Les cinq nièces de l’oncle Barbe-Bleue/Chapitre 10

La bibliothèque libre.
Charavay, Mantoux, Martin (p. 177-193).



CHAPITRE X


DÉCOUVERTES


Lorsque Valentine était entrée, seule, dans la chambre qu’elle avait baptisée du nom de « chambre au singe », elle était restée pétrifiée de surprise.

C’était pourtant la même grande pièce, fleurie comme une serre, avec ses palmiers, ses hauts camélias et ses mimosas ; décorée d’images et de chromos, et parsemée de jouets et de livres. Le singe gambadait sur le dos d’un fauteuil en faisant entendre son petit cri strident ; le perroquet sur son perchoir, battait des ailes, et criait comme la première fois à la vue d’une personne étrangère : « Anda, Anda. »

Mais la chambre n’était plus vide.

Une négresse lippue, coiffée d’un madras écarlate, jouait du banjo au pied de la chaise longue. Ses yeux brillaient sinistrement, pensa la petite fille, reconnaissant en elle le fameux diable qui les avait tant effrayées au grenier, et ses dents blanches éclataient comme pour mordre, dans le noir de sa face.

Valentine faillit reculer d’horreur.

Mais déjà, la négresse s’était levée. Une grimace, qui voulait être un sourire, l’illuminait, et ses gestes étaient si expressifs que la fillette comprit qu’elle était la bienvenue, et qu’elle cessa d’avoir peur. D’ailleurs, cette chaise longue, sur laquelle cet être bizarre semblait veiller, était occupée, et bientôt Valentine ne vit plus qu’un enfant de quatorze ou quinze ans, au teint basané, aux yeux noirs pleins de feu, largement fendus en amande.

C’était bien « le prisonnier » qu’elle avait cru entrevoir la veille, derrière les persiennes entr’ouvertes, avec ses boucles noires et son air maladif. Il portait une sorte de costume oriental qui le rendait plus étrange encore, et, malgré la chaleur, un châle léger couvrait ses jambes étendues.

En apercevant Valentine, le jeune garçon se souleva légèrement sur ses coussins, et, un peu embarrassé, lui tendit la main :

« C’est vous qui m’avez écrit ? lui demanda-t-il avec un accent étranger assez prononcé, c’est vous qui désirez me connaître ?

Trop émue pour parler, elle fit un signe de tête affirmatif.

— Que vous êtes bonne !

Buona, répéta la négresse, la bouche fendue jusqu’aux oreilles par un rire de bonheur.

— Je ne vous fais donc pas horreur ? poursuivit le jeune garçon.

— Et pourquoi me feriez-vous horreur ? s’écria Valentine, perdant toute fausse honte.

— Je ne suis pas comme les autres : mon teint, mes cheveux, mon…

— Mais moi non plus, je ne suis pas comme les autres, interrompit la petite fille. Voyez mes cheveux rouges et ma figure couverte d’affreuses taches de rousseur. Ces demoiselles s’en sont assez moquées. À la maison, je n’y pense pas parce qu’on y est habitué, mais j’en ai assez souffert depuis que je suis ici !

— Alors, vous me comprenez ?

— Pas du tout.

À cette réponse inattendue, l’étranger se mit à rire, d’un joli rire frais, argentin, auquel la négresse fit écho, toute heureuse d’entendre rire « son chérubin. » Il n’en a pas fait autant depuis plus d’un an, pensait-elle, en sortant sans bruit.

— Certainement, affirma Valentine. De quoi vous plaignez-vous ? c’est très original d’avoir l’air… exotique.

— Ah ! vous trouvez ?

— Et c’est très joli d’avoir des yeux noirs, ajouta triomphalement la fillette.

— J’aime bien mieux les yeux bleus, comme les vôtres, dit gentiment le jeune garçon.

Puis, avec un soupir, désignant sa chaise longue :

— Et vous croyez que c’est gai d’être cloué là ?

— Pauvre prisonnier ! s’écria Valentine. Mais maintenant, vous n’êtes plus seul, car je suis prisonnière aussi.

Et elle lui raconta comment elle avait encouru la disgrâce de l’Oncle en voulant le délivrer.

— Mon père ne pourra pas vous en vouloir longtemps, dit l’enfant.

Votre père !

— Eh bien, ne saviez-vous donc pas qui j’étais ?

— Comment ! vous êtes le fils de l’oncle Maranday !

— Mais oui, et par conséquent je suis votre cousin, Mademoiselle ?… vous savez que j’ignore votre nom, quoique je vous connaisse bien de vue.

— Je m’appelle Valentine.

— Et moi, Luis… Eh bien ! pourquoi restez-vous silencieuse ? est-ce mon nom qui vous déplaît ?

Et ombrageux, susceptible :

— Vous voyez bien qu’on ne peut pas m’aimer longtemps, et que j’ai raison de rester caché ! voilà déjà que je vous ennuie.

— Quelle idée !

— Alors, pourquoi vous taisez-vous, ma cousine ?

— C’est que je ne comprends pas pourquoi l’Oncle s’est montré si dur pour son fils.

— Mon père est le meilleur des pères ! s’exclama Luis avec un éclair dans les yeux.

— Et pourtant, il vous tient enfermé.

— Mais ce n’est pas lui.

— Qui donc alors ?

— C’est moi qui ne veux pas sortir. Est-ce qu’on se montre aux gens quand on est un objet de pitié ou de dégoût ? Oh ! je hais tout ce qui est beau ! s’écria l’enfant sauvagement, tout ce qui me rappelle ce que j’étais autrefois, et ce que je ne serai plus jamais !… par ma faute… Allez-vous-en, Valentine. Je suis méchant, la souffrance aigrit les meilleures créatures. Allez-vous-en, vous dis-je, et laissez-moi à ma solitude. »

Puis, dans un accès de désespoir, il se cacha la figure dans les mains et éclata en sanglots.

Valentine, pleurant aussi par pure sympathie, ne savait que faire devant un pareil chagrin. Elle eût donné tout au monde pour soulager Luis. Mais que lui dire pour le calmer, pour lui montrer sa sympathie ? elle sentait instinctivement dans sa délicatesse qu’il est des douleurs profondes qu’une main amie peut à peine effleurer. Elle avait l’intuition d’être en présence d’un enfant plus malade encore au moral qu’au physique, et craignait qu’un mot trop direct vînt tout gâter. Un mouvement brusque avait fait glisser le châle qui recouvrait les pieds de Luis, et Valentine avait aperçu une pauvre petite jambe déformée, maintenue dans un appareil. Voilà donc le mot de l’énigme, voilà le secret de la captivité de l’enfant, et des tristesses de l’Oncle, et de son antipathie inexplicable pour les garçons bien portants.

Valentine s’approcha de Luis, et remettant délicatement le châle en place :

« Luis, dit-elle, mon cher petit cousin, écoutez-moi.

— Non, non, je déteste tout le monde ! j’exècre tous ceux qui sont heureux et beaux !…

— Vous ne pouvez pas me détester, moi, qui suis laide et malheureuse.

À cet argument extraordinaire, le désespéré se décida à montrer de nouveau sa figure :

— Vous n’êtes pas laide du tout, affirma-t-il en souriant malgré lui. Et pourquoi seriez-vous malheureuse, vous ?

— Parce que mes bons parents et mes chers frères sont à Paris, et que je ne suis jamais heureuse loin d’eux.

Fausse manœuvre. Le visage de Luis se contracta.

— Vous les reverrez bientôt, dit-il brusquement, moi je ne reverrai jamais les miens, et je ne suis qu’une ruine. Partez Valentine, je veux être seul !…

Valentine insista.

Lui pressant doucement la main :

— Il faut bien que vous me permettiez de rester ici, lui dit-elle, car je me suis fait punir à cause de vous. Je suis en prison maintenant. Où irais-je, Luis, si vous me renvoyiez ? Causons encore, voulez-vous ?

L’enfant ne répondit pas. Valentine poursuivit :

— J’ai tant de sympathie pour vous, si vous saviez ?

— Personne ne m’aime !

— Laissez-vous aimer, s’écria Valentine, et vous ne manquerez pas d’amis. Rien qu’ici, nous sommes cinq qui ne demandons qu’à vous rendre heureux. Quant à moi…

— Vous auriez de l’amitié pour moi, vous ?

— J’en avais avant de vous connaître, et j’en ai cent fois plus à présent que je vous ai vu. Mes frères me manquent tant ! Voulez-vous être mon cinquième frère ?

— À quoi bon, vous ne resterez pas toujours ici.

— Je pourrais vous emmener avec moi à Paris, s’écria Valentine, emportée par son désir de consoler Luis. Ma mère est si bonne, elle vous gâterait bientôt plus que nous, parce que vous avez plus besoin d’affection. Et mon père ! il vous apprendrait à peindre comme lui.

— Il est artiste ? demanda Luis, visiblement intéressé.

— Oh ! je crois bien ! Il a un grand talent, répondit Valentine avec un soupir.

Ce fut au tour de Luis de lui demander pourquoi elle soupirait.

— C’est que les tableaux, cela ne se vend pas comme on veut, avoua la fillette. Nous sommes très fières de papa, maman et moi, ajouta-t-elle en vraie petite femme.

— Je les lui achèterai, moi, ses tableaux, s’écria Luis, papa ne me refuse rien.

Le petit singe ayant sauté sur les genoux de son maître, celui-ci le repoussa d’un geste brusque. Mais Valentine le rappela :

— Ne le renvoyez pas, mon cousin, s’écria-t-elle, j’aimerais à le voir de près, ce joli animal. Comment l’appelez-vous ?

Benito. Vous aimez les singes ? Je croyais que tout le monde ici les détestait. Viens, Benito. Que de fois il m’a distrait par ses tours. Il est si drôle.

— Geneviève en serait folle, dit Valentine en le couvrant de caresses.

(Elle allait dire Lolo au lieu de Geneviève, mais son bon sens lui souffla de ne plus parler de jeunes garçons actifs à ce pauvre petit infirme.)

— Laquelle est-ce, Geneviève ? demanda Luis.

— La petite rouge aux cheveux noirs.

— Celle qui a une robe rouge la plupart du temps, voulez-vous dire ? Je sais bien qui elle est, maintenant. Je ne vous connais pas par vos noms, mais je vous ai bien souvent regardées quand vous jouiez au jardin, allez !

— Il fallait venir jouer avec nous, dit Valentine imprudemment.

— Est-ce que je puis jouer, moi ? riposta rudement Luis.

— Bien sûr ! à votre place, je ne m’ennuierais pas un instant.

— Je voudrais vous y voir.

— Oh ! je sais ce que c’est. Je me suis fait une entorse l’an passé et je suis restée six semaines sans pouvoir marcher, mais…

Elle faillit ajouter : « mais j’avais mes frères. »

— N’est-ce pas que c’est abominable, lui dit Luis, de plus en plus attiré vers elle par cette similitude.

— Si je pouvais en avoir une aujourd’hui même, pour vous donner ma place au soleil, je le ferais bien volontiers.

— Bonne petite Valentine !…

Mais Luis fronça le sourcil.

Il n’était pas facile d’agir avec lui, car sa fierté se révoltait à l’idée d’être plaint.

— Vous avez une jolie chambre, dit la fillette pour changer de sujet, et elle en fit le tour.

Elle s’arrêta un instant devant la fenêtre, qu’elle ouvrit toute grande pour laisser entrer le soleil.

Luis la laissa faire, oubliant qu’il avait juré de vivre caché, et dans les ténèbres. Mais il la rappela bientôt :

— Parlez-moi du temps où vous aviez votre entorse. Que faisiez-vous ?

— Oh ! mille choses. On a ses livres, ses devoirs… Vous travaillez aussi, n’est-ce pas ?

— Oui, j’ai un précepteur, qui est en même temps mon médecin.

— Cet Anglais aux gros favoris ?

— Tout juste. Il est absent depuis deux jours. Je ne l’aime pas. Et puis, c’est si ennuyeux de travailler seul.

— Pourquoi ne concourez-vous pas avec les élèves des lycées, c’est bien plus intéressant. On n’a pas besoin d’assister aux classes pour cela. Pendant mon entorse, on m’envoyait toutes les compositions. Comme vous devez être savant, si vous avez lu tous les livres qui sont ici ! ajouta-t-elle sur un ton d’admiration naïve.

Luis rougit, mais il ne laissait pas que d’être flatté de la haute opinion qu’on avait de lui.

— Vous aurez tous les prix l’an prochain, lui dit Valentine, très affirmative.

Son cousin se promit de mériter ces éloges anticipés.

— On ne peut pas toujours travailler, reprit-il comme un enfant gâté qu’il était.

— Mais on joue aussi.

— À quoi ?

— Aux dames, aux dominos, aux cartes, aux jonchets…

Luis fît un mouvement d’impatience.

— C’est toujours la même chose.

— Je vous amènerai Geneviève. Elle est si drôle qu’elle vous forcera à rire, même quand vous n’en aurez pas la moindre envie. Les jeux les plus rebattus vous paraîtront nouveaux avec elle.

— Je vous ai déjà dit que je ne voulais voir personne. Je ne peux pas supporter les étrangers, répondit Luis, mais plus faiblement que la première fois.

Enhardie par ce demi succès, Valentine poursuivit :

— D’ailleurs, vous nous avez regardées de loin, et nous ne sommes plus des étrangères pour vous. Soyez gentil, aidez-nous de vos conseils, vous nous serez si souvent utile.

— Comme juge, quand la petite brune triche, par exemple ?

— Toujours, affirma Valentine.

— Je voudrais bien savoir en quoi ? demanda-t-il incrédule.

— Vous serez notre arbitre dans les cas difficiles, notre conseiller extraordinaire, le public, quand nous voulons jouer des charades.

Il se mit à rire :

— Je représenterai le public à moi tout seul ?

— Certainement. Vous sifflerez et vous applaudirez tour à tour. Enfin, vous nous aiderez à écrire et à jouer notre comédie, cette malheureuse comédie que nous ne jouerons jamais si vous ne vous en mêlez.

— Vous avez une comédie en train ?

— Oh ! en projet seulement. Il y a un rôle pour vous, tenez.

— Vous vous moquez.

— Pas le moins du monde. Si nous jouons Jeanne d’Arc, il nous faut un roi, vous ferez un Charles VII superbe.

L’entrée de la négresse, portant un plateau chargé de fruits et de bonbons, l’interrompit.

Valentine raconta à Luis la frayeur que celle-ci leur avait causée, et il rit de bon cœur.

— Ma bonne Chiquita, ma nourrice, ne ferait pas de mal à une mouche. Elle vous adore déjà parce qu’elle devine que nous sommes amis.

Ainsi, ils étaient amis ! Valentine rayonnait.

— Nous allons faire la dînette, dit Luis en faisant signe à la négresse d’approcher le guéridon de sa chaise longue.



Valentine demanda à partager le goûter avec Benito et Kiki, le perroquet. On leur donna à chacun une chaise, et Luis prit plaisir à remplir l’assiette de sa cousine, qui, de son côté le comblait de petits soins, tandis que la négresse veillait sur eux, plus hideuse que jamais dans ses efforts pour être gracieuse.

— C’est très gentil de vous avoir pour convive, déclara Luis. Je vous permets de revenir me voir aussi souvent que vous voudrez, mais je vous défends de parler de moi aux autres, ni de jamais m’amener aucune de vos compagnes.

Ce fut ce moment que Geneviève choisit pour venir s’asseoir sur le rebord de sa fenêtre.

En voyant Valentine, qu’elle croyait à demi-morte, paisiblement assise entre un singe et un perroquet, servie par le « diable » du grenier, et engagée dans une conversation animée avec un jeune garçon inconnu, au teint olivâtre, aux allures étranges, Geneviève avait d’abord poussé un cri de surprise, auquel en répondirent trois autres quand elle vint rouler comme une balle au milieu de la chambre.

Cette manière d’entrer chez les gens sans crier gare, à l’instant même où ils déclaraient ne vouloir voir personne, était si drôle, que Luis se mit à rire de bon cœur, une fois la première surprise passée.

— Quand je vous disais que Geneviève n’avait pas sa pareille ! s’écria Valentine.

On s’expliqua de part et d’autre. Comment Luis aurait-il pu résister à la franche gaîté de Geneviève ? Comment aurait-il pu avoir la cruauté de la mettre à la porte, quand elle arrivait avec l’intention de sauver son amie Valentine, et par contre-coup « le prisonnier » ?

Je laisse à penser si l’on rit de la frayeur des fillettes et de leur projet de fuite. Luis s’indigna fort, puis s’amusa beaucoup de l’idée de transformer en Barbe-Bleue un père chéri, qui n’avait d’autre défaut que de trop aimer et trop gâter son fils unique…

Geneviève très fine, avait vite deviné la situation. Son entrain ordinaire, joint à une petite pointe de sentiment qui la rendait tout à fait irrésistible, eut bientôt séduit Luis. Elle mettait une telle animation dans cette chambre jadis silencieuse, que c’était à ne pas la reconnaître. Elle fut bientôt intime avec Benito et Kiki, ainsi qu’avec la dévouée Chiquita, qui ne lui fit pas longtemps peur.

Valentine, reléguée au second plan, était trop peu égoïste pour s’en apercevoir. Elle reprenait son rôle effacé, tout heureuse quelle était d’avoir réussi à apprivoiser son cousin, dont elle avait fait la conquête. Luis ne perdait pas une occasion de lui parler comme à une vieille amie.

Lorsque M. Maranday, très anxieux de connaître le résultat de sa petite expérience, entr’ouvrit la porte de la chambre de son fils, il resta stupéfait. Luis, une main dans celles de Valentine, riait aux éclats de voir Geneviève danser avec Chiquita une bamboula de la plus haute fantaisie.



— Comment Geneviève se trouve-t-elle là ? s’écria l’Oncle, d’autant plus surpris qu’il avait eu tout le temps dans sa poche la clef de l’appartement.

On lui désigna la fenêtre.

— Nous autres filles de soldat, lui dit fièrement l’espiègle, nous prenons d’assaut les places fortes. Nous sommes ici, Valentine et moi, et nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes… à moins que Luis n’en sorte avec nous. Vous entendez, Luis, maintenant, vous êtes des nôtres.

Et comme le jeune garçon semblait repris d’un accès de sauvagerie orgueilleuse :

— C’est chose entendue, mon oncle, poursuivit-elle, nous avons partagé le goûter de Luis à condition qu’il vienne souper avec nous. Ce sera épatamment amusant. Nous ne dirons rien à ces demoiselles, et vous me laisserez arriver la première avec Benito dans mes bras, et Kiki sur mon épaule, comme Robinson dans son île. Mon oncle me prêtera un de ses grands feutres pour compléter la ressemblance… Oh ! la tête de ces demoiselles ! ce sera à se tordre. Eh bien, vous ne dites rien, Luis ? mais parle-lui donc, Valentine.

— Mon cousin, je vous en prie… Cela me ferait tant de plaisir, et à mon oncle aussi, dit Valentine de sa douce voix.

— S’il ne veut pas, déclara Geneviève, je cours chercher ces demoiselles, et nous faisons irruption par le chemin que j’ai pris tout à l’heure… une véritable invasion de barbares ! Rendez-vous sur l’heure, mon cousin, nous sommes plus nombreuses que vous, il n’y a pas de déshonneur à vous avouer vaincu.

— À quoi bon me laisser tenter ? murmura Luis à l’oreille de Valentine, je ne puis plus jamais être heureux.

— Mais vous pouvez rendre tout le monde heureux autour de vous, répondit Valentine sur le même ton, votre père, nous, Chiquita et bien d’autres.

Il resta un instant pensif :

— Vous m’apprendrez, Cousine, lui dit-il bien bas.

Geneviève s’impatienta :

— Ah ça, qu’est-ce que vous avez à chanter tous deux, dans votre petit coin ? À moi, mon oncle ! nous allons rouler de gré ou de force cette chaise longue au salon, et Luis tiendra cour plénière toute la journée pour recevoir ces demoiselles… Mais, j’y pense, le courrier est-il passé ? si nous n’y prenons garde, elles se seront envolées vers Paris.

Mlle Favières aura mis bon ordre à leurs projets, répondit M. Maranday. Puis, tout ému, réunissant dans une même étreinte son fils et Valentine, il murmura : « que Dieu vous bénisse, ma chérie, pour le bien que vous avez déjà fait à mon cher petit Luis… »

— J’ai trouvé une petite sœur d’adoption, dit Luis, les deux bras autour du cou de son père.

— Et moi un autre frère…

— Pour qui me comptez-vous ? s’écria Geneviève. Je veux aussi ma part de caresses et d’affection. Moi qui n’ai pas de frères, j’ai droit « à un peu de Luis » déclara-t-elle, comme si son petit cousin eût été une exquise chose à partager entre elles deux.