Les anciens couvents de Lyon/38.1. Hôtel-Dieu

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Emmanuel Vitte (p. 627-631).

LE GRAND HÔTEL-DIEU


CET hôpital est le plus ancien de tous ceux du royaume, disent les vieux écrits. Les actes du cinquième concile d’Orléans en attribuent la fondation, en 542, au roi Childebert et à son épouse Ultrogote, sur les pieux conseils de saint Sacerdos, évêque de Lyon. Plusieurs des rois de France lui accordèrent les plus beaux privilèges.

Beaucoup de personnes de considération, parmi les citoyens de la ville, contribuèrent, par leurs libéralités et leurs charités, à l’accroissement et à l’embellissement du Grand Hôtel-Dieu. Sa situation d’alors était celle qu’il a aujourd’hui, le long du quai de Retz, sur les anciennes courtines du Rhône, et depuis la chapelle du Saint-Esprit, jusqu’à la boucherie de l’hôpital.

L’administration, confiée d’abord à des laïques, passa, en 1172, aux religieux de Haute-Combe, en Savoie, puis aux Bernardins de la Chassagne, en Bresse, et en 1486, elle revint au Consulat, et finalement, en 1583, rendue aux citoyens. Les administrateurs furent choisis dans les différents ordres de la ville.

Au spirituel, il était desservi par des prêtres séculiers, dont un économe. Le temporel avait pour recteurs primitifs Messieurs les prévôt et échevins de la ville, et pour administrateurs bienniaux, qui se renouvelaient chaque année par moitié, quatorze recteurs. Le président était toujours un président ou un conseiller à la cour des monnaies ; il y avait aussi toujours un avocat, un ancien échevin et un trésorier des deniers ; les dix autres recteurs se partageaient les autres parties de la direction. Le détail en est assez curieux pour être signalé ici :

1° Le Président présidait à la compagnie et aux délibérations du bureau ;

2° Direction des affaires et procédures ; comptes des agents et huissiers ; direction des rentes nobles, pensions foncières, rentes constituées ; archives.

3° Intendance générale des bâtiments, maisons et héritages, soit du côté de Fourvière, soit du côté de Saint-Nizier, aussi bien des maisons dont le bureau a seulement la direction ; archives.

4° Recettes et dépenses ; archives.

5° Direction de la Part-Dieu, de la Tête-d’Or et du logis de l’Ange, à la Guillotière.

6° Direction de l’intérieur de l’Hôtel-Dieu, tout ce qui concerne malades, employés, serviteurs ; inspection des lingeries et de la buanderie.

7° Inspection de la pharmacie ; achat des étoffes en laine ; inspection de la couture et des tailleurs, achat des cendres et des savons.

8° Direction de la cuisine ; achat des chandelles et des huiles à brûler ; direction des domaines situés au nord de la ville.

9° Régie de la boîte, des chambres basses et de la teigne ; inspection des grands livres, imprimés et autres écritures.

10° Soin de la sacristie ; direction des domaines de Vénissieux, Gerbey et Ampuis.

11° Achat des toiles, des blés ; paiement des moutures ; inspection de la boulangerie.

12° Direction de la chirurgie ; inspection de l’hospice des Passants, et des immeubles de la Guillotière.

13° Achat des bois et charbons ; inspection des feux et lumières ; soin de la cave.

14° Contrôle des entrées de vin ; direction des domaines situés à la Quarantaine.

Cette répartition d’un immense travail entre des hommes dévoués, qui ne se faisaient pas payer leurs services, permettait à l’Hôtel-Dieu d’employer toutes ses ressources au soulagement des misères.

Ces ressources commencèrent par être modestes, car les revenus fixes ne furent que l’œuvre du temps ; elles consistaient dans les libéralités des citoyens et pouvaient s’élever à douze ou quinze mille livres. Mais l’établissement des manufactures de soie, l’augmentation du commerce, les héritages, la donation de Mme  de Servient en accrurent prodigieusement les ressources.

On recevait au Grand Hôtel-Dieu tous les malades, de tout âge, de tout pays, de quelque maladie qu’ils fussent atteints, les orphelins, les enfants trouvés ou abandonnés, les insensés, les soldats malades, blessés ou fatigués de leur route, les pauvres femmes du peuple qui n’ont pas les moyens de faire leurs couches chez elles. Chaque genre de maladie était traité dans des appartements séparés, avec une propreté et des soins peu ordinaires. On fournissait aussi, en dehors de l’Hôtel-Dieu, aux femmes pauvres et nouvellement accouchées, de l’argent pour les aider à nourrir et à faire nourrir leurs enfants pendant quinze mois, et trois fois par semaine on distribuait des remèdes gratuitement aux pauvres de la ville ou de la campagne, qui ne peuvent rester à l’hôpital. L’Hôtel-Dieu de Lyon fut sans doute un des premiers à réaliser ce qui aujourd’hui nous paraît élémentaire, mais qui fut alors considéré comme une grande amélioration, comme une sorte de conquête de l’humanité. En 1787, l’administration, voulant arriver à donner un lit séparé à chaque malade, ouvrit une souscription. En six semaines la souscription produisit 155.243 livres.

Outre toutes les différentes espèces de charité qui s’exerçaient dans l’Hôtel-Dieu, et dont le détail exact serait trop long, il tenait encore, dans le faubourg de la Guillotière, une maison appelée hôpital des Passants, où l’on donnait à souper et à coucher, pour une nuit seulement, à tous les pauvres mendiants ou étrangers qui passaient par Lyon, ou qui y arrivaient après la fermeture des portes. — de plus il contribuait à la nourriture des filles et des femmes enfermées aux Recluses.

Pour le service, il n’y eut d’abord qu’un ou deux médecins, un chirurgien major et des garçons chirurgiens. À mesure que les besoins ont grandi, médecins et chirurgiens sont devenus plus nombreux. Il y a en outre des frères et des sœurs, qui au spirituel dépendaient des aumôniers, et au temporel de l’administration. Ces frères et ces sœurs sont de création exclusivement lyonnaise, on ne les trouve que dans nos hôpitaux.

L’Hôtel-Dieu n’avait pas à craindre, pendant la Révolution, les vexations qui atteignirent les couvents. Cependant la loi qui supprimait les ordres religieux et leurs costumes y eut ses effets ; les sœurs furent obligées de se vêtir en laïques.

Mais l’Hôtel-Dieu courut un immense péril pendant le siège de Lyon ; l’artillerie des assiégeants dirigea un bombardement sur l’hospice, alors qu’il était rempli de malades, et de blessés ; au mépris des lois les plus élémentaires de l’humanité, elle envoya quarante-deux projectiles dans l’Hôtel-Dieu, y apportant la terreur et l’incendie.

En 1802, l’administration des hospices eut un fonctionnement nouveau : la direction était confiée à un conseil général composé du préfet, des trois maires de Lyon, et de quinze citoyens. Ce règlement fut dans la suite souvent modifié dans les détails, mais il demeura la base de toutes les administrations futures.

Quant au personnel religieux de cet établissement, celles que nous appelons les sœurs hospitalières furent d’abord appelées chambrières, puis quasi-religieuses. Ce n’est qu’en 1598 qu’elles prirent un costume uniforme et le nom de sœurs. Les servants, par imitation, prirent le nom de frères. Ceux-ci et celles-là sont soumis au premier aumônier au point de vue spirituel.

Il fut un temps où l’aumônier supérieur était en même temps directeur temporel ; il paraît que ce fut une source d’abus ; on la fit disparaître.

L’administration hospitalière ne considère les frères et les sœurs que comme des servants et des servantes ; en conscience et aux yeux de l’autorité ecclésiastique, ils sont religieux et religieuses.

C’est cette dualité qui fait le caractère distinctif de nos hospices lyonnais. Mais il n’est pas étonnant qu’à certains moments certains esprits aient été tentés de constituer en corps religieux proprement dit ces frères et ces sœurs qui avaient toutes les qualités requises. L’administration n’y consentit jamais. En 1831, il y eut une tentative très sérieuse dans cet ordre de faits. La lutte fut courte, mais vive. L’aumônier fut remercié ainsi qu’une quarantaine de sœurs, qui fondirent l’œuvre des sœurs de Bon-Secours, lesquelles, moyennant rétribution, vont soigner les malades en ville.

Après la Révolution, les sœurs, dont le costume avait été jadis plusieurs fois modifié, reprirent celui qu’elles portaient avant les mauvais jours : robe noire, cornette empesée, bandeau, cordon et chapelet avec la croix. Les frères prirent l’habit noir français, le pantalon noir, le chapeau rond. C’est le costume actuel. Et comme on met une différence entre les sœurs et frères croisés et les sœurs et frères prétendants, la marque distinctive fut pour les sœurs la croix pommelée d’argent, portant gravée l’image de Notre-Dame de Pitié, patronne de l’hospice, et pour les frères, sur l’habit, la plaque d’argent avec la même gravure.

Autrefois, il y avait autant d’administrations particulières que d’hospices différents. En 1696, il y eut une première unification, mais partielle, l’Aumône Générale n’y étant pas comprise. Aujourd’hui, les hôpitaux de Lyon comprennent le Grand Hôtel-Dieu, la Charité, les hôpitaux de la Croix-Rousse et de Saint-Pothin, l’Antiquaille et ses divers services, les hospices du Perron, sur Pierre-Bénite, de Sainte-Eugénie, sur Saint-Genis-Laval, de la Guillotière, pour les vieillards. Enfin, sous l’administration si remarquable de M. Sabran, qui en a été le principal bienfaiteur, un sanatorium magnifique pour les enfants scrofuleux du Rhône a été inauguré en 1892, à Giens, dans le Var, près d’Hyères et sur les bords de la mer.

Les Lyonnais de tous les temps ont manifesté leur générosité pour leurs hôpitaux, et ils sont fiers de l’administration particulière qui les régit.