Les plantes insectivores/10

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Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 266-302).

Chapitre X.

de la sensibilité des feuilles et de la direction dans laquelle l’impulsion se propage.

Les glandes et le sommet des tentacules sont seuls sensibles. — Propagation de l’impulsion dans les pédicelles des tentacules et à travers le limbe de la feuille. — Agrégation du protoplasma ; c’est une action réflexe. — La première décharge de l’impulsion est soudaine. — Direction des mouvements des tentacules. — L’impulsion motrice se propage à travers le tissu cellulaire. — Mécanisme des mouvements. — Nature de l’impulsion motrice. — Redressement des tentacules.


Nous avons vu dans les chapitres précédents que beaucoup de stimulants bien différents, mécaniques et chimiques, excitent des mouvements chez les tentacules ainsi que dans le limbe de la feuille. Il nous faut considérer tout d’abord quels sont les points irritables ou sensibles, et, en second lieu, comment l’impulsion motrice se transmet d’un point à un autre. Les glandes sont presque exclusivement le siège de l’irritabilité ; cependant, cette irritabilité doit s’étendre à une très-petite distance au-dessous des glandes, car, quand on les enlève avec de bons ciseaux, en ayant soin de ne pas les toucher elles-mêmes, les tentacules s’infléchissent souvent. Ces tentacules décapités se redressent fréquemment ; j’ai placé ensuite sur eux des gouttes des deux plus puissants stimulants connus sans obtenir aucun effet. Néanmoins, ces tentacules décapités sont susceptibles d’une inflexion subséquente, si l’impulsion part du disque. Je suis parvenu, dans plusieurs occasions, en me servant de pinces très-petites, à écraser les glandes, mais cet écrasement n’a provoqué aucun mouvement du tentacule ; la viande crue et les sels d’ammoniaque placés sur ces glandes écrasées ne provoquent non plus aucun mouvement. Il est probable qu’elles avaient été tuées si instantanément qu’elles n’avaient pu transmettre aucune impulsion motrice ; en effet, dans les six cas observés (dans deux de ces cas, toutefois, la glande avait été complètement enlevée), le protoplasma des cellules des tentacules ne s’agrégea pas, tandis qu’il s’agrégea parfaitement dans quelques tentacules adjacents, qui s’étaient infléchis parce que je les avais touchés un peu rudement avec les pinces. De même, le protoplasma ne s’agrège pas dans une feuille tuée instantanément par son immersion dans l’eau bouillante. D’autre part, j’ai observé une agrégation distincte, quoique faible, chez les tentacules qui s’étaient infléchis, parce que j’avais enlevé les glandes avec des ciseaux coupant très-bien.

J’ai, à plusieurs reprises, frotté assez rudement les pédicelles des tentacules, j’ai placé sur eux de la viande crue ou d’autres substances excitantes sur toute la surface de la feuille, près de leur base, et sur d’autres parties, sans qu’il se produise jamais aucun mouvement distinct. Après avoir laissé pendant très-longtemps des morceaux de viande sur les pédicelles je les ai poussés un peu de façon à ce qu’ils arrivent à toucher les glandes, et, au bout d’un instant, les pédicelles commençaient à s’infléchir. Je crois donc que le limbe de la feuille est insensible à tous les stimulants. J’ai enfoncé dans le limbe de plusieurs feuilles la pointe d’une lancette ; j’en ai piqué dix-neuf avec une aiguille à trois ou quatre reprises différentes : dans le premier cas, il ne se produisit aucun mouvement ; mais, chez une douzaine de feuilles environ parmi celles que j’avais piquées à plusieurs reprises, quelques tentacules s’infléchirent irrégulièrement. Toutefois, comme il était nécessaire de soulever les feuilles pendant l’opération, il se peut que j’aie touché quelques-unes des glandes extérieures aussi bien que celles du disque, et cet attouchement a peut-être suffi pour provoquer le léger mouvement que j’ai observé. Nitschke[1] dit que les piqûres et les coupures opérées sur la feuille n’excitent aucun mouvement. Le pétiole de la feuille est complètement insensible.

Le dessous des feuilles porte de nombreuses petites papilles qui ne sont le siège d’aucune sécrétion, mais qui possèdent une certaine faculté d’absorption. Ces papilles sont, je crois, les rudiments de tentacules surmontés de glandes qui devaient exister autrefois. J’ai fait beaucoup d’expériences pour arriver à savoir si l’on peut exciter d’une façon quelconque le dessous des feuilles et j’ai soumis 37 feuilles à ces expériences. J’ai chatouillé les unes pendant longtemps avec une grosse aiguille, j’ai placé sur les autres des gouttes de lait et d’autres fluides excitants, de la viande crue, des mouches écrasées et diverses autres substances. Ces substances se dessèchent bientôt, ce qui prouve qu’aucune sécrétion ne s’est produite. En conséquence, j’humectai ces substances avec de la salive, avec des solutions d’ammoniaque et de l’acide chlorhydrique étendu d’eau, et, fréquemment aussi, avec de la sécrétion prise sur la glande d’autres feuilles. Je conservai aussi quelques feuilles sous une cloche humide après avoir placé des objets excitants sur leurs côtés inférieurs ; toutefois, malgré l’attention la plus scrupuleuse je n’ai jamais pu découvrir aucun mouvement véritable. Je fus conduit à faire un si grand nombre d’essais parce que, contrairement à tout ce que j’avais observé jusque-là, Nitschke affirme[2] qu’après avoir fixé les objets aux côtés inférieurs des feuilles à l’aide de la sécrétion visqueuse il a observé souvent que les tentacules et, dans un cas, le limbe lui-même étaient soumis à une action réflexe, s’il s’est produit réellement. Ce mouvement serait très-anormal ; il impliquerait, en effet, que les tentacules reçoivent une impulsion motrice d’une source peu naturelle et qu’ils ont la faculté de se courber dans une direction exactement contraire à celle qui leur est habituelle ; en outre, cette faculté ne serait en aucune façon utile à la plante, car les insectes ne peuvent adhérer au dessous lisse des feuilles.

J’ai dit qu’aucun effet n’avait été produit dans les cas précédents, mais cela n’est pas strictement vrai, car, dans trois cas où j’avais ajouté un peu de sirop aux morceaux de viande pour conserver ces morceaux humides pendant quelque temps, j’observai, au bout de trente-six heures, une trace de mouvement réflexe chez les tentacules d’une feuille et chez le limbe d’une autre. Au bout d’un nouveau laps de temps de douze heures, les glandes commençaient à se dessécher et les trois feuilles paraissaient fortement attaquées. Je plaçai alors 4 feuilles sous une cloche ; les tiges de ces feuilles plongeaient dans l’eau et j’avais placé sur le côté inférieur des gouttes de sirop, mais pas de viande. Au bout d’un jour, quelques tentacules étaient recourbés sur deux de ces feuilles. Les gouttes de sirop ayant absorbé de l’humidité étaient alors devenues assez grosses pour se répandre sur l’arrière de la feuille, et sur les tiges. Le second jour, le limbe d’une feuille s’était très-recourbé ; le troisième jour, les tentacules de deux feuilles étaient très-recourbés et le limbe de toutes l’était plus ou moins. Le côté supérieur d’une de ces feuilles au lieu d’être, comme à l’ordinaire, légèrement concave était devenu très-convexe. Le cinquième jour, les feuilles ne semblaient pas mortes. Or, comme le sucre n’excite en aucune façon le Drosera, nous pouvons attribuer, sans crainte de nous tromper, le recourbement des tentacules et du limbe des feuilles dont nous venons de parler à une exosmose qui s’est produite chez les cellules en contact avec le sirop, exosmose suivie d’une contraction. Quand on place des gouttes de sirop sur les feuilles de plantes dont les racines pénètrent encore dans la terre humide, aucune inflexion ne se produit parce que les racines, sans aucun doute, pompent de l’eau assez rapidement pour remplacer celle qui disparaît par l’exosmose. Mais, si l’on plonge des feuilles coupées dans un sirop ou dans un liquide très-dense, les tentacules s’infléchissent beaucoup, bien qu’irrégulièrement, et quelques-uns prennent la forme de tire-bouchons ; en outre, les feuilles deviennent bientôt flasques. Si on plonge alors les feuilles dans un liquide ayant une faible densité, les tentacules se redressent. Nous pouvons conclure de ces faits que les gouttes de sirop placées sur le côté inférieur des feuilles n’agissent pas en déterminant une impulsion motrice qui se propage jusque dans les tentacules : elles causent simplement un mouvement en arrière parce qu’elles provoquent l’exosmose. Le docteur Nitschke a employé la sécrétion pour fixer des insectes au-dessous des feuilles ; je suppose qu’il en a employé une grande quantité et que ce liquide étant très-dense a provoqué une exosmose. Peut-être aussi a-t-il expérimenté sur des feuilles coupées ou sur des plantes dont les racines ne pouvaient pas se procurer une quantité d’eau suffisante.

Autant donc que nous pouvons le savoir jusqu’à présent, nous pouvons conclure que l’irritabilité ou la sensibilité dont sont douées les feuilles réside exclusivement dans les glandes et dans les cellules des tentacules qui se trouvent immédiatement au-dessous des glandes. On ne peut mesurer le degré d’excitation d’une glande que par le nombre des tentacules environnants qui s’infléchissent et par la quantité et la rapidité de leurs mouvements. Des feuilles également vigoureuses exposées à la même température, ce qui est une condition importante, se trouvent excitées à des degrés divers dans les circonstances suivantes. Une petite quantité d’une faible solution ne produit aucun effet ; si l’on augmente la quantité ou qu’on emploie une solution plus forte les tentacules s’infléchissent. Si l’on touche une glande une ou deux fois, aucun mouvement ne se produit ; qu’on la touche trois ou quatre fois et le tentacule s’infléchit. La nature de la substance placée sur la glande est un élément très-important : si l’on place sur le disque de plusieurs feuilles des parcelles, ayant un volume égal, de terre (qui n’agit que mécaniquement), de gélatine et de viande crue, la viande provoque des mouvements beaucoup plus rapides, beaucoup plus énergiques et s’étendant beaucoup plus loin que les deux autres substances. Le nombre des glandes excitées produit aussi une grande différence dans le résultat obtenu : que l’on place un morceau de viande sur une ou deux glandes du disque, et quelques-uns seulement des tentacules courts, immédiatement adjacents, s’infléchissent ; que l’on fasse reposer ce même morceau sur plusieurs glandes, et un plus grand nombre de tentacules se mettent en mouvement ; si on le fait enfin reposer sur 30 ou 40 glandes, tous les tentacules, y compris les tentacules marginaux extrêmes, s’infléchissent fortement. Nous voyons donc que les impulsions provenant d’un certain nombre de glandes se renforcent les unes les autres, s’étendent plus loin et agissent sur un plus grand nombre de tentacules que l’impulsion partie d’une seule glande.

Transmission de l’impulsion motrice. — Dans tous les cas, l’impulsion partie d’une glande doit parcourir au moins une courte distance pour arriver à la base du tentacule, la partie supérieure et la glande elle-même étant passivement emportées par l’inflexion de la partie inférieure. L’impulsion est donc toujours transmise dans presque toute la longueur du pédicelle. Quand on excite les glandes centrales et que les tentacules marginaux extrêmes s’infléchissent, l’impulsion est transmise à travers le demi-diamètre du disque ; quand on excite les glandes situées d’un côté du disque, l’impulsion est transmise à travers la largeur presque entière du disque. Une glande transmet son impulsion beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement dans le tentacule qu’elle surmonte jusqu’à la partie flexible de ce tentacule, qu’elle ne la transmet à travers le disque jusqu’au tentacule adjacent. Ainsi, une dose très-petite d’une faible solution d’ammoniaque, placée sur la glande d’un tentacule extérieur, fait infléchir ce tentacule de façon à ce qu’il atteigne le centre de la feuille ; tandis qu’une goutte considérable de la même solution, distribuée sur une vingtaine de glandes du disque ne provoque pas la moindre inflexion des tentacules extérieurs. En outre, après avoir placé un morceau de viande sur la glande d’un tentacule extérieur, j’ai vu un mouvement se produire au bout de 10 secondes et fréquemment au bout d’une minute ; tandis qu’un morceau beaucoup plus gros, reposant sur plusieurs glandes du disque, ne provoque l’inflexion des tentacules extérieurs qu’au bout d’une demi-heure et parfois même qu’au bout de plusieurs heures.

L’impulsion motrice se propage graduellement de tous les côtés, en partant comme d’un centre de la glande ou des glandes qui ont été excitées, de telle sorte que les tentacules situés le plus près de ce centre sont toujours les premiers affectés. En conséquence, quand on excite les glandes situées au centre du disque, les tentacules marginaux extrêmes s’infléchissent les derniers. Toutefois, les glandes situées sur différentes parties de la feuille transmettent leur impulsion motrice d’une façon quelque peu différente. Si on place un morceau de viande sur la glande allongée d’un tentacule marginal, l’impulsion se transmet rapidement à la partie mobile de ce tentacule, mais, autant toutefois que j’ai pu l’observer, cette impulsion n’est jamais transmise aux tentacules adjacents ; en effet, ceux-ci ne sont affectés que lorsque la viande a été transportée jusqu’aux glandes centrales dont l’impulsion combinée se transmet alors à toutes les parties de la feuille. Dans quatre occasions, j’ai préparé des feuilles en enlevant, quelques jours avant l’expérience, toutes les glandes du centre, de façon à ce qu’il n’y ait plus d’excitation produite par les morceaux de viande apportés au centre de la feuille par l’inflexion des tentacules marginaux ; or, ces tentacules marginaux se redressèrent au bout d’un certain temps sans qu’aucun autre tentacule ait été affecté. Je préparai d’autres feuilles, de la même façon, puis je plaçai des morceaux de viande sur les glandes de deux tentacules situés à la troisième rangée en partant de l’extérieur, et sur les glandes de deux autres tentacules situés dans la cinquième rangée. Dans ces quatre cas l’impulsion se propagea d’abord latéralement, c’est-à-dire dans la même rangée concentrique de tentacules, puis elle se propagea vers le centre, mais elle ne partit pas du centre pour aller affecter les tentacules extérieurs. Dans un de ces cas, un seul tentacule de chaque côté de celui qui portait la viande se trouva affecté. Dans les trois autres cas, de 6 à 12 tentacules, latéralement et vers le centre, s’infléchirent entièrement ou à moitié. Enfin, dans dix autres expériences, je plaçai des petits morceaux de viande sur une seule glande ou sur deux glandes au centre du disque. Afin qu’aucune autre glande ne puisse toucher la viande par suite de l’inflexion des tentacules courts immédiatement adjacents, j’avais enlevé précédemment une demi-douzaine de glandes sur les tentacules situés autour de ceux que j’avais choisis. Chez huit de ces feuilles, 16 à 25 tentacules courts environnants s’infléchirent dans le cours d’un jour ou deux ; il résulte de cette expérience que l’impulsion motrice, partant d’une ou de deux glandes du disque, peut produire un effet considérable. Les tentacules décapités sont compris dans ce chiffre, car ils se trouvaient si près des autres qu’ils avaient été certainement affectés. Chez les deux autres feuilles, presque tous les tentacules courts du disque s’infléchirent. Quand on se sert d’un stimulant plus puissant que la viande, c’est-à-dire d’un peu de phosphate de chaux, humecté avec de la salive, l’impulsion partie d’une seule glande se propage plus loin et provoque de nombreuses inflexions ; mais, même dans ce cas, les trois ou quatre rangées extérieures de tentacules ne sont pas affectées. Il résulte de ces expériences que l’impulsion partie d’une seule glande du disque agit sur un plus grand nombre de tentacules que celle partie d’une glande de l’un des longs tentacules extérieurs. Ceci résulte probablement, au moins en partie, de ce que l’impulsion a moins de chemin à parcourir le long des pédicelles des tentacules centraux, de telle sorte qu’elle peut se propager en rayonnant jusqu’à une distance considérable.

En examinant ces feuilles, je fus frappé de ce que chez six, et peut-être même chez sept d’entre elles, les tentacules étaient beaucoup plus infléchis vers le sommet et vers la base de la feuille que sur les côtés ; cependant, les tentacules situés sur les côtés se trouvaient aussi près de la glande sur laquelle reposait la viande que les tentacules situés aux deux extrémités. Il semblerait donc que l’impulsion motrice partie du centre de la feuille se propage plus facilement à travers le disque dans une direction longitudinale que dans une direction transversale. Or, comme cette observation me parut un fait nouveau et intéressant dans la physiologie des plantes, je fis 35 expériences nouvelles pour m’assurer de sa vérité. Je plaçai des petits morceaux de viande sur une seule glande, ou sur quelques glandes à la droite ou à la gauche du disque chez dix-huit feuilles ; je plaçai d’autres morceaux de viande ayant le même volume sur des glandes situées à la base ou au sommet de dix-sept autres feuilles. Or, si l’impulsion motrice se propage avec une égale vigueur, ou avec une égale rapidité, à travers le limbe dans toutes les directions, un morceau de viande placé sur un des côtés ou à une des extrémités du disque doit affecter également tous les tentacules situés à une même distance du tentacule sur lequel il repose ; tel n’est certainement pas le cas. Avant d’indiquer les résultats généraux que j’ai obtenus, je pense qu’il est bon de décrire trois ou quatre cas assez extraordinaires.

1. — Je plaçai un petit morceau de mouche sur l’un des côtés du disque ; au bout de trente-deux minutes, 7 tentacules extérieurs, situés à peu de distance du morceau, étaient bien infléchis ; au bout de dix heures, plusieurs autres tentacules étaient également infléchis, et, au bout de vingt-trois heures, un bien plus grand nombre. À ce moment le limbe de la feuille, de ce même côté du disque, s’était recourbé de façon à former un angle droit avec l’autre côté. Toutefois, ni le centre de la feuille, ni les tentacules placés du côté opposé n’avaient été affectés ; la ligne de démarcation entre les deux moitiés s’étendait de l’extrémité du pétiole au sommet de la feuille. Cette feuille resta en cet état pendant trois jours ; le quatrième jour, elle commença à se redresser ; pendant tout ce temps, pas un seul tentacule ne s’était infléchi de l’autre côté.

2. — Je vais décrire un cas qui n’est pas compris dans les trente-cinq expériences dont j’ai parlé plus haut. Je vis une petite mouche fixée par les pattes au côté gauche du disque d’une feuille. Les tentacules situés de ce côté s’infléchirent rapidement et tuèrent la mouche ; mais, à cause probablement des efforts qu’avait faits la mouche pour s’échapper, la feuille était si excitée, qu’au bout de vingt-quatre heures environ tous les tentacules placés de l’autre côté s’étaient infléchis ; toutefois, leurs glandes n’atteignirent pas la mouche, et, ne trouvant aucune proie à saisir, ils se redressèrent au bout de quinze heures environ, tandis que les tentacules situés du côté gauche de la feuille restèrent étroitement infléchis pendant plusieurs jours.

3. — Je plaçai sur la ligne médiane, à l’extrémité du disque auprès de la tige, un morceau de viande un peu plus gros que ceux que j’emploie ordinairement. Au bout de deux heures trente minutes, quelques tentacules adjacents étaient infléchis ; au bout de six heures, les tentacules situés des deux côtés de la tige et quelques-uns placés sur les deux côtés de la feuille étaient modérément infléchis ; au bout de huit heures, les tentacules situés à l’extrémité du disque étaient plus infléchis que ceux placés des deux côtés de la feuille. Au bout de vingt-trois heures tous les tentacules, sauf les tentacules extérieurs des deux côtés de la feuille, embrassaient le morceau de viande.

4. — Je plaçai un autre morceau de viande à l’extrémité opposée du disque, c’est-à-dire près du sommet d’une autre feuille, et j’obtins exactement les mêmes résultats relatifs.

5. — Je plaçai un petit morceau de viande sur un des côtés du disque ; le lendemain les tentacules courts adjacents étaient infléchis, ainsi que 3 ou 4 tentacules situés de l’autre côté de la feuille, auprès de la tige. Toutefois, ces derniers n’étaient que légèrement infléchis, et le lendemain ils paraissaient vouloir se redresser. Je plaçai donc un nouveau morceau de viande à peu près au même endroit, et, deux jours après, quelques-uns des tentacules courts du côté opposé du disque s’étaient infléchis. Dès que ces tentacules commencèrent à se redresser, j’ajoutai un autre morceau de viande, et le lendemain tous les tentacules du côté opposé du disque s’étaient infléchis vers la viande. Or, nous avons vu que les tentacules placés du côté où la viande avait été posée avaient été affectés par le premier morceau.

Examinons actuellement les résultats généraux que j’ai obtenus. Je plaçai des morceaux de viande à droite ou à gauche du disque sur dix-huit feuilles ; un grand nombre de tentacules s’infléchirent, chez huit, du côté où la viande avait été placée et, chez quatre, le limbe lui-même se recourba de ce côté tandis que pas un seul tentacule, pas plus d’ailleurs que le limbe, ne fut affecté du côté opposé. Ces feuilles présentaient un aspect curieux ; il aurait semblé que le côté infléchi avait seul gardé son activité et que l’autre était paralysé. Chez les dix autres feuilles, quelques tentacules s’infléchirent au delà de la ligne médiane du côté opposé à celui où se trouvait la viande, mais, dans quelques-uns de ces cas, les tentacules seuls situés à la base ou au sommet de la feuille s’infléchirent. L’inflexion des tentacules sur le côté opposé de la feuille ne se produisit jamais que longtemps après celle des tentacules placés du même côté que la viande ; dans un cas, cette inflexion ne se produisit que le quatrième jour. Nous avons vu aussi, dans l’expérience n° 5 citée plus haut, qu’il m’a fallu ajouter par trois fois un nouveau morceau de viande avant que tous les tentacules courts placés au côté opposé du disque s’infléchissent.

Le résultat est tout différent quand on place les morceaux de viande sur la ligne médiane, à une des extrémités du disque, vers la base ou vers le sommet. Je fis 17 expériences dans ces conditions. Chez trois feuilles, soit à cause de l’état de la feuille, soit à cause de la petitesse du morceau de viande, les tentacules immédiatement adjacents furent seuls affectés ; mais, chez les quatorze autres feuilles, les tentacules situés à l’extrémité opposée s’infléchirent, bien qu’ils fussent aussi distants de la viande que pouvaient l’être ceux placés du côté opposé du disque dans les expériences que j’ai relatées d’abord. Dans quelques-unes des expériences qui nous occupent, les tentacules situés sur l’un des côtés de la feuille ne furent pas du tout affectés, ou ils le furent à un degré moindre, ou après un laps de temps plus considérable, que ceux placés à l’extrémité opposée. Il est utile de décrire en détail quelques-unes de ces expériences. Je plaçai des morceaux de viande, pas tout à fait aussi petits que ceux que j’emploie ordinairement, sur l’un des côtés du disque de quatre feuilles et des morceaux ayant le même volume à l’extrémité du disque, vers la base ou vers le sommet de quatre autres feuilles. Quand je comparai ces deux groupes de feuilles après un intervalle de vingt-quatre heures, je pus observer des différences frappantes. Les feuilles chez lesquelles les morceaux de viande avaient été placés d’un côté du disque étaient très-légèrement affectées de l’autre côté ; chez celles, au contraire, où le morceau de viande se trouvait vers la base ou le sommet, presque tous les tentacules et même les tentacules marginaux situés à l’extrémité opposée étaient étroitement infléchis. Au bout de quarante-huit heures, le contraste présenté par les feuilles des deux groupes était encore considérable ; cependant, les tentacules du disque et les tentacules sous-marginaux du côté opposé à celui où se trouvait la viande étaient quelque peu infléchis chez les feuilles sur lesquelles le morceau de viande reposait sur un des côtés ; j’ai attribué cet effet à la grosseur du morceau. En un mot, ces trente-cinq expériences, sans compter les six ou sept que j’avais faites précédemment, m’autorisent à conclure que l’impulsion motrice partant d’une seule glande, ou d’un petit groupe de glandes, se transmet aux autres tentacules, à travers le limbe, plus facilement et plus efficacement dans une direction longitudinale que dans une direction transversale.

Aussi longtemps que ces glandes restent excitées, et cette excitation peut durer pendant plusieurs jours, pendant onze jours même quand elles se trouvent en contact avec du phosphate de chaux, elles continuent à transmettre une impulsion motrice à la base ou partie mobile de leur propre pédicelle, car, autrement, les tentacules se redresseraient. On trouve la preuve du même fait dans la grande différence qui se remarque dans le laps de temps pendant lequel les tentacules restent infléchis sur des objets inorganiques et sur d’autres objets ayant un même volume, mais qui contiennent des matières azotées solubles. Toutefois, l’intensité de l’impulsion transmise par une glande excitée, qui a commencé à déverser ses sécrétions acides et qui, en même temps, absorbe les matières azotées, semble peu considérable, comparativement à celle qu’elle transmet quand elle commence à être excitée. Ainsi, quand on place des morceaux de viande modérément gros sur un des côtés du disque et que, par suite, les tentacules du disque et les tentacules sous-marginaux, situés aux côtés opposés de la feuille, s’infléchissent de façon à ce que leurs glandes touchent enfin la viande et absorbent les matières qu’elles contient, ces tentacules ne transmettent aucune impulsion motrice aux rangées extérieures de tentacules situées du même côté, car ils ne s’infléchissent jamais. Or, si on avait placé de la viande sur les glandes de ces mêmes tentacules avant qu’ils aient commencé à déverser des sécrétions abondantes et à absorber les matières azotées de la viande, ils auraient certainement transmis une impulsion aux rangées extérieures. Néanmoins, quand je plaçai du phosphate de chaux, qui est un stimulant très-puissant, sur quelques tentacules sous-marginaux, déjà considérablement infléchis, mais qui ne se trouvaient pas encore en contact avec du phosphate, placé précédemment sur deux glandes au centre du disque, les tentacules extérieurs situés du même côté se trouvaient affectés.

Dès qu’une glande est excitée, l’impulsion motrice se décharge en quelques secondes, ce que prouve l’inflexion du tentacule ; cette première décharge paraît s’effectuer avec beaucoup plus de vigueur que celles qui viennent ensuite. Ainsi, dans l’exemple que nous avons rapporté ci-dessus d’une petite mouche capturée naturellement par quelques glandes situées d’un côté d’une feuille, l’impulsion partie de ces glandes s’est lentement transmise à travers toute la largeur de la feuille et a provoqué une inflexion temporaire chez les tentacules situés de l’autre côté ; mais, bien que les glandes qui restaient en contact avec l’insecte aient continué pendant plusieurs jours à communiquer une impulsion à la partie mobile de leurs propres pédicelles, cette impulsion n’a pas empêché les tentacules situés du côté opposé de la feuille de se redresser rapidement ; on peut conclure de ce fait que l’impulsion a dû être d’abord plus énergique qu’elle n’a été ensuite.

Quand on place un objet quelconque sur le disque et que les tentacules environnants s’infléchissent, leurs glandes sécrètent plus abondamment et la sécrétion devient acide, de sorte qu’on peut conclure que les glandes du disque communiquent une impulsion aux glandes environnantes. Toutefois, ce changement dans la nature et dans la quantité de sécrétion ne peut pas dépendre de l’inflexion des tentacules, car les glandes des tentacules courts du disque déversent des sécrétions acides quand on place sur elles un objet quelconque, bien que leurs pédicelles ne s’infléchissent pas. J’en avais conclu que les glandes du disque communiquent une impulsion aux glandes des tentacules environnants et que ces glandes, à leur tour, renvoient une impulsion à la partie mobile de leur base ; mais je m’aperçus bientôt que cette hypothèse n’est pas fondée. De nombreuses expériences m’ont prouvé que des tentacules dont les glandes ont été coupées avec des ciseaux bien aiguisés s’infléchissent souvent et se redressent ensuite en conservant toutes les apparences de la santé. J’en ai observé un qui est resté bien portant pendant dix jours après cette opération. J’enlevai donc à différentes époques, et sur différentes feuilles, les glandes de 25 tentacules ; sur ce nombre, dix-sept s’infléchirent et se redressèrent ensuite. Le redressement commença environ huit ou neuf heures après l’inflexion et se compléta en vingt-deux ou trente heures. Au bout d’un jour ou deux, je plaçai de la viande crue humectée de salive sur le disque de ces dix-sept feuilles ; je les observai le lendemain et je vis que sept tentacules privés de glandes embrassaient aussi étroitement la viande que les tentacules complets des mêmes feuilles ; un huitième tentacule décapité s’infléchit au bout de trois autres jours. J’enlevai la viande d’une de ces feuilles et je lavai la surface avec un peu d’eau ; au bout de trois jours, le tentacule décapité se redressa pour la seconde fois. Toutefois, ces tentacules décapités étaient dans un état différent de ceux qui, pourvus de leurs glandes, avaient absorbé les matières contenues dans la viande, car le protoplasma des cellules des premiers avait subi une agrégation beaucoup moindre. Ces expériences sur les tentacules décapités prouvent évidemment que les glandes, en ce qui concerne tout au moins l’impulsion motrice, n’agissent pas de façon reflexe comme les ganglions nerveux des animaux.

Mais il est une autre action, celle de l’agrégation, que l’on peut, dans certains cas, appeler reflexe, et c’est le seul exemple qu’on en connaisse dans le règne végétal. Il faut se rappeler que la marche de l’agrégation ne dépend pas de l’inflexion antérieure des tentacules, ce que prouve évidemment l’immersion des feuilles dans certaines solutions énergiques. Elle ne dépend pas non plus de l’augmentation de la sécrétion des glandes, ce que prouvent plusieurs faits et notamment l’agrégation qui se produit chez les papilles, qui cependant ne sécrètent pas si on les met en contact avec du carbonate d’ammoniaque, ou une infusion de viande crue. Si on excite directement une glande de quelque façon que ce soit, au moyen de la pression d’une petite parcelle de verre par exemple, le protoplasma contenu dans les cellules de la glande s’agrège d’abord, puis celui contenu dans les cellules placées immédiatement au-dessous de la glande, et enfin l’agrégation se propage de cellule en cellule jusqu’à la base des tentacules, à condition toutefois que le stimulant soit assez énergique et n’ait pas attaqué les glandes. Or, quand on excite les glandes du disque, les tentacules extérieurs sont affectés exactement de la même manière ; l’agrégation commence toujours dans les glandes bien qu’elles n’aient pas été directement excitées, mais qu’elles aient seulement reçu une impulsion partie du disque, ce que prouve d’ailleurs l’augmentation de leurs sécrétions acides. Le protoplasma contenu dans les cellules situées immédiatement au-dessous des glandes est affecté ensuite, et l’agrégation se propage de cellule en cellule, de haut en bas, jusqu’à la base des tentacules. Ce phénomène mérite évidemment d’être appelé une action reflexe ; cette action est, en effet, la même que celle qui se produit lorsqu’on irrite un nerf sensitif ; celui-ci transmet une impression à un ganglion, lequel renvoie une impulsion à un muscle ou à une glande et provoque un mouvement ou une sécrétion plus abondante ; toutefois, l’action, dans les deux cas, a probablement une nature très-différente. Quand l’agrégation du protoplasma se termine dans un tentacule, la dissolution commence toujours dans la partie inférieure et se propage lentement de bas en haut jusqu’à la glande, de telle sorte que le protoplasma qui s’est agrégé en dernier lieu est le premier qui se redissolve. La seule cause de ce phénomène est probablement que le protoplasma est de moins en moins agrégé à mesure qu’on arrive aux cellules plus éloignées de la glande, comme on peut s’en assurer d’ailleurs quand l’excitation a été légère. Aussi, dès que l’action qui provoque l’agrégation vient à cesser, la dissolution commence naturellement dans le protoplasma moins fortement agrégé qui se trouve dans les cellules situées à la partie inférieure du tentacule, et cette dissolution se complète d’abord dans ces cellules.

Direction des tentacules infléchis. Quand on place une parcelle de quelque substance que ce soit sur la glande d’un tentacule extérieur, ce tentacule se meut invariablement vers le centre de la feuille ; il en est de même de tous les tentacules d’une feuille plongée dans un liquide excitant, ainsi que nous l’avons montré dans une figure précédente (fig. 4, p. 11), les glandes des tentacules extérieurs forment alors un anneau qui entoure la partie centrale du disque. Les tentacules courts, situés à l’intérieur de cet anneau, conservent leur position verticale de même qu’ils le font d’ailleurs quand on place un gros objet sur leurs glandes ou que celles-ci capturent un insecte. Il est facile de comprendre, dans ce dernier cas, que l’inflexion des tentacules courts du disque serait inutile, car leurs glandes se trouvent déjà en contact avec la proie.


Fig. 10. — Drosera rotundifolia.
Feuille (grossie) dont les tentacules sont infléchis sur un morceau de viande placé sur un des côtés du disque.
Le résultat est tout différent quand une seule glande ou quelques glandes d’un groupe situé d’un côté du disque sont excitées. Ces glandes transmettent une impulsion aux tentacules environnants qui, alors, ne s’infléchissent pas vers le centre de la feuille, mais vers le point d’où est partie l’excitation. Nous devons cette observation importante à Nitschke[3] ; j’ai lu son mémoire il y a quelques années, et, depuis lors, j’ai eu souvent l’occasion de vérifier ses assertions. Si à l’aide d’une aiguille on place un petit morceau de viande sur une seule glande ou sur 3 ou 4 glandes situées à peu près à moitié distance du centre à la circonférence de la feuille, on peut s’assurer de la direction que prennent les tentacules environnants. La figure 10 représente exactement une feuille supportant de la viande placée dans cette position, et nous voyons que les tentacules, y compris quelques tentacules extérieurs, se dirigent exactement vers le point où se trouve la viande. — Mais de beaucoup le meilleur système pour observer ces effets est de placer une parcelle de phosphate de chaux, humectée avec de la salive, sur une seule glande située sur un des côtés du disque d’une grande feuille et une autre parcelle de la même substance sur une seule glande située de l’autre côté du disque. Dans quatre expériences faites dans ces conditions, l’excitation n’a pas été suffisante pour affecter les tentacules extérieurs, mais tous les tentacules situés près des deux points où reposait le phosphate de chaux se dirigeaient vers ces points de façon à former deux roues sur le limbe d’une même feuille ; les pédicelles des tentacules formaient les rayons, et les glandes, réunies en une seule masse sur le phosphate de chaux, formaient le moyeu. Rien d’étonnant comme la précision avec laquelle chaque tentacule se dirige vers la parcelle de phosphate ; dans bien des cas, il m’a été impossible d’observer une seule déviation de la ligne droite. Ainsi donc, bien que les tentacules courts du centre du disque ne s’infléchissent pas quand on excite directement leurs glandes, cependant s’ils reçoivent une impulsion motrice d’un point situé sur un des côtés du disque, ils se dirigent vers ce point aussi bien que les tentacules du bord de la feuille.

Les tentacules courts du disque qui se seraient dirigés vers le centre, si la feuille avait été plongée dans un liquide excitant, s’infléchissent, dans ces expériences, dans une direction exactement opposée, c’est-à-dire vers la circonférence. Par conséquent, ces tentacules dévient de 180⁰ de la direction qu’ils auraient prise si leurs propres glandes avaient été directement excitées, direction que l’on peut considérer comme normale. J’ai observé tous les degrés possibles de déviation chez les tentacules de plusieurs feuilles. Malgré la précision avec laquelle les tentacules se dirigent ordinairement vers la glande qui supporte le phosphate de chaux, j’ai remarqué que quelques tentacules situés près de la circonférence d’une feuille ne se dirigent pas vers un point assez éloigné situé de l’autre côté du disque. Il semble que l’impulsion motrice, en passant transversalement à travers presque toute la largeur du disque, ait quelque peu dévié de la ligne droite. Ceci concorde parfaitement avec la remarque que nous avons été à même de faire, c’est-à-dire que l’impulsion se propage moins facilement dans une direction transversale que dans une direction longitudinale. Dans quelques autres cas, les tentacules extérieurs ne me semblèrent pas aptes à des mouvements aussi définis que les tentacules plus courts et plus centraux.

Rien de frappant comme l’aspect de ces 4 feuilles chez chacune desquelles les tentacules se dirigeaient exactement vers les deux petites masses de phosphate placées sur le limbe. On s’imagine facilement en les regardant que l’on est en présence d’un animal d’une organisation inférieure qui embrasse sa proie avec ses bras. Dans le cas du Drosera, l’explication de cette faculté de mouvement si raisonnée repose sans doute dans le fait que l’impulsion motrice se propage dans toutes les directions et que, dès que cette impulsion frappe quelque côté que ce soit d’un tentacule, ce côté se contracte et le tentacule en conséquence s’incline vers le point d’où est partie l’excitation. Les pédicelles des tentacules sont aplatis ou elliptiques. Près de la base des tentacules courts du centre, la surface large ou aplatie se compose d’environ cinq rangées longitudinales de cellules ; chez les tentacules extérieurs du disque, cette surface se compose d’environ six ou sept rangées, et chez les tentacules marginaux extrêmes d’une douzaine de rangées. La précision des mouvements des tentacules est d’autant plus remarquable que les bases aplaties ne se composent que de quelques rangées de cellules ; en effet, quand l’impulsion motrice frappe la base du tentacule dans une direction très-oblique relativement à sa surface large, une ou deux cellules tout au plus, situées vers une des extrémités, se trouvent d’abord affectées et la contraction de ces cellules doit déterminer l’inflexion du tentacule entier dans la direction convenable. Le fait que les pédicelles extérieurs ne se dirigent pas aussi régulièrement vers le point d’excitation que les tentacules plus centraux provient peut-être de ce qu’ils sont plus ou moins aplatis. Le mouvement raisonné, si je peux m’exprimer ainsi, des tentacules du Drosera, n’est pas un fait unique dans le règne végétal, car les vrilles de beaucoup de plantes se courbent du côté qui a été touché ; toutefois, le cas du Drosera est beaucoup plus intéressant, car, chez lui, les tentacules ne sont pas directement excités, mais reçoivent une impulsion d’un point situé à une certaine distance, ce qui n’empêche pas qu’ils se dirigent exactement vers ce point.

Nature des tissus à travers lesquels se transmet l’impulsion motrice. — Il est tout d’abord nécessaire de décrire brièvement la disposition des principaux faisceaux fibro-vasculaires. La figure 11 représente ces principaux faisceaux chez une petite feuille. Des petits vaisseaux reliés aux faisceaux adjacents pénètrent dans chacun des nombreux tentacules qui couvrent la surface de la feuille ; nous ne les avons pas représentés dans la figure. Le tronc central partant du pétiole se bifurque près du centre de la feuille ; puis, chaque branche se bifurque bien des fois selon la grandeur de la feuille. Ce tronc central donne naissance, de chaque côté, à une branche délicate qu’on peut appeler la branche sous-latérale. Il y a aussi de chaque côté un principal faisceau ou branche latérale qui se bifurque de la même façon que les autres. La bifurcation n’implique pas que chaque vaisseau se divise, mais qu’un faisceau se divise en deux. Si l’on regarde de chaque côté de la feuille on verra qu’une branche de la grande bifurcation centrale s’anastomose avec une branche du faisceau latéral et qu’il y a une moindre anastomose entre les deux principales branches du faisceau latéral. Le trajet des vaisseaux est très-complexe au point de la plus grande anastomose ; là, des
Fig. 11. Drosera rotundifolia.
Figure indiquant la distribution du tissu vasculaire dans une petite feuille.
vaisseaux conservant le même diamètre sont souvent formés par l’union des extrémités de deux vaisseaux se terminant en pointe, mais je ne sais si ces points communiquent l’un avec l’autre à l’endroit de la soudure. Au moyen de la double anastomose, tous les vaisseaux du même côté de la feuille sont en quelque sorte reliés les uns aux autres. Chez les plus grandes feuilles, les branches bifurquées se réunissent aussi auprès de la circonférence, puis se séparent de nouveau, formant une ligne continue en zigzag de vaisseaux autour de la circonférence entière. Mais l’union des vaisseaux dans cette ligne en zigzag semble être beaucoup moins intime qu’à l’anastomose principale. Je dois ajouter que la disposition des vaisseaux diffère quelque peu chez diverses feuilles et même dans les côtés opposés d’une même feuille, mais l’anastomose principale existe toujours.

Dans mes premières expériences avec des morceaux de viande placés sur un côté du disque, il se trouva que pas un seul tentacule ne s’infléchit du côté opposé. Quand je vis que tous les vaisseaux placés du même côté de la feuille étaient reliés les uns aux autres par les deux anastomose, tandis que pas un vaisseau ne passait du côté opposé, il me sembla probable que l’impulsion motrice se propageait exclusivement le long de ce faisceau.

Afin de m’en assurer, je divisai transversalement, avec la pointe d’une lancette, le tronc central de 4 feuilles, juste au-dessous de la principale bifurcation ; deux jours après, je plaçai d’assez gros morceaux de viande (stimulants très-énergiques comme on sait) près du centre du disque au-dessus de l’incision, c’est-à-dire un peu vers le sommet de la feuille. J’obtins les résultats suivants :

1. — Cette feuille était peu active ; au bout de quatre heures quarante minutes (je compte, dans tous les cas, à partir du moment où la viande a été placée sur la feuille), les tentacules situés au sommet de la feuille étaient un peu infléchis, mais aucun autre ne l’était ; ils restèrent en cet état pendant trois jours et se redressèrent le quatrième. Je disséquai alors la feuille et je trouvai que le tronc ainsi que les deux branches sous-latérales avaient été divisés.

2. — Au bout de quatre heures trente minutes, beaucoup de tentacules situés au sommet de la feuille étaient bien infléchis. Le lendemain, le limbe et tous les tentacules situés à cette extrémité de la feuille étaient fortement infléchis et séparés par une ligne transversale distincte de la moitié de la feuille formant la base, qui n’était pas du tout affectée. Toutefois, le troisième jour, quelques tentacules courts du disque auprès de la base étaient très-légèrement infléchis. Je m’assurai, en disséquant la feuille, que l’incision s’étendait d’un côté à l’autre comme dans le dernier cas.

3. — Au bout de quatre heures trente minutes, forte inflexion des tentacules au sommet de la feuille qui ne se propagea pas, pendant les deux jours suivants, aux tentacules situés à la base. L’incision était la même que dans les deux cas précédents.

4. — Je n’observai cette feuille qu’au bout de quinze heures ; tous les tentacules, sauf ceux situés sur l’extrême bord, étaient alors également bien infléchis tout autour de la feuille. J’examinai cette feuille avec soin, et je m’assurai que les vaisseaux spiraux du tronc central étaient certainement divisés ; mais l’incision d’un côté n’avait pas pénétré dans le tissu fibreux qui entoure ces vaisseaux, bien que de l’autre côté elle ait traversé le tissu[4].

L’aspect présenté par les feuilles deux et trois était très-curieux : on aurait pu le comparer à l’aspect d’un homme dont la colonne vertébrale serait brisée et dont les extrémités inférieures seraient paralysées. Ces feuilles étaient dans le même état que quelques-unes de celles sur lesquelles, dans des expériences précédentes, j’avais placé un morceau de viande sur un des côtés du disque ; mais, dans ce cas, la ligne qui séparait les deux moitiés de la feuille était transversale au lieu d’être longitudinale. L’exemple de la feuille quatre prouve que les vaisseaux spiraux du tronc central peuvent être divisés et que cependant l’impulsion motrice se propage encore du sommet de la feuille à la base. Ceci me conduisit d’abord à penser que la force motrice se propage à travers le tissu fibreux qui enveloppe étroitement les faisceaux et que si une moitié de ce tissu n’est pas divisée, elle suffit pour assurer une transmission complète. Toutefois, on peut citer à l’encontre de cette conclusion le fait qu’aucun vaisseau ne passe directement d’un côté de la feuille à l’autre, et cependant, comme nous l’avons vu, si l’on place sur l’un des côtés un morceau de viande un peu gros, l’impulsion motrice se propage, lentement et imparfaitement il est vrai, dans une direction transversale à travers toute la largeur de la feuille. On ne peut pas expliquer ce dernier fait par l’hypothèse que la transmission s’effectue à travers les deux anastomoses ou à travers la ligne d’union en zigzag qui règne à la circonférence de la feuille, car, s’il en était ainsi, les tentacules extérieurs, situés de l’autre côté du disque, seraient affectés avant les tentacules plus centraux, ce qui n’arrive jamais. Nous avons vu aussi que les tentacules marginaux extrêmes ne semblent pas aptes à transmettre une impulsion aux tentacules adjacents ; cependant, le petit faisceau de vaisseaux qui pénètre dans chaque tentacule marginal envoie une petite branche aux tentacules situés de chaque côté, ce que je n’ai pas observé chez les autres tentacules ; il en résulte donc que les tentacules marginaux sont plus étroitement reliés que tous les autres par des vaisseaux spiraux et que, cependant, ils sont beaucoup moins aptes que les autres à se communiquer une impulsion motrice.

Outre ces divers faits et ces divers arguments, nous avons la preuve concluante que l’impulsion motrice ne se propage pas, au moins exclusivement, à travers les vaisseaux spiraux ou à travers le tissu qui les entoure immédiatement. Nous savons que si l’on place un morceau de viande sur une glande que l’on a isolée en enlevant les glandes voisines, à quelque endroit d’ailleurs du disque que se trouve cette glande, tous les tentacules courts qui l’entourent s’inclinent vers elle presque simultanément et avec une grande précision. Or, il y a des tentacules du disque, ceux par exemple situés près des extrémités des faisceaux sous-latéraux (voir fig. 11) ; qui sont reliés à des vaisseaux qui ne se trouvent pas en relation avec les nervures qui pénètrent dans les tentacules environnants, sauf par un détour très-long. Toutefois, si l’on place un morceau de viande sur la glande d’un tentacule de cette espèce, tous les tentacules environnants s’infléchissent vers lui avec une grande précision. Bien entendu, il est possible que l’impulsion motrice se propage en faisant un long circuit, mais il est évidemment impossible que la direction du mouvement puisse se communiquer ainsi et surtout de façon que tous les tentacules environnants s’inclinent exactement vers le point excité. L’impulsion se transmet donc, sans aucun doute, en ligne droite, dans toutes les directions, de la glande excitée aux tentacules environnants ; cette impulsion ne peut donc se propager le long des faisceaux fibro-vasculaires. On peut attribuer à ce qu’une partie considérable du tissu cellulaire a été divisée le fait que la section des vaisseaux centraux, dans les exemples rapportés ci-dessus, a empêché la transmission de l’impulsion motrice du sommet à La base de la feuille. Nous verrons bientôt, quand nous nous occuperons de la Dionée, que cette même conclusion, à savoir que l’impulsion motrice n’est pas transmise par les faisceaux fibro-vasculaires, est absolument confirmée ; le professeur Cohn en est arrivé à la même conclusion pour l’Aldrovandia, qui appartient aussi à la famille des Droséracées.

Comme l’impulsion motrice ne se propage pas le long des vaisseaux, il ne reste pour son passage que le tissu cellulaire ; or, la structure de ce tissu explique dans une certaine mesure comment il se fait que l’impulsion se propage si rapidement jusqu’aux longs tentacules extérieurs et beaucoup plus lentement à travers le limbe de la feuille. Nous verrons aussi pourquoi l’impulsion traverse le limbe plus rapidement dans la direction longitudinale que dans la direction transversale, bien qu’avec le temps elle se propage dans toutes les directions. Nous savons que le même stimulant provoque un mouvement des tentacules et l’agrégation du protoplasma, et que ces deux influences prennent leur source dans les glandes et en partent dans un même espace de temps très-court. Il semble donc probable que l’impulsion motrice consiste en un commencement de changement moléculaire dans le protoplasma, changement qui devient visible quand il s’est bien développé et que nous avons désigné sous le nom d’agrégation ; toutefois, j’aurai à revenir sur ce sujet. Nous savons, en outre, que le principal délai dans la transmission de l’agrégation se produit au passage des parois transversales des cellules ; car, à mesure que l’agrégation passe de cellule en cellule, en se dirigeant vers la base des tentacules, le contenu de chaque cellule successive semble se transformer en une masse nuageuse avec la rapidité de l’éclair. Nous pouvons donc en conclure que, de la même façon, l’impulsion motrice est retardée principalement lorsqu’elle traverse les parois des cellules.

La rapidité plus grande avec laquelle l’impulsion se transmet dans les longs tentacules extérieurs qu’elle ne se transmet à travers le disque, peut s’expliquer par ce fait qu’elle est étroitement confinée dans un pédicelle étroit, au lieu de rayonner dans toutes les directions, comme il arrive sur le disque. D’ailleurs, outre cet emprisonnement, les cellules des tentacules extérieurs sont certainement deux fois aussi longues que celles du disque, de sorte que, pour une longueur donnée d’un tentacule, l’impulsion n’a à traverser qu’un nombre moitié moins grand de cloisons transversales comparativement à ce qui se passe sur le disque ; or il doit y avoir une rapidité proportionnelle dans la transmission. En outre, d’après les coupes des tentacules extérieurs données par le Dr Warming[5], les cellules parenchymateuses sont encore plus allongées ; or ces cellules forment la ligne de communication la plus directe entre la glande et la partie mobile du tentacule. Si l’impulsion se propageait à travers les cellules extérieures, elle aurait à traverser 20 ou 30 cloisons transversales ; elle en a, au contraire, un peu moins à traverser si elle se propage à travers le tissu parenchymateux intérieur. Dans les deux cas, il est remarquable que l’impulsion puisse traverser tant de cloisons en parcourant toute la longueur du pédicelle et agir sur la partie mobile du tentacule au bout de dix secondes environ. Je ne comprends pas pourquoi l’impulsion, après avoir traversé si rapidement toute la longueur d’un tentacule marginal et parcouru environ 1/20 de pouce (0,1269 de centimètres), n’affecte jamais, autant toutefois que j’ai pu l’observer, les tentacules adjacents. Il se peut qu’une grande partie de l’énergie de l’impulsion soit dépensée dans la rapidité de la transmission.

La plupart des cellules du disque, les cellules superficielles aussi bien que les cellules plus larges qui forment les cinq ou six rangées situées au-dessous, sont environ quatre fois aussi longues que larges. Elles sont disposées presque longitudinalement et rayonnent toutes autour de la tige. En conséquence, quand l’impulsion motrice se transmet à travers le disque, elle a à traverser près de quatre fois plus de parois cellulaires que quand elle se propage dans une direction longitudinale ; en conséquence, aussi, cette transmission doit être très-retardée dans le premier cas. Les cellules du disque convergent vers la base des tentacules, elles sont donc aptes à transmettre tout autour d’elles l’impulsion motrice aux tentacules. En résumé, la disposition de la forme des cellules, aussi bien celles du disque que celles des tentacules, jette beaucoup de lumière sur la rapidité et sur le mode de diffusion de l’impulsion motrice. Mais il est difficile d’expliquer pourquoi l’impulsion partant des glandes des rangées extérieures des tentacules tend à se propager latéralement et vers le centre de la feuille, mais non pas suivant une direction centrifuge.

Mécanisme des mouvements et nature de l’impulsion motrice. — Quelles que puissent être les causes du mouvement, les tentacules extérieurs vu leur délicatesse, s’infléchissent avec beaucoup de force. J’ai fixé, dans une pince, une soie de cochon de façon qu’une longueur d’un pouce (2,539 centimètres) sorte de la pince ; cette soie a cédé quand j’ai essayé de relever avec elle un tentacule infléchi qui était un peu plus mince que la soie elle-même. L’étendue du mouvement est, elle aussi, considérable. Les tentacules complètement redressés décrivent en s’infléchissant un angle de 180° ; s’ils sont réfléchis, comme cela arrive souvent, l’angle décrit est beaucoup plus considérable. Il est probable que ce sont les cellules superficielles situées à la partie mobile du tentacule qui se contractent principalement ou même exclusivement ; en effet, les cellules intérieures ont des parois très-délicates et se trouvent en si petit nombre, qu’elles pourraient à peine faire incliner un tentacule avec précision vers un point donné. Bien que j’aie observé avec soin un grand nombre de feuilles, je n’ai jamais pu découvrir une seule ride à la surface reployée intérieure du tentacule, même dans le cas d’un tentacule qui s’était recourbé complètement en cercle dans des circonstances que je décrirai bientôt.

L’impulsion motrice traverse toutes les cellules mais elle n’agit pas sur toutes. Quand on excite la glande d’un long tentacule extérieur, les cellules supérieures du tentacule ne sont pas du tout affectées ; vers la moitié du tentacule, on peut remarquer une légère inclinaison, mais le principal mouvement est confiné à un court espace situé près de la base ; chez les tentacules intérieurs, la base seule se recourbe. L’impulsion motrice peut se propager dans le limbe de la feuille à travers beaucoup de cellules, du centre jusqu’à la circonférence, sans qu’aucune de ces cellules soit affectée ; dans d’autres cas, l’impulsion motrice peut agir énergiquement sur les cellules et le limbe s’infléchit alors considérablement. Dans ce dernier cas, le mouvement semble dépendre en partie de l’énergie du stimulant et en partie de sa nature, quand les feuilles, par exemple, sont plongées dans certains liquides.

L’aptitude au mouvement que possèdent diverses plantes quand on les irrite, a été attribuée par de hautes autorités à l’exsudation rapide d’un liquide hors de certaines cellules qui, précédemment à l’état de tension, se contractent immédiatement[6].

Que ce soit là ou non la cause première de ces mouvements, le liquide doit sortir des cellules fermées quand elles se contractent ou qu’elles sont pressées les unes contre les autres dans une même direction, à moins toutefois que les cellules ne puissent s’étendre dans quelque autre direction. Par exemple, on peut voir exsuder certains liquides de la surface d’un rejeton jeune et vigoureux que l’on ploie lentement en demi-cercle[7]. Dans le cas du Drosera, il y a certainement un transport considérable de fluide dans tout l’intérieur des tentacules pendant l’inflexion. On peut trouver beaucoup de feuilles chez lesquelles le liquide pourpre des cellules a une teinte également foncée du côté supérieur ou du côté inférieur des tentacules et des deux côtés jusque près de la base. Si l’on provoque un mouvement chez les tentacules d’une de ces feuilles, on observe ordinairement, au bout de quelques heures, que les cellules du côté concave sont beaucoup plus pâles qu’elles n’étaient auparavant, ou sont même tout à fait incolores, tandis que celles du côté convexe sont devenues beaucoup plus foncées en couleur. J’ai pu observer très-facilement, dans deux cas, ce changement de couleur des deux côtés d’un tentacule après qu’un petit fragment de cheveu avait été placé sur les glandes, et que, au bout d’une heure dix minutes environ, les tentacules étaient à moitié inclinés vers le centre de la feuille. Dans un autre cas, après avoir placé un morceau de viande sur une glande, j’ai pu observer que la couleur pourpre passait à intervalles de la partie supérieure à la partie inférieure du tentacule, en descendant le long du côté convexe de ce tentacule en train de s’infléchir. Mais il ne résulte pas de ces observations que les cellules du côté convexe contiennent, pendant l’acte de l’inflexion, plus de liquide qu’elles n’en contenaient auparavant, car, pendant cet acte, le liquide peut se rendre dans le disque ou dans les glandes, qui se mettent alors à sécréter abondamment.

L’inflexion des tentacules, quand les feuilles sont plongées dans un liquide dense, et leur redressement subséquent dans un liquide moins dense, prouvent que le passage du liquide qui entre dans les cellules ou qui en sort peut provoquer des mouvements ressemblant aux mouvements naturels. Mais l’inflexion provoquée dans ces conditions est surtout irrégulière, car les tentacules extérieurs se recourbent quelquefois en spirale. D’autres mouvements contre nature sont de même causés par l’application de liquides denses, dans le cas, par exemple, de gouttes de sirop apposées aux côtés inférieurs des feuilles et des tentacules. On peut comparer ces mouvements aux contorsions que subissent beaucoup de tissus végétaux quand ils sont soumis à l’exosmose. Il est par conséquent douteux que ces phénomènes jettent quelque lumière sur les mouvements naturels.

Si nous admettons que la sortie du liquide est la cause de l’inflexion des tentacules, nous devons supposer que les cellules, avant l’acte de l’inflexion, se trouvent à un degré extraordinaire de tension et qu’elles sont élastiques au suprême degré, car, autrement, leurs contractions ne feraient pas décrire aux tentacules un angle de plus de 180°. Dans son intéressant mémoire sur les mouvements des étamines de certaines Composées, le professeur Cohn affirme que ces organes quand ils sont morts sont aussi élastiques que des fils de caoutchouc, et qu’ils n’ont alors que la moitié de la longueur qu’ils avaient pendant leur vie[8]. Il croit que le protoplasma vivant contenu dans les cellules est ordinairement à l’état d’expansion, mais qu’il est paralysé par l’irritation et qu’il est même sujet à une mort temporaire ; l’élasticité des parois des cellules entre alors en jeu et cause la contraction des étamines. Or, les cellules du côté supérieur ou concave de la partie flexible des tentacules du Drosera ne paraissent pas être à l’état de tension ou être extrêmement élastiques ; car, si une feuille est tuée soudainement, ou si elle vient à mourir lentement, ce n’est pas le côté supérieur des tentacules, mais bien le côté inférieur qui se contracte par suite de son élasticité. Nous pouvons donc conclure qu’on ne peut expliquer les mouvements des tentacules par l’élasticité inhérente à certaines cellules, qui s’opposent à ces mouvements aussi longtemps qu’elles sont vivantes et qu’elles ne sont pas irritées par l’état de tension de leur contenu.

D’autres physiologistes soutiennent une hypothèse quelque peu différente, à savoir que le protoplasma, quand il est irrité, se contracte comme le sarcode mou des muscles des animaux. Chez le Drosera, le liquide contenu dans les cellules des tentacules à la partie flexible, a, examiné au microscope, l’aspect d’un liquide peu dense et homogène ; après l’agrégation, ce liquide se transforme en petites masses de substances molles subissant des changements de forme incessants et flottant dans un liquide presque incolore. Ces masses se dissolvent complétement quand les tentacules se redressent. Or il semble à peine possible que ces matières soient douées d’une puissance mécanique directe ; mais si, par suite de quelques changements moléculaires, elles occupent un espace moins considérable qu’auparavant, les parois des cellules doivent, sans aucun doute, se refermer et se contracter. Mais, dans ce cas, on devrait apercevoir des rides sur les parois et l’on n’en a jamais observé. En outre, le contenu de toutes les cellules semble avoir exactement la même nature avant et après l’agrégation, et cependant quelques cellules de la base se contractent seules, car tout le tentacule reste droit.

Quelques physiologistes ont avancé une troisième hypothèse, qui est d’ailleurs rejetée par presque tous les autres, c’est-à-dire que la cellule entière y compris les parois se contracte énergiquement. Si les parois se composent uniquement de cellulose non azotée, cette hypothèse est très-improbable ; mais on peut à peine douter que ces parois ne soient pénétrées par des matières protéïques, tout au moins pendant la croissance. Il ne semble d’ailleurs y avoir aucune improbabilité absolue à ce que les parois des cellules du Drosera se contractent, si l’on considère la perfection de leur organisation prouvée par la faculté qu’ont les glandes d’absorber et de sécréter, et par leur sensibilité exquise à la pression des corps les plus légers. Les parois des cellules des pédicelles sont aptes aussi à recevoir et à transmettre diverses impulsions qui se traduisent par le mouvement et par une augmentation de sécrétion ou d’agrégation. En résumé, l’hypothèse que les parois de certaines cellules se contractent et chassent, pendant cette contraction, une partie du liquide qu’elles contiennent, est peut-être, de toutes, celle qui concorde le mieux avec les faits observés. Si l’on rejette cette hypothèse, il faut accepter comme la plus probable celle qui veut que le liquide contenu dans les cellules diminue de volume par suite d’une modification de son état moléculaire et du rétrécissement des parois qui en est la conséquence. En tout cas, il est difficile d’attribuer le mouvement à l’élasticité des parois combinée à une tension antécédente.

Quant à la nature de l’impulsion motrice qui part des glandes pour descendre jusqu’à la base des pédicelles et qui rayonne à travers le disque, il ne paraît pas improbable qu’elle est étroitement liée à cette influence qui provoque l’agrégation du protoplasma dans les cellules des glandes ou des tentacules. Nous avons vu que ces deux forces prennent leur origine dans les glandes, qu’elles partent toutes deux de ces glandes à quelques secondes d’intervalle et qu’elles sont provoquées par les mêmes causes. L’agrégation du protoplasma dure presque aussi longtemps que l’inflexion des tentacules, même quand cette inflexion persiste pendant plus d’une semaine ; toutefois, le protoplasma se dissout à la partie flexible du tentacule peu de temps avant qu’il se redresse, ce qui prouve que la cause provoquant le phénomène de l’agrégation a alors entièrement cessé. Le contact avec l’acide carbonique retarde beaucoup le phénomène de l’agrégation et la transmission de l’impulsion motrice jusqu’à la base des tentacules. Nous savons que l’agrégation éprouve un certain retard lorsqu’elle a à traverser les parois des cellules ; or nous avons d’excellentes raisons pour croire qu’il en est de même pour l’impulsion motrice, car nous pouvons expliquer ainsi l’inégalité de durée de la transmission de cette impulsion longitudinalement ou transversalement à travers le disque. Examiné avec un fort grossissement, le premier signe de l’agrégation est la formation d’un nuage, puis, bientôt après, des granules extrêmement petits apparaissent dans le liquide pourpre homogène contenu dans les cellules ; cet aspect est probablement dû à la réunion des molécules du protoplasma. Or il ne paraît y avoir rien d’improbable à l’hypothèse que cette même tendance au rapprochement des molécules se communique à la surface intérieure des parois des cellules qui se trouvent en contact avec le protoplasma ; s’il en est ainsi, les molécules des parois se rapprocheraient les unes des autres et la paroi elle-même se contracterait.

On peut, il est vrai, objecter à cette hypothèse, et cela avec beaucoup de raison, que lorsqu’on plonge des feuilles dans diverses solutions énergiques, ou qu’on les soumet à une chaleur de plus de 130° F (54°,4 centig.), il se produit une agrégation, mais aucun mouvement. En outre, divers acides et quelques autres liquides provoquent des mouvements rapides, mais aucune agrégation ; ou bien ce dernier phénomène se présente de façon anormale et seulement après un laps de temps considérable ; mais comme la plupart de ces liquides attaquent plus ou moins les feuilles, ils peuvent arrêter ou empêcher l’agrégation en attaquant ou en tuant le protoplasma. Il y a une autre différence plus importante encore entre les deux phénomènes : quand les glandes du disque sont excitées, elles transmettent une certaine impulsion aux tentacules environnants, impulsion qui agit sur les cellules de la partie flexible des tentacules, mais qui ne provoque pas l’agrégation jusqu’à ce qu’elle ait atteint les glandes ; ce sont les glandes qui réfléchissent une autre impulsion, laquelle provoque l’agrégation du protoplasma, d’abord dans les cellules supérieures, puis dans les cellules inférieures.

Redressement des tentacules. — Ce mouvement est toujours lent et graduel. Quand le centre de la feuille est excité ou qu’une feuille est plongée dans une solution convenable, tous les tentacules s’infléchissent directement vers le centre, puis ensuite se redressent en s’éloignant directement du centre. Mais, quand le point excité se trouve sur un des côtés du disque, les tentacules environnants s’infléchissent vers ce point et, par conséquent, dans une direction oblique à la direction normale ; quand ils se redressent ensuite, ils se redressent aussi obliquement pour reprendre leur position d’origine. Les tentacules les plus éloignés d’un point excité, quelque part d’ailleurs que puisse se trouver ce point, sont les derniers et les moins affectés, et, probablement, en conséquence de ce fait, ce sont les premiers qui se redressent. La partie flexible d’un tentacule fortement infléchi se trouve dans un état de contraction active, ce que prouve l’expérience suivante. Je plaçai de la viande sur une feuille ; après que les tentacules se furent fortement infléchis et eurent complètement accompli leur mouvement, je coupai des bandes étroites du disque portant quelques tentacules extérieurs et je les plaçai sous le microscope. Après plusieurs essais, je parvins à couper la surface convexe de la partie reployée d’un tentacule. Il se mit immédiatement en mouvement et la partie déjà considérablement reployée continua à se reployer jusqu’à ce qu’il eût formé un cercle parfait, la partie droite du tentacule passant sous un des côtés de la bande. La surface convexe devait donc être intérieurement dans un état de tension suffisant pour balancer la tension de la surface concave qui, mise en liberté, se recourba de façon à former un anneau parfait.

Les tentacules d’une feuille ouverte et non excitée sont modérément rigides et élastiques ; si on les courbe au moyen d’une aiguille, l’extrémité supérieure cède beaucoup plus facilement que la base plus épaisse, qui est la seule partie apte à s’infléchir. La rigidité de cette base semble provenir de ce que la tension de la surface extérieure contrebalance un état de contraction active et persistante des cellules de la surface intérieure. Je crois que c’est là la véritable explication, car si l’on plonge une feuille dans l’eau bouillante, les tentacules se réfléchissent immédiatement, ce qui paraît indiquer que la tension de la surface extérieure est mécanique, tandis que celle de la surface intérieure est vitale et que cette dernière est instantanément détruite par l’action de l’eau bouillante. Ceci nous explique aussi pourquoi les tentacules, à mesure qu’ils deviennent vieux et faibles, se réfléchissent lentement de plus en plus. Si on plonge dans l’eau bouillante une feuille dont les tentacules sont fortement infléchis, ils se soulèvent un peu, mais sans se redresser complètement. Cela peut provenir de ce que la chaleur détruit rapidement la tension et l’élasticité des cellules de la surface convexe ; mais il m’est difficile de croire que la tension, à quelque temps que ce soit, suffise pour ramener les tentacules à leur position normale au repos, en leur faisant souvent décrire un angle de plus de 180°. Il est plus probable que le liquide qui, comme nous le savons, circule dans les tentacules pendant le phénomène de l’inflexion, est lentement attiré dans les cellules de la surface convexe, ce qui augmente ainsi graduellement et continuellement leur tension.

Je ferai, à la fin du chapitre suivant, la récapitulation des principaux faits et des principales observations contenus dans ce chapitre.


  1. Bot. Zeitung, 1860, p. 234.
  2. Bot. Zeitung, 1860, p. 437.
  3. Bot. Zeitung, 1860, p. 240
  4. M. Ziegler a fait des expériences semblables en coupant les vaisseaux spiraux du Drosera intermedia (Compt. rendus, 1874, p. 1417), mais il en est arrivé à des conclusions très-différentes des miennes.
  5. Videnskabelige Keddelelser de la Soc. d’hist. nat. de Copenhague nos 10-12, 1872, fig. 4 et 5.
  6. Sachs, Traité de Bot., 3e édit., 1874, p. 1038. Cette hypothèse a été, je crois, suggérée pour la première fois par Lamarck.
  7. Sachs, Ibid., p. 919.
  8. Abhand. der Schles. Gesell. für vaterlaend. Cultur., 1861 ; Heft I ; les Annals and Mag. of nat. hist., 3e série, 1863, vol. XI, p 188-197, contiennent un excellent résumé de ce mémoire.