Les aventures extraordinaires de deux canayens/02/XVI

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Imprimerie A.-P. Pigeon (p. 109-112).


XVI

FINIS CORONAT OPUS.

Comme nous pouvons nous en douter, « Les Aventures Extraordinaires de Deux Canayens » eurent un retentissement colossal, non seulement au Canada, mais dans l’univers tout entier.

Tous les journaux voulurent publier leurs portraits et un photographe bien connu de Montréal paya à nos amis un fort montant pour avoir seul le privilège de faire et vendre leurs photographies. Celles-ci furent “copyrighted” et se vendirent par milliers.

Ceci ne fut pas le seul bénéfice que tirèrent nos héros, il y eut des cigares « Le Wawaron », des cigarettes « Les Délices de l’Empire de l’Espace », des corsets « Le Wawaron » supérieurs par leur légèreté, et comme le nom de « Wawaron » et d’« Empire de l’Espace » avait été breveté par la “French Canadian Aerial Navigation Co. (Limited)”, tout ceci emmena de l’eau au moulin.

Cela ne fut pas tout, un des plus grands éditeurs de New-York fit des offres à Baptiste Courtemanche pour publier ses mémoires, mais il ne voulut rien entendre à moins d’avoir la collaboration de Sir Titoine, ce qui fut accepté, et un contrat fut signé pour plusieurs milliers de dollars. Un impressario de Chicago vint les engager pour une série de conférences aux États-Unis et au Canada, puis ensuite en Europe, ceci pour l’après-guerre. Puis ce fut le tour des compagnies de cinématographes qui se les arrachèrent, enfin la préférence fut donnée à une des plus puissantes compagnies de New-York. Comme Courtemanche devait non seulement fournir le scénario et les deux amis, voire même Philias Duval, devaient être acteurs et devenir des célébrités cinématographiques, on comprend sans difficulté que des montants dépassant ceux jamais rêvés par Charlie Chaplin, Pearl White, Mary Pickford, Douglas Fairbank et les autres célébrités, furent dépassés au-delà de toutes expectatives.

Quant au brave Philias Duval, lui non plus ne restait pas en arrière, une Université de l’Illinois (É.-U.) lui décerna la distinction de L.L.D. Que pensez-vous de cela, ami lecteur, pour un homme qui n’était pas instruit et qui avait passé toute sa vie à faire dans la pierre ? Enfin, que voulez-vous, on a déjà vu plus fort que cela.

Les autres nations ne voulurent pas rester en arrière et toutes, sauf l’Allemagne, cela se comprend, les criblèrent de décorations.

Cependant Baptiste Courtemanche ne voulut pas accepter des positions gouvernementales, il préférait attendre et conserver son libre arbitre. Il en fut de même pour Titoine Pelquier qui ne voulut pas se séparer de son ami.

Ils étaient donc revenus à Montréal et étudiaient, avons-nous dit, leurs projets d’avenir, lorsqu’un beau matin — Horresco referens — une dame voilée se présenta au bureau de l’entrepreneur et demanda au garçon si elle pouvait parler confidentiellement à M. Philias Duval.

Le boy lui fit signe d’attendre et alla prévenir Duval qui était justement occupé à compiler des comptes relatifs à la French Canadian Aerial Navigation Co. (Limited).

Philias n’était pas habitué de recevoir la visite de personnes du sexe, aussi n’en fut-il pas légèrement étonné. Il se leva, jeta un regard dans un miroir pour voir si sa tenue était convenable (ceci est permis même à un entrepreneur ayant toute sa vie fait dans la pierre), puis il se dirigea vers la dame, lui fit une courtoise révérence et la pria de pénétrer dans son bureau et de prendre un siège à côté du sien.

« Monsieur, lui dit la dame lorsqu’elle fut assise, je sais que ma figure vous est inconnue et pour cette raison mes traits ne peuvent éveiller en votre mémoire aucun souvenir. Cependant, sachez, Monsieur, que je suis l’épouse d’un homme que vous connaissez, homme dont la réputation grandit chaque jour et qu’il me tarde de presser sur mon cœur.

Philias Duval, que cette harangue avait complètement stupéfié, se demandait s’il n’avait pas affaire à une hallucinée, lorsque soudain un bruit de voix vint lui fermer la bouche qu’il ouvrait pour parler.

Une voix criait :

« Eh ! Philias, éiousque t’es ?

Une autre voix ajouta :

« Nous v’là, c’est nous autres !

Ces derniers mots étaient à peine prononcés que la dame poussa un cri et courant à la porte elle l’ouvrit et recula stupéfiée.

Alors deux cris se croisèrent, un de joie, l’autre de terreur :

« Mon Titoine !

« Philomène !

Pelquier — car c’était lui — en apercevant Philomène Tranchemontagne (de Shawinigan), se retourna subito presto, voulut prendre la fuite mais ne le put pas, sa suave épouse s’était jetée à plat ventre et lui ayant entouré les jambes de ses bras enlacés :

« Titoine, disait-elle, peux-tu rester insensible à mes larmes, les accents de ma douleur ne toucheraient-ils pas ton cœur ?

« Femme, lui répondit Pelquier, éiousqu’y sont les serments prêtés aux pieds des autels, la fidélité dont à laquelle tu devais être à toute épreuve, ces dettes dont tu envenimais ma tranquilité, et enfin ce Télesphore Dumouchel avec lequel tu as pris la poudre d’escampette ?

« Télesphore Dumouchel ! s’écria Philomène en ouvrant les bras, ce qui permit à Pelquier de se remettre d’aplomb. Pourquoi prononcer le nom de ce malheureux qu’à la demande de ma tante je conduisais à Boston subir une opération dont il est décédé.

« Dumouchel est mort ! dit Pelquier.

« Oui, mort, répondit Philomène qui s’était relevée, et il m’a laissé sa ferme de St-Timothé et un bloc de maison dans le Faubourg Québec, sans compter des parts dans les P’tits Chars.

« Et pourquoi que tu me l’as pas dit plus tôt ? fit Pelquier subitement radouci.

« C’est parce que t’étais parti lorsque je suis revenu, et qu’y avait pas moyen de savoir éiousque tu étais. Tu comprends maintenant, mon Titoine, et tu pardonneras à ta femme éplorée.

« Vas-y, dit Courtemanche en poussant son ami dans les bras de sa femme.

« J’veux ben te crère pour cette fois, mais que ça recommence plus, fit Titoine en lui ouvrant les bras.

« J’te le jure, foi du Bon Yeux, répondit Philomène en se jetant dans les bras de son époux et le serrant dans ses bras.

Duval s’essuya les yeux et leur dit la voix pleine de larmes :

« Soyez heureux.

«  Alors Baptiste Courtemanche d’un geste théâtral étendant au-dessus de leurs têtes ses mains en signe de bénédiction :

« Per omnia saecula saeculorum.

« Amen, glapit le garçon de bureau.