Les aventures extraordinaires de deux canayens/02/XV

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Imprimerie A.-P. Pigeon (p. 106-109).


XV

RETOUR AU BERCAIL.

Baptiste Courtemanche et Titoine Pelquier avaient terminé leur beau rêve et brusquement se retrouvaient face à face avec la réalité, non pas Gros-Jean comme devant, bien loin de là, ayant devant eux si non la richesse mais du moins une aisance facile qui assurait leur tranquillité future.

Mais il leur fallait songer aux conséquences que pourrait avoir leur escapade et envisager froidement ce qui en résulterait.

Nos amis philosophiquement se dirigèrent vers la civilisation, et Baptiste Courtemanche d’empereur devint général et conduisit la retraite qui sans être celle des Dix Milles ou voire même celle qu’opéra le Maréchal von Hindenburg, mais elle n’en avait pas moins ses difficultés.

Comme nous le savons, Baptiste Courtemanche était avant tout un homme d’action au caractère froid et résolu, habitué depuis longtemps aux difficultés et aux périls des explorations. Ce ne fut donc pour lui qu’un jeu de conduire son armée, pardon, son ami Pelquier vers Tadoussac, connaissant la topographie de cette partie du pays et sachant que c’était le meilleur moyen pour gagner Québec.

Ils avaient, comme nous le savons, des provisions pour plusieurs jours et leurs fusils pour se défendre en cas de danger. En plus, ils possédaient quelques milliers de dollars pour faire face aux éventualités.

Enfin, après une longue marche, après s’être reposés en route, ils arrivèrent à Tadoussac où ils se reposèrent en attendant le bateau qui devait les conduire à Québec.

Parlant peu, ils passèrent inaperçus, se mêlant à la foule qui ne les connaissait pas et qui était à cent lieues de se douter que ces deux hommes qu’elle prenait pour d’ordinaires voyageurs étaient ceux qui depuis longtemps avaient été le sujet de toutes les conversations.

Arrivés à Québec, ils descendirent dans un modeste hôtel, se firent raser, tailler barbe et cheveux et s’achetèrent des vêtements plus en rapport avec la position sociale qu’ils désiraient occuper.

Ils ne télégraphièrent pas à Duval, préférant le surprendre, et à cet effet prirent le train pour St-Barthélemy.

Philias Duval depuis près d’un mois était dans son île de la Barbotte Amoureuse où après avoir fait construire une habitation plus convenable il dirigeait les travaux d’un quai pour le yacht qu’il venait d’acheter.

Il était donc occupé à donner des instructions à ses ouvriers lorsque la chaloupe conduisant nos héros accosta à deux pas de lui.

En les reconnaissant, l’entrepreneur laissa tomber un marteau qu’il tenait à la main et ne trouva à leur crier que : Pas possible !

Mais il lui fallut se rendre à l’évidence lorsqu’il entendit la voix familière de Baptiste Courtemanche qui lui dit :

« C’est ben de même, nous v’là, lui dit l’ex-empereur en lui tendant la main.

« Vous v’là ! dit Duval d’un air hébété, d’éiousque vous sortez… et l’Wawaron !

« L’Wawaron, répondit Pelquier avec son plus gracieux sourire, c’t’histouère, mais il est à l’eau.

« À l’eau ! l’Wawaron à l’eau ! vous n’y pensez pas ! s’écria Philias estomaqué.

« Eh ben, répondit Titoine toujours souriant, quoi que vous trouvez d’emplissant d’vouère un Wawaron à l’eau, c’est son état que je sache.

« Non, là, vrai, Pelquier, tu veux m’emplir, s’écria Duval stupéfait.

« Non, ami Duval, Pelquier ne te blague pas, lui dit Courtemanche c’est la vérité vraie, viens je vais te raconter toute notre histoire.

Duval les conduisit à sa maison, leur servit un verre de whiskey que nos amis dégustèrent avec délice, et lorsqu’il furent confortablement assis l’ingénieur commença son récit. Sans rien omettre il lui fit la narration de tout ce que les lecteurs connaissent, enfin ce qui s’était passé depuis leur dernière entrevue.

Philias Duval écoutait tout à la fois ravi et stupéfait, ne sachant d’abord quoi dire, puis enfin se levant :

« Le principal est que vous soyez de retour en vie, bien portant, leur dit Duval, qu’importe le Wawaron et tous les empires fussent-ils même dans l’Espace, rien n’est perdu et avec du courage tout s’arrangera.

« D’autant plus que nous ne sommes pas à sec, ajouta Pelquier, nous avons de l’argent sans compter le montant que nous vous avons laissé.

« Parfaitement, et même que ce montant, ajouta Duval avec orgueil, je l’ai fait fructifier, j’ai spéculé à coup sûr et aujourd’hui je suis heureux de vous dire que je dispose pour notre association d’un capital qui nous met tous à l’aise jusqu’à la fin de nos jours.

« Cela est bien beau, mais le public, le gouvernement, que va-t-on penser de nous ? demanda Titoine Pelquier avec inquiétude.

« Oui, non seulement que vont-ils penser, mais aussi quelle conduite tiendront-ils à notre égard ? ajouta Courtemanche.

« C’est ce qu’il va falloir savoir, dit Philias Duval, mais je vais prendre ce soir même le train pour Montréal, j’irai à Ottawa si nécessaire, je scruterai le terrain, préparerai les esprits.

« Voilà ce qui s’appelle parler en monsieur, dit Pelquier, allez-y sans perdre de temps.

Après s’être préparé, avoir donné à ses amis plein pouvoir de rester sur l’île et leur avoir procuré le nécessaire, Duval partit pour St-Barthélemy et de là pour Montréal.

Si Philias n’était pas un homme instruit comme il le disait, il avait pour lui deux excellentes qualités : il était bon financier et débrouillard en affaires.

En arrivant à Montréal, il se rendit à son nouveau bureau de la Place d’Armes où son clerc lui montra triomphalement les éditions des journaux publiés dans les derniers jours. Il y lut des articles sensationnels relatifs aux exploits du Wawaron, la lutte homérique contre le sous-marin boche et la triomphante victoire qui avait sauvé le navire anglais.

En plus, les « extras » disaient que les gouvernements alliés étaient prêts à traiter d’égal à égal avec l’Empereur de l’Espace et lui donnaient toutes les latitudes voulues.

« Hélas ! pensa Duval, il n’y a plus de Wawaron, et de ce fait plus d’Empereur de l’Espace, que vais-je leur dire, comment sortir de là ?

Si Philias Duval sur bien des points était un naïf, il était avant tout un homme de bon sens, il trouva qu’il était préférable de traiter avec le bon Dieu qu’avec ses Saints, et sans perdre de temps il partit pour Ottawa.

Arrivé au Ministère il fit parvenir sa carte à l’Hon. R. Borden, en lui faisant dire qu’il était délégué du gouvernement de l’Empire de l’Espace.

Comme on le sait, Duval n’était pas inconnu dans les milieux parlementaires, il fut reçu, écouté, et avec sa bourgeoise bonhomie il conta aux ministres assemblés l’histoire des « Aventures Extraordinaires de Deux Canayens ».

Tous se levèrent enthousiasmés, émerveillés et firent télégraphier Duval à ses amis de venir immédiatement le rejoindre à Ottawa, que les ministres et délégués des Alliés désiraient entendre le récit de leur propre bouche.

Deux jours plus tard, nos héros étaient à Ottawa et cette fois Courtemanche put donner un compte-rendu exact de la découverte et des exploits du Wawaron.

Comme cela se conçoit, le télégraphe fut mis à la rescousse, Paris, Londres, enfin le monde entier y passa et non seulement nos héros furent excusés, mais en plus reçurent des distinctions honorifiques des différents gouvernements.

Le gouvernement du Canada ne voulut pas rester en arrière. Sir Baptiste Courtemanche devint un des directeurs du service aéronautique et il fut proposé une situation importante à Sir Antoine Pelletier.

Nos amis cependant ne voulurent pas donner une réponse immédiate aux offres qui leur étaient faites et revinrent à Montréal discuter de leurs plans pour l’avenir.