Les délices du Pais de Liége/Preface

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PREFACE


Si je ne conſultois que le titre de cet Ouvrage, je me garderois bien de reculer le plaiſir du Lecteur en tirant moi-même le rideau ſur les Tableaux agréables que je lui préſente. Quelque utile & même néceſſaire que ſoit la Préface d’un livre, c’eſt pour bien des gens un Frontiſpice dégoutant, ſur lequel ne jétant que des yeux de mépris ou du moins d’indiférence, ils la paſſent d’une courſe rapide, & légére, comptant perdus, les momens qu’ils donnent à la lecture d’un diſcours inſipide.

Ce goût eſt aſſés général, je le ſai ; il eſt l’éfet ſenſible de tant de Préfaces ennuiantes, qu’une infinité d’Auteurs ont mis à la tête de leurs Ouvrages, qui n’ennuient pas moins. Cependant ce goût fut-il même univerſel, point d’Auteur qui puiſſe ſe diſpenſer de l’entretenir. Redevable à ſes Lecteurs, il eſt obligé de leur rendre raiſon de la conduite qu’il a tenuë dans ſes Ouvrages. Créanciers autant rigides que juges impitoiables  ; ils en exigent un prélude qui eſt tout à la fois l’objet de leur ennui & de leur critique. Et ſi pour ſe prêter à leur goût, il s’épargnoit le ſoin d’en faire, il paſſeroit pour un Pilote téméraire qui auroit l’imprudence de les embarquer ſans bouſſole.

De tous les Ouvrages qui voient le jour, j’oſe dire que celui-ci ne peut ſe produire, que ſous les auſpices d’une Préface. Les matiéres que j’y traite ſont ſi diférentes, que je n’ai pû les parcourir d’un pas égal. Et tantôt avec des guides, ſouvent guidé par la ſeule imagination, que je n’ai pas des plus fecondes, il m’a falu fournir une pénible carriére. M’étant propoſé de plaire à tout le monde & de ne déplaire à perſonne, je laiſſe à juger de la ſituation auſſi délicate qu’embarraſſante où je me ſuis trouvé.

L’embarras n’eſt certainement pas médiocre, lors qu’il faut concilier les Hiſtoriens du Pais qui ont écrit ſi diverſement, ſouvent même avec contrariété & preſque toujours d’une maniére ambiguë. Pour y réuſſir je n’ai pû me diſpenſer de conſulter les Auteurs étrangers, où les faits étant quelquefois mieux traités dans leurs circonſtances & dans leurs époques, j’ai trouvé des points fixes auxquels je me ſuis arrété : après les avoir épurés par une critique judicieuſe, je les ai établis pour fondemens de l’Edifice que je me propoſois d’élever ſur leur ſolidité. Ne voulant pas bâtir ſur des fondemens ruineux, je ne me ſuis pas permis de copier leurs palliations & leurs erreurs : & ſcrupuleux pour la pureté des traits que j’en ai emprunté, j’ai taché de puiſer dans quelques autres ſources qui m’ont paru plus pures. Aiant ainſi ménagé la prudence, je n’ai pas lieu de craindre la cenſure. Je n’ai rien mis du mien & je n’ai rien haſardé ſur la foi d’autrui : & quoique la candeur ait été mon guide, elle s’eſt bornée à travailler ſur des faits ſans les alterer, mais auſſi ſans les acompagner de circonſtances qui auroient pû méler de l’amertume aux Délices dont je voulois ragoûter l’eſprit des Lecteurs.

Cet Ouvrage étant Hiſtorique, Chronologique & Critique dans ſes fondemens, & Topographique dans le reſte, on conçoit aiſément qu’il exige autant de diférens ſtiles. Il faut que les couleurs & les pinceaux ſoient proportionés à la délicateſſe des peintures. Le même inſtrument ne peut ſufire aux diferens traits d’un chef-d’œuvre.

La narration des faits hiſtoriques a exigé un ſtile tranquile, capable d’inſtruire doucement le Lecteur. La critique que j’ai eu lieu d’en faire a dû être plus agitée & plus vive. J’y ai emploié tout ce que j’ai de force pour faire ſentir la vérité. En tout ce qu’il y a de chronologique, j’ai taché de lier le diſcours dans toutes ſes parties, par une juſte convenance des unes aux autres. Évitant de donner à cette liaiſon une ennuieuſe égalité, je la fais couler par diférens détours & ſans interruption, comme un ruiſſeau dans ſon cours, & toûjours atentif à amuſer agréablement le Lecteur, j’ai tenu le milieu entre la froideur & la puérilité. Je me ſuis renfermé dans les bornes du ſtile ſimple & naturel.

Celui que j’ai emploié dans les Tableaux que j’ai fait des monumens ſacrés & profanes, eſt tout diférent. Ne pouvant m’éloigner de l’ennuieux & du froid, ſans donner l’eſſor à mon imagination, & pour éviter également l’afectation & le galimatias, j’ai cru devoir rendre le Lecteur atentif, en mettant dans un jour gracieux les objets qu’il m’a falu peindre. Loin de repandre dans les deſcriptions que j’en ai fait, tout ce que les pavots ont d’aſſoupiſſant, je me ſuis ſervi des plus vives expreſſions pour réveiller le Lecteur ; ſachant bien que l’admiration commence à naître dans l’eſprit par l’eclat & la nobleſſe des termes qui le frapent. La plupart des objets que la nature & l’art m’ont préſenté, ſont eux-mêmes ſi frapans, que j’en aurois enervé les beautés ſinguliéres, ſi je les avois décrits d’un ſtile bas ou médiocre. En un mot, je n’ai point altéré la vérité, & ſi je ne l’ai pas peinte toute nuë, je ne lui ai du moins donné que des ornemens propres à plaire : peut-être que ſi elle en étoit dépourvûë, ceux qui profeſſent de l’aimer, ne la jugeroient pas digne d’un coup d’œil.

Le ſuccès avec lequel les Délices de France, d’Italie, des Païs-Bas & d’autres ouvrages de ce goût, ont été reçus du Public, m’a inſpiré de travailler aux Délices que je lui préſente. La Principauté du Païs de Liége qui en eſt le ſujet, étant une des plus belles Contrées de l’Europe, eſt certainement digne des curieux. Si ſa ſituation, ſon Climat, la fertilité de ſon terrein abondant en toutes ſortes de denrées néceſſaires ou utiles à la vie, procure l’aiſance à ſes habitans, les beautés repanduës ſur les rivages des Rivieres qui l’arroſent, l’aſpect charmant des Montagnes, couronnées de Bois ; des orgueilleux Rochers & des graſſes Valées, quantité de Châteaux remarquables ou par leur antiquité, par leur aſſiéte, ou par leur beauté ; & de magnifiques Maiſons de plaiſance avec des dehors où l’art n’a rien ménagé, ne réjoüiſſent pas moins les yeux. L’eſprit y voiant des Antiquités diſperſées dans un grand nombre d’Inſignes Chapitres, de célébres Abaïes & de Monaſtéres d’Hommes & de Filles de diférens Ordres, y trouve un égal agrément. Il n’eſt pas moins utilement amuſé par les circonſtances des fondations des Villes, de leur gouvernement & du commerce de leurs Habitans. En un mot, les Curieux peuvent non ſeulement voiager dans cette Principauté en liſant cet Ouvrage, ſans ſortir de leurs Cabinets ; mais encore s’instruire auſſi exactement que de vive voix, de tout ce qui s’y eſt paſſé de conſidérable avant les Romains, & depuis ces Maitres du monde, juſqu’à nous.

L’idée que je donne de l’ancien état du Païs n’eſt pas longue. Je ne me ſuis pas érigé en Historien ; mais toute préciſe quelle eſt, je me flate de l’avoir donnée juſte. Je n’ai pû m’en diſpenſer, pour établir mon Ouvrage ſur un ſolide fondement.

Si j’ai touché quelque choſe des mœurs des Peuples du Païs, de ſes révoltes & des troubles qu’ils ont ſuſcité ; des guerres & des meſures qu’ils ont pris pour conſerver ou étendre la liberté, ce n’eſt qu’avec beaucoup de circonſpection & toûjours en des termes peu favorables à ceux qui peuvent exciter des déſordres dans un État. Je les raconte d’un ſtile à ne point en autoriſer le projet ni l’exécution. Cependant je n’ai pû, ſans me rendre coupable d’injuſtice & de partialité, couvrir du ſilence une infinité de leurs heroiques actions, ſous des Chefs d’une rare valeur, qui les a fait contrebalancer celle du plus grand des Heros Romains.

L’établiſſement de la Religion chrétienne faite dans ce Païs, preſque auſſitôt que dans Rome, m’a donné lieu de mettre ſous les yeux du Lecteur le merveilleux progrès, que l’Évangile y a fait avec autant de promtitude que de ſolidité ; j’y donne en conſéquence une Chronologie exacte & recherchée des premiers Évêques qui l’ont prêché & établi, & de leurs Succeſſeurs, qui en ont conſervé la pureté juſqu’à GEORGE-LOUIS DE BERGUES, Prince Regnant, qui bien loin de dégenerer de leur zéle, le prend pour régle de ſon Gouvernement.

Tous ces évenemens également frapans, & qui ne ſe trouvent réunis dans aucun Ouvrage, ne piquent pas ſeulement la curioſité du Lecteur ; mais encore étant peints dans un ſeul tableau, ils ſe préſentent, pour ainſi dire, d’un coup d’œil, ſans donner la peine d’en faire des recherches dans un ſi grand nombre d’Auteurs. Les notes préciſes dont j’ai éclairci les faits qui paroiſſent obſcurs ou douteux, lui ménagent le tems qu’il faut pour puiſer dans les ſources. Les faiſant couler juſqu’à lui par des canaux très-purs & dignes de ſa confiance, j’ai travaillé ſans perdre de vûë le titre de ce Livre, pour que le plaiſir qu’il y doit goûter, ſurpaſſe la peine. Les roſes y ſont ſans épines.

Les Régles de la Langue Françoiſe étant décidées au ſujet des noms trop éloignés de ſon génie, je les ai ſuivies autant qu’il m’a été poſſible. Pour éviter de tomber dans le barbariſme, que notre Langue ne pardonne point, j’ai donné un air françois à ceux que j’ai pû traveſtir ſans les défigurer : & je laiſſe dans le goût du Païs, ceux qui ne ſont pas ſuſceptibles de la Régle.

Aux Deſcriptions des Égliſes Colégiales & Paroiſſiales, des Monaſtéres, des Hôpitaux & des Maiſons publiques, j’ai crû devoir joindre les Époques des fondations, les Priviléges & tous les Droits honorifiques dont ils joüiſſent. On y trouve une fidéle citation des Bulles des Souverains Pontifes, des Donations des Évêques-Princes de Liége & de tous les Particuliers qui par une heroïque libéralité en ont mérité le titre de Fondateur & de Bienfaiteurs. Je ne laiſſe rien à déſirer au Lecteur que l’inſipide prolixité, qui m’auroit fait ſortir des bornes que m’aſſigne cet Ouvrage.

Quant à celles des Châteaux & des Maiſons particuliéres, je ne fais que ſuivre les Mémoires qui m’ont été fournis par les Propriétaires. Et ſi on eſt ſurpris d’y trouver les Titres de quelques-uns & quelques Généalogies, je n’ai pu me refuſer à leurs deſirs. Il eſt naturel que je contribuë à leur ſatisfaction particuliére, dans un Ouvrage où je ne néglige rien pour plaire au Public.

Le Païs de Liége, qui fait le ſujet de cet Ouvrage, a été partagé en cinq Contrées. Cette diviſion m’a paru aſſés naturelle. Chaque Contrée remplira un Volume comme celui-ci. Il contient une Idée générale de la Principauté & de ſon étenduë. Une Chronologie abregée de tous les Évêques-Princes qui y regné depuis St. Materne juſqu’au Prince Regnant. On y trouvera la Deſcription de la Capitale du Païs ; ſa Situation, ſa Fondation & ſon Acroiſſement ; les Mœurs de ſes Habitans, ſon Gouvernement & ſon Commerce : on y donne encore une idée ſuccinte des Magiſtrats & de tous les Tribunaux.

La Deſcription que j’y fais des Egliſes Colégiales & Paroiſſiales, des Abaïes & des Monaſtéres des deux ſexes, avec ce que ces Monumens ont de plus remarquable, comme Autels, Ornemens, Mauſolées, Tombeaux, Tableaux, Statuës & les Antiquités qui s’y trouvent, eſt des plus exactes. Je n’oublie pas les Bibliothéques, auxquelles je joins les Cabinets des Particuliers, curieux par les Manuſcrits, les Médailles, les Peintures & les Antiques qu’ils renferment : je joins encore à ce premier Volume une Deſcription du charmant Rivage de la Meuſe juſqu’à Hui, & des Bourgs, Vilages, Abaies & Châteaux dont il eſt peuplé. Et je le finis par l’induſtrie de leurs laborieux Habitans, qui l’exercent ſur une grande quantité de denrées dont il s’y fait un grand commerce. J’avoue même que tant de beautés que ce Rivage ſi agréablement varié ofre à la vûë, ſont au deſſus de mes expreſſions. Ma plume a chancelé pluſieurs fois en les décrivant : & de quelques termes que j’aie fait uſage, ils ne répondent certainement pas aux images que forme leur aſpect.

Ce premier Tome ſera orné de la Carte générale du Païs, faite avec la derniére exactitude. Le Lecteur aura le plaiſir de trouver dans ce Volume, ainſi que dans les quatre qui le ſuivront de près, des Vûës ou Perſpectives deſſinées & gravées d’un excellent gout. La Ville de Liége, ſes Edifices publics, ſacrés & profanes, les Châteaux & les Maiſons du Rivage de la Meuſe, le Cours de cette Riviére, les chaines de Montagnes & de Colines, les Rochers, les Bois, les Plaines, tout ce qui peut recréer les yeux & l’eſprit y eſt repréſenté d’après nature.

Le ſecond Tome où les matiéres ſeront arangées avec la même méthode, contiendra la Ville de Hui, les Rives de la Meuſe & de la Sambre, le Païs ſitué entre ces deux Riviéres, une partie de la Famenne, & l’Abaïe de St. Hubert avec ſon Territoire.

Le troiſiéme traitera du Condroz, du Marquiſat de Franchimont, du Duché de Boüillon & d’une partie de la Principauté de Stavelot.

Le quatriéme renfermera la Hesbaie & le Comté de Looz, qui fourniront une matiére auſſi vaſte que curieuſe.

Je décrirai enfin dans le cinquiéme Volume la Campine, le Comté de Horne & le reſte du Païs de Liége.

J’eſpére être en état d’y joindre un Catalogue des Hommes illuſtres en toutes ſortes de genres, que le Pais de Liége a donné à l’Europe. Ils font encore plus d’honneur à leur Patrie, que les plus beaux Monumens de la Nature & de l’Art. Si les Deſcriptions que j’en ai fait ne déplaiſent pas au Lecteur, je ne doute pas que l’idée, que je donnerai des riches talens de ces grands Hommes ne ſatisfaſſe également ſon eſprit.

Il y trouvera des Souverains Pontifes & des Cardinaux d’un rare mérite ; des Généraux d’Armée, qui ont cüeilli des lauriers immortels dans le Champ de Mars, au Service des premiéres Puiſſances de l’Europe ; & des Juriſconſultes renommés par leurs ſavans Ecrits ſur le Droit Canonique & Civil, que la République des Lettres reconnoit pour ſes véritables nourriſſons. Il y verra de fameux Mathématiciens, de ſubtils Géometres & des Mécaniciens d’un eſprit vif & pénétrant, auxquels pluſieurs Monumens des Nations voiſines & ſurtout de la France, ſont redevables de leur ſinguliére beauté. On y inſerera enfin les habiles Fondeurs, les Sculteurs délicats, les excellens Peintres, & la grande quantité d’Artiſans expérimentés, dont les chef-d’œuvres étalés dans pluſieurs États, font la reputation ainſi que la gloire de leur Patrie.

Le Libraire aux frais duquel cet Ouvrage s’imprime, a ſaiſi avec plaiſir l’ocaſion de donner à ſa Patrie le beau jour qu’elle mérite. Sachant bien que les recherches exactes des Monumens anciens & modernes, étoient les fondemens de ſon Ouvrage, il n’a rien épargné pour qu’elles fuſſent faites avec beaucoup de ſoin. Il a emploié des perſonnes de gout & intelligentes dans ce genre, ainſi que d’excellens Deſſineurs & des Graveurs fameux. Par ces démarches indiſpenſables, on peut juger de la dépenſe où il s’eſt engagé. Il n’en eſt pas de cet Ouvrage, ainſi que d’un Livre auquel avec le ſecours des Auteurs, ou d’une riche & vive imagination, un Écrivain travaille dans ſon Cabinet. En ce cas on peut moiſſonner avec joie ce qu’on a ſemé à peu de frais & ſans beaucoup de peine.

Malgré le ſoin qu’on s’eſt donné pour que rien n’échapât à ceux qu’on a emploié à faire les recherches, on n’a pas laiſſé d’oublier certaines circonſtances qui peuvent être dignes de l’atention du Lecteur. On en fera une Note qui ſera inſerée à la fin de ce premier Tome.

Je compte que les recherches étant dorênavant plus exactes, les mémoires ſur leſquels je travaillerai, ſeront mieux circonſtanciés. Le Public doit juger du zéle que j’ai à lui donner un Ouvrage qui ne lui laiſſe rien à déſirer, par l’atention avec laquelle je tacherai de le conduire à ſa fin.