Les aventures extraordinaires de deux canayens/02/XII

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Imprimerie A.-P. Pigeon (p. 93-96).


XII

DIPLOMATIE AÉRIENNE.

Il ne faut pas croire qu’il n’est que dans l’Empire de l’Espace que l’on ait fait de la diplomatie en l’air. Bien des gouvernements n’en ont jamais fait autrement et dans des situations bien moins scabreuses que celle dans laquelle nos amis se trouvaient.

Que faire ?

Que le lecteur se place pour un moment à la place de Baptiste Courtemanche. Certes s’il avait l’avantage d’être Empereur d’un Empire illimité, cet avantage, si avantage il y a, existant dans des circonstances peut-être uniques dans l’histoire des peuples.

Figurez-vous un souverain n’ayant pas de conseil des ministres à renouveler, des chambres à dissoudre, de discours du trône à prononcer, de taxes à imposer, des lois à promulguer et à faire observer, des tarifs et des impôts à faire payer, une armée à entretenir, des colonies à protéger et, oh ! comble des jouissances, pas de finances à équilibrer.

Certes tout cela c’était bien beau, trop beau même, et malgré tous ces avantages, Sa Majesté Aérienne broyait du noir. Quant au duc Titoine, il avait le « spleen ».

Puisqu’on ne voulait pas de lui, qu’on semblait lui chercher noise et que l’on mettait des conditions à ses offres de bon office, Baptiste 1er résolut de ne pas rester dans l’inaction et de faire la guerre pour son propre compte.

« Ça c’est ben correct, fit remarquer Pelquier, mais pour faire la guerre il faut des munitions et je ne crois pas qu’avec deux fusils de chasse on puisse aller bien loin.

« Laisse faire, répondit Baptiste, déclarons toujours la guerre, après quoi nous aviserons.

C’est ce qui fut fait.

Le Wawaron fut dirigé vers la Hollande et suivant leur bonne habitude ils déposèrent à l’adresse du gouvernement hollandais une enveloppe contenant des lettres devant être remises aux ambassadeurs d’Allemagne, d’Autriche, de Bulgarie et de Turquie. Cela n’était peut-être pas très orthodoxe au point de vue diplomatique, mais elles n’en causèrent pas moins toute une sensation considérable.

Guillaume II fit une sale tête, car après ses échecs successifs au front de l’Est il n’était pas en veine de plaisanter. L’Empereur Charles crut en faire une maladie, surtout après la raclée de la Piava, cela lui donnait une pilule difficile à avaler. Ferdinand de Bulgarie en eut la jaunisse. Quant au Grand Turc, il ordonna au Pacha Mustapha de faire surveiller le Sérail.


À Londres, ce fut de la stupéfaction.

À Londres ce fut de la stupéfaction, à Paris de l’étonnement, et à Ottawa, au Canada, le ministère Borden essuya une interpellation qui faillit avoir de graves conséquences. Philias Duval dut se réfugier dans son île de la Barbotte Amoureuse où il attendit que l’orage passa.

Alors il se passa dans la vieille Europe des choses qui passèrent peut-être inaperçues du gros public mais qui donnèrent à réfléchir aux autorités.

Voici quelques-uns de ces phénomènes que nous prenons au hasard parmi ceux qui furent signalés :

Les fils électriques placés par les Allemands sur la frontière belge-hollandaise furent coupés en maints endroits par des mains inconnues, ceci aussi mystérieusement qu’inexplicable. Des milliers de Belges purent ainsi chercher refuge en Hollande.

Une station de munitions fit explosion dans les environs d’Aix-la-Chapelle, détruisant un important dépôt de l’armée allemande.

Un vaste entrepôt des environs de Vienne, contenant de grandes quantités de blé, fut complètement détruit par un incendie dont l’origine ne put être connue.

Deux des grands canons allemands bombardant Paris furent mis hors d’usage d’une manière si mystérieuse que l’état-major prussien en resta tout baba. Puis ce fut l’amiral von Tirpitz qui se demanda comment il se faisait que ses sous-marins disparaissaient d’une façon prodigieuse.

Au premier abord on pourrait se demander ce que tout ceci pouvait bien avoir affaire avec l’histoire du Wawaron, mais lorsque l’on prend en considération que ni les Boches ni les Alliés pouvaient s’expliquer ces mystérieux événements, on est tout prêt à être convaincu que Baptiste Courtemanche et Titoine Pelquier ne devaient pas y être étrangers.

Les puissances belligérantes y perdaient leur latin et personne n’y comprenait rien.

Berlin cependant devait la trouver mauvaise lorsque l’introuvable « Libre Belgique » fit déposer suivant son habitude un exemplaire du journal sur le secrétaire du Gouverneur-Général à Bruxelles.

Ce journal « La Libre Belgique » restera dans l’histoire du journalisme comme un des étendards de la résistance à l’oppression. Tout ce que le militarisme prussien a pu faire pour l’anéantir a toujours échoué et lorsque le gouverneur allemand le croyait anéanti il renaissait le lendemain plus vivace que jamais.

Or ce matin-là le journal contenait l’article suivant :

« Le seigneur Méphisto n’est pas de la fête, lui qui pourtant avait toujours favorisé les idées dévastatrices de son cousin Hohenzollern, voir ce dernier dans son orgueil donner tout le crédit à Zeus. C’est suffisant pour faire damner le meilleur des diables d’entendre soir et matin l’Ingrat chanter sur tous les tons : « Gott mitt uns ». Aussi il s’en fut consulter les Enfers et en fit sortir le « Wawaron ».

Willie Boche en eut une attaque de nerfs, fit fusiller quelques civils, crucifier des religieuses, massacrer des enfants. Méphisto en rit sans doute, mais le lendemain la « Libre Belgique » occupait sa place habituelle sur le secrétaire du Gouverneur.

Après toutes ces aventures, les nations belligérantes d’un commun accord, et c’était la première fois qu’une entente semblable avait lieu depuis l’ouverture des hostilités. Il n’y avait pas à dire, il leur fallait arriver à une conclusion quelconque et savoir de quel bois le fameux Empereur de l’Espace voulait se chauffer. On fit donc, à défaut d’autres moyens de communications, mettre un peu partout des placards conçus en ces termes :

« Avis. — À l’Empereur de l’Espace, soit de se rendre aux conditions qui lui furent faites ou de rester neutre dans son Empire avec défense de descendre ou faire atterrir sa flotte sur aucun des cinq continents. »

Or comme un soir le Wawaron était descendu suivant son habitude et que ses conducteurs étaient allés chercher de l’eau fraîche, ils virent l’avis et purent en prendre connaissance.

« Eh ben, quoique t’en penses ? demanda Titoine.

« Montons toujours à bord du Wawaron, répondit Courtemanche, il va nous falloir prendre une décision. On nous met, comme on dit, au pied de l’échelle.