Les aventures extraordinaires de deux canayens/02/X

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X

COMME QUOI LE MINISTÈRE FÉDÉRAL FUT MOMENTANÉMENT DANS DE MAUVAIS DRAPS.

Il est incontestable que les ministres doivent avoir parfois des problèmes difficiles à résoudre.

C’est là du moins ce que nous supposons car il est plus que probable que la grande majorité des lecteurs pas plus que l’auteur lui-même n’ont eu l’inconvénient d’occuper une de ces délicates fonctions.

Cependant nous pouvons nous faire une idée de la perplexité dans laquelle furent plongés les honorables ministres, tant ceux du gouvernement fédéral d’Ottawa, que ceux des différents gouvernements provinciaux, lorsque les détails de l’arrivée du Wawaron leur furent connus.

L’Hon. Sir Robert Borden, qui pourtant a déjà traversé avec succès d’inquiétants orages politiques, n’en fut pas moins très inquiété, lorsque ses agents, puis la presse toute entière, lui apprirent toute la vérité sans en omettre ni un mot, ni une virgule.

Il devint grave, se prit à réfléchir et envisagea les conséquences diplomatiques qui pourraient résulter de cet étrange événement. Il trouva même la chose si grave qu’il crut urgent de notifier le conseil des ministres, de le mettre en éveil sur ce qui pourrait résulter, et après avoir délibéré avec eux obtenir leur avis.

Le télégraphe et le téléphone opérant les législateurs ne tardèrent pas à se réunir.

Les honorables…

Les honorables étaient en délibération lorsqu’un huissier de service remit une enveloppe au Président du Conseil, qui, après en avoir pris connaissance, lut ce qui suit aux ministres ébahis :
Au Très Honorable Sir Robert Borden, K.C.M.G., etc… etc…

Premier Ministre de la Puissance du Canada.
Très Honorable Ministre,

Les visées de la Providence peuvent quelquefois sembler aux hommes étranges et incompréhensibles.

Il n’en est cependant pas moins réel et incontestable que le trône de l’Espace nous a échu, ceci par un de ces mystérieux décrets que la pensée humaine ne peut comprendre et encore moins expliquer.

Nous désirons placer les moyens formidables que nous possédons, c’est-à-dire notre puissante et incomparable flotte aérienne, au service du droit, de la justice et de la liberté des peuples.

La terrible guerre qui en ce moment bouleverse l’univers. n’a pas été sans avoir un grand et pénible retentissement dans l’Empire de l’Espace.

C’est pourquoi l’Empereur, suivant l’avis de ses ministres dont plusieurs sont nés sur le sol canadien, a cru manifester sa bonne et sincère amitié au gouvernement de la Puissance du Canada en lui demandant d’être son interprète auprès du gouvernement anglais et ceux des pays alliés, en outre la France pour qui il professe une fraternelle amitié, et leur offrir sa coopération aux mouvements des armées alliées.

Une réponse pourra être donnée à notre représentant officiel au Canada, l’Hon. Duval, de Montréal.

De par l’Empereur BAPTISTE 1er.

(Signé) ANTOINE, Duc de Ste-Cunégonde,
Ministre d’État.

(À bord l’auto-aérien Impérial « Le Wawaron ».)

Après avoir religieusement écouté la lecture de ce document, les honorables conservèrent tout d’abord le silence, puis après s’être regardés mutuellement, se prirent à parler tous à la fois. L’agitation devint telle que l’Honorable Robert Borden, avant de rétablir l’ordre, dut employer les arguments les plus convaincants de son répertoire, même que la sonnette en fut brisée.

Enfin, lorsque le silence fut rétabli et les esprits calmés, les questions suivantes furent mises devant l’assemblée exigeant une solution entière et formelle :

  1. Quel était cet Empire de l’Espace et où était-il situé ?
  2. Si existant, son gouvernement était-il reconnu par le concert des nations ?
  3. Certains ministres de ce soi-disant empire s’étant déclarés canadiens de naissance perdaient-ils par le fait d’avoir été nommés ministres d’un empire étrange, leur nationalité canadienne, et si non, ne tombaient-ils pas sous le coup des lois de la conscription militaire ?
  4. Si toutefois le prétendu Empereur de l’Espace était né sujet anglais, pouvait-il se déclarer souverain d’un État, celui-ci fut-il même inconnu, ceci sans l’autorisation du Conseil Impérial Britannique ?

Jamais dans l’histoire du Dominion des problèmes semblables avaient été posés. Ils pouvaient sembler de prime abord très simples à résoudre, mais suivant les circonstances très difficiles à élucider.

Il y avait de quoi réfléchir, la chose était d’autant plus sérieuse que l’on n’avait pas affaire à une vulgaire mystification, le Wawaron existant bel et bien, on l’avait vu à Montréal et à Londres, où il avait dispersé une flottille d’avions ennemis menaçant la Capitale.

« Mais que diable, s’ils n’avaient pas laissé savoir qu’ils étaient canadiens, personne ne l’aurait su, fit remarquer un ministre.

« Ils doivent avoir une raison pour cela, répondit Sir Robert.

Il avait rudement raison sans le savoir, Baptiste 1er et son ministre sachant pertinemment bien que leur incognito ne saurait durer éternellement, avait préféré opérer par les voies qui leur semblaient les plus naturelles. Allaient-ils se tromper ? Nous en jugerons.

Après réflexion, les ministres décidèrent d’un commun accord de soumettre la question au Conseil Impérial de Londres.

Le télégraphe fut mis en action, et un long câblogramme s’en alla estomaquer l’Honorable Lloyd George qui était à cent lieues de s’attendre à celle-là.

Il poussa un : “What do you think of that ?

Et défiant tous les sous-marins possibles et imaginables, il s’en fut « darder » à Versailles où le Conseil Central des Alliés se trouvait réunis.

Cela ne fut pas long, et ce qui fut décidé fut câblé à Ottawa :

1o Qu’avant d’être reconnu que l’Empire de l’Espace était tenu en demeure de faire connaître exactement sa situation géographique.

2o Que le Conseil des Puissances Alliées acceptait l’offre de service de la flotte de Baptiste 1er, et que celle-ci entrerait placée dans la sphère d’action des forces aériennes britanniques.

3o Que les unités occuperaient leur rôle d’escadre respectif, les grades des officiers conservant les mêmes prérogatives.

4o Que le choix était laissé au susdit Empire (?) soit de se rendre au désir des Alliés ou de rester neutre, dans ce cas les unités aériennes de l’Espace étaient priées de ne pas dépasser la limite des trois milles, distance réglementaire reconnue par la Convention Internationale de La Haye.

L’Hon. Robert Borden communiqua le câblogramme à ses collègues, et la réponse transmise à l’Hon. Philias Duval dans ses bureaux de la rue St-Christophe à Montréal.

Le bon Philias lut et relut à plusieurs reprises la réponse ministérielle, et n’y comprenant rien du tout il partit le jour même pour l’Île de la Barbotte Amoureuse afin de la donner à ses amis.

Nos amis attendaient dans le plus doux des « farniente », et l’arrivée de Duval fut saluée avec enthousiasme.

Baptiste Courtemanche lut à haute voix à ses amis le précieux papier, puis sans hésitation il leur dit :

« Il fallait s’y attendre, il y a dans tout cela beaucoup de bon mais aussi des points à considérer.

« Tu vois bien qu’on veut nous enrôler avec l’armée anglaise et qu’ainsi nous perdrions notre libre arbitre, s’écria le duc de Ste-Cunégonde avec rage.

« Oui, fit Duval, z’y prendraient tous les bénéfices et nous laisseraient que la peau.

« Qu’allons-nous répondre ? demanda Pelquier.

« Tout simplement, répondit Courtemanche, que leur demande sera portée devant les Chambres de l’Empire de l’Espace et qu’une réponse sera donnée aussitôt que le Conseil aura statué.

« Eh ben alors ! s’écria Pelquier, en v’là une bonne, et les Chambres éiousqu’elles sont ?

« C’t’histoire, répondit Baptiste, c’est pour gagner du temps voilà tout et pouvoir réfléchir tout à notre aise.

« Bravo ! j’comprends, s’exclama Titoine.

« Vous comprenez, vous autres, dit Duval ahuri, vous avez bougrement de la chance ; quant à moi, j’y comprends rien du tout.