Les droits des hommes/Édition Garnier/Conclusion

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 27 (p. 210-211).
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conclusion.

Après avoir rapporté, dans la vérité la plus exacte, tous ces faits, dont on peut tirer quelques conséquences et dont on peut faire quelque usage honnête, je ferai remarquer à tous les intéressés qui pourront jeter les yeux sur ces feuilles que les papes n’ont pas un pouce de terre en souveraineté qui n’ait été acquis par des troubles ou par des fraudes. À l’égard des troubles, il n’y a qu’à lire l’histoire de l’empire et les jurisconsultes d’Allemagne. À l’égard des fraudes, il n’y a qu’à jeter les yeux sur la donation de Constantin et sur les décrétales.

La donation de la comtesse Mathilde[1] au doux et modeste Grégoire VII est le titre le plus favorable aux évêques de Rome. Mais, en bonne foi, si une femme à Paris, à Vienne, à Madrid, à Lisbonne, déshéritait tous ses parents, et laissait tous ses fiefs masculins, par testament, à son confesseur, avec ses bagues et joyaux, ce testament ne serait-il pas cassé suivant les lois expresses de tous ces États ?

On nous dira que le pape est au-dessus de toutes les lois, qu’il peut rendre juste ce qui est injuste : potest de injustitia facere justitiam ; papa est supra jus, contra jus, et extra jus ; c’est le sentiment de Bellarmin[2], c’est l’opinion des théologiens romains. À cela nous n’avons rien à répondre. Nous révérons le siège de Rome ; nous lui devons les indulgences, la faculté de tirer des âmes du purgatoire, la permission d’épouser nos belles-sœurs et nos nièces l’une après l’autre, la canonisation de saint Ignace, la sûreté d’aller en paradis en portant le scapulaire ; mais ces bienfaits ne sont peut-être pas une raison pour retenir le bien d’autrui.

Il y a des gens qui disent que si chaque Église se gouvernait par elle-même sous les lois de l’État ; si on mettait fin à la simonie de payer des annates pour un bénéfice ; si un évêque, qui d’ordinaire n’est pas riche avant sa nomination, n’était pas obligé de se ruiner, lui ou ses créanciers, en empruntant de l’argent pour payer ses bulles, l’État ne serait pas appauvri, à la longue, par la sortie de cet argent qui ne revient plus. Mais nous laissons cette matière à discuter par les banquiers en cour de Rome.

Finissons par supplier encore le lecteur chrétien et bénévole de lire l’Évangile, et de voir s’il y trouvera un seul mot qui ordonne le moindre des tours que nous avons fidèlement rapportés. Nous y lisons, il est vrai, « qu’il faut se faire des amis avec l’argent de la mammone d’iniquité ». Ah ! beatissimo padre, si cela est, rendez donc l’argent.

À Padoue, 24 juin 1768.


fin des droits des hommes, etc.

  1. Voyez tome XI, page 395 ; XVIII, 417.
  2. De romano Pontifice, tome I, liv. iv. (Note de Voltaire.)