Les fiancés de 1812/010

La bibliothèque libre.
Louis Perrault, imprimeur (p. 214-239).

X.



GONZALVE était entré dans le rapide du Sault St. Louis. Son léger canot ne voguait plus, il n’allait que par bonds. Il ne pouvait plus le conduire ; sa seule ressource était de pouvoir le tenir en équilibre. L’eau entrait par torrent. Craignant avec raison qu’elle s’élevât assez pour suffoquer les deux victimes qui gisaient à ses pieds et dont la respiration était à peine articulée ; il souleva leurs têtes et les appuya sur des vêtements qui flottaient au fond du canot. En les soulevant il s’aperçut que l’un d’eux avait cessé de vivre. L’autre luttait encore contre les dernières aspirations de la vie. Tout à coup le canot touche, glisse… glisse et s’arrête. Il se trouvait sur un roc plat, sur lequel ne coulait que l’épaisseur d’un demi pied d’eau.

Gonzalve envisage cet événement comme son salut. Il travaille activement à vider l’eau qui remplit l’esquif. Arrivé dans l’avant il voit le roc coupé perpendiculairement, et formant une cascade d’une dizaine de pieds de hauteur. Il frémit à cette vue. Son courage s’évanouit avec ses espérances de salut. L’idée de la mort est néanmoins si cruelle ! Que ne fait-on pas avant de pouvoir s’y résoudre ?

L’obscurité était trop grande pour lui permettre de voir s’il n’y avait pas encore quelque moyen d’échapper à cet horrible malheur. Il résolut d’attendre le jour en cet endroit. Le moment était propice pour songer aux infortunés auxquels il dévouait sa vie. Il n’y avait plus d’eau dans le canot.

Il se penche, examine celui qui respire encore. La lune jetait une faible lumière… Quelle ne fut pas sa surprise en reconnaissant… St. Felmar, le père de Louise !… L’infortuné poursuivait Gonzalve, et c’était lui qui le sauvait, qui sacrifiait sa vie pour le salut de la sienne. Oubliant en ce moment et ses fatigues et les dangers qui l’environnent, il examine ses blessures, et le trouve percé d’outre en outre dans le bas-ventre. La blessure n’était pas mortelle en elle même, mais il avait éprouvé tant de secousses, et perdu tant de sang qu’il aurait fallu de grands soins pour le rappeler à la vie. Il y avait dans le canot une boite à l’épreuve de l’eau, Gonzalve l’ouvre et y trouve des vêtements secs. D’une chemise de toile il fit de longs bandages et les passant autour du corps de St. Felmar, il replaça et contint ainsi l’éruption des intestins hors de l’abdomen. Cette opération fut douloureuse pour le patient, mais elle le soulagea beaucoup. Jusque là il n’avait pu parler. Après quelques moments il put articuler ces mots :

— Est-ce toi, John ? »

— C’est un ami, répondit Gonzalve, êtes-vous blessé ailleurs ?

— Au cou. »

En effet tout le tour du cou n’était qu’une blessure. L’ayant lavé le mieux qu’il put, il appliqua un second bandage, et la respiration du patient prit un cours plus régulier, et plus aisé. En peu d’instants il parut avoir repris le plein usage de ses sens ; si ce n’est qu’il ne pouvait se mouvoir en aucune manière. Il avait la figure tournée vers le ciel. Il put voir que ce n’était pas son serviteur qui le soignait.

— Qui êtes vous donc, homme généreux, dit-il ? »

— Je suis un ami que la providence vous a envoyé dans le malheur.

— Et ces figures horribles… où sont elles ; où sommes nous à cette heure ?

— Bien mal, mais espérez. »

Le jour paraissait en ce moment. Il fallait songer à se tirer de ce mauvais pas. Il sortit du canot et mit le pied sur le roc, afin de remettre l’esquif à flot. Il faillit se faire emporter par la violence du courant. Après avoir longtemps lutté, il parvint à traîner l’embarcation jusqu’à l’autre extrémité du roc, où le fleuve était très profond. À côté de ce roc, le cours de l’eau était d’une rapidité extrême, mais sans cascade. Il y poussa le canot et y entra. Ils arrivèrent dans un endroit où ce n’était qu’un bouillon terrible. L’eau se choquait contre les pierres et rejaillissait dans l’air. C’était là la dernière période du sault, mais elle était terrible. Il eut assez de force et d’adresse pour pousser l’esquif entre deux pierres. Il y passa comme un éclair et vogua tout à coup dans le plus bel endroit du fleuve St. Laurent. Le cours était encore rapide, mais plein et uni comme une glace. En ce moment les premiers rayons du soleil perçaient les forêts avoisinantes, et jettaient sur le fleuve un lustre argenté qui fesait briller en l’air les mille et mille parcelles de la cascade qui semblaient autant de diamants. Gonzalve était moins attentif à cette scène de la nature, qu’à celle dont il voyait enfin approcher le dénouement. Craignant d’être reconnu de St. Felmar, il se couvrit la tête du chapeau de John qui était mort, et l’enfonça sur ses yeux.

— Comment vous trouvez vous, lui dit-il ?

-— Assez mal ; dites moi, je vous prie, qui vous êtes ?

— Je suis un soldat de Chateaugay.

— Je vous devrai mille reconnaissances ; mais dites-moi, connaissez-vous Gonzalve de R. colonel de l’état-major ?

— Oui je le connais.

— Est-il marié ?

— Non ; il n’a pas l’air y penser.

— N’y a-t-il pas une jeune fille arrivée depuis peu au camp ?

— Je n’en ai pas entendu parler.

— Malheur !… où est-elle ?…

Et sa figure prit une expression sombre.

— Ah ! il me paiera et mes blessures et la perte de ma fille »….

Gonzalve feignit de ne pas l’entendre, et se retourna sans rien dire.

Ils approchaient du rivage de Laprairie. Ils étaient encore loin du village, mais le colonel ayant aperçu une petite cabane couverte de chaume, il y dirigea l’embarcation. Il y fut bientôt et disant à St. Felmar d’attendre quelques instants, il prit la route de la cabane qui était construite au milieu d’une forêt d’arbustes. Il y trouva un vieillard et sa femme qui s’occupaient à raccommoder des filets.

— Préparez, leur dit-il, un lit et vos meilleurs mets pour une personne qui vient d’être assassinée. Elle est près de mourir, mais on peut encore la sauver. »

Les vieilles gens qui étaient très charitables malgré leur pauvreté, se mirent à l’œuvre avec promptitude, et en un instant tout fut prêt à recevoir le patient. Gonzalve tira de sa poche un portefeuille tout mouillé et remettant deux pièces d’or au vieillard :

— Venez, lui dit-il, nous allons le transporter ici. »

Un brancard fut apprêté et un matelas mis dessus. St. Felmar ayant été transporté à la cabane et placé sur le lit, Gonzalve dit aux vieilles gens :

— Ayez en tous les soins possibles, vous en serez récompensés. Donnez la sépulture à celui qui est resté dans le canot. Je vais envoyer ici le chirurgien du régiment. »

Et il prit la route de Chateaugay. Après avoir marché quelque temps il fit rencontre d’une voiture chargée. L’ayant atteinte et fait jeter à bas toute la charge, il prit lui-même la conduite du cheval, et en moins d’une heure if eut gagné le camp. On y était dans une vive inquiétude sur son compte.. Des soldats avaient été envoyés sur tous les points. On le croyait enfin tombé entre les mains des républicains qui venaient souvent jusques aux portes du camp. Son arrivée y causa une grande rumeur. Alphonse et Brandsome étaient aux abois. Ils avaient battu la forêt sur tous les sens. Quand ils le virent venir :

— Bon Dieu ! colonel, s’écria Brandsome, on vous cherche dans le pays des oiseaux et vous arrivez comme un poisson. Que diable ! d’où venez vous donc ? »

Gonzalve malgré la tristesse de son âme, s’efforça de prendre un air enjoué et répliqua :

— Ah ! vous m’avez trouvé romanesque hier soir ; mais c’est plus que du roman cette fois ; c’est du merveilleux, de la mythologie en un mot. Mais avant de satisfaire votre curiosité, permettez moi de passer à des devoirs plus pressants. »

— Je parie qu’il a retrouvé sa brebis….

Gonzalve ne l’écoutait plus ; il était couru chez le chirurgien. Il lui remit son propre cheval, et après les explications nécessaires :

— Surtout, ajouta-t-il, ne dites rien sur celui qui vous envoie. Si l’on vous parle de sauveur etc, dites que c’est un soldat dont vous ignorez le nom. »

Le chirurgien partit en toute hâte, et arriva bientôt au lieu où gisait l’infortuné St. Felmar. Il le trouva presque mourant. Après avoir levé les bandages et pansé les plaies, il lui dit qu’il échapperait à la mort, mais que sa guérison serait lente.

— O ! peu importe, répondit-il, d’une voix à peine intelligible, je ne demande que me venger et mourir après ? »

Le chirurgien repartit après avoir laissé au vieillard les instructions et le régime à suivre. Dès qu’il fut parti, le vieillard se mit en devoir d’exécuter les volontés du colonel. Il ensevelit le domestique de St. Felmar sur le rivage. En prenant du canot les habits qui y étaient restés, il trouva une médaille d’argent qui portaient des signes et une écriture que son ignorance lui empêcha de discerner. Il était trop honnête pour s’en constituer l’acquéreur ; il la plaça dans une des poches des habits qu’il recueillait et revint à la maison sans parler à personne de cet incident.

St. Felmar passa un mois dans cette retraite où il avait fait venir son épouse qui lui rendait les soins les plus assidus. La tendre et malheureuse mère n’avait eu aucune nouvelle de sa fille. Elle savait, pour surcroît d’infortune, qu’elle n’était pas parue à Chateaugay. Elle était devenue méconnaissable, tant la souffrance avait amaigri et défiguré ses traits. Le but du voyage de son mari lui était inconnu, quoiqu’elle le soupçonnât bien. Elle avait fait pour calmer son irritation tout ce que peut une épouse et une mère idolâtre du bonheur de sa famille. Elle n’avait plus qu’à gémir et à pleurer sur la constante et inébranlable opiniâtreté de son époux.

Le chirurgien de milice le visitait chaque jour. Dès qu’il fut en état d’être transporté, il fut conduit chez lui avec de grandes précautions. Six mois s’écoulèrent avant sa convalescence. Gonzalve de son côté était informé chaque semaine par Maurice de l’état de son persécuteur obstiné. Il avait raconté en détail son aventure à ses amis, en omettant avec soin tout ce qui aurait pu donner une idée défavorable du caractère de St. Felmar, qui méditait néanmoins toujours sa vengeance contre son sauveur inconnu. Ils n’en pouvaient croire à ses paroles. Le passage du Sault St. Louis était une chose inouïe et regardée comme physiquement impossible.

Aucune nouvelle sur Louise n’était encore parvenue. Gonzalve devenait de plus en plus triste et absorbé par ses chagrins et ses inquiétudes. Un événement auquel personne ne s’attendait, vint partager son cœur entre la douleur et l’espérance. Les armées Républicaines étaient en grande partie dans les environs de Montréal. Chaque jour ils fesaient sur la frontière de terribles éruptions. Tout à coup une proclamation émanée de Washington, leur ordonna de se porter vers le Lac Érié, afin de secourir la garnison qui tenait le fort Makinac et qui était sur le point de capituler. Cet éloignement des Républicains devait nécessairement laisser en repos les postes du Bas-Canada. Gonzalve en profita pour aller à la recherche de sa bien-aimée qu’il croyait tombée dans quelque piège qui avait empêché le succès de son voyage. Alphonse partit aussi pour la même fin, mais dans une autre direction.

Deux jours après leur départ, les journaux publiaient la lettre suivante, adressée au Colonel Claus, surintendant du département des sauvages, par

un des attachés à ce même département :
Makinac, 18 Juillet 1812.

Mon cher Monsieur,

Je suis heureux de pouvoir vous annoncer la capitulation du Fort Makinac qui s’est rendu ce jour à onze heures, A. M. Le Capitaine Roberts dirigeait nos opérations avec un détachement du 10ème R. V. bataillon. Mr. Crawford commandait les Canadiens qui étaient au nombre de deux cents hommes. Mr. Dickson en avait avec lui 113, composés de Sioux, Fallsowines et Winnebagoes. Moi-même j’en commandais 130 de l’Ottawa et Chippewa, une partie de l’Ottawa n’étant pas encore arrivée. Ce fut une heureuse circonstance, que le fort capitula sans opposition, car je crois sincèrement qu’aucun d’eux n’aurait échappé. Mon fils et quelques uns de ses amis m’ont été d’un grand secours, en tenant les Indiens en ordre, et exécutant de temps en temps les ordres qui m’étaient transmis par l’officier commandant. Je n’ai jamais vu de peuple plus déterminé que les Chippewas et Ottawas, qui, jusqu’à la capitulation, ne goûtèrent aucune liqueur, ni ne tuèrent aucun animal à qui que ce soit ; chose inconnue à des personnes qui ont habitude de détruire tout ce qui se rencontre sur leur passage. &c. &C.

(Signé, ) John Askin, Junr.

Cette nouvelle, quoique fort heureuse, donna l’alarme dans le Bas-Canada. Les Républicains revenaient immédiatement sur leurs pas, et tentaient ailleurs le sort qui venait de leur faillir. Au bas de cette lettre suivait

la proclamation suivante :
Quartier-General,
Bureau de l’Adjudant General,
Montréal, 28 Juillet 1812.

Vu la capitulation inattendue du Fort Makinac et le retour des Républicains sur nos frontières, nous enjoignons par les présentes, à tous ceux à qui il appartiendra : de faire dans tous les camps une garde régulière et soignée ; de revenir sans délai à leur poste, quant à ceux qui ont obtenu des congés temporaires ; en un mot, de n’épargner rien pour le service et la conservation des domaines de Sa Majesté.

Donné à Montréal sous notre seing et le sceau de nos armes.

Edward Baynes,
Adj. Gén.

Gonzalve et Alphonse arrivèrent au camp le même jour et presque à la même heure ; tous deux exaspérés de leur prompt rappel et du peu de succès de leur course.

Le temps s’écoula long et pénible. Aucun événement ne troublait l’engourdissement des armées des deux peuples. Chacuns se tenaient sur une défensive prudente et réservée. Un mois, deux mois se passèrent ainsi. Les communications de tout genre étaient interceptées sur les frontières. Gonzalve n’avait donc pas reçu la lettre de Louise et ne connaissait rien sur son sort.

Sur ces entrefaites il arriva au camp une députation de sauvages. Ils n’étaient que deux, mais c’était les chefs d’une tribu. Ils étaient très élégamment parés dans leur genre. Leurs jambes à demi nues, ainsi que le haut du cou, laissaient voir des figures symboliques tatouées en rouge et bleu. Leurs têtes étaient surmontées de longs plumages de différentes couleurs. Ils s’exprimaient en mauvais Français, mais pouvaient au moins se faire entendre. Le but de cette députation était de demander du secours pour protéger leur tribu qui était chaque jour exposée aux ravages des Bostonnais. Ils furent favorablement accueillis, et Alphonse fut envoyé avec deux cents hommes pour bâtir un fort qui fût en état de protéger la tribu. Il en coûta beaucoup à chacun des deux amis de se séparer l’un de l’autre. Depuis leur entrée à l’armée ils ne s’étaient pas laissés un instant. Huit jours après son départ, Gonzalve en reçut la lettre suivante :

« Je ne fais qu’arriver parmi les Sauteux, et j’ai déjà tout un roman à te raconter. Le bon Brandsome en rira ; mais pour toi, tu me comprendras. N’ayant fait aucune pause dans notre marche, en trois jours nous fûmes ici, fatigués autant qu’on peut le dire. Comme il était nuit quand nous arrivâmes, et que le bruit que nous fesions indispensablement, pouvait jeter l’allarme dans la tribu ; les deux chefs qui nous acccompagnaient nous arrêtèrent à un certain endroit. Je ne comprenais pas pourquoi. M’en ayant expliqué le motif, ils poussèrent instantanément un cri terrible que la forêt sembla répéter avec terreur. Ils me dirent alors d’attendre un instant, qu’ils marcheraient en avant et qu’à la répétition de leur cri je devrais avancer. Tout se fit comme ils voulurent. En arrivant je trouvai un grand feu entouré de toute la tribu, qui se compose d’à peu près cinq cents hommes, à part femmes et enfants. Ils dansaient autour de ce feu avec un enjouement frénétique. Tout ce bruit cessa à notre approche. Les hommes et les femmes accouraient à nous, nous prenaient les mains et nous attiraient vers leurs cabanes. L’un des autres chefs de la tribu, me dit en ce moment qu’ils allaient punir sous mes yeux la trahison d’un lâche.

— Et quel châtiment lui infligez vous, demandai-je ?

— Pour un tel crime, il n’y a pas d’autre châtiment que le feu ; tout est prêt ; approchez.

— Qu’a-t-il donc fait, m’écriai-je avec horreur ?

— Il a fait sauter un prisonnier. »[1] On me conduisit alors vers un endroit où avait été amassée une grande quantité de branches sèches. Que vois-je, en y arrivant ! La plus belle femme qui ait jamais frappé mes regards… Jeune femme de vingt ans tout au plus et ne portant de sa nation que le langage, et une teinte imperceptible de leur couleur. Je restai stupéfait à cette vue.

— Pour célébrer mon arrivée, dis-je aux chefs, il faut pardonner à cette femme. »

Ils firent quelques difficultés, mais j’usai de mon autorité, et j’allai moi même couper ses liens avec mon épée. Je te laisse à imaginer quels transports de joie elle manifesta. Elle me sauta au cou, et avec une naïveté tout à fait sauvage, elle m’embrassa en disant : Je l’aimerai toujours. Les larmes qu’elle laissa couler sur ma figure me comblèrent d’émotions, et peu s’en fallut que je ne me misse moi-même à pleurer. Les chefs assemblèrent la tribu et l’un d’eux s’adressant à la jeune fille :

— Rends grâce, dit-il, à ton libérateur ; mais sois maudite parmi nous. Malheur et mort à celui qui te nourrira. »

Ses cheveux flottaient épars sur son cou découvert et obscurcissaient sa figure. Les relevant alors de la main, elle jeta sur moi son regard de pleurs, voulant dire : « Ayez pitié de moi. »

—Je me chargerai, dis-je aux chefs, de votre condamnée. »

Et la prenant par la main, je la conduisis à l’habitation qu’on m’avait préparée, Elle était composée de plusieurs pièces, je lui en donnai une et pris congé d’elle en lui disant de ne rien craindre. J’ai depuis étudié le caractère de ma protégée, et cet examen m’a inspiré pour elle, plus que de la générosité. Dans deux jours je te l’enverrai, afin que tu la fasse parvenir à mon père, qui, à ma réquisition, la placera dans une maison d’éducation, où je la laisserai jusqu’à la fin de la guerre. Il est plus que probable, qu’elle jouera pour moi le rôle de ta bien-aimée Louise ; mais j’espère que ce sera avec plus de bonheur.

« J’ai déjà fait commencer la construction du fort qui sera terminé en moins d’un mois. Plus de trois cents hommes y travaillent. Je n’ai eu encore aucune visite de la part des Républicains. La chasse est belle en cet endroit. Tout le temps que je ne consacre pas à la société de ma belle Ithona, je l’emploie à la chasse, saufs quelques instants donnés à la direction des travaux. Brandsome est toujours gai, sans doute. Il ne serait pas mal parmi les Sauteuses, ce sont de braves Irlandaises. J’ai mille peines à contenir mes gens, tant la facilité et même la prévenance des femmes est extrême. Tout va cependant au gré de mes désirs. Il ne manque que vous deux ici pour me faire croire à un. nouveau paradis terrestre. La saison devient un peu rude. Quand Ithona sera partie, je ne prolongerai pas mon séjour de mon gré.

Adieu, paix et bonheur !

Alphonse


—————♦——————
  1. Les Sauteux ne marchent et n’avancent que par bonds. Faire sauter veut dire faire échapper.