Les plantes insectivores/16

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Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
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Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 430-463).

CHAPITRE XVI.

pinguicula.

Pinguicula vulgaris. — Conformation des feuilles. — Nombre des insectes et des autres objets capturés. — Mouvement des bords des feuilles. — Utilité de ce mouvement. — Sécrétion, digestion et absorption. — Action de la sécrétion sur diverses matières animales et végétales. — Effets sur les glandes des matières qui ne contiennent pas de substances azotées solubles. — Pinguicula grandiflora, — Pinguicula lusitanica, capture les insectes. — Mouvement des feuilles, sécrétion et digestion.

PINGUICULA VULGARIS


Cette plante croît dans les endroits humides, ordinairement sur les montagnes, elle porte, en moyenne, huit feuilles oblongues, assez épaisses, d’un vert clair, surmontant une tige très-courte. Une feuille arrivée à sa croissance parfaite a environ 1 pouce 1/2 de longueur et 3/4 de pouce de largeur. Les jeunes feuilles centrales sont très-concaves et presque verticales ; les plus vieilles feuilles, qui forment une espèce de cercle ayant de 3 à 4 pouces de diamètre autour de la plante, sont plates ou convexes et reposent sur le sol. Les bords des feuilles sont recourbés. Leur surface supérieure est couverte de deux espèces de poils glandulaires, différents par le volume des glandes et la longueur des pédicelles. Vues d’en haut les plus grosses glandes semblent rondes et ont une épaisseur modérée ; elles sont divisées au moyen de cloisons rayonnantes en seize cellules contenant un liquide homogène vert clair et surmontent un pédicelle allongé, unicellulaire avec un noyau et un nucléole et reposant sur une légère proéminence. Les petites glandes ne diffèrent des grandes qu’en ce qu’elles comportent environ la moitié moins de cellules contenant un liquide beaucoup plus clair et qu’elles surmontent un pédicelle beaucoup plus court. Auprès de la nervure médiane, vers la base de la feuille, les pédicelles sont multicellulaires, en outre, ils sont plus longs que partout ailleurs et portent des glandes plus petites. Toutes les glandes sécrètent un liquide incolore tellement visqueux que j’ai pu l’étirer en un fil fin sur une longueur de 18 pouces (45 centim.) ; toutefois, je dois ajouter que dans ce cas le liquide était sécrété par une glande qui avait été excitée. Le bord de la feuille est translucide et ne porte pas de glandes ; les vaisseaux spiraux, partant de la côte centrale, se terminent dans le bord par des cellules marquées par une ligne spirale ressemblant un peu à celles qui se trouvent dans les glandes du Drosera.

Les racines sont courtes. Je déracinai trois plantes dans le nord du pays de Galles, le 20 juin, et je les lavai avec soin ; chacune avait cinq ou six racines sans ramifications dont la plus longue avait seulement 1 pouce 2/10 de longueur (3,039 centim.). J’examinai le 28 septembre deux plantes assez jeunes ; ces plantes avaient un grand nombre de racines c’est-à-dire l’une huit, l’autre dix-huit, mais toutes avaient moins d’un pouce de longueur et fort peu de divisions.

M. W. Marshall m’a appris que, sur les montagnes du Cumberland, beaucoup d’insectes adhèrent aux feuilles de cette plante ; c’est ce qui m’a conduit à étudier ses habitudes avec soin :

Un de mes amis m’a envoyé, le 23 juin, trente-neuf feuilles provenant des parties septentrionales du pays de Galles, qu’il avait choisies parce qu’un assez grand nombre d’objets de toute sorte adhéraient à ces plantes. Sur ces trente-neuf feuilles, trente-deux avaient capturé 142 insectes, soit, en moyenne, 4,4 insectes par feuille et encore n’ai-je pas compté les petits fragments. Outre les insectes, des petites feuilles, appartenant quatre espèces différentes de plantes, celles de l’Erica tetralix étant de beaucoup la plus commune, et trois petites plantes microscopiques emportées par le vent adhéraient à dix-neuf feuilles. Une de ces feuilles avait capturé jusqu’à dix feuilles de l’Erica. En outre, j’ai trouvé sur six feuilles des graines, des fruits, le plus ordinairement des Carex et un Juncus outre des fragments de mousses et d’autres fragments. Le même ami, le 27 juin, recueillit neuf plantes portant soixante-quatorze feuilles qui toutes, à l’exception de trois, avaient capturé des insectes ; je comptai 30 insectes sur une feuille, 18 sur une deuxième et 16 sur une troisième. Un autre de mes amis examina, le 22 juin, quelques plants de Pinguicula dans le comté de Donegal en Irlande ; ces plantes portaient cent cinquante-sept feuilles, sur lesquelles soixante-dix avaient capturé des insectes ; il m’envoya quinze de ces feuilles qui chacune portait en moyenne 24 insectes. En outre, à neuf de ces feuilles adhéraient d’autres feuilles, principalement d’Erica tetralix ; toutefois, je dois ajouter qu’il avait choisi tout particulièrement les feuilles de Pinguicula qu’il m’a envoyées à cause de cette dernière particularité. Il est bon d’ajouter enfin, qu’au commencement d’août, mon fils trouva des feuilles de cette même Erica et les fruits d’un Carex adhérant aux feuilles d’une espèce de Pinguicula en Suisse, probablement le Pinguicula alpina ; quelques insectes, mais en petit nombre, adhéraient aussi aux feuilles de cette plante qui a des racines beaucoup plus développées que celles du Pinguicula vulgaris. M. Marshall, habitant le Cumberland, examina avec beaucoup de soin, le 3 septembre, dix plantes portant quatre-vingts feuilles ; il trouva des insectes sur soixante-trois de ces feuilles, c’est-à-dire sur soixante-dix-neuf pour cent ; elles portaient 143 insectes, de telle sorte que chaque feuille portait en moyenne 2,27 insectes. Quelques jours plus tard, il m’envoya quelques plants sur lesquels je trouvai soixante graines ou fruits adhérents à quatorze feuilles. J’ai retrouvé une graine d’une même espèce sur trois feuilles de la même plante. Les seize graines appartenaient à neuf espèces différentes que je ne pus reconnaître, sauf une graine de Ranunculus et plusieurs autres appartenant à trois ou quatre espèces distinctes de Carex. Il semble que le Pinguicula capture moins d’insectes au commencement de l’automne que plus tôt dans l’année ; ainsi, dans le Cumberland, on a pu observer au milieu de juillet, des feuilles portant de 20 à 24 insectes, tandis qu’au commencement de septembre le nombre moyen des insectes capturés ne s’élève plus qu’à 2,27 par feuille. La plupart des insectes capturés dans les cas que nous venons de citer sont des diptères, mais on y trouve aussi beaucoup de petits hyménoptères, y compris quelques fourmis, et, en outre, quelques petits coléoptères, des larves, des araignées et même des petits papillons.

Nous voyons ainsi que les feuilles visqueuses capturent de nombreux insectes et d’autres objets ; mais ce fait ne nous donne pas le droit de conclure que l’habitude est avantageuse à la plante plus qu’elle ne l’est au Mirabilis ou au Marronnier d’Inde. On va voir, cependant, que les insectes et les autres substances azotées provoquent chez les glandes une augmentation de sécrétion ; que cette sécrétion devient alors acide et qu’elle a la faculté de digérer les substances animales telles que l’albumine, la fibrine, etc. En outre, les substances azotées dissoutes sont absorbées par les glandes, ce qui est prouvé par ce fait que leur contenu liquide s’agrège en masses granuleuses de protoplasma se mouvant lentement. Les mêmes résultats se produisent quand les insectes sont capturés naturellement, et comme la plante a des racines petites et qu’elle vit dans un sol pauvre, on ne peut douter qu’elle ne tire certains avantages de la faculté dont elle est douée de digérer et d’absorber les substances qu’elle capture ordinairement en si grand nombre. Mais, avant d’aller plus loin, il est indispensable de décrire les mouvements des feuilles.

Mouvements des feuilles. — On n’aurait jamais soupçonné que des feuilles aussi grandes et aussi épaisses que celles du Pinguicula vulgaris puissent se recourber en dedans à la suite d’une excitation. Pour s’en assurer par l’expérience, il faut choisir des feuilles dont les glandes sécrètent bien et que l’on a empêché de capturer beaucoup d’insectes ; en effet, les vieilles feuilles, ou tout au moins celles des pieds qui vivent à l’état sauvage, ont déjà les bords si complètement recourbés qu’elles se meuvent fort peu ou très-lentement. Je commencerai par donner le détail des expériences les plus importantes que j’ai faites, puis j’en tirerai quelques conclusions.

Première expérience. — Je choisis une feuille jeune et presque perpendiculaire, dont les deux bords latéraux étaient très-légèrement et très-également recourbés. Je plaçai sur un des bords une rangée de petites mouches. Quand j’observai la feuille, le lendemain matin, au bout de quinze heures, ce bord était recourbé à l’intérieur comme le pavillon d’une oreille humaine, sur une largeur d’environ 1/10 de pouce (0,25 centim.), de façon à recouvrir en partie la rangée de mouches (fig. 15) ; l’autre bord n’avait pas bougé. Les glandes, sur lesquelles reposaient les mouches, aussi bien que les glandes du bord qui s’était recourbé et qui, par conséquent, s’étaient trouvées en contact avec les mouches, sécrétaient toutes abondamment.


Fig. 15.
Pinguicula vulgaris

Tracé d’une feuille dont le bord gauche s’est infléchi sur une rangée de petites mouches.
Deuxième expérience. — Je plaçai une rangée de mouches sur le bord d’une feuille assez vieille reposant sur le sol, après le même intervalle que dans le cas précédent c’est-à-dire au bout de quinze heures, le bord portant les mouches commençait à se recourber ; mais les glandes avaient déversé tant de sécrétion que l’extrémité supérieure de la feuille, qui affecte quelque peu la forme d’une cuiller, était remplie de ces matières sécrétées.

Troisième expérience. — Je plaçai des fragments d’une grosse mouche auprès de l’extrémité supérieure d’une feuille vigoureuse, et d’autres fragments sur la moitié de la longueur de l’un des bords. Au bout de quatre heures vingt minutes, la feuille s’était évidemment recourbée ; elle continua de le faire un peu pendant l’après-midi, mais, le lendemain matin, je la retrouvai dans le même état. Les deux bords s’étaient recourbés près du sommet. Dans aucun cas, je n’ai vu le sommet lui-même se replier vers la base de la feuille. Au bout de quarante-huit heures, en comptant toujours depuis le moment où les mouches furent posées sur la feuille, les bords commencèrent à se redresser.

Quatrième expérience. — Je plaçai un gros fragment de mouche sur le milieu d’une feuille un peu au-dessous du sommet. Au bout de trois heures, les deux bords latéraux étaient perceptiblement recourbés ; au bout de quatre heures vingt minutes, ils l’étaient à tel point que le fragment était embrassé par les deux bords. Au bout de vingt-quatre heures, les deux bords recourbés près du sommet, car la partie inférieure de la feuille n’avait pas été affectée, ont été mesurés et ils se trouvaient alors éloignés l’un de l’autre de 0,11 de pouce (2,794 millim.). J’enlevai alors la mouche et je fis couler de l’eau sur la feuille de façon à bien laver la surface : au bout de vingt-quatre heures les bords étaient à 0,25e de pouce (6,349 millim.) l’un de l’autre, ce qui prouve qu’ils s’étaient considérablement redressés. Au bout d’un nouveau laps de temps de vingt-quatre heures, ils étaient complétement redressés. Je plaçai alors une autre mouche au même endroit pour voir si cette feuille, sur laquelle la première mouche avait reposé vingt-quatre heures, se mettrait de nouveau en mouvement ; au bout de dix heures, la feuille s’était quelque peu recourbée, mais elle resta immobile pendant les vingt-quatre heures qui suivirent. Je plaçai aussi un morceau de viande sur le bord d’une feuille qui s’était refermée quatre jours avant sur une mouche et qui s’était ensuite redressée ; mais la viande ne provoqua même pas une trace d’inflexion. Tout au contraire, le bord sembla se recourber quelque peu en arrière, comme s’il était endommagé, et il resta dans cet état pendant les trois jours suivants, c’est-à-dire aussi longtemps que je l’ai observé.


Fig. 16.
Pinguicula vulgaris

Tracé d’une feuille dont le bord droit est infléchi sur 2 morceaux carrés. de viande.
Cinquième expérience. — Je plaçai un gros morceau de mouche à une distance égale de la base et du sommet et à une distance égale de la côte centrale et de l’un des bords. Une petite partie de ce bord, juste en face de la mouche, présentait des traces d’inflexion au bout de trois heures, inflexion qui se développa fortement au bout de sept heures. Au bout de vingt-quatre heures, le bord recourbé ne se trouvait plus qu’à 16/100 d’un pouce (4,064 millim.) de la côte centrale. Le bord commença alors à se redresser, bien que j’aie laissé la mouche sur la feuille, de telle sorte que, le lendemain matin, c’est-à-dire quarante-huit heures à partir du moment où j’avais placé la mouche sur la feuille, le bord recourbé avait presque repris sa position originelle ; il se trouvait alors éloigné d’environ 3/10 de pouce (7,62 millim.) du centre de la feuille, au lieu de 16/100 de pouce. Cependant une trace d’inflexion était encore visible.

Sixième expérience. — Je choisis une jeune feuille concave dont les bords étaient légèrement et naturellement recourbés. Je plaçai sur ces feuilles deux morceaux rectangulaires oblongs, assez gros, de viande rôtie, de façon à ce que leurs extrémités touchassent le bord recourbé et à ce qu’il y ait une distance entre eux de 46/100 de pouce (11,68 millim.). Au bout de vingt-quatre heures, le bord était considérablement et également recourbé (voir fig. 16) sur tout cet espace et sur une longueur de 12 à 13 centièmes de pouce (3,048 à 3,302 millim.) au-dessus et au-dessous de chaque morceau de viande ; de telle sorte que le bord avait été affecté sur une longueur plus grande entre les deux morceaux, grâce à leur action combinée, qu’au delà de chacun des morceaux. Les morceaux de viande étaient trop gros pour que le bord recourbé pût les embrasser, mais ils furent soulevés, et l’un d’eux avait pris une position presque verticale. Au bout de quarante-huit heures, les bords s’étaient presque complètement redressés et les morceaux de viande étaient retombés à leur place primitive. J’examinai de nouveau la feuille deux jours après : le bord s’était complètement redressé, à l’exception de sa courbe naturelle ; un des morceaux de viande qui, dans le principe, touchait le bord, se trouvait actuellement à 0,067 de pouce (1,70 millim.) de distance, ce qui prouve qu’il avait été repoussé par l’inflexion du bord sur le limbe de la feuille.

Septième expérience. — Je plaçai un morceau de viande tout auprès du bord recourbé d’une feuille assez jeune ; après que le bord se fut redressé, le morceau de viande se trouvait à 11/100 de pouce (2,795 millim.) du bord. La distance du bord à la côte centrale de la feuille, bien étendue, s’élevait à 0,35 de pouce (8,89 millim.) : de sorte que le morceau de viande avait été repoussé vers le centre et avait parcouru près d’un tiers du demi-diamètre de la feuille.

Huitième expérience. — Je plaçai en contact immédiat avec le bord recourbé de deux feuilles, une vieille et une jeune, des cubes d’épongé imbibée d’une forte infusion de viande crue. Je mesurai avec soin la distance des bords de la feuille à la côte centrale. Au bout d’une heure dix-sept minutes, je crus remarquer une trace d’inflexion. Au bout de deux heures dix-sept minutes, les deux feuilles étaient évidemment infléchies ; la distance qui séparait les bords de la côte centrale n’était plus alors que la moitié de ce qu’elle était dans le principe. L’inflexion augmenta légèrement pendant les quatre heures et demie qui suivirent, puis elle resta à peu près la même pendant dix-sept heures trente minutes. Trente-cinq heures après que les éponges eurent été placées sur les feuilles, les bords s’étaient un peu redressés, un peu plus chez la plus jeune feuille que chez la plus vieille. Cette dernière ne se redressa complètement que le troisième jour, et les deux parcelles d’éponge avaient été alors transportées à la distance de 0,1 de pouce (2,54 millim.) du bord, ou environ le quart de la distance entre le bord et la côte centrale. Un troisième morceau d’éponge adhérait au bord, et celui-ci, en se redressant, ramena l’éponge dans sa position primitive.

Neuvième expérience. — Je plaçai tout auprès du bord naturellement reployé d’une feuille, sur toute l’étendue d’un des côtés de cette feuille, une chaîne de fibres de viande rôtie aussi ténues que des soies de porc et humectées avec de la salive. Au bout de trois heures, ce côté s’était recourbé dans toute sa longueur ; au bout de huit heures, il formait un cylindre ayant environ 1/20e de pouce (1,27 millim.) de diamètre qui cachait complètement la viande. Ce cylindre resta en cet état pendant trente-deux heures ; au bout de quarante-huit heures, le bord s’était à moitié redressé et, au bout de soixante-douze heures, il avait repris sa position naturelle et ne pouvait pas se distinguer du bord opposé de la feuille qui n’avait pas reçu de viande. Les fibres de viande ayant été complètement enveloppées par le bord ne furent pas poussées vers le centre du limbe de la feuille.

Dixième expérience. — Je plaçai en rangée longitudinale, tout auprès du bord étroit recourbé d’une feuille, six graines de chou que j’avais fait tremper dans l’eau pendant une nuit. Nous verrons ci-après que ces graines cèdent des matières solubles aux glandes. Au bout de deux heures vingt-cinq minutes, le bord s’était certainement infléchi ; au bout de quatre heures, il s’étendait sur les graines, sur la moitié environ de leur longueur, et, au bout de sept heures, sur les trois quarts de leur largeur, formant un cylindre ayant environ 0,7 de pouce (1,778 millim.) de diamètre, mais qui n’était pas tout à fait fermé du côté inférieur. Au bout de vingt-quatre heures, l’inflexion n’avait pas augmenté, peut-être même avait-elle diminué un peu. Les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec les surfaces supérieures des graines sécrétaient alors abondamment. Trente-six heures après que les graines eurent été posées sur la feuille, le bord s’était considérablement redressé ; quarante-huit heures après il l’était complètement. Les graines n’étant plus retenues par le bord infléchi et la sécrétion commençant à manquer, elles roulèrent à quelque distance dans le canal marginal.

Onzième expérience. — Je plaçai des fragments de verre sur les bords de deux belles feuilles toutes jeunes. Au bout de deux heures trente minutes, le bord de l’une s’était certainement légèrement recourbé ; toutefois, l’inflexion n’augmenta pas et disparut au bout de seize heures trente minutes, à partir du moment où les fragments avaient été placés sur la feuille. J’observai chez la seconde feuille, au bout de deux heures quinze minutes, une trace d’inflexion, qui se dessina un peu plus au bout de quatre heures trente minutes et qui, au bout de sept heures, était encore plus fortement prononcée ; toutefois, au bout de dix-neuf heures trente minutes, cette inflexion avait évidemment diminué. Les fragments de verre excitèrent tout au plus une augmentation légère, très-douteuse même, de la sécrétion ; d’ailleurs, dans deux autres expériences, je n’ai pu discerner aucune augmentation de la sécrétion. Des parcelles de cendres et de charbon, placées sur une feuille, ne produisirent aucun effet, soit à cause de leur légèreté, soit parce que la feuille n’était pas à l’état actif.

Douzième expérience. — Occupons-nous actuellement des liquides. Je plaçai, le long des bords de deux feuilles, une rangée de gouttes d’une forte infusion de viande crue ; je plaçai en même temps, le long des bords opposés, des morceaux carrés d’éponge imbibés de la même infusion. Je voulais m’assurer si un liquide agit aussi énergiquement qu’une substance portant aux glandes la même matière soluble. Je ne pus constater aucune différence ; il n’y en avait certainement aucune dans le degré de l’inflexion ; mais l’inflexion autour des morceaux d’éponge dura un peu plus longtemps, ce à quoi il fallait peut-être s’attendre, parce que l’éponge reste humide plus longtemps et fournit aussi plus longtemps des matières azotées. Les bords portant les gouttes s’étaient certainement infléchis au bout de deux heures dix-sept minutes ; l’inflexion augmenta ensuite quelque peu, mais au bout de vingt-quatre heures elle avait considérablement diminué.

Treizième expérience. — Je plaçai des gouttes de la même infusion de viande crue le long de la côte centrale d’une jeune feuille et offrant une concavité très-prononcée. La distance, à la partie la plus large de la feuille, entre les bords naturellement recourbés, s’élevait à 0,55 de pouce (13,97 millim.). Au bout de trois heures vingt-sept minutes, cette distance avait un peu diminué ; au bout de six heures vingt-sept minutes, cette distance s’élevait exactement à 0,45 de pouce (11,43 millim.) ; elle avait donc diminué de 0,1 de pouce (2,54 millim.). Au bout de dix heures trente-sept minutes, les bords commencèrent à se redresser, car la distance d’un bord à l’autre était alors un peu plus grande et, au bout de vingt-quatre heures vingt minutes, la feuille avait repris absolument l’aspect qu’elle avait quand j’y déposai les gouttes. Cette expérience nous enseigne que l’impulsion motrice peut se transmettre à une distance de 0,22 de pouce (5,59 millim.) dans une direction transversale allant de la côte centrale aux deux bords ; mais il serait plus juste de dire 0,2 de pouce (5,08 millim.), car les gouttes s’étalent un peu en dehors de la côte centrale. L’inflexion ainsi produite dure pendant un laps de temps très-court.

Quatorzième expérience. — Je plaçai sur le bord d’une feuille trois gouttes d’une solution contenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 218 parties d’eau (2 grains de sel pour 1 once d’eau). Ces gouttes excitèrent une sécrétion si abondante qu’au bout de une heure vingt-deux minutes elles s’étaient confondues et n’en formaient plus qu’une ; mais, bien que j’aie observé cette feuille pendant vingt-quatre heures, je ne remarquai chez elle aucune trace d’inflexion. Nous savons qu’une solution assez forte de ce sel paralyse la puissance motrice des feuilles du Drosera, bien qu’elle n’attaque pas ces feuilles, et les expériences suivantes me prouvent que l’on peut appliquer la même remarque au Pinguicula.

Quinzième expérience. — Je plaçai sur le bord d’une feuille une rangée de gouttes d’une solution contenant 1 partie de carbonate d’ammoniaque pour 875 parties d’eau (1 grain de sel pour 2 onces d’eau) ; au bout d’une heure, je crus remarquer une légère inflexion, qui était fortement prononcée au bout de trois heures trente minutes. Au bout de vingt-quatre heures, les bords s’étaient presque complètement redressés.

Seizième expérience. — Je plaçai sur le bord d’une feuille une rangée de grosses gouttes d’une solution contenant 1 partie de phosphate d’ammoniaque pour 4,375 parties d’eau (1 grain de sel pour 10 onces d’eau). Aucun effet ne se produisit ; au bout de huit heures, je plaçai de nouvelles gouttes sur le même bord sans le moindre effet. Nous savons qu’une solution de cette force agit énergiquement sur le Drosera, mais il est possible que cette solution ait été trop forte. Je regrette de n’avoir pas essayé une solution plus faible.

Dix-septième expérience. — Comme la pression de fragments de verre cause l’inflexion, je chatouillai pendant quelques minutes les bords de deux feuilles avec une aiguille émoussée, mais il ne se produisit aucun effet. Je chatouillai aussi, pendant dix minutes, avec l’extrémité d’une soie de porc, la surface d’une feuille au-dessous d’une goutte d’une forte infusion de viande crue, de façon à imiter les ébats d’un insecte capturé ; mais cette partie du bord ne s’infléchit pas plus rapidement que les autres parties où se trouvaient des gouttes de solution que je ne troublai pas.

Les expériences précédentes nous apprennent que les bords des feuilles se recourbent en dedans quand elles sont excitées par la simple pression d’objets qui ne fournissent aucune matière soluble, par des objets qui fournissent ces matières et par quelques liquides, à savoir : une infusion de viande crue et une faible solution de carbonate d’ammoniaque. Une solution plus concentrée, contenant deux grains de ce sel pour 1 once d’eau, paralyse la feuille, bien qu’elle excite chez elle des sécrétions abondantes. Des gouttes d’eau ou des gouttes d’une solution de sucre ou de gomme ne produisent aucun mouvement chez les feuilles. J’ai chatouillé la surface d’une feuille pendant quelques minutes sans aucun résultat. Par conséquent, autant tout au moins que nous le savons jusqu’à présent, deux causes seules, c’est-à-dire une pression légère continue et l’absorption de matières azotées, provoquent un mouvement chez la feuille. Chez le Pinguicula ce sont les bords seuls de la feuille qui se recourbent, car le sommet ne s’incline jamais vers la base. Les pédicelles des poils glanduleux ne sont pas doués de la faculté du mouvement. J’ai observé, dans plusieurs occasions, que la surface de la feuille devient légèrement concave aux endroits où ont reposé pendant longtemps des morceaux de viande ou de grosses mouches, mais cet effet peut être dû à une sorte de maladie due à une stimulation excessive.

Le temps le plus court au bout duquel j’ai pu observer un mouvement bien prononcé a été de deux heures dix-sept minutes ; cela s’est produit seulement quand j’ai placé sur les feuilles des matières ou des liquides azotés. Je crois toutefois avoir, dans quelques cas, distingué une trace de mouvement au bout d’une heure ou d’une heure trente minutes. La pression exercée par des fragments de verre excite un mouvement presque aussi rapide que l’absorption des matières azotées, mais le degré d’inflexion produite est beaucoup moindre. Une feuille qui s’est bien infléchie et qui s’est ensuite redressée ne répond pas de longtemps à une nouvelle excitation. Le bord d’une feuille a été affecté longitudinalement sur une distance de 0,13 de pouce (3,302 millim.), de chaque côté d’un point excité ; l’excitation s’est propagée sur une longueur de 0,46 de pouce entre deux points excités et transversalement sur une distance de 0,2 de pouce (5,08 millim.). L’impulsion motrice n’est pas accompagnée, comme il arrive chez le Drosera, d’une impulsion quelconque causant une augmentation de sécrétion ; en effet, quand on excite une seule glande de Pinguicula de façon à la faire sécréter abondamment, les glandes environnantes ne sont pas du tout affectées. L’inflexion du bord se produit indépendamment d’une augmentation de sécrétion, car les fragments de verre ne produisent que peu ou pas de sécrétion et cependant ils provoquent un mouvement ; au contraire, une forte solution de carbonate d’ammoniaque provoque rapidement des sécrétions abondantes, mais ne cause aucun mouvement.

Un des faits les plus curieux relativement au mouvement des feuilles du Pinguicula est le court laps de temps pendant lequel elles restent infléchies, bien qu’on laisse sur elles l’objet qui a causé l’excitation. Dans la majorité des cas, j’ai observé un redressement bien marqué vingt-quatre heures après avoir placé sur les feuilles des morceaux de viande même assez gros, ou des substances analogues ; dans tous les cas le redressement s’est opéré dans les quarante-huit heures. Dans un cas, le bord d’une feuille est resté étroitement recourbé pendant trente-deux heures sur des fibres de viande très-minces ; dans un autre cas où j’avais placé sur la feuille un morceau d’éponge imbibé d’une forte infusion de viande crue, le bord a commencé à se redresser au bout de trente-cinq heures. Les bords de la feuille restent infléchis moins longtemps sur des fragments de verre que sur des substances azotées ; en effet, le redressement complet s’opère en seize heures trente minutes quand la feuille a été excitée avec des fragments de verre. Les liquides azotés agissent pendant moins longtemps que les substances azotées ; ainsi, quand j’ai placé des gouttes d’une infusion de viande crue sur la côte centrale d’une feuille, les bords infléchis ont commencé à se redresser au bout de dix heures trente-sept minutes ; c’est là, d’ailleurs, le redressement le plus rapide que j’aie observé, mais il faut peut-être en chercher l’explication dans la distance qui séparait les bords de la nervure centrale sur laquelle reposaient les gouttes.

Ces faits nous amènent naturellement à nous demander quelle est l’utilité de ce mouvement qui se prolonge pendant si peu de temps. Si l’on place tout auprès du bord des objets très-petits, tels que des fibres de viande, ou des objets assez petits, tels que des petites mouches ou des graines de chou, ces objets sont enveloppés complètement ou en partie par le bord. Les glandes du bord qui s’enroule se trouvent ainsi placées en contact avec ces objets ; elles déversent leur sécrétion et absorbent ensuite les substances digérées. Mais comme l’inflexion dure fort peu de temps, le bénéfice que la plante en peut retirer doit avoir seulement une bien petite importance, plus grande cependant peut-être qu’on ne le penserait tout d’abord. Le Pinguicula habite les régions humides, et les insectes qui adhèrent à toutes les parties de la feuille sont transportés, par toutes les averses un peu fortes, dans le canal étroit formé par les bords naturellement relevés. Par exemple, un de mes amis, habitant le nord du pays de Galles, plaça plusieurs insectes sur quelques feuilles ; deux jours après, il avait plu fortement dans l’intervalle ; il trouva que quelques-uns de ces insectes avaient disparu, mais que beaucoup d’autres avaient été poussés vers les bords, qui s’étaient complètement refermés sur eux et dont les glandes sécrétaient alors sans aucun doute. Ceci nous explique comment il se fait que l’on trouve ordinairement un si grand nombre d’insectes et de fragments d’insectes dans le canal formé par les bords recourbés des feuilles.

L’inflexion du bord, dû à la présence d’un objet excitant, doit rendre à la plante des services probablement plus importants à un autre point de vue. Nous avons vu que, quand on place sur la feuille de gros morceaux de viande ou d’éponge imbibée de suc de viande, le bord ne peut pas les envelopper en se recourbant ; mais, à mesure qu’il s’infléchit, il pousse très-lentement ces morceaux vers le centre de la feuille et les amène à une distance du bord qui s’élève au moins à 0,1 de pouce (2,54 millim.), c’est-à-dire qu’il leur fait parcourir un tiers ou un quart de la distance qui sépare le bord de la nervure centrale. Un objet quel qu’il soit, un insecte assez gros, par exemple, doit être ainsi placé lentement en contact avec un bien plus grand nombre de glandes et provoquer ainsi beaucoup plus de sécrétions et d’absorptions qu’il n’y en aurait eu autrement. Nous pouvons conclure que c’est là une qualité très-utile à la plante, car le Drosera a acquis une faculté de mouvement très-développée dans le seul but de pouvoir placer toutes ses glandes en contact avec les insectes capturés. De même, quand une feuille de Dionée a capturé un insecte, la pression lente qu’exercent l’un sur l’autre les deux lobes ne sert qu’à placer les glandes des deux côtés en contact avec cet insecte et provoque aussi la répartition de la sécrétion, chargée de matières animales, sur toute la surface de la feuille, au moyen de l’attraction capillaire. Chez le Pinguicula, dès qu’un insecte a été poussé sur une certaine distance vers le centre du limbe, le redressement immédiat des bords doit être avantageux pour la plante, car ces mêmes bords ne peuvent capturer une nouvelle proie qu’à la condition de s’être d’abord redressés. Les services rendus à la plante par cette poussée, aussi bien que celui rendu par le contact, quelque court qu’il soit, des glandes marginales avec la surface supérieure des petits insectes capturés, suffisent peut-être à expliquer les mouvements particuliers des feuilles du Pinguicula ; autrement, il faut regarder ces mouvements comme le reste de facultés plus développées que possédaient autrefois les ancêtres du genre.

Chez les quatre espèces britanniques et, comme me l’apprend le professeur Dyer, chez toutes, ou chez presque toutes les espèces du genre, les bords des feuilles sont naturellement plus ou moins recourbés de façon permanente. Cette position sert, comme nous l’avons déjà vu, à empêcher les insectes d’être entraînés par la pluie ; elle sert, en outre, à atteindre un autre but. Quand un grand nombre de glandes ont été énergiquement excitées par des morceaux de viande, des insectes ou tout autre objet, la sécrétion découle souvent sur la feuille et les bords recourbés l’empêchent de tomber en dehors et de se perdre. À mesure que cette sécrétion traverse le canal ainsi formé, de nouvelles glandes sont mises à même d’absorber les matières animales qu’elle contient en solution. En outre, la sécrétion se réunit souvent en petits amas dans le canal ou vers le sommet de la feuille qui ressemble alors à une cuiller ; or, je me suis assuré que des morceaux d’albumine, de fibrine et de gluten se dissolvent plus rapidement et plus complètement au milieu de ces amas qu’ils ne le font sur la surface de la feuille là où la sécrétion ne peut pas s’accumuler ; il doit en être de même pour les insectes capturés naturellement. J’ai vu la sécrétion se rassembler ainsi bien des fois sur les feuilles de plantes protégées contre la pluie ; or, les plantes exposées à la pluie ont encore bien plus besoin d’un agencement quelconque pour empêcher, autant que possible, la déperdition complète de la sécrétion et des matières animales qu’elle contient en dissolution.

J’ai déjà fait remarquer que les bords des feuilles des plantes croissant à l’état sauvage sont beaucoup plus fortement recourbés que ceux des plantes cultivées en pot que l’on empêche de capturer beaucoup d’insectes. Nous avons vu que les insectes entraînés par la pluie viennent souvent se placer près des bords, qui, excités par leur présence, se recourbent de plus en plus ; or, nous pouvons penser que cette action, répétée bien des fois pendant la vie de la plante, prédispose ses bords à rester de plus en plus recourbés d’une façon permanente. Je regrette de n’avoir pas pensé en temps utile à cette hypothèse pour pouvoir déterminer par l’expérience si elle est fondée.

Je puis ajouter ici, bien que ce fait ne se rapporte pas immédiatement au sujet qui nous occupe, que, lorsqu’on arrache une plante, les feuilles s’inclinent immédiatement de façon à cacher presque entièrement les racines ; cette remarque a été faite par beaucoup de personnes. Je suppose que ce fait est dû à la même tendance qui pousse les feuilles extérieures les plus vieilles à reposer sur le sol. Il paraît, en outre, que les tiges à fleurs sont irritables dans une certaine mesure, car le docteur Johnson constate qu’elles s’inclinent en arrière si on les saisit un peu rudement[1].

Sécrétion, absorption et digestion. — Je vais donner d’abord le détail de mes observations et de mes expériences et je donnerai ensuite le résumé des résultats obtenus.

EFFETS PRODUITS PAR LES SUBSTANCES CONTENANT DES MATIÈRES AZOTÉES SOLUBLES.

1. — J’ai placé des mouches sur beaucoup de feuilles et j’ai amené ainsi les glandes à sécréter abondamment ; la sécrétion devient toujours acide, bien qu’elle ne le soit pas au commencement de l’expérience. Au bout d’un certain laps de temps, ces insectes deviennent si mous qu’on peut détacher les membres de leur corps au moyen d’un simple attouchement, ce qui provient sans doute de la digestion et de la désagrégation des muscles. Les glandes, placées en contact avec une petite mouche continuèrent à sécréter, pendant quatre jours et se desséchèrent ensuite presque complètement. Je coupai une bande étroite de cette feuille et je comparai au microscope les glandes des poils longs et courts, qui étaient restés pendant quatre jours, en contact avec la mouche, avec les glandes qui ne l’avaient pas touchée ; ces glandes présentaient un contraste extraordinaire. Celles qui s’étaient trouvées en contact avec la mouche étaient remplies de matière granuleuse brunâtre, les autres de liquide homogène. Il était donc impossible de douter que les premières avaient absorbé des substances tirées de la mouche.

2. — Des petits morceaux de viande rôtie placés sur une feuille provoquent toujours des sécrétions acides abondantes dans le courant de quelques heures ; dans un cas, l’effet s’est produit au bout de quarante minutes. J’ai placé un jour des fibres très-menues de viande sur le bord d’une feuille presque verticale ; les sécrétions ont été si abondantes qu’elles ont coulé sur le sol. Des morceaux angulaires de viande placés dans des petits amas de sécrétion, près du bord, ont été, au bout de trois jours, réduits considérablement en volume et arrondis ; en outre, ils sont devenus plus ou moins incolores et transparents, et ils se sont tellement ramollis qu’ils tombaient en morceaux dès qu’on les touchait. Dans un cas seulement une parcelle de viande très-petite a été complètement dissoute au bout de quarante-huit heures. Quand les sécrétions ne sont pas très-abondantes, elles sont généralement réabsorbées dans un laps de temps qui varie de vingt-quatre à quarante-huit heures, et les glandes se dessèchent. Quand, au contraire, les sécrétions sont abondantes, soit autour d’un seul morceau assez gros de viande, soit autour de plusieurs petits morceaux, les glandes ne se dessèchent qu’au bout de six ou sept jours. Le cas le plus rapide de réabsorption que j’aie observé se produisit à la suite du dépôt d’une petite goutte d’une infusion de viande crue sur une feuille ; en effet, les glandes étaient presque desséchées au bout de trois heures vingt minutes. Quand les glandes ont été excitées au moyen de petites parcelles de viande et qu’elles ont rapidement réabsorbé leur propre sécrétion, elles recommencent à sécréter au bout de sept ou huit jours, à partir du moment où la viande a été posée sur elles.

3. — Je plaçai sur une feuille trois petits cubes de cartilage dur, provenant de l’os de la patte d’un mouton. Au bout de dix heures trente minutes, quelques sécrétions acides se produisirent, mais le cartilage ne paraissait pas affecté du tout ou ne l’était que fort peu. Au bout de vingt-quatre heures, les cubes étaient arrondis et avaient considérablement diminué de volume ; au bout de-trente-deux heures, ils étaient amollis jusqu’au centre et l’un d’eux était complètement liquéfié ; au bout de trente-cinq heures, il ne restait plus que des traces de cartilage solide ; au bout de quarante-huit heures, j’ai pu, en me servant d’un verre grossissant, distinguer encore une trace de cartilage dans un des trois cubes seulement. Au bout de quatre-vingt-deux heures, les trois cubes s’étaient non-seulement complètement liquéfiés, mais toutes les sécrétions étaient réabsorbées et les glandes s’étaient desséchées.

4. — Je plaçai sur une feuille des petits cubes d’albumime. Au bout de huit heures, des sécrétions faiblement acides s’étendaient d’environ 1/10e de pouce autour de ces cubes et les angles de l’un d’eux s’étaient arrondis. Au bout de vingt-quatre heures, les angles de tous les cubes étaient arrondis, et ils étaient très-amollis dans toutes leurs parties ; au bout de trente heures, les sécrétions commencèrent à diminuer, et, au bout de quarante-huit heures, les glandes s’étaient desséchées ; mais il restait encore des parcelles très-petites d’albumine qui n’avaient pas été dissoutes.

5. — Je plaçai sur quatre glandes des cubes plus petits d’albumine ayant environ 1/50e ou 1/60e de pouce (0,508 de millim. ou 0,423 de millim.) de côté. Au bout de dix-huit heures, l’un des cubes était complètement dissous ; les autres avaient beaucoup diminué de volume, s’étaient amollis et étaient devenus transparents. Au bout de vingt-quatre heures, deux des cubes étaient complètement dissous et les sécrétions recouvrant les glandes étaient presque complètement réabsorbées. Au bout de quarante-deux heures, les deux autres cubes étaient complètement dissous. Ces quatre glandes recommencèrent à sécréter au bout de huit ou neuf jours.

6. — Je plaçai deux gros cubes d’albumine (ayant environ 1/20e de pouce, soit 1,27 millim. de côté), l’un près de la nervure centrale et l’autre près du bord d’une feuille. Au bout de six heures, des sécrétions abondantes s’étaient produites, et elles augmentèrent de façon qu’au bout de quarante-huit heures elles s’accumulèrent autour du cube placé près du bord. Ce cube fut dissous dans des proportions beaucoup plus considérables que celui qui reposait sur le limbe de la feuille ; au bout de trois jours, son volume avait beaucoup diminué et tous ses angles s’étaient arrondis, mais il était trop gros pour être complètement dissous. Les sécrétions furent réabsorbées en partie au bout de quatre jours. Le cube placé sur le limbe diminua beaucoup moins de volume, et les glandes sur lesquelles il reposait commencèrent à se dessécher au bout de deux jours seulement.

7. — La fibrine excita des sécrétions moins abondantes que la viande ou l’albumine. J’ai fait un assez grand nombre d’expériences avec cette substance, mais je n’en rapporterai que trois. Je plaçai sur quelques glandes deux petites parcelles de fibrine ; au bout de trois heures quarante-cinq minutes, la sécrétion de ces glandes avait certainement augmenté. L’une de ces parcelles de fibrine, la plus petite, était complètement liquéfiée au bout de six heures vingt-cinq minutes, et l’autre au bout de vingt-quatre heures ; mais, même après quarante-huit heures, j’ai pu encore observer à l’aide d’un verre grossissant quelques granules de fibrine flottant dans les gouttes de la sécrétion. Au bout de cinquante heures trente minutes, ces granules étaient complètement dissous. Je plaçai une troisième parcelle de fibrine dans un petit amas de sécrétion qui s’était formé près du bord d’une feuille, là où une graine avait reposé ; cette parcelle fut complètement dissoute au bout de quinze heures trente minutes.

8. — Je plaçai sur une feuille cinq morceaux très-petits de gluten ; les sécrétions devinrent si abondantes qu’un des morceaux fut entraîné vers le bord. Au bout d’un jour, ces cinq morceaux me semblèrent avoir considérablement diminué de volume, mais aucun d’eux n’était complètement dissous. Le troisième jour, je poussai deux de ces morceaux, qui commençaient à se dessécher, sur de nouvelles glandes. Le quatrième jour je pus encore distinguer des traces non dissoutes de trois morceaux, les deux autres ayant complètement disparu ; mais je ne saurais dire s’ils avaient été complètement dissous. Je plaçai alors deux autres morceaux de gluten sur une autre feuille, en posant l’un près du centre et l’autre près du bord de la feuille ; tous deux excitèrent des sécrétions extraordinairement abondantes ; un amas de sécrétion se forma autour du morceau placé près du bord, et il diminua beaucoup plus de volume que celui placé sur le milieu du limbe ; toutefois, il n’était pas encore complètement dissous au bout de quatre jours. Le gluten exerce donc une action très-énergique chez les glandes, mais il est dissous avec beaucoup de difficulté ; or, c’est exactement là ce qui arrive chez le Drosera. Je regrette de n’avoir pas expérimenté sur cette substance, après l’avoir trempée dans de l’acide chlorhydrique étendu d’eau, car elle se serait probablement, dans ce cas, dissoute plus rapidement.

9. — Je plaçai sur une feuille un petit morceau carré très-mince de gélatine pure humectée d’eau. Cette substance, au bout de cinq heures trente minutes, n’avait excité que peu de sécrétions, mais elles allèrent en augmentant. Au bout de vingt-quatre heures, le morceau tout entier était complètement liquéfié, ce qui ne serait pas arrivé si je l’avais laissé dans l’eau. Le liquide était acide.

10. — De petits morceaux de caséine, préparée chimiquement, excitèrent des sécrétions acides, mais ne furent pas complètement dissous au bout de deux jours, et les glandes commencèrent alors à se dessécher. D’après ce que nous avons vu de l’action du Drosera sur cette substance, on ne pouvait pas s’attendre à une dissolution complète.

11. — Je plaçai sur une feuille des petites gouttes de lait écrémé qui provoquèrent des sécrétions abondantes dans les glandes. Au bout de trois heures, le lait s’était caillé ; au bout de vingt-trois heures, les grumeaux s’étaient dissous. Je plaçai alors les gouttes devenues claires sous le microscope et je ne pus rien découvrir que quelques globules d’huile. Par conséquent, la sécrétion dissout la caséine fraîche.

12. — Je plongeai, pendant dix-sept heures, deux fragments de feuilles chacun dans une drachme d’une solution de carbonate d’ammoniaque préparée à deux degrés différents ; l’une contenait 1 partie de carbonate pour 437 parties d’eau, et l’autre 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Après cette immersion, j’examinai les glandes des poils longs et courts ; leur contenu s’était agrégé en matière granuleuse affectant une teinte vert brunâtre. Mon fils vit ces masses granuleuses changer lentement de forme et, sans aucun doute, elles se composaient de protoplasma. L’agrégation était plus fortement prononcée et les mouvements du protoplasma plus rapides dans les glandes soumises à la solution plus concentrée que dans les autres. Je répétai l’expérience avec le même résultat ; dans cette seconde expérience, j’observai que le protoplasma s’était un peu écarté des parois des cellules allongées formant le pédicelle. Afin d’observer la marche de l’agrégation, je plaçai une bande étroite d’une feuille sur le chariot du microscope ; les glandes étaient tout à fait transparentes ; j’ajoutai alors une petite quantité de la solution plus concentrée, c’est-à-dire de la solution contenant 1 partie de carbonate pour 218 parties d’eau. Au bout d’une heure ou deux, les glandes contenaient des matières granuleuses très-fines qui se transformèrent lentement en matières grossièrement granuleuses et légèrement opaques ; au bout de cinq heures, la teinte n’était pas encore devenue brunâtre, mais alors parurent à l’extrémité supérieure du pédicelle quelques masses globulaires transparentes et assez grosses, et le protoplasma s’écarta un peu des parois des cellules. Il est donc évident que les glandes du Pinguicula absorbent le carbonate d’ammoniaque ; mais elles ne l’absorbent pas aussi vite que les glandes du Drosera, et ce sel n’exerce pas à beaucoup près sur elles une action aussi rapide que sur ces dernières.

13. De petites masses de pollen orange, provenant du pois commun, placées sur plusieurs feuilles, excitèrent chez les glandes des sécrétions abondantes. Quelques grains tombés accidentellement sur une seule glande, firent tant augmenter au bout de vingt-trois heures la goutte de sécrétion qui entourait cette glande, qu’elle était évidemment plus grosse que les gouttes des glandes avoisinantes. Des grains de pollen soumis à l’action de la sécrétion pendant quarante-huit heures ne s’ouvrirent pas ; ils se décolorèrent et m’ont semblé contenir moins de substance qu’auparavant, les substances restant à l’intérieur des grains ayant pris une couleur sale et renfermant des globules d’huile. Leur aspect différait donc de celui d’autres grains conservés dans l’eau pendant le même laps de temps. Les glandes qui s’étaient trouvées en contact avec les grains de pollen avaient évidemment absorbé des substances qu’elles avaient empruntées à ces grains, car elles avaient perdu leur teinte naturelle vert pâle et contenaient des masses globulaires agrégées de protoplasma.

14. Des morceaux carrés de feuilles d’épinard, de chou, de saxifrage et des feuilles entières d’Erica tetralix excitèrent une augmentation de sécrétion chez les glandes. La feuille d’épinard provoqua l’action la plus énergique, car elle fit augmenter la sécrétion dans des proportions évidentes au bout d’une heure quarante minutes ; la sécrétion finit même par s’étendre sur une partie de la feuille, mais les glandes commencèrent bientôt à se dessécher, c’est-à-dire au bout de trente-cinq heures. L’action des feuilles d’Erica tetralix ne commença qu’au bout de sept heures trente minutes, mais elles ne provoquèrent jamais beaucoup de sécrétion ; il en fut de même pour les morceaux de feuilles de saxifrage, bien que, dans ce cas, les glandes aient continué de sécréter pendant sept jours. On m’envoya du nord du pays de Galles des feuilles de Pinguicula auxquelles adhéraient des feuilles d’Erica tetralix et d’une plante inconnue ; le contenu des glandes qui se trouvaient en contact avec ces feuilles était visiblement agrégé, tout comme si elles s’étaient trouvées en contact avec des insectes ; les autres glandes des mêmes feuilles contenaient seulement un liquide clair homogène.

15. — Graines. — J’essayai un nombre considérable de graines ou de fruits choisis au hasard, les uns frais, les autres de la récolte précédente, les uns trempés pendant quelque temps dans l’eau, les autres secs. Les dix sortes suivantes : le chou, le radis, l’Anemone nemorosa, Rumex acelosa, Carex sylvatica, ainsi que la moutarde, le navet, le cresson, le Ranunculus acris et l’Avena pubescens excitèrent des sécrétions abondantes ; j’expérimentai ces sécrétions dans plusieurs cas et je les trouvai toujours acides. Les cinq premières graines que nous venons de citer exercent sur les glandes une action bien plus énergique que les autres. Les sécrétions ne commencent à être abondantes qu’au bout de vingt-quatre heures, sans doute parce que les parois des graines ne sont pas facilement perméables. Néanmoins les graines de chou provoquent des sécrétions au bout de quatre heures trente minutes, et ces sécrétions augmentent tant en dix-huit heures, qu’elles coulent tout le long des feuilles. À l’état sauvage on trouve sur les feuilles du Pinguicula les graines ou plutôt les fruits du Carex beaucoup plus souvent que ceux d’aucun autre genre ; or, les fruits du Carex sylvatica excitèrent des sécrétions si abondantes, qu’au bout de vingt-cinq heures elles coulaient le long-des bords relevés, mais les glandes cessèrent de sécréter après quarante heures. D’autre part, les glandes sur lesquelles je plaçai des graines de Rumex et d’Avena continuèrent de sécréter pendant neuf jours.

Les neuf sortes suivantes de graines, c’est-à-dire le céleri, — le panais, le carvi, le Linum grandiflorum, le Cassia, le Trifolium pannonicum, le Plantago, l’oignon et le Bromus n’excitèrent que des sécrétions peu abondantes. Ces sécrétions ne se produisirent avec la plupart de ces graines qu’au bout de quarante-huit heures, et une seule graine de Trifolium exerça une action, et cela seulement au bout du troisième jour. Bien que les graines de Plantago, aient excité des sécrétions peu abondantes, les glandes continuèrent à sécréter pendant six jours. Enfin les cinq espèces suivantes, c’est-à-dire la laitue, l’Erica tetralix, l’Atriplex hortensis, le Phalaris canariensis et le froment, ne provoquèrent aucune sécrétion, bien que je les aie laissées sur les feuilles pendant deux ou trois jours. Toutefois, si l’on ouvre en deux les graines de la laitue, du froment et de l’Atriplex, et qu’on les applique aux feuilles, des sécrétions abondantes sont produites au bout de dix heures et même quelquefois au bout de six heures. Dans le cas de l’Atriplex, les sécrétions coulèrent le long des bords, et, au bout de vingt-quatre heures, je copie mes notes, « ces sécrétions étaient aussi considérables qu’elles étaient acides ». Les graines ouvertes de Trifolium et de céleri exercent aussi une action énergique et rapide, bien que la graine entière, comme nous l’avons vu, ne provoque que peu de sécrétions après un long intervalle de temps. Une tranche de pois commun, que je n’ai pas essayé à l’état entier, a provoqué des sécrétions au bout de deux heures. Ces faits nous autorisent à conclure que la grande différence qui existe dans le degré et la rapidité avec lesquels différentes espèces de graines provoquent la sécrétion provient principalement ou entièrement de la perméabilité différente de leurs parois.

Je plaçai sur une feuille des tranches minces de pois commun que j’avais eu le soin de faire tremper dans l’eau depuis une heure ; elles provoquèrent rapidement d’abondantes sécrétions acides. Au bout de vingt-quatre heures, je comparai ces tranches en me servant d’un fort grossissement au microscope avec d’autres tranches que j’avais laissées séjourner dans l’eau pendant le même laps de temps ; ces dernières contenaient un si grand nombre de granules fins de légumine, qu’il était presque impossible d’observer la tranche devenue absolument boueuse. Les tranches, au contraire, qui avaient été soumises à l’action de la sécrétion étaient beaucoup plus transparentes, les granules de légumine ayant été évidemment dissous. Je coupai en tranches une graine de chou qui était restée sur une feuille pendant deux jours et qui avait provoqué d’abondantes sécrétions ; je comparai ces tranches avec d’autres qui étaient restées pendant le même laps de temps dans l’eau. Les tranches soumises à l’action de la sécrétion avaient une teinte beaucoup plus pâle ; les parois surtout présentaient la plus grande différence, car elles avaient perdu leur couleur brun-marron pour prendre une teinte pâle sale. Les glandes sur lesquelles avaient reposé les graines de chou, aussi bien que celles sur lesquelles la sécrétion s’était étendue, avaient un aspect tout différent de celui des autres glandes de la même feuille ; toutes, en effet, contenaient des matières granuleuses brunâtres, ce qui prouve qu’elles avaient absorbé des substances provenant des graines.

Le fait que quelques graines ont été tuées par la sécrétion et que presque toutes les plantes qui sortent des graines soumises à son action dépérissent bientôt prouve que la sécrétion agit sur des graines. Je plaçai 14 graines de chou sur des feuilles et je les y laissai pendant trois jours ; elles provoquèrent d’abondantes sécrétions. Je les plaçai ensuite sur du terreau humide dans des conditions très-favorables à la germination ; trois graines ne germèrent pas, ce qui constituait une proportion beaucoup plus considérable de morts que chez les graines du même lot qui n’avaient pas été soumises à l’action de la sécrétion, mais qui autrement avaient été traitées de la même façon. Sur les onze plantes qui poussèrent, les cotylédons de trois avaient le bord légèrement bruni comme s’ils avaient été brûlés ; les cotylédons d’une autre affectaient une curieuse forme dentelée. Deux graines de moutarde germèrent, mais leurs cotylédons étaient couverts de taches brunes et leurs radicelles étaient difformes. Deux graines de radis ne germèrent pas, tandis que, sur beaucoup de graines du même lot qui n’avaient pas été soumises à l’action de la sécrétion, une seule ne germa pas. Sur deux graines de Rumex, l’une mourut et l’autre germa, mais la radicelle de cette dernière était brune et se dessécha bientôt. Deux graines d’Avena germèrent ; l’une poussa bien, mais la radicelle de l’autre était brune et se flétrit bientôt. Je plantai six graines d’Erica, après les avoir soumises à l’action de la sécrétion : aucune ne germa ; après les avoir laissées pendant cinq mois sur le terreau humide, je coupai ces graines et une seule me parut vivante. Je trouvai 22 graines de différentes sortes qui adhéraient aux feuilles de Pinguicula à l’état sauvage ; je plantai ces graines et je les laissai pendant cinq mois dans du terreau humide, aucune d’elles ne germa : évidemment la plupart étaient mortes.

EFFETS PRODUITS PAR LES CORPS QUI NE CONTIENNENT PAS DES MATIÈRES AZOTÉES SOLUBLES.

16. — Nous avons déjà vu que des morceaux de verre placés sur les feuilles excitent peu ou pas de sécrétion. J’ai examiné une petite quantité de sécrétion qui se trouvait au-dessous de fragments de verre, et j’ai trouvé qu’elle n’était pas acide. Un morceau de bois n’excite pas de sécrétion ; les graines dont les parois ne se laissent pas traverser par la sécrétion n’en excitent pas non plus et agissent par conséquent comme des corps inorganiques. De petits cubes de graisse, laissés pendant deux jours sur une feuille, n’ont produit aucun effet.

17. — Un morceau de sucre raffiné placé sur une feuille a provoqué, au bout d’une heure dix minutes, la formation d’une grosse goutte de sécrétion qui s’est augmentée dans le courant de deux autres heures assez considérablement pour se répandre vers le bord de la feuille naturellement repliée. Ce liquide n’était pas du tout acide ; il commença à sécher, ou, plus probablement, fut réabsorbé au bout de cinq heures trente minutes. Je répétai cette expérience de la façon suivante : je plaçai des parcelles de sucre sur une feuille en même temps que je plaçais sur un morceau de verre des parcelles de sucre ayant le même volume que j’humectai avec un peu d’eau, puis je recouvris le tout d’une cloche en verre. Je disposai ainsi l’expérience pour m’assurer si je liquide plus abondant produit sur les feuilles n’est pas dû simplement à la déliquescence ; il me fut prouvé qu’il n’en est rien. La parcelle de sucre placée sur la feuille provoqua des sécrétions si abondantes, qu’au bout de quatre heures, ces sécrétions recouvraient les 2/3 de la feuille. Au bout de huit heures, la feuille avait pris une forme concave et était absolument remplie d’un liquide visqueux ; il faut remarquer tout particulièrement que, dans cette expérience comme dans l’expérience précédente, le liquide n’était pas du tout acide. On peut, je crois, attribuer cette abondante sécrétion à l’exosmose. Les glandes qui, pendant vingt-quatre heures, étaient restées couvertes par ce liquide, ne différaient pas, examinées au microscope, des autres glandes de la même feuille qui ne s’étaient pas trouvées en contact avec lui. C’est là un fait intéressant, si l’on se rappelle que les glandes qui ont été baignées par la sécrétion contenant des matières en dissolution présentent toujours des signes plus ou moins grands d’agrégation.

18. — Je plaçai sur une feuille deux petits morceaux de gomme arabique ; ils provoquèrent certainement, au bout d’une heure vingt minutes, une petite augmentation de sécrétion. La sécrétion continua à augmenter pendant les cinq heures suivantes, c’est-à-dire aussi longtemps que j’ai observé la feuille.

19. — Je plaçai sur une feuille six petites parcelles d’amidon sec du commerce ; l’une de ces parcelles provoqua quelque sécrétion au bout d’une heure quinze minutes, et les autres au bout de huit ou neuf heures. Les glandes chez lesquelles la sécrétion avait été ainsi excitée se desséchèrent bientôt et ne recommencèrent pas à sécréter jusqu’au sixième jour. Je plaçai alors sur une feuille un morceau plus gros d’amidon ; il n’avait provoqué aucune sécrétion au bout de cinq heures trente minutes, mais, au bout de huit heures, les sécrétions devinrent abondantes, et elles augmentèrent si considérablement pendant les vingt-quatre heures suivantes, qu’elles couvrirent la feuille sur un espace de 3/4 de pouce. Cette sécrétion, bien que si abondante, n’était pas du tout acide. Cependant cette abondance et le fait que des graines adhèrent fréquemment aux feuilles de plantes à l’état sauvage me firent penser que les glandes ont peut-être la faculté de sécréter un ferment semblable à la ptyaline, capable de dissoudre l’amidon ; j’observai donc avec soin, pendant plusieurs jours, les six parcelles dont je viens de parler, mais leur volume ne me sembla pas du tout réduit. Je plongeai aussi une parcelle d’amidon dans un petit amas de sécrétion provoquée par un morceau de feuille d’épinard ; je l’y laissai pendant deux jours, mais bien que la parcelle fût très-petite, je n’observai aucune diminution de volume. Nous pouvons conclure de ces faits que la sécrétion n’a pas le pouvoir de dissoudre l’amidon. Je crois donc que l’on peut attribuer à l’exosmose l’augmentation de sécrétion causée par cette substance. Toutefois, je suis surpris que l’amidon, bien que sous ce rapport inférieur au sucre, ait agi si rapidement et avec tant d’énergie. On sait que les colloïdes possèdent un léger pouvoir de dialyse ; si l’on place des feuilles de Primula dans l’eau et d’autres dans du sirop ou dans de l’amidon dissous, celles qui sont placées dans l’amidon deviennent flasques, mais à un degré moindre et avec moins de rapidité que celles qui sont placées dans le sirop ; celles qui sont plongées dans l’eau pendant le même laps de temps conservent leur aspect ordinaire.

Les expériences et les observations que nous venons de rapporter prouvent que les corps qui ne contiennent pas des substances solubles n’exercent que peu ou pas d’action sur les glandes au point de vue de la sécrétion. Les liquides non azotés, à condition qu’ils soient denses, provoquent chez les glandes d’abondantes sécrétions de liquides visqueux, mais pas du tout acides. D’autre part, les sécrétions provoquées par le contact des glandes avec des solides ou des liquides azotés sont toujours acides et sont si abondantes, qu’elles coulent sur les feuilles et se rassemblent dans les réceptacles formés par les bords naturellement repliés de ces feuilles. En cet état, la sécrétion jouit de la faculté de dissoudre rapidement, c’est-à-dire de digérer les muscles des insectes, la viande, le cartilage, l’albumine, la fibrine, la gélatine et la caséine telle qu’elle existe dans le caillé du lait. La caséine, préparée chimiquement, et le gluten exercent une action énergique sur les glandes ; mais ces substances, à condition toutefois que le gluten n’ait pas séjourné quelque temps dans de l’acide chlorhydrique très-étendu, ne sont dissoutes que partiellement, tout comme nous l’avons vu pour le Drosera. Quand la sécrétion contient des matières animales en dissolution, que ces matières proviennent de solides ou de liquides tels qu’une infusion de viande crue, du lait, ou une faible solution de carbonate d’ammoniaque, elle est facilement réabsorbée ; les glandes qui étaient auparavant limpides et qui affectaient une couleur verdâtre deviennent brunâtres et se remplissent de masses agrégées de matières granuleuses. Les mouvements spontanés de ces matières indiquent qu’elles se composent de protoplasma. Les liquides non azotés ne provoquent aucun effet semblable. Quand les glandes, à la suite d’une excitation, ont sécrété abondamment, elles cessent de le faire pendant quelque temps, mais elles recouvrent cette faculté au bout de quelques jours.

Les glandes qui se trouvent en contact avec du pollen, avec les feuilles d’autres plantes et avec diverses espèces de graines, déversent d’abondantes sécrétions acides et absorbent ensuite des matières probablement albumineuses qu’elles leur empruntent. Les avantages qu’elles s’assurent ainsi sont loin d’être insignifiants, car une quantité considérable de pollen provenant de nombreuses graminées, de Carex, etc., qui croissent dans les endroits qu’affectionne le Pinguicula, doit être portée par le vent sur les feuilles de cette plante ; qui sont dans toute leur étendue recouvertes de glandes visqueuses disposées en larges rosaces. Quelques grains de pollen, posés sur une seule glande, suffisent pour provoquer des sécrétions abondantes. Nous avons vu aussi que les petites feuilles de l’Erica tetralix et d’autres plantes, ainsi que diverses espèces de graines et de fruits, provenant principalement des Carex, adhèrent fréquemment aux feuilles. J’ai vu une feuille de Pinguicula à laquelle adhéraient dix petites feuilles d’Erica, et trois feuilles d’un même pied qui avaient chacune capturé une graine. Les graines soumises à l’action de la sécrétion sont tuées quelquefois ; en tout cas, les rejetons qui en sortent sont toujours mal portants. Nous pouvons donc conclure que le Pinguicula vulgaris, n’ayant que de petites racines, se nourrit, non-seulement, dans une grande mesure, d’un nombre extraordinaire d’insectes qu’il capture ordinairement, mais aussi de pollen, de feuilles et de graines d’autres plantes qui adhèrent souvent à ses feuilles. On peut, en conséquence, dire que cette plante est en partie carnivore et en partie herbivore.

PINGUICULA GRANDIFLORA.

Cette espèce est si étroitement alliée au Pinguicula vulgaris, que le Dr Hooker l’a classée comme une sous-espèce. Elle diffère du Pinguicula vulgaris principalement en ce qu’elle a des feuilles plus grandes et en ce que les poils glanduleux situés près de la base sont plus longs. Mais sa constitution est aussi toute différente. M. Ralfs, qui a été assez bon pour m’envoyer des plants de la Cornouailles, m’apprend, en effet, que le Pinguicula grandiflora affectionne des sites différents, et le Dr Moore, directeur du jardin botanique de Glasnevin, m’informe qu’il se laisse cultiver plus facilement que le Pinguicula vulgaris ; il pousse bien et fleurit annuellement, tandis que ce dernier doit être renouvelé chaque année. M. Ralfs a trouvé sur presque toutes les feuilles du Pinguicula grandiflora des insectes et des fragments d’insectes, principalement des Diptères ; il y a trouvé aussi quelques Hyménoptères, quelques Homoptères, quelques Coléoptères et une phalène. Sur une seule feuille, il a compté neuf insectes morts et quelques-uns encore vivants. Il a aussi observé sur les feuilles quelques fruits du Carex pulicaris aussi bien que des graines du Pinguicula lui-même. Je n’ai fait que deux expériences sur cette espèce : j’ai placé une mouche près du bord d’une feuille, et, au bout de seize heures, ce bord était considérablement infléchi. Dans une seconde expérience j’ai placé plusieurs petites mouches le long du bord d’une autre feuille ; le lendemain matin ce bord tout entier s’était recourbé absolument comme le fait dans le même cas celui du Pinguicula vulgaris.

PINGUICULA LUSITANICA.

M. Ralfs m’a envoyé de la Cornouailles quelques plants vivants de cette espèce qui diffère considérablement des deux précédentes. Les feuilles sont un peu plus petites, beaucoup plus transparentes, et on aperçoit sur elles des veines pourpres qui s’entrecroisent. Les bords des feuilles sont beaucoup plus recourbés, et chez les vieilles feuilles cette courbe s’étend sur près de 1/3 de l’espace compris entre la nervure centrale et le bord extrême de la feuille. Les poils glanduleux, tout comme chez les deux autres espèces, sont longs ou courts et ont la même conformation ; mais les glandes différent en ce qu’elles ont une couleur pourpre et en ce qu’elles contiennent souvent des matières granuleuses avant d’avoir été excitées. La partie inférieure de la feuille sur presque la moitié de l’espace entre la nervure centrale et le bord est dépourvue de glandes ; elles sont remplacées par des poils multicellulaires, longs et assez rudes, qui s’entrecroisent par-dessus la nervure centrale. Ces poils servent peut-être à empêcher les insectes de se poser sur cette partie de la feuille, qui ne porte pas de glandes visqueuses de nature à les capturer ; toutefois, il est peu probable que ces poils se soient développés dans ce but. Les vaisseaux spiraux, partant de la nervure centrale, se terminent par des cellules spirales dans l’extrême bord de la feuille ; mais ces cellules sont loin d’être aussi bien développées que dans les deux espèces précédentes. Les pédoncules des fleurs, les sépales et les pétales sont pourvus de poils glanduleux ressemblant à ceux des feuilles.

Les feuilles de cette espèce capturent beaucoup de petits insectes que l’on trouve principalement sur les bords recourbés où ils ont été probablement portés par les pluies. Les glandes sur lesquelles des insectes ont reposé longtemps changent de couleur ; elles deviennent brunâtres ou pourpre pâle, et chez elles on trouve des matières granuleuses grossières ; il est donc évident que ces glandes absorbent des matières qu’elles empruntent à leur proie. Des feuilles d’Erica tetralix, des fleurs de Galium, des écailles de graminées, etc., adhèrent souvent aux feuilles. J’ai répété sur le Pinguicula lusitanica plusieurs des expériences que j’avais faites sur la Pinguicula vulgaris ; voici les résultats que j’ai obtenus :

1. — Je plaçai sur un côté d’une feuille à peu près à moitié chemin entre la nervure centrale et le bord naturellement recourbé un morceau angulaire assez gros d’albumine. Au bout de deux heures quinze minutes les glandes commencèrent à sécréter abondamment et le bord se recourba plus que ne l’était le bord opposé de la feuille. L’inflexion augmenta et, au bout de trois heures trente minutes, elle s’étendait presque jusqu’au sommet de la feuille. Au bout de vingt-quatre heures le bord s’était complètement enroulé en un cylindre dont la surface extérieure touchait le limbe de la feuille et n’était séparé de la nervure centrale que par 1/20e de pouce environ. Au bout de quarante-huit heures le bord commença à se redresser et au bout de soixante-douze heures il l’était complètement. Le cube s’était arrondi et son volume avait beaucoup diminué ; ce qui en restait se trouvait à l’état semi-liquide.

2. — Je plaçai près du sommet d’une feuille sous le bord naturellement recourbé un morceau assez gros d’albumine. Au bout de deux heures trente minutes les sécrétions devinrent abondantes, et le lendemain matin le bord de ce côté de la feuille était beaucoup plus recourbé que le bord opposé, mais pas aussi complètement que dans l’expérience précédente. Le bord se redressa dans le même laps de temps. Une grande partie de l’albumine fut dissoute mais il en resta cependant encore un peu.

3. — Je disposai en rangées, au milieu de deux feuilles, de gros morceaux d’albumine ; au bout de vingt-quatre heures aucun effet n’avait été produit ; c’était là ce que j’attendais d’ailleurs, car en admettant même que des glandes eussent existé en cet endroit de la feuille, les longs poils durs dont j’ai parlé auraient empêché l’albumine de se trouver en contact avec elles. Je poussai alors les morceaux d’albumine du côté de l’un des bords de chaque feuille ; au bout de trois heures trente minutes, ce bord s’infléchit si considérablement que la surface extérieure touchait le limbe ; le bord opposé ne fut pas du tout affecté. Au bout de trois jours les bords de deux feuilles enfermant l’albumine étaient encore complètement infléchis et les glandes continuaient de déverser des sécrétions abondantes. Je n’ai jamais vu l’inflexion persister aussi longtemps chez le Pinguicula vulgaris.

4. — Je plaçai près des bords d’une feuille deux graines de chou que j’avais laissées tremper dans l’eau pendant une heure ; au bout de trois heures vingt minutes ces graines provoquèrent des sécrétions abondantes et une inflexion prononcée. Au bout de vingt-quatre heures la feuille s’était redressée en partie mais les glandes continuaient encore à sécréter abondamment. Les glandes commencèrent à se dessécher au bout de quarante-huit heures et, au bout de soixante-douze heures, elles étaient presque sèches. Je plaçai alors les deux graines sur du terreau humide dans des conditions favorables à la germination, mais elle ne germèrent jamais, et, au bout de quelque temps, elles étaient pourries. Sans aucun doute ces graines avaient été tuées par la sécrétion.

5. — De petits morceaux d’une feuille d’épinard provoquèrent au bout d’une heure vingt minutes d’abondantes sécrétions, et au bout de trois heures vingt minutes l’inflexion bien marquée du bord. Le bord était considérablement infléchi au bout de neuf heures quinze minutes, mais au bout de vingt-quatre heures il était presque complètement redressé. Au bout de soixante-douze heures, les glandes en contact avec la feuille d’épinard s’étaient complètement desséchées. J’avais placé la veille des morceaux d’albumine sur le bord opposé de cette même feuille et j’en avais fait autant pour la feuille sur laquelle j’avais placé des graines de chou ; ces bords restèrent complètement infléchis pendant soixante-douze heures, ce qui prouve que l’action de l’albumine est beaucoup plus persistante que celle des feuilles d’épinard ou des graines de chou.

6. — Je plaçai le long des bords d’une feuille une rangée de petits fragments de verre ; aucun effet ne s’était produit au bout de deux heures dix minutes, mais au bout de trois heures vingt-cinq minutes je crus remarquer une trace d’inflexion, qui devint distincte quoique pas très-prononcée au bout de six heures. Les glandes qui se trouvaient en contact avec les fragments de verre se mirent alors à sécréter abondamment ; elles paraissent donc excitées plus facilement par la pression des objets inorganiques que les glandes du Pinguicula vulgaris. La légère inflexion du bord ne s’était pas augmentée au bout de vingt-quatre heures et les glandes commençaient alors à se dessécher. Je frottai et je grattai pendant quelque temps la surface d’une feuille près de la nervure centrale et près de la base, mais sans qu’il se produisît aucun mouvement. Je traitai de la même façon les longs poils situés près de la base sans obtenir aucun résultat. Je fis cette dernière expérience parce qu’il me vint à l’idée que ces poils étaient peut-être sensibles à un attouchement comme les filaments de la Dionæa muscipula.

7. — Les pédoncules des fleurs, les sépales et les pétales portent des glandes qui ressemblent beaucoup à celles des feuilles. Je plongeai donc un morceau du pédoncule d’une fleur dans une solution comprenant une partie de carbonate d’ammoniaque pour 437 parties d’eau et je l’y laissai séjourner pendant une heure. Cette immersion altéra la couleur des glandes qui de rose brillant devinrent pourpre sombre, mais sans que leur contenu présentât aucune trace d’agrégation distincte. Au bout de huit heures trente minutes ces glandes devinrent incolores. Je plaçai deux petits cubes d’albumine sur les glandes des pédoncules d’une fleur et un autre cube sur les glandes d’un sépale ; les glandes ne sécrétèrent pas et l’albumine au bout de deux jours n’était pas du tout amollie. La fonction de ces glandes semble donc différer beaucoup de la fonction des glandes des feuilles.

Les observations précédentes sur le Pinguicula lusitanica nous prouvent que les bords naturellement très-recourbés des feuilles se recourbent davantage encore quand ils se trouvent en contact avec des corps organiques ou inorganiques ; que l’albumine, les graines de chou, les morceaux de feuilles d’épinard et les fragments de verre provoquent chez les feuilles des sécrétions très-abondantes ; que l’albumine est dissoute par la sécrétion et que les graines de chou sont tuées par elle ; et, enfin, que les glandes absorbent des matières animales qu’elles empruntent aux insectes qui sont capturés en grand nombre par la sécrétion visqueuse. Les glandes situées sur les pédoncules des fleurs ne semblent pas jouir de ces facultés. Cette espèce diffère du Pinguicula vulgaris et du Pinguicula grandiflora en ce que les bords des feuilles excitées par des corps organiques s’infléchissent beaucoup plus et que l’inflexion dure plus longtemps. Les glandes semblent aussi être plus facilement excitées à sécréter abondamment par des corps qui ne contiennent pas des matières azotées solubles. Sous tous les autres rapports, autant toutefois que j’ai pu m’en assurer par mes observations, ces trois espèces ont des facultés fonctionnelles identiques[2].


  1. English Botany, par sir J.-E. Smith, avec des figures coloriées par J. Sowerby, édit. de 1832, pl. 24, 25 et 26.
  2. M. Édouard Morren a publié ses observations personnelles sur les procédés insecticides des Pinguicula (Bulletins de l’Acad. roy. de Belgique, juin 1875). Le savant professeur a opéré sur des pieds de Pinguicula alpina et P. longifolia provenant des Pyrénées et cultivés en serre avec succès. Leurs feuilles toutes radicales sont recouvertes à leur face supérieure d’une matière visqueuse. L’épiderme est recouvert de papilles unicellulaires, courtes, peu espacées et terminées par un capitule glanduleux. Le stipe de ces poils est formé d’une cellule cylindrique fusiforme dans laquelle on remarque un suc hyalin, du protoplasma granuleux et un noyau opaque ou transparent. Cette cellule se termine en forme de dôme dans une sorte de turban formé de huit à seize cellules disposées comme les quartiers d’une orange. Cette petite tête fonctionne comme une glande et s’enveloppe d’un liquide visqueux, translucide, qui rougit le papier de tournesol ; entre ces poils on constate l’existence d’autres glandes sessiles formées de huit cellules remplies de granules et différentes des glandes stipitées ; il existe en outre de nombreux stomates d’une grandeur extraordinaire.
    Le 22 mai, M. Morren a examiné au microscope un moucheron qui était gisant sur une feuille depuis un jour ou deux ; il a eu soin de le soulever avec tout le mucus environnant et a immédiatement constaté la présence de monades, de nombreuses bactéries, de cellules de ferment et de formations mycéliennes appartenant au genre Torula et à des Mucédinées. Ainsi donc les éléments de la putréfaction et de la fermentation, en un mot de la décomposition, sont réunis sur les cadavres des mouches qui périssent sur les feuilles de Pinguicula.
    Depuis la lecture du présent volume, les idées de M. Morren paraissent s’être modifiées. Les phénomènes que présentent les matières azotées placées sur les feuilles des plantes insectivores ne s’expliquent pas en admettant une simple putréfaction ; c’est ce que l’auteur a reconnu très-explicitement dans une lecture sur la Théorie des plantes carnivores faite à l’Académie royale de Belgique, le 16 décembre 1875, publiée dans son Bulletin du même mois et dans la Note dont nous donnons l’extrait page 423 du présent volume.
    Ch. M.