour la disposition des cordes ; mais leurs caisses de résonance étaient toutes construites d’après le même principe. C’est pour cette raison qu’elles ne formaient qu’une seule et unique famille, et cela, qu’elles soient petites ou grandes, ou bien tenues sur l’épaule ou sur le bras, sur le genou gauche, ou entre les jambes ;

marin marais
(Paris, 1656-1728).


ou encore comme sur le beau portrait de Marin Marais, où le grand artiste est représenté au repos, et tenant sa belle basse de viole à sept cordes appuyée de côté sur son genou droit.

Parlant des violes, Vidal dit aussi :

« Elles se divisent en deux classes :

« Viola da braccio qui se jouait sur l’épaule ou sur les genoux ;

« Viola da gambe qui se jouait entre les jambes[31]. »

Ces deux classes de M. Vidal étant équivalentes aux deux familles de M. Mahillon, il est inutile d’insister davantage.

XIV

On ne sait pas grand’chose sur les premiers constructeurs d’instruments à archet, sinon qu’il y avait à Paris, en 1292, un « feseeur de vièles » nommé Henry, et connu sous le nom de Henry aux vièles Henry, lequel habitait la rue aux Jugléeurs et était imposé pour la taxe à la somme de 6 et 12 sols parisis par an[32].

Il n’est pas fait mention d’une corporation particulière pour la fabrication des instruments de musique, dans le Registre des métiers d’Étienne Boileau, qui date de 1258[33]. M. Constant Pierre explique très logiquement cette absence d’une corporation spéciale, lorsqu’il dit : « En l’état rudimentaire de l’art musical au Moyen Âge, la facture des instruments de musique n’était pas assez importante pour occuper exclusivement des ouvriers spéciaux et former une industrie à part ; ils étaient construits, croit-on, par ceux qui mettaient en œuvre d’autres objets de matière semblable à celle dont ils étaient formés : bois, ivoire, argent, etc.[34] » Une ordonnance du mois d’août 1297 nous apprend qu’il y avait alors, à Paris, trois « feseeurs de trompes ». Ceux-ci, trop peu nombreux, pour former une corporation indépendante, se firent rattacher à celle des « forcetiers[35] », dont ils relevaient plus spécialement par la nature de leur travail, afin de bénéficier des mêmes avantages et privilèges.

Voici ce document :

« En l’an de grâce mil cc iiijxx et xvij, le merquedi après la my-aoust, furent présent par devant nous Robert Mang, lors garde de la prévosté de Paris, Hen. l’Escot, Guill. d’Amiens et Rog. l’Englois, feseeurs de trompes, si come ils disoient, affermanz que en toute la ville de Paris n’avoit ouvreers de leur mestier, fors hoslelx des trois persones desubs dictes ; et nous requistren en suppliant, par le proufict le Roi, et pour amender leur mestier, que ils fussent gardez et maintenuz selonc les conditions den dict mestier de forceterie en la fourme desubs escripte ; et que uns des mestres den dict mestier de forceterie et li uns d’els, fussent gardes de l’œuvre des trompeors en tel manière que cil qui seroit garde den mestier, ne les autres trompeors ne puissent riens demander ne reclamer en dit mestier de forceterie ne euvrier de celui mestier.

« Et nous, leur requeste oye, den consentement et de la volenté de Adam le forcetier, de Jehan le Piquet mestres du mestier de forceterie, présenz à ce pardevant nous, leur avons octroié leur requeste en la fourme desubs dicte, sauf autruy droict.

« En tesmoing de quoy, etc.[36]. »

Plus tard, les « feseeurs de trompes » durent se joindre aux chaudronniers, car on voit figurer parmi ceux-ci, dans l’Almanach Dauphin, de 1777, Carlier, célèbre pour la fabrication des cors de chasse, trompettes et timbales.

À Rouen, les faiseurs d’instruments se réunirent à la corporation des ménétriers et maîtres de danse de cette ville. Charles VII confirma leurs statuts en 1454, et de nouveaux privilèges leur furent accordés en 1611 et 1717[37]. Mais, relativement à Paris, aucun document ne vient nous renseigner sur la situation occupée par ces artisans, entre l’ordonnance de 1297, reproduite plus haut, et les lettres patentes portant création de la communauté des faiseurs d’instruments de musique délivrées par Henri IV, au mois de juillet 1599, et que voici :

« Lettres de création du métier de faiseur d’instrumens de musique en maîtrise et de leurs privilèges et statuts.

« Henry, par la grâce de Dieu, Roy de France et de Navarre, à tous présens et à venir, salut :

« Par notre édit de rétablissement et règlement général fait sur tous les arts, trafics, métiers et maîtrises, jurez et non jurés de ce royaume, du mois d’avril 1597, nous aurions entr’autres choses, par le quatrième article d’iceluy, ordonné que tous marchands et artisans des villes et bourgs et bourgades de ce royaume, non jurés ny encore établis en jurande es-dites villes et faux-bourgs, nous payroient la finance à laquelle ils seroient pour ce taxez en notre Conseil, eu égard à la qualité dud. métier, et pour estre leur dit métier juré ; à quoy nos bien amez et féaux, les maîtres faiseurs d’instrumens de musique de notre ditte ville de Paris, demandant de jouir dud. bénéfice et privilège, nous auroient payé finance au commis de la recette générale desd. deniers, la somme à laquelle ils auroient été taxez en notre Conseil, comme de ce appert des quittances dud. commis y attachées, avec le dit édit, sous le contrescel de notre chancellerie, et nous auroient très humblement supplié et requis leur en octroyer nos lettres pour ce nécessaires ; sçavoir faisons que nous, voulant leur subvenir en cet endroit et faire dorénavant leur métier en bon ordre et police et obvier aux abus qui se sont commis par le passé en iceluy, avons led. art et métier de maître faiseur d’instrumens de musique fait, créé et érigé et étably ; faisons, créons, érigeons et établissons jurés ; voulons et nous plaît que lesd. maîtres faiseurs d’instrumens de musique de notre ville de Paris jouissent des privilèges, statuts et ordonnances qui en suivent :

« Article 1er . — Que nul ne sera admis et reçu à tenir boutique d’instrumens de musique en notre ville de Paris, qu’il ne soit reçu par deux maîtres jurez étans en charge, lesquels jurez tiendront papiers et registres de tous ceux qui seront reçus audit métier de faiseurs d’instrumens de musique, et après avoir fait chef-d’œuvre et expérience, et qu’il soit apparu de leurs capacitez, bonne vie et mœurs, et du tems de leur apprentissage faits en notre bonne ville de Paris, seront reçus ded. jurez, et, pour ce faire, feront le serment requis et accoutumé par devant notre procureur au Châtelet, et enregistrer au greffe d’iceluy pour y avoir action quand besoin sera, après toutes fois leur avoir payé la finance.

« Art. 2. — Item. Les jurez seront deux ans entiers en charge ; finis et expirez, en sera nommé et élu d’autres en leurs places par la pluralité des voix de la communauté dud. métier.

« Art. 3. — Item. Que défenses très expresses seront faites à toutes personnes, de quelque métier, qualité et condition qu’elles soient, de tenir boutique ny magazin desd. instrumens de musique, vendre ny achetter iceux pour revendre et débiter en gros ou en détail, soit grands ou petits, de quelque sorte que ce soit, en notre ville de Paris ny ès faubourgs d’icelle, s’ils ne sont reçus maîtres dud. métier et ayant esté apprentifs en lad. ville ; ains les pourront vendre aux maîtres et jurés dud. métier et ne pourront faire autrement, sur peine de confiscation desd. instrumens qui seront trouvez au magazin ou exposez en ventes par autres personnes que lesd. maîtres et jurez.

« Art. 4. — Item. Qu’il ne sera fait, reçu aucun apprentif aud. métier, qu’il n’ait esté obligé six ans entiers avec l’un des maîtres dud. métier, et huit jours après que led. brevet d’apprentissage sera passé, le maître dud. apprentif sera tenu d’apporter led. brevet par devers lesd. jurés pour estre enregistré afin d’éviter aux abus qui s’y pourraient commettre, n’entendant toutes fois comprendre les fils de maître dud. métier à faire apprentissage, lesquels seront reçus maîtres dud. métier par lesd. jurez, en étant par eux trouvez capables, sans toute fois faire aucun chef-d’œuvre.

« Art. 5. — Item. Ne pourront aucuns desd. jurez et maîtres dud. métier tenir plus d’un apprentif à la fois, lequel ayant fait son apprentissage le temps et espace de quatre ans et ne luy restant plus que deux ans pour achever lesd. six années, lesdits jurés ou maîtres dud. métier pourront, en ce cas, prendre un autre apprentif et non autrement.

« Art. 6. — Item. Où se trouveront aucuns desd. jurez ou maîtres avoir ouvert deux ou plus grand nombre de boutiques, seront icelles fermées incontinent et sans délay, nonobstant tout ce qu’ils pourroient dire ou alléguer pour leurs défenses.

« Art. 7. — Item, Qu’où il adviendroit que quelqu’un des maîtres dud. métier vînt à décéder, leurs veuves pourront tenir boutique dud. métier tout ainsy qu’ils faisoient au vivant de leurs maris, leur sera aussy loisible de tenir un ouvrier ayant esté apprentif dud. métier en notre ville, et si celles se remarient, elles seront entièrement privées de la ditte franchise.

« Art. 8. — Item. Que nul ne pourra travailler dud. métier en chambre, en notre ville de Paris, ny faubourgs d’icelle, qu’il n’ait fait apprentissage en notre ville de Paris et qu’il n’ait esté reçu maître, ainsi qu’il est spécifié à l’article premier.

« Art. 9. — Item. Que défenses sont faites à tous lesdits jurez, maîtres et compagnons dud. métier, de porter ny faire porter par quelques personnes que ce soit, vendre ou revendre aucuns instrumens de musique par les rues de la ditte ville, à peine de confiscation d’iceux et d’amande arbitraire.

« Art. 10. — Item. Pour le regard des marchands étrangers ou autres de ce royaume qui apporteront des marchandises, soit instrumens de musique, sapins ou autres choses servant aud. métier, ne pourra icelle marchandise estre achetée en gros par aucuns jurez ou maîtres dud. métier, sans en avertir la communauté d’iceluy : pour ce faire être icelle marchandise lotie et partie entre eux, et où, en cas qu’aucun dud. corps eut acheté lesd. marchandises desd. forains sans en avertir la communauté, laditte marchandise sera confisquée et les défaillans condamnés en telle amande que de raison.

« Art. 11. — Item. Pour éviter aux abus qui se pourroient commettre aud. métier, les jurez d’iceluy ne recevront ny admettront en la ditte maîtrise, aucun qu’il n’ait fait apprentissage et ne soit expérimenté et reconnu par les maîtres capables d’iceluy exercer, comme il est dit cy-dessus, encore qu’il fut pourvu de lettres de maîtrise du Roy, princes et princesses, créés ou à créer par cy-après.

« Art. 12. — Item. Pourront les jurez maîtres dud. métier faire toutes sortes d’étuis pour lesd. instrumens et iceuy instrumens enrichir de toutes sortes de filets, marqueterie et autres choses à ce nécessaires, comme dépendans de leur dit métier, comme ils ont fait de tous tems, sans qu’ils en puissent estre empêchez par quelque personne que ce soit.

« Art. 13. — Item. Que les compagnons dud. métier qui désireront estre maîtres d’iceluy, seront reçus lorsque bon leur semblera, après toutes fois avoir esté apprentifs de la ditte ville de Paris le tems ordonné cy-dessus, en payant les droits du Roy et des jurez et faisant le serment par devant le procureur du Roy.

« Art. 14. — Item. Seront tenus tous les maîtres dud. métier d’avertir les jurez d’iceluy des malversations qui se pourroient commettre aud. métier, à peine de l’amande arbitraire applicable qu’il sera ordonné.

« Pour iceux statuts et ordonnances contenus et déclarés les dits articles, etc.

« Donné à Paris au mois de juillet l’an de grâce mil cinq cent quatre-vingt-dix-neuf et de notre règne le dixième.

« Enregistrés au registre noir neuf étant en la chambre du prévôt du roy notre seigneur au Chastelet, le 30 novembre 1599[38] »

Ces statuts de la corporation des faiseurs d’instruments de musique de la ville de Paris, qui diffèrent peu de ceux des autres corps de métiers, furent confirmés, par Louis XIV, environ quatre-vingts ans plus tard.


« Confirmation des statuts des maistres faiseurs d’instrumens de musique.


« Louis, par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, à tous présens et à venir, salut.

« Nos bien amés les maistres faiseurs d’instrumens de musique de notre bonne ville de Paris, nous ont fait remontrer que le feu roy Henry le Grand, nostre très honoré seigneur et ayeul, auroit, conformément aux édits et règlemens sur le fait des arts marchands, artisans et mestiers agréé, approuvé, confirmé et authorisé les statuts et règlemens faits par leurs prédécesseurs sur le fait de leur art et métier par ses lettres pattentes du mois de juillet mil cinq cent quatre-vingt-dix-neuf, registrées par le prévost de Paris, le vingt novembre au dit an. Que les dits exposants ainsy que leurs prédécesseurs ont inviolablement gardées et observées sans aucun trouble. Mais d’autant qu’elles n’ont été confirmées et autorisées par le feu Roy nostre très honnoré père que Dieu absolve, ny par nous depuis nostre advènement à la couronne, lesdits exposans craignant qu’on leur voulut objecter le deffault des lettres de confirmation lorsqu’ils seroient nécessité d’agir contre ceux qui interviendront aux dits règlemens ou qui se voudroient ingérer auxdits mestiers sans aucunes maistrise, réception, expériance n’y capacité pour rendre leurs ouvrages parfaits, ainsy qu’il est requis par les dits statuts et règlemens. C’est pourquoy ils sont obligés de recourir à nous et très humblement faict supplier leur octroyer nos dittes lettres sur ce nécessaires. À quoy inclinant favorablement de nostre grâce spécialle, plaine puissance et authorité royale, nous avons agréé, approuvé, confirmé et authorisé et par ces présentes signées de nostre main, agréons, approuvons, confirmons et authorisons lesdits statuts et ordonnances dudit art et mestier de faiseurs d’instrumens dudit mestier de musique, voulons et ordonnons que lesdits exposans et leurs successeurs maistres dudit mestier en jouissent et usent selon leur forme et leur teneur. Suivant lesdites lettres de confirmation du mois de juillet mil cinq cens quatre-vingt-dix-neuf et sentence d’enregistrement du vingt novembre audit an cy attachées sous le contre scel de nostre chancellerie, tout ainsy qu’ils en ont bien et dûment jouv, jouissent et usent encore à présents pourvu qu’il ne soit intervenu aucun arrest et règlement contraire. Sy donnons en mandement à nos amis et féaux conseillers, les gens tenans nostre cour de Parlement à Paris, prevost dudit lieu ou son lieutenant, que ces présentes, nos lettres de confirmation, ils fassent registrer et de leur contenu, jouir et user lesdits exposans et leurs successeurs, maistres dudit art et mestier plainement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens contraires, car tel est nostre plaisir, et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces dittes présentes.

« Donné à Saint-Germain-en-Laye au mois d’avril l’an de grâce mil six cens soixante-et-dix-neuf et de nostre règne le trente-sixiesme, et plus bas signé : Louis, et sur le reply est inscrit : Par le Roy, Colbert, avec paraphe, et à costé visa : Le Tellier, pour confirmation des statuts en faveur des faiseurs d’instrumens de musique, et sur le reply :

« Registrées ouy le procureur général du Roy, pour jouir par les impetrans et ceux qui leur succéderont en la ditte maistrise, de leur effet et contenu estre exécuté selon leur forme et teneur suivant l’arrest de ce jour.

« À Paris, en Parlement, le six septembre mil six cens quatre-vingt[39] »

Malgré l’autorisation, cependant si précise, donnée aux faiseurs d’instruments de musique, par l’article 12 des statuts de 1599, d’enrichir leurs produits « de toutes sortes de filets, marqueterie et autres choses à ce nécessaire », la corporation eut de nombreux différents avec celles des boisseliers-souffletiers, des menuisiers, des tabletiers-évantaillistes et des peintres, au sujet des soufflets et des caisses d’orgues, du tournage et des viroles en ivoire des flûtes, hautbois, etc., ainsi que des peintures qui décoraient les harpes.

De son côté, l’autorité leur suscita aussi des difficultés. Afin de satisfaire aux exigences du trésor royal, on créa de nouveaux privilèges ; ce furent d’abord des jurés en titre d’offices aliénables moyennant finance, puis des charges de trésoriers, auditeurs des comptes, greffiers, etc. Romain Chéron et Honoré Rastoin ayant levé deux offices de jurés à raison de mille livres chacun, et les facteurs d’orgues et faiseurs de hautbois, flûtes, etc., refusant de se soumettre à leur jurande, par arrêt du Conseil d’État, rendu, à leur requête, à Versailles, le 11 novembre 1692 : « Sa Majesté a ordonné et ordonne que tous les facteurs d’orgues, faiseurs de hautbois, flûtes et tous autres instruments de musique de la ville de Paris, demeureront réunis en un seul corps de maîtrise et jurande, et seront sujets aux visites de ceux qui ont levé les offices (c’est-à-dire R. Chéron et H. Rastoin) ou de leurs successeurs ».

M. Constant Pierre, auquel nous empruntons ces renseignements, dit aussi :

« Dès le début de sa carrière, le facteur avait à compter avec de nombreuses exigences imposées par l’édit de 1581. Pour être apprenti, il fallait passer un contrat par-devant notaire et le faire enregistrer au greffe de la communauté, en payant les droits d’enregistrement, de cire, de chapelle, de bienvenue, du garde juré, du clerc, et une imposition annuelle pendant toute la durée de l’apprentissage. Des formalités analogues étaient obligatoires pour passer compagnon ; les aspirants à la maîtrise avaient en sus à acquitter les droits de réception, le droit royal, l’enregistrement de la lettre de maîtrise, les honoraires du doyen, des jurés, du syndic, des maîtres anciens et modernes, de l’huissier, du clerc, procédant à leur réception ; puis le droit d’ouverture de boutique. Parvenu à la maîtrise, il n’était pas encore l’égal de ses collègues ; il lui fallait franchir les grades de maître moderne, puis d’ancien ; alors il était apte à être appelé, toujours moyennant finance ou par élection, aux charges de garde, de syndic, de juré-comptable et de doyen, qui lui permettaient de prélever à son tour des droits et honoraires sur ses confrères.

« La loi n’était pas égale pour tous. Les fils de maîtres, dispensés de l’apprentissage et du chef-d’œuvre, étaient compagnons de droit et, de compagnons, devenaient maîtres sans brevets, par parenté ou par mariage avec des filles de maîtres. De tout temps, il y eut des privilèges particuliers ; les rois, les princes et princesses accordaient des lettres de maîtrise ; les maîtres et ouvriers attachés à la cour jouissaient de diverses immunités, ainsi que ceux qui habitaient les faubourgs, la galerie du Louvre, le cloître et parvis Notre-Dame, l’enclos de Saint-Denis-de-la-Chartre, de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Jean-de-Latran, de Saint-Martin-des-Champs, du Temple, des hôpitaux, etc.[40] »

Par arrêts du Conseil d’État des 3 mars, 16 mai 1716 et 24 juin 1747, les syndics et jurés de toutes les corporations ouvrières furent tenus de remettre entre les mains du procureur général Berryer, un état de leurs revenus, dettes et dépenses annuels. Le règlement de la communauté des faiseurs d’instruments de musique porte la date du 23 juin 1747 et comprend dix-huit articles. Un assez grand nombre de luthiers furent jurés-comptables : Jean Galland (1744-1745), Jean-Nicolas Lambert (1745-1746), Louis Guersan (17481749), Claude Boivin (1752-1753), Benoit Fleury (1755-1756), Jean Louvet (1759-1760), François Gaviniès (1762-1763), Joseph Gaffino (1766-1767), etc. Inutile d’ajouter que l’Assemblée nationale supprima la communauté des faiseurs d’instruments de musique, en même temps que toutes les autres corporations, maîtrises et jurandes, en votant la loi des 2 et 17 mars 1791, et accorda ainsi entière liberté de fabrication et de vente à tous.

XV

Le nom de luthier fut donné probablement vers le xve siècle aux faiseurs d’instruments à corde ; J.-J. Rousseau le définit ainsi :

« Luthier, s. m. Ouvrier qui fait des violons, des violoncelles et autres instruments semblables. Ce nom, qui signifie Facteur de Luths, est demeuré par synecdoque à cette sorte d’ouvriers, parce qu’autrefois le luth étoit l’instrument le plus commun et dont il se faisoit le plus[41]. »

Aujourd’hui que le luth a été complètement abandonné, le mot luthier est devenu une dénomination illogique qui n’a plus sa raison d’être ; cependant, soit par la force de l’habitude ou faute d’un terme mieux approprié pour le remplacer, il ne semble pas qu’il doive disparaître.

Au siècle dernier, la plupart des luthiers construisaient des harpes ; c’est même Salomon, paraît-il, qui eut le premier l’idée de les faire dorer ; mais l’invention de la pédale à double mouvement par S. Erard, en 1811, ayant rendu le mécanisme de cet instrument très compliqué, sa construction est passée depuis entre les mains de facteurs spéciaux.

Il y a longtemps déjà que l’on se sert du mot facteur pour désigner les constructeurs d’orgues, de pianos et d’instruments à vent en bois et en cuivre, et les distinguer ainsi d’avec les luthiers qui, eux, se consacrent entièrement à la fabrication des instruments à cordes frottées et pincées.

Les nombreux instruments de musique usités au Moyen Âge nous sont trop peu connus pour qu’on puisse en parler sûrement.

En outre, les noms des premiers luthiers, lesquels, du reste, négligeaient de signer leurs œuvres, ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Ce n’est que dans les documents relatifs aux impôts et dans les comptes des maisons royales et princières que l’on arrive à en découvrir quelques-uns ; et encore, cette source de renseignements est si peu féconde qu’il est de toute impossibilité, à l’heure actuelle, d’établir l’histoire de la lutherie pour toute la longue période qui a précédé l’apparition du violon ; car les rares documents que l’on possède sont tout à fait insuffisants pour cela. Ainsi, les découvertes se résument, pour la France, à Henry aux vièles, dont il a été déjà parlé, et qui habitait la rue aux Jugléeurs, à Paris, en 1292 ; puis à Jehan de la Comté qui, vers 1450, d’après les comptes des ducs de Bourgogne publiés par M. de la Borde, vendit une harpe pour la comtesse de Charollois, moyennant la somme de douze livres ; et c’est à peu près tout. Mais à partir de l’époque de la Renaissance, c’est-à-dire vers la fin du xve siècle et au début du xvie, les renseignements sur les luthiers deviennent un peu moins rares.

La noblesse, héritière des grandes traditions du xve siècle, cultiva davantage la poésie et la musique. Les rois, les princes, et à leur imitation les autres seigneurs, furent plus ou moins mélomanes. Chacun d’eux protégeait non seulement les arts et les artistes, mais avait encore la prétention de faire des vers et de les mettre en musique. Les uns chantaient leurs œuvres en s’accompagnant eux-mêmes avec un instrument quelconque ; d’autres, plus modestes, se contentaient d’être accompagnés par des artistes, et comme, à cette foule luxueuse et élégante, il fallait des instruments non moins beaux que leurs costumes et que les autres objets qui les entouraient, qu’il était de toute nécessité que ces instruments fussent dignes du cadre où ils figuraient, les luthiers s’appliquèrent à les leur fournir aussi richement décorés que possible et à en faire de véritables œuvres d’art. Pour cela, ils firent appel aux ouvriers les plus habiles à travailler le bois, l’ivoire et la nacre.

XVI

Le mouvement artistique qui allait se propager dans une certaine partie de l’Europe avait son foyer en Italie, dans les petites cours des nombreux princes qui régnaient alors sur la péninsule. Les artistes de tous les pays, peintres, sculpteurs et musiciens, s’y donnaient rendez-vous, et les grands seigneurs, heureux Mécènes, les attachaient, à prix d’or, à leurs personnes. Il y avait donc un courant, une ambiance favorables à toute manifestation d’art, dont la lutherie fut appelée à bénéficier, et ce n’est pas vouloir amoindrir le mérite, disons le mot, le génie des premiers luthiers italiens, que de constater l’élévation intellectuelle du milieu dans lequel ils vivaient.

C’est l’Italie qui eut l’honneur d’être le berceau de la lutherie artistique.
chevalet italien de viole d’amour
(xviiie siècle).
C’est là que l’on construisit les premiers instruments élégants et que l’on réussit à les rendre parfaits sous tous les rapports, et ce sont les beaux modèles que l’on y créa qui furent copiés depuis, avec plus ou moins de bonheur, par les luthiers des autres contrées. Il est donc tout naturel que nous parlions d’abord des luthiers italiens.

Parmi ceux dont les noms sont connus, il faut citer :

Pietro Dardelli (le père), moine franciscain, autrement dit cordelier, du couvent de Mantoue, qui vivait à la fin du xve siècle, et qui passa la plus grande partie de son existence à faire des luths et des violes ornés de marqueterie. Fétis parle d’un luth de ce maître, fait pour la duchesse de Mantoue, qui porte la date de 1497, avec le nom de Padre Dardelli. Cet instrument est orné de marqueterie d’ébène, d’ivoire et d’argent ; de plus, les armes de Mantoue sont dessinées sur la table ; il appartenait, vers 1807, à un artiste peintre de Lyon, nommé Richard.

Brensio Girolamo (Brensius Hyeronimus), de Bologne, faiseur de violes de la fin du xve siècle ; le musée de l’Académie de musique de Bologne conserve deux violes de ce luthier primitif, et M. Hart déclare en posséder une troisième.

On compte encore, parmi les plus anciens faiseurs de violes italiens, Venturi ou Venturo Linarolli, qui travaillait à Venise vers 1520 ; G. Kerlino, Brescia, 1540 ; Pellegrino Zanetto, également à Brescia, dont le musée instrumental du Conservatoire de Paris possède une très belle basse de viole, n° 170 du catalogue, et qui porte la date de 1547.
chevalet italien de viole d’amour
(xviiie siècle).
Ce bel instrument, qui ressemble beaucoup à celui que le Dominiquin a placé entre les mains de sa Sainte-Cécile, qui est au musée du Louvre, a été rapporté d’Italie par Tariso ; il devint la propriété de Norblin, qui fit remplacer la touche originale par une touche de violoncelle. Vers 1550, Morglato Morella faisait aussi des violes à Mantoue. Fétis dit que ce luthier se rendit célèbre par ses violes et ses luths. Aug. Maffei parle avantageusement des instruments de cet auteur[42].

Presque tous les luthiers italiens ont construit des violes dont il existe encore de nombreux modèles, signés : Gasparo da Salò, Ciciliano, Grancino, Corna, Busseto, Frei, Cattenaro, Storini, etc., que l’on conserve dans les musées et dans les collections particulières. Acevo (Saluces, 1650-1695), élève de Gioffredo Cappa, passe pour avoir fait, en 1693, une « viola a gambe » qui aurait appartenu à notre grand violiste Marin Marais.

XVII

On avait cru, jusqu’à ces derniers temps, que le célèbre Gaspard Duiffoprugcar, dont le graveur Pierre Wœiriot nous a laissé un si beau portrait, était né dans le Tyrol italien vers la fin du xve siècle ; qu’il avait voyagé en Allemagne avant de se fixer à Bologne, où François Ier ayant entendu parler de ses talents, lorsqu’il se rendit dans cette ville, en 1515, pour régler les affaires ecclésiastiques de la France et signer le concordat avec Léon X, lui fit des offres si brillantes pour se l’attacher, que Duiffoprugcar accepta de suivre le roi de France à Paris, où il construisit des instruments pour les musiciens de la Chapelle et de la Chambre ; que, le climat de la capitale ne lui convenant pas, il avait demandé et obtenu l’autorisation de se retirer à Lyon.

Cette version, publiée en 1810 par Choron et Fayolle[43], fut acceptée sans contrôle et répétée depuis à satiété comme très authentique ; on ajoutait seulement que Duiffoprugcar avait été ouvrier marqueteur avant de devenir luthier.

Il y avait bien quelque difficulté à faire concorder la date du séjour à Bologne de notre artiste avec celle du portrait, lequel représente un homme dans la force de l’âge, et non un vieillard ; mais on s’en tirait comme on pouvait, disant que Wœiriot avait dû exécuter son œuvre plusieurs années avant que de la publier.

Dans son discours de réception à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, prononcé en séance publique le 21 mars 1893[44], le docteur Henry Coutagne a fait la preuve, en comparant le portrait de Duiffoprugcar avec ceux de plusieurs personnalités lyonnaises de la même époque, et dûs également au burin de Pierre Wœiriot, que les chiffres romains figurant sur celui qui nous intéresse indiquent l’âge du modèle, et, les chiffres arabes, l’année où le portrait fut exécuté. Ce qui veut dire qu’en 1562, Duiffoprugcar devait avoir quarante-huit ans.

De plus, Henry Coutagne établit avec des pièces justificatives dont l’authenticité ne peut être mise en doute[45] que ce luthier est né en 1514, à Freising, dans la Haute-Bavière ; qu’il vint se fixer à Lyon vers le milieu du xvie siècle ; que des « Lettres de naturalité » lui furent données en 1558, par Henri II, roi de France, et qu’il mourut en 1570, à Lyon, laissant plusieurs enfants, dont un fils également luthier, ou plutôt faiseur de lutz.

Ce dernier ayant signé « Jehan Duiffoproucart » au bas d’un acte daté de 1585, le docteur Coutagne a cru devoir adopter cette orthographe pour l’écriture du nom patronymique. Or, celui-ci étant libellé : Duiffobrocard, Duiffoprougar, Dufourbourcar, Duyfautbocard, Dieffenbruger, etc., sur les nombreuses pièces citées par l’académicien lyonnais, nous estimons qu’il n’y a aucun inconvénient à lui conserver son orthographe la plus connue, celle qui se voit sur l’inscription du portrait exécuté par Pierre Wœiriot. C’est donc pour cette raison que nous continuerons à nommer notre luthier Gaspard Duiffoprugcar.

C’est bien un homme de quarante-huit ans, aux traits nobles et énergiques, que Pierre Wœiriot a représenté à mi-corps et regardant à gauche ; il a le front découvert, les cheveux ras et une longue barbe qui lui descend jusqu’à la poitrine. Vêtu d’un costume riche, il tient de la main droite un compas entr’ouvert, et, de la gauche, le manche d’un luth qu’il s’apprête à mesurer. Sa tête est surmontée d’une couronne de laurier, au centre de laquelle est inscrite la marque que l’on retrouve sur ses œuvres.

gaspard duiffoprugcar
Par Pierre Woeiriot (1562).


Devant l’artiste sont étalés, avec beaucoup d’art, quantité d’instruments : luth, harpe, guitare, viole, violon, etc., qui paraissent reproduits très fidèlement. Au bas, sur le devant d’une élégante tablette est inscrit le nom de Gaspard Duiffoprugcar, suivi d’une devise latine[46], puis son âge en chiffres romains et les initiales de Pierre Wœiriot de Bouzey avec la date de 1562.

En résumé, comme le dit fort bien le Dr  Coutagne :

« La gravure de Wœiriot nous apprend à elle seule que Duiffoprugcar a été un luthier éminent et qu’il est né vers l’année 1514. Elle nous renseigne sur les caractères des instruments qu’il a fabriqués, sur la marque dont il les signait et sur sa devise. »

Le musée Donaldson à Londres, possède une charmante « viola a gambe » de Duiffoprugcar, qui est un des plus purs modèles de ce maître. Cet instrument, que nous avons vu il y a quelques années dans l’atelier de M. Chardon, avant qu’il ne le cédât à M. Donaldson, est en parfait état de conservation. Seuls, le cordier et le chevalet ont été très habilement refaits par M. Chardon. Nous le reproduisons d’après une photographie que M. Donaldson a bien voulu nous communiquer.

On peut supposer, étant donné la forme des échancrures sur les côtés de la caisse, que c’est une « viola a gambe » de dame, ou plutôt une « viola a gambe » ténor, car elle est d’assez petites dimensions, la longueur totale du corps sonore n’étant que de 65 centimètres. Montée de six cordes, le cheviller se termine par une tête de cheval finement sculptée. Les ouïes sont découpées en forme d’ailes. Le vernis, rouge brun clair, en est fort beau, et l’ensemble de l’instrument d’une rare élégance. La table supérieure est unie ; celle du fond est ornée de marqueterie en bois de couleur représentant sur les côtés des bouquets de fleurs, et au centre le groupe d’un évangéliste et d’un ange.

viola a gambe de gaspard duiffoprugcar
Musée Donaldson, à Londres.


Cette viole porte la marque et le distique latin de Gaspard Duiffoprugcar, inscrits sur la gravure de Wœiriot[47].

Vidal donne la reproduction d’une non moins belle « viola a gambe » de Duiffoprugcar, qui a aussi une tête de cheval à l’extrémité de son cheviller, et sur le fond de laquelle est représenté, toujours en marqueterie, le sujet connu sous le nom du Vieillard à la chaise d’enfant, dont on attribue le dessin à Baccio Dardinelli et à Augustin Vénitien la gravure, qui aurait été publiée de 1520 à 1536. Vidal a négligé de faire connaître les dimensions de cette viole qui est un très beau modèle de la lutherie de cette époque et appartenait en 1876 à M. Louis de Waziers.

Nous allons parler maintenant de la basse de viole dite au plan de la ville de Paris, qui, après avoir appartenu successivement à MM. Roquefort, Raoul, J. B. Vuillaume, et s’être promenée pendant quelque temps en Russie, se trouve actuellement au Musée du Conservatoire de Bruxelles.

Plus petite qu’un violoncelle, elle est de la grandeur ordinaire des basses de violes, car elle mesure :

Longueur totale de la caisse 
700 millimètres.
Longueur totale du bas 
380
            du milieu des C 
220
            du haut 
285

Quant à sa décoration, nous laissons la parole à Henry Coutagne, car nous ne saurions mieux la décrire :

« On est frappé tout d’abord, dit-il, de la richesse et de la variété de sa décoration. Le manche se recourbe en avant sous la forme d’une tête de cheval assez grossière, mais sa face postérieure est recouverte de sculptures compliquées et très délicates représentant une tête de femme, deux lions, un satyre jouant de la flûte de Pan, le tout encadré d’animaux, de fruits et d’instruments de musique. Le tire-corde lui-même est recouvert d’incrustations où sont figurés, outre plusieurs ornements, une femme jouant du luth et un chien attaché par un collier.

« La table de dessus est en sapin, le fond et les éclisses sont en érable. La première partie est recouverte d’un vernis rouge mat, celui du reste de la caisse est jaune et plus brillant. Même contraste entre le caractère des décorations des deux faces. Il n’y a sur le devant que des peintures en couleur noire représentant des papillons, un bouquet de roses et d’œillets sortant d’un pot, des oiseaux sur une branche, et un bâtiment à plusieurs corps où l’on remarque une tour et une pagode chinoise ; bref, un décor hollandais du xviie siècle. La face postérieure, au contraire, est couverte de marqueteries en bois multicolores du travail le plus compliqué. Tout le haut est rempli par une scène religieuse que paraît avoir inspirée la Vision d’Ezéchiel, de Raphaël ; elle représente un saint Luc vu de profil, assis sur un bœuf, et s’enlevant dans les airs vers des nuages d’où sortent des trompettes embouchées par des anges. En bas, un plan cavalier figure une ville considérable traversée par un fleuve parsemé d’îles et entourée de murailles ; plus de deux cents maisons mesurant à peine un centimètre carré et d’autres édifices constituent le fond de ce décor pittoresque où circulent même quelques hommes microscopiques. Une inscription porte le nom de Paris et nous avons trouvé à la Bibliothèque nationale un plan presque identique de cette ville auquel est assignée la date 1564. Pour compléter la description de ces marqueteries, indiquons plusieurs bouquets de fleurs sur le pourtour des sujets principaux.

« L’instrument a dû subir des remaniements attestés par les traces de recoupages sur les côtés des tables et aussi par des tentatives pour donner la forme des ff du violoncelle aux ouïes qui avaient été primitivement dessinées en CC comme pour les violes. Notons enfin l’absence de toute étiquette, monogramme ou autre marque quelconque pouvant se rapporter au nom du fabricant.

« Notre impression première, à la vue de cette basse, nous avait fait croire à un instrument composite dont le fond seul pouvait être daté rationnellement du xviie siècle. Nous avons été heureux de voir partager notre avis par M. Mahillon, puis par M. Chardon, luthier à Paris[48]. »

Nous sommes aussi d’avis que cette basse est composite, que le fond et les éclisses sont incontestablement de Duiffoprugcar, et qu’il n’y aurait rien d’impossible à ce que la table que l’on y voit actuellement provînt d’une viola a gambe de Barak Norman, car elle rappelle le travail du célèbre luthier anglais.

On doit certainement beaucoup regretter que la table primitive ait été remplacée, sans doute à la suite de fâcheux accidents qui la rendaient irréparable ; accidents, ne pouvant arriver au fond, lequel est doublé, sinon triplé, à cause du travail de marqueterie. Mais cela n’empêche que, même dans son état actuel, la basse de viole au plan de la ville de Paris ne soit un document du plus haut intérêt pour l’histoire de la lutherie, et tout à fait digne du musée de Bruxelles.

En somme, Duiffoprugcar a laissé de beaux instruments, mais n’a pas fait école, car il semble s’être préoccupé davantage de la décoration que de l’épaisseur des tables. Or, dans un instrument, il faut d’abord rechercher une belle sonorité ; l’ornementation ne doit venir qu’après et jamais au détriment du son. Toutefois, son influence fut très heureuse pour l’élégance des formes.

À partir du xviiie siècle, il y eut des luthiers en France, en Angleterre et en Allemagne, qui construisirent quantité de violes de toutes tailles, et cela, jusqu’à la fin du siècle dernier. Un grand nombre de ces instruments sont fort beaux et peuvent rivaliser avec ceux des différentes écoles italiennes.

XVIII

Déjà, au xvie siècle, Tywersus, de Nancy, était luthier des princes de Lorraine[49] ; il passe pour avoir enseigné son art à Nicolas Renault, lequel aurait aidé André Amati à terminer les instruments que celui-ci vint, dit-on, livrer lui-même à la Chapelle de Charles IX, à Paris, vers 1566.
chevalet français de viole d’amour
(xviiie siècle).
Il y avait aussi à Lyon, en 1568, un faiseur de violes, nommé André Vinatte[50] ; peut-être avait-il travaillé avec Duiffoprugcar.

Au début du xviie siècle, Boissart et Jacques de la Mothe étaient luthiers à Paris. Commé ou Coinau exerçait à Blois ; une guitare de cet auteur fut saisie chez le comte de Lowendal[51].

Pierre Le Duc est connu par une pochette datée de 1647, qui figurait dans la collection de M. Loup ; ce luthier habitait rue Saint-Honoré et avait pour enseigne Au Duc doré. Une basse de viole à six cordes, signée Simon Bongars, et portant la date de 1655, appartient à M. de Bricqueville. Les Médard, de Nancy, qui furent très nombreux, construisirent aussi des violes ; ils travaillèrent soit à Nancy ou à Paris, depuis la première moitié du xviie siècle jusqu’en 1770. D’après M. A. Jacquot, François Médard vint à Paris et fit des instruments pour la chapelle de Louis XIV.

Le musée du Conservatoire de Bruxelles conserve une viole de 1701, signée Nicolas Médard.

À l’exposition rétrospective de 1889, figurait une basse de viole de Michel Collichon, datée de 1683. Un autre luthier parisien, Nicolas Bertrand, a aussi une basse de viole portant la date de 1687, et un dessus de viole de 1701, au musée de Bruxelles. On peut voir, au musée du Conservatoire, à Paris, de très belles violes : basses, etc., de Claude Pierray, Giquelier, Dieulafait, Fleury, Gaviniès, Guersan, Véron, Salomon, Delaunay, etc. Un quinton de Mathias Walters, faubourg Saint-Antoine, à Paris, 1749, faisait partie de la collection Savoye. Jean Ouvrard, qui fut juré-comptable en 1742-43, est représenté au Musée de Bruxelles par un quinton portant la date de 1745 et l’adresse : « Place de l’École, à Paris. » Dans la collection de A. Sax se trouvait un quinton de Simon Gilbert, luthier et musicien à la cathédrale de Metz, en 1744. Nous possédons une charmante viole d’amour de Louis Socquet, datée de Paris 1750. Pierre Louvet, qui avait pour enseigne « À la vielle royale, rue Montmartre, à Paris », construisit aussi des violes ; nous avons vu une très belle viole d’amour de cet auteur, qui appartenait, il y a quelques années, à M. Planchat.

XIX

À Anvers, la corporation des luthiers était réunie avec celles des autres métiers d’art de cette ville, sous le patronage de saint Luc, et possédait, depuis 1480, sa Chambre de rhétorique, dite de Violiren. Mais on ignore les noms des premiers luthiers ; le plus ancien que l’on connaisse est Borlon, Artus ou Arnoult, qui travaillait vers 1579. D’autres faiseurs d’instruments à cordes, du nom de Borlon, sans doute les descendants du premier, se sont succédé à Anvers.

Les Willems travaillaient à Gand, au xviie siècle, M. C. Snœck conserve dans sa collection une petite « viola a gambe » ou ténor de viole, dont l’étiquette manuscrite est ainsi libellée : « Jooris Willems tôt Ghendt, 1642. » Une autre étiquette indique que l’instrurnent fut réparé par un apothicaire, nommé Aldenarde, en 1801. Le 28 mars 1670, Josse Willems livra à la cathédrale d’Anvers une basse de viole, qui lui fut payée cinq livres de Flandre[52].

XX

En Angleterre, où les violes furent très en honneur, plusieurs luthiers s’y sont fait remarquer, principalement comme constructeurs de basses de violes, lesquelles étaient des plus estimées.

Aldred, qui vivait à Londres vers 1560, est le plus ancien faiseur de violes anglais que l’on connaisse. Mace le cite comme le plus habile luthier de son temps[53]. John-Bridewell Rosse (ou Ross) construisit aussi des violes à Londres, en 1562. Dans une collection d’airs intitulée : Tripla Concordia, publiée a Londres, en 1667, par John Carr, on lit l’avertissement suivant : « Il y a deux jeux de violes à vendre : l’une a été faite par John Ross, en 1598[54]. » Celui-ci était le fils du précédent. Le musée du Conservatoire de Paris possède une charmante petite basse de viole à sept cordes (n° 171 du catalogue), qui est datée de Londres, 1624, et porte la signature de Henry Jaye. Ce luthier est justement célèbre par les beaux instruments qu’il a laissés. Bolles travaillait aussi a Londres pendant la première moitié du xviie siècle. John Baker est connu par une basse de viole, datée d’Oxford, 1648, qui figurait à l’exposition du Kensington Museum, à Londres, en 1872. Il est aussi question d’une viole de ce luthier dans le catalogue de musique et d’instruments de Tom Britton, le charbonnier, dont nous aurons à parler plus loin. Un autre Baker (Francis) était établi à Londres, en 1696. Cuthbert, faisait aussi des violes, à Londres, au xviie siècle. Il nous faut encore citer : Addisson (William), Meares (Richard), et Cole (Thomas), qui travaillaient à Londres, en 1670, 1677 et 1690 ; ainsi que Lewis (Edward), dont il y a une élégante « viola a gambe », datée de Londres, 1687, au musée du Conservatoire de Paris (n° 1037 du catalogue). On peut voir aussi au même musée une très belle basse de viole, signée Barak Norman, à Londres (n° 1038). Ce luthier est certainement le plus estimé de tous ceux qui ont construit des violes en Angleterre. M. Hart croit qu’il fut l’élève de Thomas Urqhart, ancien faiseur de violes établi à Londres au xviie siècle, lequel aurait travaillé avec Jacob Rayman, luthier tyrolien qui vint se fixer en Angleterre, vers 1620[55]. En tout cas Barak Norman exerça de 1688 à 1740, et, pendant ce long espace de temps, il a produit quantité d’instruments qui comptent parmi les meilleurs de la vieille école anglaise. Il a inscrit son nom sur la plupart de ses œuvres en l’entourant d’arabesques faites en filets, et l’a placé, le plus souvent, sous la touche. Son monogramme y est quelquefois aussi exécuté en filets. Vers 1715, Barak Norman s’associa avec Nathaniel Cross ; ils s’établirent à l’enseigne de la Basse de viole, dans Saint-Paul’s Church-Yard. Une étiquette manuscrite de N. Cross, ainsi libellée, se trouve dans une « viola a gambe » : « Nathaniel Cross a fait mon fond et ma table. » Les éclisses et la volute sont du travail de son associé[56].

XXI

Nombreux furent les faiseurs de violes en Allemagne ; il semblerait même que l’art de la lutherie aurait été importé par eux en Italie. C’est du moins ce que laisse entendre John Evelyn, qui, après avoir parlé dans son Journal (1635) du fromage et des saucisses de Bologne, s’étend sur la grande célébrité des luths des anciens maîtres de cette ville : « Ces instruments, dit-il, étaient fort chers, et les ouvriers étaient presque tous Allemands[57]. » Il fait mention de Hans Frey, né à Nuremberg vers 1440, lequel travailla assez longtemps à Bologne, et devint le beau-père d’Albert Dürer. On a vu que Duiffoprugcar était d’origine allemande, et il y eut à Venise, au début du xvie siècle, une famille de luthiers allemands du nom de Trieffenbrücher, qui construisit des luths et des violes.

Quoi qu’il en soit de l’influence allemande sur la lutherie italienne à ses débuts, voici les noms des faiseurs de violes d’Allemagne.

Gerle (Conrad) vivait à Nuremberg en 1461 ; il mourut en 1521, et fut inhumé dans l’église électorale de Saint-Roch. On ignore si Gerle (Johann), qui travailla à Nuremberg de 1533 à 1550, où il publia un ouvrage sur le luth en 1533, et Hans Gerle, lequel fit paraître, en 1546, toujours à Nuremberg, un traité des gigues et des luths, étaient les fils de Conrad. Meusidler (Johann) fit des violes à Nuremberg, vers 1550, et L. Passen en fabriqua aussi, à Schœngau, en Bavière, à la même époque. Felden (Magnus) est connu par une « viola bordone », datée de Wien, 1556, qui se trouve dans la collection de la Gesellschaft der Musikfreunde, à Vienne. Kolh (Johann) luthier de la Cour de Bavière, exerçait à Munich vers 1580.


basse de viole
Appartenant à M. Jules Delsart.
Une « viola a gambe » de Paul Hiltz, Nuremberg, 1656, est conservée au Musée de cette ville, mais on ignore complètement les instruments de Greffts (Johann) installé à Fiissen, en 1622, ainsi que ceux de Kambl (Johann), qui travaillait à Munich en 1640. Stainer (Andréas), Absam, vers 1660 (ne pas confondre avec le célèbre Jacob Stainer), et Stangtingher (Mathias), à Würzbourg, vers 1671, sont cités comme faiseurs de violes par Hart.

La famille Tielke, de Hambourg, a produit pendant plus de cent cinquante ans, de 1539 à 1701 environ, des instruments de toute sorte, qui ne portent qu’une seule et même signature, celle de Joachim Tielke, et sont pour la plupart richement décorés. Cette longue dynastie de luthiers est représentée au musée de Kensington par une « viola bordone », de l’année 1686 ; et M. Wilmotte, d’Anvers, avait exposé, en 1878, à Paris, deux basses de violes, l’une datée de 1669 et l’autre de 1701 ; cette dernière entièrement incrustée d’ivoire.

Il se trouve dans la collection de la
basse de viole
Appartenant à M. Jules Delsart.
Gesellschafft Musikfreunde, à Vienne, une viole de Johann-Paul Schorn, Salzbourg, 1699. Celui-ci s’était d’abord fixé à Inspruck, vers 1680, et l’on ignore quand il quitta cette dernière ville pour aller habiter Salzbourg.

De Jacques Sainprœ, luthier à Berlin, vers la fin du xviie siècle, on connaît le baryton qui est au musée Kensington, à Londres. Cet instrument passe pour avoir appartenu au célèbre flûtiste Quantz.

À l’Exposition internationale de Paris, en 1878, figurait une « viola pomposa » de Martin Hoffmann, appartenant à MM. Mahillon frères, de Bruxelles.

Nous avons déjà parlé de ce luthier qui vivait à Leipsig, vers la fin du xviie siècle et pendant la première moitié du xviiie siècle. Son fils, Johann-Christian Hoffmann, a fait également des violes.

Citons encore : H. Kramer, dont il y a une « viola bordone », datée de Vienne, à la Gesellschafft de Vienne ; Elster (Joseph), Mayence, 1720-1750, qui a construit quantité de basses de viole ; Weigert (J.-B.), représenté à la Gesellschafft par une viole d’amour, faite à Linz, en 1721 ; Eberle (J.-Ulric), à Prague, 1730 à 1750, lequel a laissé plusieurs violes d’amour ; Aletzie (Paul), l’auteur de la viole d’amour de M. Louis Van Waefelghem, reproduite plus haut, qui travailla à Munich et à Venise, pendant la première moitié du xviiie siècle ; Belder (Norbert), luthier de la cour, à Würtzbourg, auquel on doit le baryton du Conservatoire de Paris, que nous avons donné ; Greissier (Mathias), qui a construit entre autres une viole d’amour montée de sept cordes à boyau et de douze cordes de laiton, Inspruck, 1727, que possède le Musée instrumental du Liceo filarmonico de Bologne ; Klotz (Mathias), élève du grand Stainer, dont il y a une viole d’amour, datée de Mittenwaldt, 1732, au Musée du Conservatoire de Paris ; Ostler (Andréas), connu par une viole d’amour, Breslau, 1730, exposée par MM. Mahillon, à Paris, en 1878 ; et enfin, Voigt (Martin), dont une basse de viole richement incrustée en ivoire, portant la date de Hambourg, 1726, figurait à l’exposition de Kensington, à Londres, en 1872.

Nous donnons la basse de viole du maître violoncelliste J. Delsart. Non signée, on pourrait l’attribuer soit à Elster ou à Eberle et lui donner comme date 1740 ou 1750, car c’est un beau modèle de la lutherie allemande de cette époque.

Elle est à peu près de mêmes dimensions que la viole dite au plan de la ville de Paris, et mesure :

Longueur totale du corps 
690 millimètres.
Largeur dans le haut 
320
            dans le bas 
410
Longueur du cheviller 
250
Hauteur des éclisses 
152

Le vernis en est jaune, légèrement teinté de rouge. Ses ouïes sont découpées en ff, et les bords de la table sont décorés d’un filet. Une petite bordure en bois noir et blanc encadre le fond, et le cheviller, élégamment sculpté, se termine par une tête de chimère. Un jeu de cordes sympathiques a été installé sous la touche à une époque assez rapprochée, mais au début elle n’était montée que de six cordes en boyau, dont deux filées.

Plein de charme et de douceur, le son des violes n’est pas aussi timbré ni aussi énergique que celui des instruments composant le quatuor moderne. Cela tient à ce que les éclisses des violes sont en général trop élevées par rapport à la grandeur de la caisse de résonance ; et aussi à leurs nombreuses cordes, dont le poids fait un peu l’effet d’un étouffoir sur la table.

Dans les violes les mieux proportionnées, comme la viole d’amour et la « viola a gambe », le son, tout en étant fin et pénétrant, ne manque pas d’ampleur. Mais dans le pardessus de viole, dont les éclisses sont démesurément hautes, il est absolument sec et pointu. Du reste, par une anomalie assez difficile à expliquer, les éclisses des petites violes sont en proportion bien plus élevées que celles des grandes violes.

XXII

Au xve siècle, on voit la viole figurer à la cour de Charles le Téméraire. La chapelle de ce prince était composée de vingt-quatre chantres, chapelains, clercs et demi-chapelains, non compris les enfants de chœur, l’organiste et les joueurs de luth, de viole et de hautbois de sa musique de chambre.

Dans son tableau des Noces de Cana (xvie siècle), Paul Véronèse a représenté les fameux peintres vénitiens exécutant un concert. Le Titien y joue de la contrebasse de viole, et Paul Véronèse lui-même y figure jouant de la viole.

Une édition publiée à Venise, en 1615, de l’opéra Orfeo, de Monteverde, qui fut représenté à la cour de Mantoue en 1608, contient la composition détaillée de l’orchestre de cet ouvrage. On y remarque : Due contrabassi di viola, dieci viole a braccio, due violini piccoli alla francese et tre bassi a gambe.

Les différents instruments qui composaient l’orchestre de Monteverde jouaient toujours alternativement et n’étaient jamais réunis pour former un ensemble. Ainsi, les dieci viole a braccio faisaient les ritournelles du récitatif d’Eurydice ; l’Espérance était annoncée par une ritournelle des due violini piccoli alla francese et d’un clavecin ; Proserpine était accompagnée par les tre bassi a gambe.

Alessandro Romano, chantre de la chapelle du pape Paul III, en 1549, fut surnommé della viola à cause de son grand talent sur la viole.

Marco Fratinelli brilla aussi comme violiste à Rome vers la fin du xvie siècle[58]. Mais il semble qu’à partir de cette époque on négligea un peu la viole en Italie ; c’est du moins ce que laisse entendre Maugars, lorsqu’il dit :

« Quant à la viole, il n’y a personne maintenant en Italie qui y excelle, et même elle est fort peu exercée dans Rome : c’est de quoy je me suis fort étonné, veu qu’ils ont eu autrefois un Horatio de Parme qui en a fait merveille et qui en a laissé à la postérité de fort bonnes pièces ; et aussi que le père de ce grand Farabosco, Italien, en a apporté le premier l’usage aux Anglois, qui depuis ont surpassé toutes les nations[59]. »

Ainsi, Maugars nous apprend non seulement que la viole était quelque peu négligée en Italie, lorsqu’il y voyagea, en 1639, mais encore que Farabosco initia les Anglais à la viole, et que ceux-ci devinrent bientôt très habiles sur cet instrument.

Ce furent en effet les violistes anglais qui exécutèrent, les premiers, les pièces appelées fantaisies, et William Bard, William White, John Ward, Thomas Ravenscrost, N. Crawford, Th. Lupo et G. Coperano se distinguèrent dans ce genre de composition, qui succédait à l’ancien madrigal.

Jean Rousseau constate l’habileté des Anglais sur la viole et déclare aussi qu’ils sont redevables de sa connaissance aux Italiens :

« Cependant il faut avoüer, dit-il, que la viole paroit un instrument assez nouveau en France, parce qu’il y a peu de temps qu’elle y est estimée. Elle a passé des Italiens aux Anglois, qui ont commencé les premiers à composer et à jouer des pièces d’harmonies sur la viole, et qui en ont porté la connoissance dans les autres royaumes[60]. »

Simpson fit paraître une méthode de viole, à Londres, en 1659[61] ; il était très renommé comme joueur et compositeur. John Jenkins, son contemporain, acquit aussi une grande réputation. La méthode de viole de Playford parut en 1700 ; elle est très remarquable. Ces maîtres furent les dernières célébrités de la viole en Angleterre, car, là comme ailleurs, le violon remplaça bientôt les violes dans la faveur du public.

Mentionnons toutefois Thomas Britton, le modeste et célèbre charbonnier, qui, après avoir parcouru les rues de Londres avec un sac de charbon sur les épaules, se délassait en jouant de la basse de viole. Cet amateur érudit organisa des concerts dans son arrière-boutique, à Londres, en 1678, auxquels prirent part les plus grands artistes de l’époque, ayant comme auditeurs les membres de l’aristocratie anglaise. C’était à peu près l’équivalent des soirées actuelles de La trompette, organisées par M. E Lemoine ; seulement, au lieu d’être données dans une salle spacieuse, les auditions avaient lieu dans une soupente ; et le côté piquant, c’est que pour y arriver, les invités étaient obligés de grimper à une échelle de meunier dont les pieds reposaient au milieu des sacs de charbons de maître Britton[62]. On voit que le snobisme ne date pas d’hier.

XXIII

En France, Danoville publia une méthode de viole, la même année que J. Rousseau, en 1687 ; il était aussi l’élève de Sainte-Colombe. Nous en extrayons ce passage : « L’art de toucher le dessus et la basse de viole, contenant tout ce qu’il y a de nécessaire, d’utile et de curieux dans cette science, avec des principes, des règles et observations si intelligibles, qu’on peut acquérir la perfection de cette belle science en peu de temps, et même sans le secours d’aucun maître. »

Nous savons par J. Rousseau que ce sont les luthiers français qui, les premiers, donnèrent du renversement au manche des violes.

« Il est vrai que les Anglois ont réduit leurs violes à une grandeur commode devant les François, comme il est facile d’en juger par les anciennes violes d’Angleterre dont nous faisons une estime particulière en France ; mais aussi il faut avouer que les faiseurs d’instrumens françois ont donné la dernière perfection à la viole, lorsqu’ils ont trouvé le secret de renverser un peu le manche en arrière et d’en diminuer l’épaisseur. »

Jean Rousseau nous apprend encore que l’on accompagnait la basse continue[63] avec la viole comme on le faisait alors sur le clavecin, et donne les conseils suivants pour la pratique de cet accompagnement :

« Ce jeu (celui de l’accompagnement), dit-il, demande que l’on sçache la musique à fond, et que l’on possède le manche de la viole parfaitement dans tous les tons transposez, aussi bien que dans les naturels : car il ne s’agit pas icy de joüer des pièces estudiées, mais de joüer à l’ouverture du livre tout ce que l’on peut présenter, et de sçavoir transposer en toute occasion et sur toutes sortes de tons…

dame de qualité jouant de la basse de viole
(xviie siècle).


Il faut que celuy qui accompagne n’ait aucune manière de joüer qui soit affectée, car il n’est rien de plus contraire à l’esprit de l’accompagnement et du concert que d’entendre une personne qui ne joue que pour se faire paroistre : c’est une manière qui n’est bonne que quand on joüe seul[64]. »

Un certain nombre de nos accompagnateurs modernes feraient bien de méditer ces sages conseils et d’en tirer profit.

Il est bon de faire remarquer que Jean Rousseau ne dit pas sur quelle viole se pratiquait le jeu de l’accompagnement, et qu’il se sert du mot viole tout court, sans qualificatif, comme il le fait, du reste, tout au long de son traité, imitant en cela la plupart des anciens auteurs ; mais il est bien certain que l’accompagnement de la basse continue n’était possible que sur la « viola a gambe », et qu’il n’aurait pas été d’un effet très heureux sur une taille, et encore moins sur un dessus de viole.

Tout ceci pour arriver à démontrer que, dans les vieux textes, le mot viole, employé seul, s’applique généralement à la basse de viole et qu’il est toujours précédé ou suivi d’un qualificatif quelconque, quand il s’agit d’un autre membre de la famille des violes.

Titon du Tillet ne s’exprime pas autrement dans le Parnasse François. — Rameau indique par le seul mot : viole, la partie de basse de viole de ses Pièces de clavecin en concerts, qu’il publia en 1741. — J.-J. Rousseau dit à propos des sons harmoniques : « Si l’on fait résonner avec quelque force une des grosses cordes d’une viole ou d’un violoncelle, en passant l’archet un peu plus près du chevalet qu’à l’ordinaire, on entendra distinctement, pour peu qu’on ait l’oreille exercée et attentive, outre le son de la corde entière, au moins celui de son octave[65]. » Or, la viole proposée par J.-J. Rousseau, en même temps que le violoncelle, pour faire cette épreuve des sons harmoniques, ne peut-être que la basse de viole, qui est à peu près de la même grandeur que celui-ci. En s’exprimant ainsi, notre grand philosophe ne faisait que de se conformer à un usage consacré.

Cet usage paraît remonter aux premières années du xviie siècle, époque où l’on commença à se servir du violon de préférence aux petites violes pour jouer les parties de dessus ; car dès lors la basse de viole devint l’instrument principal de sa famille et la personnifia à elle seule.

david téniers et sa famille

La « viola a gambe » réussit à tenir le violoncelle en échec pendant plus d’un siècle, grâce à ses nombreuses cordes, qui, si elles lui enlevaient de la sonorité et de l’éclat en pesant sur la table, lui permettaient en tout cas d’avoir plus d’étendue, à la première position, et d’offrir par conséquent plus de ressources que son rival puisque l’on ne démanchait pas à cette époque. Les harmonies aussi étaient également plus faciles à obtenir avec l’accord par quartes et tierces, qu’avec celui par quintes.

Voilà pourquoi la basse de viole fut si longtemps en faveur et cultivée bien après que les autres violes eurent disparu. C’est aussi la raison pour laquelle on en trouve de si nombreuses représentations. Nous en donnons seulement deux exemples : une dame de qualité jouant de la basse, ou plutôt de la double basse de viole ; et David Téniers, peint par lui-même, en train de charmer sa famille au son de la « viola a gambe ».

Le Dominiquin fait jouer à sa Sainte Cécile, du Louvre, une basse de viole à six cordes se rapprochant beaucoup, par le dessin des contours de la table, de la belle basse de viole faite par Pelegrino Zanetto, à Brescia, en 1547, qui est au musée du Conservatoire de Paris (n° 170 du catalogue).

Parmi les instruments, à moitié brisés, que l’on voit aux pieds de la Sainte Cécile de Raphaël, du musée de Dresde, il y a également une basse de viole fidèlement reproduite. On se demande, toutefois, comment le chevalet peut se maintenir debout, car toutes les cordes sont cassées et aucune d’elles ne passe dessus[66].

Mignard, qui fait jouer de la harpe à sa Sainte Cécile, coiffée d’un turban, a également placé une basse de viole près d’elle.

Il existe encore quantité de tableaux que nous pourrions citer, et sur lesquels la viole mise entre les mains et les jambes du modèle est toujours une « viola a gambe ».

On ne sera donc pas étonné d’apprendre que les violistes les plus célèbres, furent presque exclusivement des joueurs de basse de viole.

Voici les plus réputés de France :

Claude Gervaise, violiste de la chambre sous François Ier. Cet habile artiste a publié, en 1556, un livre de pièces de viole, à quatre parties, qui sont très remarquables comme facture pour l’époque. Elles offrent même un détail assez intéressant au point de vue de l’écriture musicale, il n’y a pas une seule barre de mesure, mais seulement des doubles barres avec des points pour indiquer les reprises. Fétis, qui ne les avait sans doute pas vues, dit qu’elles sont écrites à cinq parties[67] ; nous n’en avons trouvé que quatre, elles sont désignées sous les noms de : superius, contraltus, tenorus et bassus.

Granier, dont il a été parlé à propos du page enfermé et chantant dans une basse de viole.

Maugars, ou Maugard, violiste de la chambre sous Louis XIII, qui eut, dit-on, des démêlés avec le cardinal de Richelieu[68].

Hotmann, l’illustre, comme le montrent les vers suivants :

De ce mois le cinquième jour,
Le monarque et toute sa cour,
Que composoient maints gens célèbres.
Allèrent entendre ténèbres
Aux feuillants, couvent célèbre,
Cette musique sans égale,
Qu’on nomme musique royale,
Toute l’assistance y ravit
Chantant les psaumes de David.

. . . . . . . . . . . .


Le sieur Lambert les soutenoit
Qui son téorbe en main tenoit,
Et le rare Hotman cet illustre
Qui met la viole en son lustre,
Precédoit leurs illustres chants..[69]

Le père André, bénédictin, « un homme, dit Jean Rousseau, qui auroit obscurcy tous ceux de son temps, s’il avoit été d’un estat à faire profession de cet instrument[70]. »

Sainte-Colombe, très réputé, élève de Hotmann.

« Sainte-Colombe, dit Titon du Tillet, faisoit quelque bruit pour la viole ; il donnoit même des concerts chez lui où deux de ses filles jouoient, l’une du dessus de viole et l’autre de la basse, et formoient avec leur père un concert à trois violes, qu’on entendoit avec plaisir, quoiqu’il ne fût composé que de symphonies ordinaires et d’une harmonie peu fournie d’accords[71]. »

Marin Marais, le plus célèbre de tous, dont nous avons donné le portrait.

Ne le 31 mars 1656, il fut enfant de chœur à la Sainte-Chapelle, et l’élève de Chaperon, le maître de cette chapelle ; puis il étudia la basse de viole, d’abord avec Hotmann et ensuite avec Sainte-Colombe. Voici l’anecdote rapportée à ce sujet par Titon du Tillet :

« Sainte-Colombe fut le maître de Marais ; mais s’étant aperçu au bout de six mois que son élève pouvait le surpasser, il lui dit qu’il n’avoit plus rien à lui montrer. Marais, qui aimoit passionnément la viole, voulut cependant profiter encore du sçavoir de son maître pour se perfectionner dans cet instrument ; et comme il avoit quelque accès dans sa maison, il prenoit le temps en été que Sainte-Colombe étoit dans son jardin enfermé dans un petit cabinet de planches, qu’il avoit pratiqué sur les branches d’un mûrier, afin d’y jouer plus tranquillement et plus délicieusement de la viole. Marais se glissoit sous ce cabinet ; il y entendoit son maître, et profitoit de quelques passages et de quelques coups d’archets particuliers que les maîtres de l’art aiment à se conserver ; mais cela ne dura pas long-tems, Sainte-Colombe s’en étant aperçu et s’étant mis sur ses gardes pour n’être plus entendu par son élève : cependant il lui rendoit toujours justice sur le progrès étonnant qu’il avoit fait sur la viole ; et étant un jour dans une compagnie où Marais jouoit de la viole, ayant été interrogé par des personnes de distinction sur ce qu’il pensoit de sa manière de jouer, il leur répondit qu’il y avoit des élèves qui pouvoient surpasser leur maître, mais que le jeune Marais n’en trouveroit jamais un qui le surpassât[72]. »

Titon du Tillet ajoute : « Pour rendre la viole plus sonore. Marais est le premier qui ait imaginé de faire filer en laiton les trois dernières cordes des basses. »

Nous nous sommes déjà expliqué à ce sujet, nous n’y reviendrons pas.

En 1685, Marin Marais fut nommé viole solo de la chambre du roi, et conserva cet emploi pendant quarante ans. Il appartenait à l’orchestre de l’opéra et en devint le chef conjointement avec Colasse. De plus, il publia quantité de musique pour la viole et fit représenter plusieurs opéras, dont un, Alcione, resta longtemps célèbre à cause d’une tempête qui produisait un effet surprenant au dire des contemporains.
médaillon de marin marais
D’après le Parnasse François de Titon du Tillet.
« Il a eu dix-neuf enfans de Catherine d’Amicourt, avec laquelle il a été marié pendant cinquante-trois ans. Neuf de ses enfants étaient encore vivants en 1732, dont six fils[73]. » En 1709, il en présenta quatre à Louis XIV et lui donna un concert de ses pièces de viole, exécuté par lui et trois de ses fils : « Le quatrième, qui portoit pour lors le petit-colet, avoit soin de ranger les livres sur les pupitres et d’en tourner les feuillets. Le roi entendit ensuite ces trois fils séparément et lui dit : « Je suis bien content de vos enfans ; mais vous êtes toujours Marais, et leur père. » Une de ses filles était très habile sur la viole.

Trois ou quatre ans avant sa mort. Marais se retira dans une maison, rue de Lourcine, faubourg Saint-Marceau, « où il cultivoit les plantes et les fleurs de son jardin. Il louoit cependant une salle rue du Batoir, quartier Saint-André-des-Arts, où il donnoit deux ou trois fois la semaine des leçons aux personnes qui vouloient se perfectionner dans la viole ». Il mourut le 15 août 1728[74].

Nous donnons la reproduction du médaillon de Marin Marais, publié par Titon du Tillet.

En 1665, Pierre de la Barre et Charles de la Fontaine étaient basses de viole dans la musique de la Reine. Étienne Richard et Pierre Martin figurent la même année, l’un comme dessus et l’autre comme basse de viole, chez Monsieur frère du roi.

Antoine Forqueroy, nommé violiste de la chambre du roi, le 31 décembre 1689, a laissé de la musique de viole. Il eut un fils qui se distingua aussi sur cet instrument.

On trouve encore : De Machy, Garnier, Bellier, Mlle  Maugey, Du Buisson ; Desmarets, né à Paris en 1662, qui débuta comme violiste de la chambre, fit représenter un grand nombre d’opéras, et mourut à Lunéville le 7 septembre 1741, après avoir été successivement maître de la chapelle de Philippe V, roi d’Espagne, et surintendant de la musique du duc de Lorraine ; Le More, Roland Marais, fils de Marin Marais, lequel lit paraître des pièces de viole. Le Couvreur, Hurel, Hatot, De Caix d’Hervelois, violiste élégant, auteur de plusieurs pièces de viole ; Léonard et Nicolas Itier, violistes de la chambre du roi ; le premier enseignait en même temps le luth et le téorbe aux Pages.

Louis Couperin, le premier du nom, qui est surtout connu comme claveciniste, tint aussi le dessus de viole dans la musique de la chambre sous Louis XIV. En 1736, Nicolas Danican et Pierre Danican Philidor étaient basses de viole à la Chapelle.

Avec Mlles  Sainte-Colombe et Marais, déjà citées comme violistes, n’oublions pas de mentionner Mlle  de Cury, qui excellait aussi dans l’art de jouer de la viole. Cette aimable personne épousa la Lande en 1723. Mlles  Hilaire, Sercamann et de la Barte, figurent parmi les basses de viole de la musique de la chambre, en 1694[75]. Mlles  de Caix l’aînée, de Caix la cadette et de Caix la troisième, s’y trouvaient également comme basses de viole avec de Caix fils, leur frère, en 1749.

Violiste de la chambre, en 1736, Alexandre Sallentin y était encore en 1749.

XXIV

C’est François Ier qui fonda la musique de la chambre, en créant, en 1543, un corps de musiciens indépendants du service de la Chapelle ; car, jusque-là, les artistes qui prenaient part à l’exécution musicale des offices paraissaient aussi aux fêtes et aux divertissements de la cour. Le célèbre violiste, Claude Gervaise, y occupait une place prépondérante.

La musique de la chambre comptait aussi des joueurs d’épinettes et de luths ; le fameux Albert se faisait remarquer parmi ces derniers[76].

François Ier ne se contentait pas d’encourager la musique, il voulut aussi faire apprécier l’art français par les Turcs, et cela ne lui réussit guère :

« Après avoir conclu un traité d’alliance avec Soliman II, empereur des Turcs, dit Castil-Blaze, il ne crut pas pouvoir faire à son nouvel allié un présent plus agréable et plus digne de sa grandeur que de lui envoyer un corps d’excellens musiciens. Le Sultan les reçut d’abord favorablement ; il assista à trois concerts qu’ils donnèrent dans son palais ; mais ayant observé que ce divertissement amollissait son âme guerrière, et jugeant, par lui-même, qu’il pouvait faire encore plus d’impression sur ses officiers, il loua le talent des musiciens, les récompensa et les renvoya après avoir fait briser leurs instrumens, avec défense de s’établir dans son empire sous peine de la vie. Soliman crut que c’était un trait de politique du roi et dit à l’ambassadeur de France qu’apparemment son maître avait voulu imiter les Grecs, qui envoyèrent aux Persans le jeu des échecs pour ralentir leur ardeur belliqueuse[77]. »

Et Fétis qui nous raconte que l’on cultivait la viole d’amour à Constantinople, au xve siècle !

Castil-Blaze nous apprend encore que les musiciens de la Chapelle figurèrent aux processions de pénitents blancs instituées par Henri III. La première eut lieu à Paris, le 25 mars 1583 ; elle se rendit du couvent des Augustins à Notre-Dame :

« Les pénitens marchaient deux à deux, couverts d’un sac de toile, avec un chapelet et une discipline à la ceinture, dont ils se frappaient les épaules en cadence toutes les fois que la musique jouait. Les seconds fustigeaient les premiers, et ainsi de suite, en observant les figures du rythme, les piano, forte, crescendo, smorzando, etc. Un tutti vigoureux et brillant devait présenter un coup d’œil original et pittoresque, la manœuvre des disciplines marchant avec le jeu des archets, le fouet s’apaisant sur un pizzicato, pour sangler à tour de bras sur un accord sabré…

«… Le roi, vêtu comme les pénitens, était mêlé parmi eux, sans gardes ni rien qui le distinguât. Le cardinal de Guise portait la croix, le duc de Mayenne faisait la fonction de maître des cérémonies, et frère Edmond Auger, jésuite, bateleur de son premier métier, dont il avait encore tous les traits et farces, dit l’Estoile, conduisait le demeurant[78]. »

Rabelais cite la viole parmi les instruments de musique que Gargantua « apprint » à jouer :

« Gargantua s’esbaudissoit à chanter musicalement à quatre et cinq parties, ou sus un thème à plaisir de gorge. Au regard des instrumens de musique, il apprint jouer du luth, de l’espinette, de la harpe, de la flûte d’alleman et à neuf trous, de la viole et de la saquebute. »

Agricola conseillait déjà, en 1529, d’enlever les sillets avec le couteau, et de jouer d’oreille[79]. Il ne fut pas très écouté, puisque l’on voit encore ces sillets sur les touches des deux basses de viole que nous montre le frontispice de la partition de Médée et Jason, tragédie en musique, dédiée au roy, par Monsieur Salomon, etc., représentée pour la première fois le 24 avril 1713. Parmi les nombreux instruments de musique qui décorent le titre de cet ouvrage, quatre seulement sont à cordes et à archet : un violon, deux basses de viole et une trompette marine.

Encore très en honneur à l’époque où cette partition fut publiée, la viole ne tarda pas à être supplantée par son redoutable concurrent, le violoncelle. Elle trouva bien un défenseur dans l’abbé Le Blanc, docteur en droit, qui publia, mais sans succès, un livre intitulé : Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncel, Amsterdam, 1740, où il traite le violon d’orgueilleux, d’arrogant, visant à l’empire universel de la musique ; et le violoncelle, un pauvre hère, qui se cache tout honteux derrière le clavecin et dont la condition est de mourir de faim[80].

frontispice de « médée et jason »

Corrette, le fameux Corrette, celui dont les élèves étaient appelés par dérision les anachorètes (les ânes à Corrette), vint aussi à la rescousse, en inventant la viole d’Orphée !

Il explique le nouvel inslrument dans un ouvrage ayant pour titre : Méthodes pour apprendre à jouer de la contrebasse à 3, à 4 et à 5 cordes, de la quinte ou alto et de la viole d’Orphée, nouvel instrument ajusté sur l’ancienne viole, utile au concert pour accompagner la voix et pour jouer des sonates, etc., par M. Corrette, Paris, 1780.

Voici le boniment de l’auteur :

« L’ancienne basse de viole, après avoir brillé à la cour et à la ville, à la fin du xviie siècle et au commencement de celui-ci, se vit préférer le violoncelle. Malgré la défense qu’en prit M. l’abbé Le Blanc…, elle périt d’orgueil à ses yeux et fut trop heureuse de se retirer dans un petit sentier des Champs-Elysées, où elle a fait sa cinquantaine dans un silence perpétuel, et sans être regrettée d’aucun amateur.

« L’essai que je fais aujourd’hui de la retirer de son exil dans la manière d’en jouer expliquée au chapitre dixième, me fait croire qu’elle durera présentement aussi longtemps que le jeu de l’oie renouvelé des Grecs.

« Je la présente au public sous le nom de viole d’Orphée, parce que je suppose qu’Orphée, pour charmer la cour infernale, quand il fut pour retirer des Enfers son Euridice, choisit l’instrument le plus mélodieux, le plus touchant et le plus analogue à la voix, telle qu’est en effet notre viole d’Orphée, sur laquelle on pourra jouer non seulement la basse continue, mais encore des sonates, sans avoir l’embarras de démancher à tout moment, car ce n’est que la différence des sons aigus qui peut faire plaisir à l’oreille et non la difficulté de les exécuter.

« Les dames, en jouant de notre viole d’Orphée, n’en paraîtront que plus aimables, l’attitude en étant aussi avantageuse que celle du clavecin. Si les dames n’ont point adopté le violoncelle, c’est la difficulté de démancher pour exécuter les clés d’ut et la dureté des cordes qui en sont cause ; aussi les instruments agréables comme clavecins, orgues, harpes, guitares, mandolines, quittions, cistres et la viole d’Orphée, sont plus analogues à la douceur de leur caractère que les hautbois, bassons, trompettes, cors de chasse et timballes. »

Malgré les invectives de l’abbé Le Blanc et l’invention de Corrette, la viole finit par s’éteindre tout doucement, après une longue et brillante carrière.

La viole a hérité de quelques locutions populaires qui appartenaient primitivement à la vièle. Bœuf violé est de ce nombre.

« On appelle bœuf violé, dit Richelet, celui qu’on promène le jeudi gras par les rues au son de la vielle. »

Et aussi : La viole fait la plus douce musique.

Certains proverbes se rattachent directement à la viole :

À douleur de dent
N’ay de viole n’instrument.

Le Parlement n’a presque jamais dansé sans viole.

Cependant, La Fontaine n’admet pas la viole pour la danse, et dit :

Car la viole, propre aux plus tendres amours,
N’a jamais jusqu’ici pu se joindre aux tambours.

L’amour est joueur de viole, dans l’Histoire comique de Francion, par Charles Sorel, 1633. Voici le passage :

« L’avarice joue de la harpe, la prodigalité du cornet ; mais ce n’est pas du cornet-à-bouquin, c’est du cornet à jeter les dés. L’amour joue de la viole ; la trahison joue de la trompe et la justice joue du hautbois. »

Selon le père Mersenne, le son de la viole est languissant et propre à exciter la dévotion. La vision de saint François d’Assise semble lui donner raison. Voici cette mystique légende :

« Un jour, dit la tradition, épuisé par ses abstinences et haletant de ses combats, le saint demanda à Dieu de lui accorder un instant du bonheur du ciel. Pendant qu’il le priait ainsi, un ange lui apparut, environné d’une grande lumière, lequel tenait une viole de la main gauche et un archet de la main droite ; et François demeurant tout ébloui à l’aspect de cet ange, celui-ci poussa une seule fois l’archet sur la viole et en tira une mélodie si douce qu’elle pénétra l’âme du serviteur de Dieu, le détacha de tout sentiment corporel ; et si l’ange eût retiré l’archet jusqu’en bas, l’âme du saint, entraînée par cette irrésistible douceur, se fût échappée de son corps[81]. »

La poétique viole personnifia donc à la fois, au cours de son existence, la musique terrestre et la musique céleste.


médaillon de marin marais
D’après le Parnasse François de Titon du Tillet.
  1. Gruffydd Davydd dit bien dans sa description du crouth à six cordes que le dos y était voûté, mais ce détail ne se voit pas sur le dessin d’Edward Jones.
  2. Ce bourdon, corde la plus grave, passe au-dessus de la touche. N’étant pas indépendant de cette dernière, il était actionné, comme les autres cordes, par les doigts de la main gauche.
  3. Mersenne. Harmonie universelle, p. 191, du Traité des instrumens à chordes.
  4. Harm. un., p. 194.
  5. Jean Rousseau. Traité de la viole, Paris, 1687.
  6. Organographia.
  7. P. 204 et suiv.
  8. P. 207.
  9. p. 216.
  10. Response faite à un curieux sur le sentiment de la musique italienne, escrite à Rome, le 1er  octobre 1639. Publiée par E. Thoinan dans une brochure intitulée Maugars, Paris, 1865.
  11. Fétis. Histoire générale de la musique, t. II, p. 298.
  12. Prætorius. Organographia, p. 48.
  13. J. Rousseau. Traité de la viole, p. 22.
  14. Fétis. Biographie.
  15. Le Ménestrel du dimanche 11 septembre 1898, p. 294.
  16. La Société des Instrumens anciens a été fondée par MM. Louis Diémer, clavecin : Jules Delsart, viola a gambe, Louis Van Waefelghem, viole d’amour, et l’auteur de cet ouvrage, vielle. Elle est présidée par M. L. Diémer, et a donné sa première séance à la salle Pleyel, le 28 mars 1805 ; depuis 1896 les séances ont lieu à la salle Erard.
  17. N° 168 du Catalogue, édition 1884.
  18. Instruments à archet, t. I, p. 52.
  19. Descriptive Catalogue of the Musical instruments in the South Kensington Museum, London, 1870, p. 50 et 51.
  20. Un violon, monté de douze cordes vibrantes, qui est au musée instrumental du Conservatoire de musique à Paris, a été catalogué avec justesse sous le nom de violon d’amour, par G. Chouquet, n° 136 du catalogue, édit. 1884.
  21. A.-J. Hipkins. Musical instruments, Edimbourg, 1888, pl. XXVII.
  22. Ibid., p. 53 et 54.
  23. Traité de la viole, p. 19.
  24. Histoire de la musique, par Blondeau, t. I, p. 285.
  25. Parnasse français, p. xxxvi.
  26. Voyez l’introduction de cet ouvrage.
  27. Cet artiste (né en 1687, mort en 1755), violoniste distingué, avait été élève de Corelli lorsque celui-ci était violon solo dans la chapelle du margrave d’Anspach. C’est en 1728 qu’il fut nommé maître des concerts de l’Électeur de Saxe, roi de Pologne.
  28. Parnasse français, p. 625.
  29. Costumes du siècle de Louis XIV, Cabinet des Estampes à la Bibliothèque nationale.
  30. Victor-Charles Mahillon. Catalogue descriptif et analytique du musée instrumemal du conservatoire royal de musiquee de Bruxelles, Gand, 2e  éd. 1893, p. 213 et suiv.
  31. Instruments à archet, t. I, p. 47.
  32. Bibl. de l’École des Chartes, 1841-1842, t. III, p. 379. Cité par Vidal.
  33. Bibl. nat., mss. fr., 11709.
  34. Constant Pierre, Les facteurs d’instruments de musique, p. 7.
  35. Selon Du Cange, les forcetiers étaient les fabricants d’objets, et surtout de coffres, en fer ou en cuivre.
  36. Ordonnances sur le commerce et les métiers rendues par les prévois de Paris depuis 1270 jusqu’à l’an 1300, publié par G.-B. Depping, Paris, 1837, p. 360.
  37. Lavoix. Histoire de l’instrumentation, p. 23.
  38. Constant Pierre, ouvrage déjà cité, d’après : Recueil d’ordonnances concernant les arts et métiers, mss. fr. (Arch. nat., AD, XI, 26).
  39. Constant Pierre, d’après : Ordonnances de Louis XIV (Arch. nat.. X1a 8675, p. 86).
  40. Les facteurs d’instruments de musique, p. 49 et 50.
  41. Rousseau. Dictionnaire de musique, p. 269.
  42. Aug. Maffei. Annali di Mantone, fol. 147
  43. Choron et Fayolle. Dictionnaire historique des musiciens.
  44. Henry Coutagne. Gaspard Duiffoproucart et les luthiers lyonnais, Paris, 1893.
  45. Archives de la ville de Lyon, etc.
  46. Viva fui in sylvis ; fui durà occisa securi.
    Dum vixi, lacui ; mortua dulce cano.

    J’ai été vivante dans les forêts. La hache cruelle m’a tuée. Vivante, j’étais muette ; morte, je chante doucement.

  47. La marque se trouve sur le talon du manche. La légende latine est placée, dans un petit cartouche, à l’extrémité de la touche.
  48. Ouvrage déjà cité.
  49. A. Jacquot. La musique en Lorraine, Paris, 1882.
  50. H. Coutagne, ouvrage déjà cité.
  51. Bruni. Liste des instruments de musique saisis chez les émigrés, etc.
  52. Étude biographique et organographique sur les Willems, luthiers gantois du xviie siècle, par E. Vander Stracten et César Snoeck. Gand, 1896, p. 15.
  53. Mace. Musiks monument, London, 1676, p. 245.
  54. R. North’s. Memoirs of musik, London, 1846. p. 70.
  55. Dans l’invcnlaire de Tom Britton, il est question d’un « extraordinaire Rayman ». Hart. Le violon, p. 281.
  56. Ibid., p. 278.
  57. Hart. Ouvrage cité.
  58. Cité par Blondeau.
  59. Maugars. Response faite à un curieux sur le sentiment de la musique d’Italie, escrite à Rome le 1er  octobre 1639.
  60. Jean Rousseau. Traité de la viole, ouvrage déjà cité.
  61. Simpson. The division violist, etc. London. 1659.
  62. Voyez F. Halévy. Souvenirs et Portraits.
  63. « Basse-continue : ainsi appelée, parce qu’elle dure pendant toute la pièce. Son principal usage, outre celui de régler l’harmonie, est de soutenir la voix et de conserver le ton. On prétend que c’est un Ludovico Viana, dont il reste un traité, qui, vers le commencement du siècle dernier, la mit le premier en usage. » J.-J. Rousseau. Dictionnaire de musique, p. 41.
  64. Traité de la viole, déjà cité.
  65. Dictionnaire de musique, p. 449.
  66. Les anomalies de ce genre ne sont pas rares chez les peintres. Dans une fresque de Melozzo da Forli, qui orne un des panneaux de la sacristie de Saint-Pierre de Rome, un ange joue d’une viole où le chevalet n’est pas figuré, et on est bien étonné de voir les cordes se maintenir à une certaine hauteur de la table, sans avoir un point d’appui.

    Nous trouvons des cas semblables parmi les modernes.

    Un pastel de M. Carrier-Belleuse, exposé en janvier 1893 chez un marchand de papier peint, 8, boulevard Magenta, représente une jeune Italienne jouant de la mandoline napolitaine. Détail bizarre, la tête des chevilles se trouve placée en dessus du cheviller, au lieu d’être en dessous, et la charmante brune appuie ses doigts de la main gauche sur la tête des chevilles qu’elle a l’air de vouloir enfoncer, comme si c’étaient des touches ou des pistons.

    C’est surtout dans la sculpture que les instruments sont le plus sacrifiés à l’harmonie et à l’élégance des lignes.

    Si le statuaire Jean Baffier, qui a fait Compagnon, le célèbre joueur de musette nivernais, d’après nature, nous montre un instrument exact de tous points, un autre artiste, et l’un des plus éminents, M. E. Barrias, a mis un instrument qui tient à la fois de la basse de viole, du violoncelle et de la mandoline, entre les mains de sa belle statue en marbre, la Musique, qui orne l’Hôtel-de-Ville de Paris ; et l’on s’explique très bien les raisons qui l’ont amené à le faire ainsi.

    Il fallait un instrument pour symboliser la musique. Le violon avait été déjà choisi par M. Delaplanche pour une statue symbolique du même genre. La lyre, c’était peut-être un peu pompier, puis il est de convention en art que la lyre personnifie la poésie. Une flûte n’aurait sons doute pas donné le mouvement si gracieux des bras qui a été obtenu avec une basse d’archet. Mais voilà, une basse d’archet, violoncelle ou basse de viole, c’est gros ; les éclisses y sont hautes, l’ensemble devenait lourd ; c’est pourquoi la caisse a été rétrécie, arrondie par derrière, le manche allongé et finalement le tout monté sur une pique. De cette façon, rien ne masque la gracieuse figure, que l’on peut regarder de n’importe quel côté. Malheureusement l’instrument n’a pas de sexe, il est composite, et s’il s’harmonise merveilleusement avec le sujet dont il n’est que l’accessoire, par contre, il serait assez difficile dans la réalité d’en tirer des sons heureux.

  67. Biographie universelle, 1re  édit., Paris, 1836.
  68. M. Thoinan a publié la biographie de Maugars suivie de Response faite à un curieux sur les sentiments de la musique en Italie, etc., qu’il lui attribue, Paris, A. Claudin, 1860. Or, Félis déclare dans la Biographie universelle que cette Response est de Maugars (Aude), prieur d’Esnac. Qui de Thoinan ou de Félis a raison ?
  69. Titon du Tillet. Le Parnasse français.
  70. Loret. La Muze historique, 15 avril 1662. p. 53.
  71. Traité de la viole.
  72. Le Parnasse, déjà cité.
  73. Ouvrage cité.
  74. En 1691, Marin Marais habitait rue Quincampoix ; l’année suivante, il était rue Bertin-Poirée. (Le Livre commode.)
  75. État de la France.
  76. C’est en l’honneur d’Albert, que Clément Marot composa les vers suivants :

    Quand Orphéus reviendrait d’Élysée,
    Du ciel Phébus, plus qu’Orphéus expert,
    Jà ne serait leur musique prisée
    Pour le jourd’hui, tant que celle d’Albert ;
    L’honneur d’aînesse est à eux comme appert,
    Mais de l’honneur de bien plaire à l’ouïr,
    Je dis qu’Albert par droit en doit jouir,
    Et qu’un ouvrier plus exquis n’eût su naître,
    Pour un tel roi que François réjouir,
    Ne pour l’ouvrier un plus excellent maître.

  77. Castil-Blaze. Chapelle et musique, p. 62 et 63.
  78. Ouvrage cité, p. 67 et suiv.
  79. Ouvrage déjà cité.
  80. Fétis raconte que l’abbé Le Blanc ne trouvant pas d’éditeur à Paris, envoya son manuscrit à Amsterdam : « Lorsqu’il apprit que Pierre Mortier consentait à l’imprimer ; il en fut si transporté de joie, qu’on assure qu’il partit pour la Hollande en l’état où il se trouvait quand la nouvelle lui parvint, c’est-à-dire, en robe de chambre, en pantoufles, et en bonnet de nuit. » Biographie universelle.
  81. Kastner. Parémiologie musicale.