Les anciens couvents de Lyon/12. Célestins

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Emmanuel Vitte (p. --250).

LES CÉLESTINS



LES Célestins occupèrent, à Lyon, l’emplacement du Temple ; logiquement nous devrions parler d’abord des Templiers. Nous nous contentons de renvoyer le lecteur à l’article qui les concerne, et ne disons ici que ce qui est nécessaire pour l’intelligence de cette transmission.

À l’époque des croisades eut lieu la création des ordres militaires ; on vit alors des religieux-soldats destinés à combattre les infidèles. Les Templiers furent de ce nombre, et ils reçurent ce nom parce que le roi Baudoin II leur accorda pour demeure, à Jérusalem, une maison voisine des ruines du Temple de Salomon.

Cet ordre ne resta pas longtemps confiné en Palestine, et ne tarda pas à avoir des établissements dans divers États. Les Templiers vinrent à Lyon, et sur les bords de la Saône, près de Bellecour, ils se firent une résidence. Comme nous le verrons plus tard, ils acquirent bientôt des richesses immenses, et la prospérité fut nuisible à leur vertu. Une réforme les eût régénérés, l’ardente convoitise de Philippe le Bel parvint à les faire supprimer. L’Ordre en effet fut aboli en 1312 par le concile général de Vienne ; le souverain pontife Clément V et Philippe le Bel adjugèrent les biens des Templiers aux chevaliers de Malte.

Les chevaliers de Malte formaient un ordre à peu près semblable à celui des Templiers : ce sont eux qui les derniers quittèrent la Terre sainte, défendirent pendant deux cents ans l’île de Rhodes, et se retirèrent à Malte, où ils subsistèrent jusqu’en 1798. À cette époque, Bonaparte, allant en Égypte, s’empara de l’île, et l’existence politique de l’ordre fut terminée.

À Lyon, les Chevaliers de Malte entrèrent en possession du Temple, mais soit que cette possession fût plus coûteuse que profitable, soit que cette maison fût trop voisine de leur Commanderie, ils n’y restèrent que quelques années, et ce fut par un échange fait avec ces Chevaliers que les ducs de Savoie en devinrent propriétaires.

Ce détail est à retenir, car les auteurs n’ont pas toujours été très précis sur ce point. Le manuscrit du P. Grasset, religieux de l’ordre, s’exprime ainsi : « Du débris général des biens des Templiers… le comte de Savoie se retint leur maison de Lyon pour y faire bastir un palais pour son service. » Il semble d’après cette phrase que le comte de Savoie n’eut qu’à prendre ce qui lui convenait ; il n’en est rien. Le livre du P. Berthier, dépositaire du couvent de Lyon, a une autre version : ce Les Chevaliers de Sainct Jehan de Rhodes donnèrent ce lieu à feu de bonne mémoire Aymé Ier, comte de Savoie, pour la victoire qu’il obtint contre les Turcqs. » D’après ce passage, le comte de Savoie aurait reçu cette maison comme une récompense de sa bravoure ; il n’en est rien. La vérité est que le comte de Savoie entra en possession du Temple en échange de rentes et de droits à la Verpillière, et dans le mandement de Falavier, en Dauphiné. Les comtes de Savoie en restèrent possesseurs pendant environ quatre-vingts ans, et en firent quelquefois leur résidence.

Tel était l’état des choses et des lieux dans les dernières années du quatorzième siècle, quand un prieur d’un couvent de Célestins, situé à Colombier-le-Cardinal, près d’Annonay, le P. Yves Grossi, fut mis au courant d’un incident merveilleux de la vie de Pierre de Mouron, le saint fondateur de son ordre.

religieux célestin

Pierre de Mouron, moine napolitain, né à Isernia, dans la Pouille, avait fondé, sur le mont Moroni, un monastère, où il avait fait revivre la règle de saint Benoît dans toute son austérité primitive. Ayant appris que le second concile de Lyon voulait supprimer tous les ordres religieux nouvellement institués, il partit pour Lyon. En arrivant dans cette ville, disent les chroniques, il reçut l’hospitalité chez les Templiers qui étaient les gardes du concile. Là, dit le manuscrit du P. Grasset, il célébra la sainte messe en présence de Sa Sainteté ; là, continue-t-il, « il mit sa cuculle sur un rayon de soleil, et elle y resta suspendue comme sur une poultre, pendant qu’il se revêtait de ses habits sacerdotaux, et fit quantité d’autres miracles en icelle, notamment avoir heu révélation qu’au mesme lieu, au temps advenir, y aurait un monastère de son ordre. » C’était bien étrange ; rien en effet ne pouvait faire prévoir que ses disciples posséderaient un jour le lieu où il était logé, rien ne pouvait, à ce moment, faire présager l’abolition des Templiers. Pierre de Mouron vit ses démarches auprès du concile couronnées de succès, et il reprit le chemin de l’Italie. Ses religieux étaient alors appelés ermites de Saint-Damien ; ils ne furent appelés Célestins que lorsque Pierre de Mouron fut élevé au souverain pontificat et prit le nom de Célestin V.

Cet événement est une page unique de l’histoire des papes. Le souverain Pontife Nicolas IV était mort le 4 avril 1292, et au mois de juin 1294, les cardinaux, assemblés à Pérouse, n’étaient pas encore parvenus à s’entendre pour lui donner un successeur. Le nom de Pierre de Mouron, l’homme considéré comme le plus saint de son temps, fut prononcé alors et emporta tous les suffrages. Pierre de Mouron devint en effet Célestin V, mais il ne régna que quelques mois. S’apercevant que son administration faisait beaucoup de mécontents, il déposa solennellement le fardeau du pontificat. Son successeur, Boniface VIII, sous prétexte que sa présence pourrait susciter des divisions, le fit enfermer dans la citadelle de Fumone en Campanie, où le saint fondateur des Célestins rendit le dernier soupir.

Après sa mort, l’ordre fit de grands progrès, non seulement en Italie, mais encore en France, où le général Pierre de Tivoli envoya douze religieux, en 1300, à la prière de Philippe le Bel.

La règle, approuvée en 1264 par le pape Urbain IV et confirmée en 1274 par Grégoire X, était sévère et pleine d’austérités. Les supérieurs n’étaient élus que pour trois ans ; les religieux se levaient à deux heures de la nuit pour chanter matines, ils ne mangeaient jamais de viande, jeûnaient tous les jours depuis l’Exaltation de la Sainte-Croix jusqu’à Pâques, et le reste de l’année tous les mercredis et les vendredis.

Le costume consistait en une robe blanche, un capuce et un scapulaire noirs. Au chœur et quand ils sortaient hors de leur monastère, ils portaient une coule noire avec le capuce par-dessus ; la ceinture était de laine ou de cuir blanc, les chemises étaient de serge. Les convers étaient vêtus de couleur tannée, et ils portaient sur leur scapulaire une croix blanche avec une S entrelacée ; c’étaient du reste les armes de l’ordre : croix de sable avec une S d’argent.

frère convers célestin

Parmi les maisons de Célestins fondées en France se trouvait, aux flancs du mont Pilat, celle de Colombier, près d’Annonay. En 1390, le P. Yves Grossi en fut nommé prieur. Ayant eu connaissance de la révélation faite par Dieu à Pierre de Mouron, logeant chez les Templiers, lors de son passage à Lyon, il désira que cette révélation fût accomplie. En conséquence, avec la permission du R. P. Pierre Poqueti, provincial, ce bon Père et avec luytous ses religieux présentèrent requeste au S. Père Benoit XIII séant en Avignon et Boniface IX à Rome, demandant de permettre aux Pères Célestins de Colombier de vendre ou eschanger tous les biens et revenus de leur fondation, pour bastir un monastère de leur ordre dans la ville de Lyon et en la maison du comte de Savoie Amédée, appelée le Temple, alléguant à ce sujet les grandes guerres des Anglais dans la France et les continuelles attaques du seigneur d’Annonay, allié au parti de la couronne d’Angleterre, qui tous ruinoient toutes leurs possessions et empeschoient les religieux de faire le divin service et les dévots exercices de leur vocation. Cette demande leur feut accordée par bulle en 1396… mais l’exécution en feut suspendue…

« Le P. Yves Grossi, prieur de Colombier, estant mort en 1401, le P. Jean Siméon, son successeur, poursuivit le bon succès de cest établissement avec grand zèle, et en 1405, accompagnant le R. Père Bixuntius de Vallibus, provincial, eurent la rencontre dans Lyon du prince Amédée, huitième duc de Savoie, auquel ils renouvelèrent la demande de sa maison appelée le Temple, laquelle luy feut le 25 de février de l’année 1407, dans sa ville de Bourget, accordée, et donnée par un contract de fondation à l’ordre des P. Célestins, en la personne du P. André de Bourville, procureur général de l’ordre, en ces termes : Désirons faire bastir et fonder un monastère de l’ordre des R. P. Célestins, sous le titre de l’Annonciation de Notre-Seigneur, dans nostre maison de Lyon, appelée anciennement le Temple, située entre la Sonne et le Rosne, vous donnons à perpétuité nostre dite maison, avec toutes ses appartenances, estendues, église et cloistres anciennement bastis audit lieu, ses fonds et dépendances, pour y bastir un monastère de vostre dit ordre. »

Ce donateur princier, Amédée VIII, mérite de fixer un instant notre attention. Le voyageur qui navigue sur le lac de Genève voit, en longeant cette rive fertile de la Savoie, qu’on appelle la côte d’Abondance, un château qui porte le nom de Ripaille. C’est là qu’après la mort de son épouse Marie de Bourgogne, fille de Philippe le Hardi, se retira (1433) le duc Amédée, accompagné de six seigneurs, chevaliers de Saint-Maurice et veufs comme lui. Ils y vécurent d’une vie retirée, pieuse, l’annaliste Brovius dit même angélique. En 1439, le duc assista au concile de Bâle, et y fut élu antipape sous le nom de Félix V. On connaît ce moment difficile, signalé dans l’histoire sous le nom de schisme d’Occident, où L’Église se trouva dans la plus grande confusion et reconnut en même temps plusieurs papes. Mais ce qu’on ignore, c’est la part glorieuse de L’Église de Lyon dans la cessation du schisme. Sans doute, plusieurs personnages s’employèrent dans ce but, mais ce fut à la persuasion du bienheureux Louis, chanoine-comte de Lyon, qu’à la mort d’Eugène IV et à l’avènement de Nicolas V, Félix V donna sa démission. Il revint dans son château de Ripaille, où il mourut en 1450. Son cœur fut apporté par les P. Célestins dans leur église de Lyon, et posé au-devant du sanctuaire sous une large pierre, où furent gravées les armes de Savoie, qui sont de gueules à la croix d’argent couronnée à la ducale.

JEAN DE GERSON
(1363-1429)

Les premiers religieux Célestins qui vinrent à Lyon furent tirés du monastère de Colombier, et pendant quatorze ans, les R. P. provinciaux, Jean Bonhomme et Jean Bassandi, travaillèrent puissamment en cette sainte entreprise. Louis II, fils d’Amédée VIII, continua les faveurs paternelles ; il fit une fondation de quatre cents florins de rente annuelle et fit bâtir l’église qui était sous le vocable de l’Annonciation. Charlotte de Savoie, épouse de Louis XI, roi de France, fut aussi une bienfaitrice des Célestins. Louis XII, et surtout son premier ministre, le cardinal d’Amboise, qui fit bâtir la plus grande partie des cloîtres, témoignèrent par des bienfaits nombreux leur bienveillance pour cet Ordre.

Le premier prieur du nouveau monastère fut le P. Jean Gerson, frère du célèbre chancelier de l’Université de Paris, qui se fit une si large place dans le monde intellectuel de son temps. Il joua un grand rôle au moment du schisme d’Occident, et composa alors un traité hardi. Il fut un des grands promoteurs de la dévotion à saint Joseph, et beaucoup de très sérieux esprits le considèrent comme l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ. Un savant critique, M. Gence, veut même que ce soit à Lyon que cet homme pieux en ait composé le quatrième livre, car, par les dix dernières années de sa vie, il appartient à notre cité. Jean sans Peur, duc de Bourgogne, ayant fait assassiner le duc d’Orléans, Gerson fit le panégyrique de la victime et s’éleva avec force contre l’instigateur du crime. Le duc de Bourgogne fit légitimer sa conduite par un docteur Jean Petit, homme de savoir, mais âme vénale. Gerson fit condamner la doctrine de Jean Petit par le concile de Constance. Après le concile, où il tint une large place, il vint, pour fuir les poursuites du duc de Bourgogne, chercher un asile auprès de son frère, le prieur des Célestins. Un peu plus tard, aimant à instruire le simple peuple, il faisait le catéchisme aux enfants de la paroisse Saint-Laurent, dont l’église était voisine de celle de Saint-Paul. Gerson a pu errer sur des questions qui n’étaient alors que des opinions, il ne fut pas moins un grand caractère et un vaillant serviteur de Dieu.

Non seulement les grands et les princes furent les protecteurs des Célestins, mais le Consulat eut, lui aussi, cet Ordre en faveur. À diverses reprises, il donna des sommes assez fortes pour les réparations et l’agrandissement du couvent. Les conseillers de ville tinrent même plusieurs fois, au quinzième siècle, leurs séances dans le cloître des Célestins. Car, de 1426 à 1461, il y eut de longs débats entre le Consulat et l’Archevêque. Celui-là avait acheté, pour en faire un hôtel de ville, une maison située entre la rue Longue et la place de la Fromagerie, celui-ci ne voulut pas ratifier l’achat. De là de grands débats, pendant lesquels le Consulat tint ses séances chez les Célestins et dans d’autres monastères.

L’église, de style gothique, était éclairée par de magnifiques vitraux ; elle était ornée de bons tableaux, par Blanchet et par Leblanc, et de la Descente de Croix, par un Lyonnais, Jacques Stella, l’émule de Poussin ; elle possédait aussi des orgues qui passaient pour le chef-d’œuvre du genre ; on y voyait enfin de remarquables sculptures. Cette église possédait une belle image de la sainte Vierge, Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles, pour laquelle le peuple de Lyon avait une très grande dévotion.

Les chapelles étaient celles de la Grande-Notre-Dame, de Saint-Pierre-de-Luxembourg, de la Comtesse et des Onze-Mille-Vierges. Il serait trop long de citer les noms de tous ceux qui y furent inhumés, je me borne à quelques personnages plus illustres. C’est d’abord le duc Louis de Savoie, bienfaiteur insigne, qui mourut à Lyon, le 29 janvier 1465, dans la maison qui faisait l’angle de la place et de la rue Saint-Jean ; les religieux lui avaient élevé un magnifique tombeau, avec une inscription funéraire composée de huit distiques latins. C’est ensuite le cardinal d’Amboise, qui fut évêque de Montauban à quatorze ans. Il devint ensuite aumônier de Louis XI, et à la mort de ce prince, s’attacha au duc d’Orléans. Archevêque de Narbonne en 1493, puis de Rouen, il retrouva le duc d’Orléans, qui était alors gouverneur de Normandie. Celui-ci, devenu roi sous le nom de Louis XII, prit Georges d’Amboise pour son premier ministre et en fit son ami. Vertueux, prudent, économe, le cardinal fut un grand ministre. Il fit par intervalles un assez long séjour à Lyon, et y mourut, le 25 mai 1510, dans la maison des religieux Célestins. Son corps fut transporté à Rouen, mais son cœur resta déposé dans l’église du couvent. C’est encore le tombeau de l’illustre famille des Pazzi. Les Pazzi étaient originaires de Florence et avaient été même rivaux des Médicis ; ils avaient même ourdi, avec les Salviati, une conspiration contre les deux frères Julien et Laurent de Médicis. Julien fut tué, mais Laurent put s’échapper, et les conjurés, par crainte des représailles, durent prendre la fuite. C’est alors que les Pazzi vinrent en notre ville. Ils y vécurent en grands seigneurs, et furent les bienfaiteurs des Célestins. À propos de leur tombeau, on rapporte le fait suivant : Marie de Médicis, de passage à Lyon, vint visiter le couvent des Célestins ; elle avait, comme tous les membres de sa famille, conservé dans son cœur un violent ressentiment contre les conjurés de Florence, et contre les Pazzi en particulier. Se trouvant dans l’église du monastère, elle vit le riche tombeau de ses ennemis, et aussitôt elle ordonna qu’on le détruisît sur-le-champ, ne voulant pas qu’il restât rien d’un nom si odieux à sa maison. C’était enfin le tombeau de Guillaume Rouville, l’illustre typographe, gendre de Sébastien Gryphe, qu’il égala et dépassa même. Il était né à Tours, en 1518, mais il vint s’établir à Lyon et commença à se faire connaître vers 1548. Il acquit une grande fortune et fut honoré de l’échevinage jusqu’à trois fois en dix ans, ce qui lui donna le droit de naturalité à Lyon, ainsi que la noblesse. Il fut conseiller de ville, bienfaiteur de la cité, des hôpitaux et des. Célestins. Il avait pour devise : In virtute et fortuna. J’abrège à regret, car il y avait là encore bien des familles dont les descendants vivent encore, les Tourvéon, les Bigny, les La Chassagne, les de Viry, etc… Enfin quand nous aurons dit que la confrérie des marchands drapiers se réunissait habituellement dans la chapelle des Onze-Mille-Vierges, nous aurons dit à peu près tout ce qui était intéressant sur cette église.

Nous nous sommes étonnés, à notre époque, d’avoir vu si souvent brûler les Célestins ; mais du temps des religieux le feu s’était déclaré bien des fois ; on dirait vraiment que ce lieu soit voué aux incendies. Il fut brûlé d’abord en 1501 ; puis en 1562, lorsque les huguenots, arrivant par le Dauphiné, se furent emparés de la ville, le couvent des Célestins fut envahi des premiers, et c’est là qu’après le pillage du couvent, le baron des Adrets assit la batterie d’artillerie avec laquelle il ouvrit une brèche dans les murs du cloître de Saint-Jean. Il fut incendié encore en 1623, puis enfin après sa reconstruction totale, deux autres fois, à trente années d’intervalle, en 1744 et en 1775.

principale façade du couvent des célestins
En 1562, le pillage fut complet, le monastère fut dévalisé, on vendit même à l’encan, devant la porte du couvent, tous les objets mobiliers ; on estima à cinquante mille livres la perte subie alors par les Célestins. Treize mois après, quand ils revinrent, ils ne trouvèrent que des murs démolis, mais un grand nombre de personnes pieuses vinrent à leur secours, et le couvent fut bientôt restauré.

La peste, non pas la grande peste de 1628, mais celle de 1585, exerça aussi ses ravages aux Célestins. C’est du moins ce que raconte Rubys ; il dit qu’il n’y demeura « quasi personne. » Il est toutefois bien étonnant que le P. Benoît Gonon, Célestin de Lyon et historiographe de Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles, n’ait rien dit d’un si grave événement. Il entre souvent dans de minutieux détails : il parle de divers incendies du couvent, d’une tribune de bois qui, le jour de Pâques, s’effondra sur les fidèles, il ne dit rien de cette peste de 1585.

En 1721, l’ancien couvent tombant en ruines, on le reconstruisit sur un nouveau plan. On peut se rendre compte de ce que fut ce nouveau monastère, si l’on veut bien jeter les yeux sur le plan de 1740 ; on y voit la façade des Célestins mesurant cent mètres de long et faisant un très bel effet. On voit encore aujourd’hui, sur le quai qui porte le nom des Célestins, des maisons ornées d’attiques et de frontons ; ce sont des parties conservées du soubassement de cette façade. Le réfectoire était la plus belle salle du couvent, il était orné d’un magnifique tableau de Vernansel fils, représentant les Noces de Cana.

Ce n’est pas la Révolution qui fit disparaître les Célestins, la fin de cet Ordre est une lamentable histoire. À peine l’édit de 1768, ordonnant que la conventualité fût rétablie dans toutes les communautés, eut-il été publié, que le Père Camille-Marie de Saint-Pierre, prieur des Célestins de Lyon, se mit en campagne. Il quitta brusquement son monastère, et, se disant chargé des ordres du gouvernement, il visita toutes les maisons de sa congrégation, afin d’amener, par des promesses ou des menaces, ses confrères à demander la sécularisation. Il se rendit ensuite à Paris, et fut assez habile pour se faire nommer provincial des Célestins de France ; il eut même assez de crédit pour faire changer le temps et le lieu du chapitre général qui devait s’assembler. Ce fut à Limay, près de Mantes, que ce chapitre se réunit en octobre 1770. Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, en devait diriger les opérations. De Brienne savait que les dispositions de plusieurs députés le dispensaient de s’y rendre lui-même.

autre façade du couvent des célestins

Une opposition nombreuse et inattendue se manifesta. Sans doute cet ordre avait plus que tout autre subi l’influence de l’époque, sans doute un grand nombre de ses membres avaient négligé et oublié leurs règles et leurs anciennes observances, mais il se trouvait encore beaucoup de religieux réguliers et fervents, qui soutinrent avec zèle les droits de la règle et protestèrent hautement contre des délibérations prises malgré eux. Mais précisément le relâchement des uns et la régularité des autres entretenaient des divisions que sut adroitement exploiter Loménie de Brienne. Celui-ci fit donc tenir un second chapitre général dans la maison des Célestins de Paris, et se chargea cette fois de le présider. Afin de favoriser les prétentions des uns et de prévenir les réclamations des autres, il ordonna d’opiner secrètement et par écrit. Grâce à cette précaution, le P. Camille-Marie de Saint-Pierre, vicaire général, put envoyer à Rome une supplique où, attribuant à tous ses confrères ses dispositions personnelles, il demandait instamment la suppression des Célestins ; mais le supérieur général de l’ordre, instruit par quelques-uns de ses plus dignes religieux et par Mgr de Beaumont, qui les favorisait, informa Clément XIV de l’état des choses.

Le pape, en présence de ces rapports contradictoires, prit un parti mitoyen qui lui parut propre à rendre justice à tout le monde ; il chargea les évêques de France, dans les diocèses desquels se trouvaient des maisons de Célestins, d’en faire la visite et de prendre acte des abus qu’ils y découvriraient. Ces visites furent faites et généralement les rapports furent peu favorables. En conséquence, le souverain Pontife procéda à la suppression, non pas de l’Ordre, mais des maisons particulières. Celles de Metz, Sens, Ternes, Ambert, Vichy, Colombier, Esclimont, Villeneuve, Offremont, La Châtre, Rouen, Limay, Amiens, Lyon, et d’autres encore furent successivement supprimées par des brefs du pape et des lettres patentes du roi. Un arrêt du conseil d’État du 4 juillet 1778 désigna la maison de Marcoussy à ceux des Célestins qui voudraient continuer à vivre dans l’observance de leurs règles. La suppression du couvent de Lyon date de 1772.

Après cette sécularisation, l’archevêque de Lyon, Mgr Malvin de Montazet, voulut réunir les biens du monastère à ceux du clergé de son diocèse. Mais Victor-Amédée de Savoie revendiqua les biens des Célestins de Lyon donnés à telles et telles conditions par ses ancêtres. De là un grand procès, que perdit l’Archevêque, et un arrêt du 12 janvier 1784, qui remit le roi de Sardaigne en possession du couvent en litige. On rappelle à ce propos un détail qui ne manque pas de piquant. L’abbé de Périgord, depuis évêque d’Autun, écrivit alors un mémoire pour prouver que le clergé est vraiment propriétaire et que des biens ecclésiastiques ne doivent pas être abandonnés aux séculiers ; cinq ans plus tard, en 1789, dans l’assemblée constituante, l’abbé Maury soutenait cette même thèse contre l’abbé de Périgord, qui alors avait changé d’avis.

Un an après la prise de possession du duc de Savoie, l’ancienne propriété des Célestins fut aliénée à un sieur Devouge, qui acheta la totalité de ces terrains au prix de quinze cent mille livres. Pour donner aussitôt de l’importance au quartier et en tirer de meilleurs bénéfices, le nouveau propriétaire fit percer des rues et construire une salle de spectacle. Cette dernière idée fut mise à exécution en 1792. Mais, ainsi que je l’ai dit, le théâtre, comme l’ancien monastère, a été souvent incendié. Depuis la guerre de 1870, il a été reconstruit à neuf, et la façade en est gracieuse. Mais dans la nuit du 25 au 26 mai 1880, ce nouveau théâtre fut encore une fois complètement détruit, sauf la façade, par un incendie. De tous les vieux souvenirs que je viens d’évoquer, il reste les maisons que j’ai signalées et des noms : les rues de Pazzi, d’Amboise, de Savoie, et le quai et la place des Célestins.

SOURCES :

Le P. Hélyot, Histoire des ordres monastiques.

Almanachs divers de Lyon.

Rubys, Histoire de Lyon.

Lyon ancien et moderne, tome Ier.

Archives du Rhône, tome IX, page 81 et suiv.

Mémoire sur le monastère des Célestins de Lyon, adressé par un religieux de cette maison au P. Ménestrier, et conservé en manuscrit à la bibliothèque de Lyon, n° 1164.

Histoire et miracles de N.-D. de Bonnes-Nouvelles aux Célestins de Lyon, par le R. P. Benoît Gonon, célestin de Lyon.

Mémoire à consulter sur l’ordre des Célestins, par le P. Edme Grenot, Paris, 1774.

Le P. Prat, Essai historique sur la destruction des ordres religieux en France, Lyon, chez Pélagaud, 1845.

Manuscrit du P. Grasset, Revue du Lyonnais, 1888, VIe vol., 5e série.



SAINT-CHARLES



CE mot résume tout un ordre de choses aujourd’hui disparu, tout un ensemble d’institutions dont les sœurs de Saint-Charles, encore existantes, ne forment qu’une partie. Essayons de reconstituer ce passé et cet ensemble, d’autant plus intéressants qu’ils sont exclusivement lyonnais.

Aujourd’hui les écoles populaires sont multipliées presqu’à l’infini dans notre ville, et le petit enfant de douze ans étonne son interrogateur par la quantité de notions qu’il possède déjà. Mais on ignore généralement l’origine de ces écoles dans notre ville et le nom même de celui qui, avant le bienheureux de La Salle, inaugura la régénération intellectuelle des enfants du peuple dans notre cité.

Ce bienfaiteur de la jeunesse populaire était un prêtre du diocèse de Lyon, fondateur de l’œuvre des Petites-Écoles. Son nom, oublié par la postérité qui devrait le bénir, était Charles Démia.

Charles Démia naquit à Bourg-en-Bresse, le 30 octobre 1636. Orphelin de père et de mère à l’âge de neuf ans, il fut élevé par une tante qui ne négligea rien pour le former à la vertu. Il fit ses premières études chez les Jésuites ; à dix-huit ans, il vint à Lyon recevoir la tonsure, puis partit à Paris pour se former, sous le regard de maîtres éminents, à la vie ecclésiastique. Il fut successivement élève du séminaire des Bons-Enfants, de celui de Saint-Nicolas du Chardonnet, et de celui de Saint-Sulpice. Dans cette dernière maison, il fut formé par M. Tronson et devint bientôt, à cette école, un homme véritablement intérieur et dévoué au salut des âmes. Ordonné prêtre le 14 mai 1663, il revint à Bourg, où ses libéralités le firent surnommer le Père des pauvres. Mais il fallait à son activité et à son zèle un plus vaste théâtre. Il vint à Lyon, en 1664, et se présenta à M. l’abbé Hurtevent, premier supérieur du séminaire de Saint-Irénée et enfant spirituel de M. Ollier. Découvrant dans le jeune prêtre des trésors cachés de dévouement et de charité, il le présenta à M. l’abbé de Saint-Just, qui ne tarda pas à le recommander à son frère l’archevêque, Mgr Camille de Neuville. Ce dernier le nomma archiprêtre et visiteur extraordinaire de la Bresse ; puis, après lui avoir offert diverses fonctions qu’il ne put lui faire accepter, le nomma enfin promoteur de son diocèse et le força d’accepter cette charge.

Je n’ai pas à parler des vertus de ce saint prêtre, je n’ai qu’à raconter son œuvre ; nous allons en suivre pas à pas les progrès.

À Lyon, les enfants du peuple vivaient dans un grand libertinage, faute d’instruction ; l’abbé Démia résolut d’apporter un remède à ce mal. D’autres serviteurs de Dieu, grandement admirés par lui, l’avaient déjà précédé dans cette voie. Saint Charles, son patron, avait établi des écoles à Milan ; M. Bourdoise les avait multipliées en France, et il aimait, pour exciter son zèle, à se rappeler une parole de cet admirable prêtre : « Les maux de l’Église ne peuvent être guéris que par les séminaires et les petites écoles : les séminaires sont les écoles des ecclésiastiques, et les petites écoles sont les séminaires des chrétiens. »

M. l’abbé Démia se mit à l’œuvre ; il commença par composer et par présenter des Remontrances à MM. le Prévôt des marchands et échevins de Lyon. Cette première démarche n’eut pas tout le succès qu’il en attendait ; cependant elle contribua beaucoup à la création d’une première école, celle de Saint-Georges, qui fut comme le berceau de cette grande œuvre. Cette école fut ouverte le 9 janvier 1667, et cette date resta toujours chère au fondateur de Saint-Charles.

CHARLES DÉMIA
Instituteur des sœurs de St. Charles
Né à Bourg-en-Bresse, le 3 Octobre 1636
Mort à Lyon, le 23 octobre 1689.

L’année suivante, il présenta de nouvelles Remontrances aux magistrats de la cité. Cette pièce importante, écrite dans un style énergique, fit beaucoup de bien ; elle fut distribuée et envoyée un peu partout et, entre autres lieux, à Paris et à Reims ; à Paris où, selon le témoignage du curé de Saint-Nicolas du Chardonnet, elle produisit de bons résultats ; à Reims, où un chanoine de cette église, M. de la Salle, conçut, en les lisant, la pensée de créer des instituteurs pour la jeunesse. Quelle gloire pour l’abbé Démia et pour l’Église de Lyon d’avoir été les causes lointaines de cette création si persécutée, et cependant si populaire, qui s’appelle l’Institut des Frères des Écoles chrétiennes !

Dès lors, on s’inquiéta des enfants pauvres et l’on procéda, lentement il est vrai, à la création de quelques écoles ; les premières, après celle de Saint-Georges déjà existante, furent celles de Saint-Pierre, de Saint-Nizier, du Bourgchanin et de Saint-Paul. Les difficultés ne manquèrent pas, comme bien on pense ; elles venaient du Consulat, qui ne donnait qu’un secours insignifiant de deux cents livres ; elles venaient même de Mgr l’archevêque, qui d’abord ne vit pas d’un œil favorable la nouvelle entreprise. Mais, par la grâce de Dieu et le zèle de son serviteur, ces difficultés disparurent ; l’abbé Démia fut nommé directeur général des écoles, et il prit soin aussitôt d’en assurer la vitalité.

C’est alors qu’il créa le Bureau des écoles ; ce Bureau était composé de plusieurs personnes tant ecclésiastiques que laïques, qui devaient partager ensemble le soin et la conduite des écoles. Cette petite compagnie eut des assemblées réglées, afin que chacun des membres pût faire part à tous les autres de ses vues et de ses observations. Ces assemblées eurent lieu d’abord tous les trois mois, puis tous les mois, chez M. Démia, qui demeurait à Ainay. La première réunion fut tenue le premier dimanche de mars 1673. Dès 1679, l’existence du Bureau fut approuvée par Mgr de Neuville. Ledit Bureau des petites écoles devait être composé au moins de seize recteurs, dont huit, autant que possible, seraient ecclésiastiques ; le directeur devait toujours être pris parmi ces derniers, et le trésorier parmi les recteurs laïques. Enfin, au mois de mai 1680, on obtint des lettres patentes qui permirent au Bureau d’accepter des successions. Peu à peu l’œuvre s’affermissait.

Mais quels étaient les auxiliaires de M. Démia, dans cette œuvre de régénération ? C’étaient des prêtres ou des clercs engagés dans