Les plantes insectivores/18

La bibliothèque libre.
Traduction par Edmond Barbier.
Précédé d’une Introduction biographique et augmenté de notes complémentaires par Charles Martins
..
Texte établi par Francis Darwin Voir et modifier les données sur WikidataParis : C. Reinwald et C.ie, libreires-éditeurs, 15, rue des Saints-Pères, D. Appleton & Company Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 504-528).

chapitre XVIII.

utricularia (suite).

Utricularia montana. — Description des vessies qui se trouvent sur les rhizomes souterrains. — Insectes capturés par les vessies des plantes à l’état cultivé et à l’état sauvage. — Absorption par les processus quadrifides et par les glandes. — Tubercules servant de réservoir pour l’eau. — Diverses autres espèces d’Utricularia. — Polypompholyx. — Genlisea ; nature différente de la trappe pour capturer les insectes. — Modes divers d’alimentation des plantes.

UTRICULARIA MONTANA.


Cette espèce habite les parties tropicales de l’Amérique du Sud. On dit que cette plante est épiphyte, mais, à en juger par l’état des racines (rhizomes) de quelques spécimens desséchés qui se trouvent dans l’herbier de Kew, elle vit aussi dans la terre, probablement dans les crevasses des rochers. Dans les serres anglaises on la cultive dans un sol tourbeux. Lady Dorothy Nevill a eu l’obligeance de m’en donner un beau pied et j’en ai reçu un autre du Dr Hooker. Les feuilles sont entières, allongées au lieu d’être très-divisées, comme chez les espèces aquatiques précédentes. Elles ont environ un pouce et demi (3 centim. 80) de largeur et sont portées sur un pétiole distinct. La plante produit de nombreux rhizomes incolores aussi fins que des fils, et qui portent de petites vessies ; parfois ces rhizomes se gonflent au point de former un tubercule, comme nous allons le décrire ci-après. Ces rhizomes ressemblent exactement à des racines, mais il en sort parfois des rejetons verts. Ils pénètrent quelquefois dans la terre jusqu’à une profondeur de plus de deux pouces (6 cent. 07) ; quand la plante est épiphyte, les rhizomes rampent au milieu des mousses, des racines, de l’écorce plus ou moins pourrie, etc., qui recouvre tous les arbres des pays tropicaux.


Fig. 26.
Utricularia montana
Rhizome devenu tuberculeux. Les branches portent de petites vessies ; grandeur naturelle.
Les vessies étant attachées aux rhizomes sont nécessairement souterraines. Elles se trouvent en nombre extraordinaire. Un de mes plants, quoique jeune, devait en porter plusieurs centaines, car un seul rhizome pris au hasard au milieu de tous les autres en portait 32, et un autre ayant environ 6 pouces de longueur, mais dont l’une des extrémités et un des côtés étaient rompus, en portait 73 [1]. Ces vessies sont comprimées et arrondies ; la surface ventrale ou celle qui se trouve entre le sommet de la longue tige délicate et la valve est extrêmement courte (fig. 27). Ces vessies sont incolores et presque aussi transparentes que le verre ; en conséquence, elles paraissent plus petites qu’elles ne le sont réellement ; les plus grandes n’atteignent pas 1/20 de pouce (1 millim. 27) dans leur plus long diamètre. Elles se composent de cellules angulaires assez grandes ; à la jonction de celles-ci naissent des papilles oblongues qui correspondent à celles qui se trouvent à la surface des vessies des espèces précédentes. Des papilles semblables abondent sur les rhizomes et même sur les feuilles entières, mais sur ces dernières elles sont un peu plus grosses. Des vaisseaux, rayés de barres parallèles au lieu de l’être par une ligne spirale, circulent dans toute la longueur des tiges et s’étendent assez pour pénétrer jusque dans la base des vessies ; mais ils ne se bifurquent pas pour s’étendre sur la surface dorsale et sur la surface ventrale comme dans les espèces précédentes.


Fig. 27. — Utricularia montana.
Vessie grossie environ 27 fois.
Les antennes sont assez longues et se terminent par une pointe fine ; elles diffèrent complétement de celles que nous avons déjà décrites en ce qu’elles ne sont pas armées de poils. Leur base se recourbe si abruptement, que les extrémités de chacune d’elles reposent de chaque côté sur le milieu de la vessie, quelquefois même près du bord. Leur base recourbée forme ainsi un abri pour la cavité où se trouve la valve ; mais il existe toujours de chaque côté un petit passage circulaire qui conduit dans la cavité, comme on peut le voir dans la figure 27, ainsi qu’un passage étroit entre les bases des deux antennes. Comme les vessies sont souterraines, la cavité dans laquelle se trouve la valve aurait pu être bouchée par de la terre et de menus débris ; la courbure des antennes est donc utile à la plante. L’extérieur du col ou péristome ne porte pas de poils comme celui des espèces précédentes.

La valve est petite et profondément inclinée ; le bord postérieur libre vient s’arc-bouter contre un col demi-circulaire et profond. Cette valve est assez transparente et porte deux paires de poils rudes et courts qui occupent la même position que ceux des autres espèces. La présence de ces quatre poils, qui contraste si complétement avec l’absence de poils sur les antennes et sur le col, indique qu’ils jouent un rôle important ; ils sont destinés, je crois, à empêcher les animaux trop gros de pénétrer dans l’orifice. L’Utricularia montana ne possède pas les nombreuses glandes de diverses formes disposées sur la valve et autour du col des espèces précédentes, à l’exception toutefois d’une douzaine environ de cellules bifides ou allongées transversalement, qui sont placées près des bords de la valve et qui surmontent des tiges très-courtes. Ces glandes ont seulement les 3/4 d’un millième d’un pouce (0,019 de millim.) de longueur ; si petites qu’elles soient, elles servent à absorber. Le col est épais, rigide et presque demi-circulaire ; il se compose du même tissu particulier brunâtre que celui des espèces précédentes.


Fig. 28.
Utricularia montana.
Processus quadrifides très-grossis.
Les vessies sont remplies d’eau et contiennent quelquefois des bulles d’air. Intérieurement elles portent des processus quadrifides, courts, épais, disposés en rangées presque concentriques. Les deux paires de bras qui les composent diffèrent très-peu en longueur et occupent une position particulière (fig. 28) ; les deux bras les plus longs se trouvent sur une même ligne et les deux bras plus courts sur une ligne parallèle. Chaque bras contient une petite masse sphérique de matière brunâtre ; si l’on écrase cette matière, elle se brise en morceaux angulaires. Je ne doute pas que ces sphères ne soient des nucléi, car on en trouve d’autres presque exactement analogues dans les cellules formant les parois des vessies. Des processus bifides, dont les bras sont courts et ovales, occupent la position ordinaire à l’intérieur du col.

Ces vessies ressemblent donc sous tous les rapports essentiels aux vessies plus grosses des espèces précédentes. Elles en diffèrent principalement en ce qu’elles ne possèdent pas de nombreuses glandes sur la valve et autour du col, et en ce qu’elles ne possèdent que quelques glandes d’une seule espèce sur la valve. Une autre différence importante est l’absence des longs poils sur les antennes et sur l’extérieur du col. La présence de ces poils dans les espèces dont nous avons déjà parlé se rattache probablement à la capture des animaux aquatiques.

Il m’a semblé intéressant de m’assurer si les petites vessies de l’Utricularia montana servent, comme celles des espèces précédentes, à capturer des animaux vivant dans la terre ou dans l’épaisse végétation recouvrant les arbres sur lesquels cette espèce est épiphyte. Dans ce cas, en effet, nous aurions une nouvelle sous-classe de plantes carnivores, c’est-à-dire des plantes carnivores souterraines. J’ai donc examiné beaucoup de vessies avec les résultats suivants :

1o  Une petite vessie ayant moins de 1/30 de pouce (0 millim. 847) de diamètre contenait une petite masse de matières brunes très-décomposées. À l’aide du microscope j’ai pu m’assurer de la présence dans cette masse d’un tarse portant quatre ou cinq jointures et se terminant par un double crochet ; je crois que c’était le reste d’un tarse de thysanure. Les processus quadrifides en contact avec ce tarse en décomposition contenaient, soit de petites masses de matières jaunâtres transparentes, ordinairement plus ou moins globulaires, soit de fins granules. Dans les parties distantes de la même vessie, les processus étaient transparents et tout à fait vides, à l’exception toutefois de leurs nucléi solides. Mon fils a dessiné à de courts intervalles de temps l’une de ces masses agrégées dont nous venons de parler, et s’est assuré qu’elles changeaient continuellement et complètement de forme, se séparant parfois pour se réunir de nouveau. Évidemment l’absorption de quelque élément provenant de matières animales en décomposition avait engendré du protoplasma.

2o  Une autre vessie contenait un amas encore plus petit de matières brunâtres en décomposition ; les processus quadrifides adjacents contenaient des matières agrégées, exactement comme dans le cas précédent.

3o  Une troisième vessie contenait un animal beaucoup plus gros, mais dans un état de décomposition tel, que j’ai tout au plus pu m’assurer qu’il était poilu. Les processus quadrifides n’étaient pas très-affectés dans ce cas, si ce n’est que les nucléi cellulaires des différents bras différaient beaucoup de volume ; quelques-uns d’entre eux contenaient deux masses ayant un aspect semblable.

4o  Une quatrième vessie contenait un organisme articulé, car j’ai pu distinguer les restes d’un membre terminé par un crochet. Je n’ai pas examiné les processus quadrifides.

5o  Une cinquième vessie renfermait beaucoup de matières en décomposition provenant évidemment de quelque animal, mais dont il m’a été impossible de reconnaître la conformation. Les processus quadrifides qui se trouvaient en contact avec ces matières contenaient de nombreuses sphères de protoplasma.

6o  J’ai examiné quelques vessies de la plante que j’ai reçue de Kew. Dans l’une d’elles, j’ai trouvé un animal ayant la forme d’un ver, dont la décomposition était peu avancée, outre les restes d’un animal semblable très-décomposé. Plusieurs bras des processus en contact avec ces restes, contenait deux masses sphériques ressemblant au nucléus solide que l’on trouve toujours dans chaque bras. Dans une autre vessie, j’ai trouvé un petit grain de quartz, ce qui m’a rappelé deux trouvailles analogues que j’ai faites dans les vessies de l’Utricularia neglecta.

J’ai pensé que cette plante devait capturer un plus grand nombre d’animaux dans son pays natal qu’à l’état cultivé ; je demandai donc et j’obtins la permission de prendre de petites parties des rhizomes des spécimens desséchés qui se trouvent dans l’herbier de Kew. Je ne crus pas d’abord qu’il fût utile de faire tremper les rhizomes dans l’eau pendant deux ou trois jours, et qu’il fût nécessaire d’ouvrir les vessies et de répandre leur contenu sur une plaque de verre ; toutefois cela est indispensable, car il est impossible autrement de discerner leur nature ; en effet, ils ont été desséchés et pressés, et se trouvent dans un grand état de décomposition. J’examinai d’abord plusieurs vessies d’une plante qui avait poussé dans de la terre noire à la Nouvelle-Grenade. Quatre de ces vessies contenaient des restes d’animaux. La première, un Acarus poilu si décomposé qu’il ne restait plus que son enveloppe transparente ; elle contenait aussi la tête jaune, chitineuse, de quelque animal ayant une fourchette intérieure à laquelle était suspendu l’œsophage, mais je n’ai pu apercevoir de mandibules ; elle contenait encore le double crochet du tarse de quelque animal, outre un animal allongé très-décomposé ; elle contenait enfin un organisme curieux en forme de poire, dont l’enveloppe se composait de cellules arrondies. Le professeur Claus a étudié ce dernier organisme ; il a cru reconnaître l’enveloppe d’un rhizopode et probablement du groupe des Arcellides. J’ai trouvé dans cette vessie ainsi que dans plusieurs autres des algues unicellulaires et une algue multicellulaire, lesquelles sans doute vivaient là en parasites.

Une seconde vessie contenait un Acarus beaucoup moins décomposé que celui dont nous avons parlé tout à l’heure, car ses huit pattes existaient encore ; il contenait, en outre, les restes de plusieurs autres animaux articulés. Une troisième vessie contenait l’extrémité de l’abdomen et les deux membres postérieurs d’un animal que j’ai cru reconnaître pour un Acarus. Une quatrième vessie contenait les restes d’un animal soyeux, très-certainement articulé, et de plusieurs autres organismes, outre une grande quantité de matières organiques brun foncé dont il me fut impossible de distinguer la nature.

J’examinai ensuite, mais avec moins de soin que les autres, parce qu’elles n’avaient pas trempé assez longtemps dans l’eau, quelques vessies provenant d’une plante épiphyte de la Trinidad, aux Antilles. Quatre de ces vessies contenaient beaucoup de matières brunes, translucides et granuleuses, évidemment organiques, mais dont il était impossible de distinguer aucune partie. Les processus quadrifides, dans deux de ces utricules, étaient brunâtres, et leur contenu granuleux ; il est évident qu’ils avaient absorbé certaines substances. Une cinquième vessie contenait un organisme en forme de poire, semblable à celui dont nous avons parlé plus haut. Dans une sixième vessie se trouvait un animal en forme de ver, très-long et très-décomposé. Enfin une septième vessie contenait un organisme dont il m’a été impossible de distinguer la nature.

Je n’ai essayé qu’une seule expérience sur les processus quadrifides et sur les glandes, pour déterminer leur faculté d’absorption. J’ai percé une vessie et je l’ai laissé pendant vingt-quatre heures dans un solution contenant 1 partie d’urée pour 437 parties d’eau ; les processus bifides et quadrifides ont été très-affectés. Dans quelques bras, il n’y avait qu’une seule masse globulaire symétrique plus grosse que le nucléus ordinaire et se composant de matières jaunâtres ordinairement translucides, mais quelquefois granuleuses ; d’autres contenaient deux masses ayant un volume différent, l’une grosse et l’autre petite ; d’autres contenaient des globules aux formes irrégulières. En résumé, il semblait que le contenu limpide des processus, par suite de l’absorption de certaines substances contenues dans la solution, s’était agrégé quelquefois autour du nucléus et quelquefois en masses séparées qui tendaient à s’agglomérer. L’utricule primordial ou le revêtement protoplasmique des processus s’était aussi aggloméré çà et là en masses irrégulières et à formes diverses de matières jaunâtres translucides, de même que nous l’avons vu chez l’Utricilaria neglecta soumise à un traitement semblable. Ces masses ne semblaient pas changer de forme.

La solution affecta aussi les petites glandes à deux bras situées sur la vulve. En effet ces glandes contenaient après l’immersion jusqu’à six ou huit masses presque sphériques de matières translucides teintées de jaune, qui changeaient lentement de forme et de position. Je n’ai jamais observé ces masses dans ces glandes à l’état ordinaire ; nous pouvons donc en conclure qu’elles servent à l’absorption. Chaque fois qu’un peu d’eau est expulsé d’une vessie contenant des restes d’animaux par un des moyens que nous avons déjà indiqués et plus particulièrement par la génération de bulles d’air, cette eau remplit la cavité dans laquelle se trouve la vulve, et les glandes peuvent ainsi utiliser des matières décomposées qui autrement eussent été perdues.

Enfin, comme cette plante, à l’état sauvage et à l’état cultivé, capture de nombreux petits animaux, on ne peut douter que les vessies, bien que très-petites, sont loin d’être à l’état rudimentaire ; elles constituent, au contraire, des trappes très-efficaces. On ne peut douter non plus que les processus bifides et quadrifides absorbent des matières provenant de leur proie décomposée, et que du protoplasma ne soit ainsi formé. Mais je ne saurais exprimer aucune conjecture relativement à ce qui peut amener des animaux si divers à pénétrer dans la cavité formée par les antennes recourbées, et ensuite à passer par le petit orifice qui se trouve entre la valve et le col pour entrer dans les vessies remplies d’eau.

Tubercules. — Ces organes, dont l’un est représenté de grandeur naturelle dans la figure 26, méritent quelques remarques. J’en ai trouvé vingt sur les rhizomes d’une seule plante ; toutefois, on ne peut les dénombrer strictement, car, outre les vingt dont je parle, j’ai observé toutes les gradations possibles entre un rhizome imperceptiblement gonflé et un autre qui l’était tant qu’on aurait pu lui appliquer le nom de tubercule. Quand ces tubercules sont bien développés ils affectent une forme ovale et ordinairement plus symétrique que celle représentée dans la figure. Le plus grand que j’aie vu avait 1 pouce (25 millim. 4) de longueur et 0,45 de pouce (11 millim. 43) de largeur. Ils se trouvent ordinairement près de la surface ; d’autres parfois sont enterrés à une profondeur de deux pouces. Ces derniers sont blanc sale ; ceux, au contraire, qui sont en partie exposés à la lumière deviennent verdâtres, par suite du développement de la chlorophylle dans leurs cellules superficielles. Ils se terminent par un rhizome qui se pourrit souvent et qui tombe. Les tubercules ne contiennent pas d’air et tombent au fond quand on les plonge dans l’eau ; leur surface est couverte des papilles ordinaires. Le faisceau de vaisseaux qui traverse chaque rhizome se divise, dès qu’il entre dans le tubercule, en trois faisceaux distincts qui se réunissent à l’extrémité opposée. Une tranche assez épaisse d’un tubercule est presque aussi transparente que le verre, et se compose de grandes cellules angulaires remplies d’eau qui ne contiennent ni amidon, ni matière solide. J’ai plongé quelques tranches de rhizome dans l’alcool, et je les y ai laissées pendant plusieurs jours. Quelques granules extrêmement petits se précipitèrent sur les parois des cellules ; mais ces granules étaient beaucoup plus petits et en bien moins grand nombre que ceux précipités, à la suite du même traitement, sur les parois des cellules des rhizomes et des vessies. Nous pouvons en conclure que les tubercules ne servent pas de réservoir pour l’alimentation de la plante, mais tout simplement de réservoir d’eau pour l’usage de la plante pendant la saison sèche. Les nombreuses petites vessies remplies d’eau jouent probablement en partie le même rôle.

Pour m’assurer de la vérité de cette hypothèse, j’arrosai abondamment une petite plante qui poussait dans de la terre légère, dans un pot n’ayant que 4 pouces 1/2 sur 4 pouces 1/2, mesure extérieure ; puis je le plaçai dans la serre, en ayant soin de ne jamais lui donner une goutte d’eau. J’avais eu soin de découvrir d’abord deux des tubercules supérieurs et de les mesurer, puis je les avais recouverts d’un peu de terre. Au bout de quinze jours, la terre du pot était devenue extrêmement sèche ; toutefois, les feuilles ne furent pas affectées jusqu’au trente-cinquième jour ; mais alors elles s’infléchirent quelque peu, bien qu’en restant encore molles et vertes. Cette plante, qui ne portait que dix tubercules, aurait sans doute résisté plus longtemps à la sécheresse, si je n’avais précédemment enlevé trois tubercules et coupé plusieurs longs rhizomes. Le trente-cinquième jour j’enlevai la terre du pot ; elle était alors aussi sèche que de la poussière. La surface des tubercules, au lieu d’être polie et tendue comme à l’ordinaire, était toute ridée. Ils s’étaient tous ratatinés, mais je ne saurais dire exactement dans quelle proportion ; car, comme ils étaient dans le principe d’un ovale parfaitement symétrique, je n’avais mesuré que leur longueur et leur épaisseur ; or, ils s’étaient contractés, selon une ligne transversale, beaucoup plus dans une direction que dans une autre, de façon à s’aplatir beaucoup. L’un des deux tubercules que j’avais mesurés n’avait plus que les 3/4 de sa longueur originelle et les 2/3 de son épaisseur dans la direction où je l’avais mesuré ; mais dans une autre direction il n’avait plus que le 1/3 de son ancienne épaisseur. L’autre tubercule avait diminué de 1/4 en longueur, de 1/8 en épaisseur dans une direction, et de 1/2 dans l’autre.

Je coupai un de ces tubercules ridés et j’en examinai une tranche. Les cellules contenaient encore beaucoup d’eau et pas d’air, mais elles étaient plus arrondies et moins anguleuses qu’auparavant, et les parois n’étaient pas aussi droites ; évidemment les cellules s’étaient contractées. Tant qu’ils restent vivants les tubercules ont une forte attraction pour l’eau : je plongeai dans l’eau le tubercule ridé dont j’avais coupé une tranche ; au bout de vingt-deux heures trente minutes, sa surface était devenue aussi polie et aussi ferme qu’elle l’était dans le principe. D’autre part, un tubercule ridé qui s’était trouvé par accident séparé de son rhizome, ne gonfla pas dans l’eau, bien que je l’y aie laissé plusieurs jours.

Chez beaucoup d’espèces de plantes, les tubercules, les bulbes, etc., servent sans aucun doute en partie de réservoirs pour l’eau ; mais je ne connais aucun cas, outre celui dont nous nous occupons, où de semblables organes aient été développés uniquement dans ce but. Le professeur Oliver m’informe que deux ou trois autres espèces d’Utricularia sont pourvues de ces appendices, et le groupe qui les contient a reçu en conséquence le nom d’Orchidioides. Toutes les autres espèces d’Utricularia, aussi bien que celles qui appartiennent à certains genres étroitement alliés, sont des plantes aquatiques ou marécageuses ; or, en vertu du principe que les plantes étroitement alliées ont ordinairement une constitution semblable, il est probable qu’il importe beaucoup à l’espèce dont nous nous occupons d’avoir toujours de l’eau en abondance. Ceci nous aide à comprendre pourquoi les tubercules se sont développés et comment il se fait qu’on en compte jusqu’à vingt sur certaines plantes.

UTRICULARIA NELUMBIFOLIA, AMETHYSTINA, GRIFFITHII, CŒRULEA, ORBICULATA, MULTICAULIS.

Désirant m’assurer si les vessies placées sur les rhizomes des autres espèces d’Utricularia et sur ceux d’espèces de certains genres étroitement alliés ont la même conformation essentielle que ceux de l’Utricularia montana ; désirant m’assurer, en outre, si, comme ces derniers, ils capturent des animaux, je demandai au professeur Oliver de m’envoyer des fragments de certaines espèces représentées dans l’herbier de Kew. Il voulut bien choisir quelques-unes des formes les plus distinctes ayant des feuilles entières, et qu’on suppose habiter l’eau ou les marécages. Mon fils Francis examina ces spécimens et me remit le résultat suivant de ses observations. Je dois faire remarquer qu’il est extrêmement difficile de se rendre compte de la conformation d’organes si petits et si délicats après qu’ils ont été desséchés et pressés[2].

Utricularia nelumbifolia (montagnes des Orgues, Brésil). — L’habitat de cette espèce est remarquable. D’après M. Gardner[3] qui l’a découverte, cette espèce est aquatique, mais « elle ne pousse que dans l’eau qui se réunit au fond des feuilles d’un grand Tillandsia, qui habite en grande quantité une partie rocheuse et aride de la montagne, à une élévation d’environ 5,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Cette plante, outre qu’elle se reproduit au moyen de graines, se propage aussi par des rejetons qui partent de la base de la tige à fleur ; ce rejeton se dirige toujours vers le Tillandsia le plus proche, et, dès qu’il est arrivé à l’eau que celui-ci contient, il donne naissance à une nouvelle plante qui, à son tour, envoie de nouveaux rejetons. J’ai vu six plantes unies de cette façon ». Les vessies de cette espèce ressemblent sous tous les rapports essentiels à celles de l’Utricularia montana ; cette ressemblance va même jusqu’à la présence de quelques petites glandes à deux bras sur la vulve. À l’intérieur d’une de ces vessies se trouvait le reste de l’abdomen d’une larve ou d’un crustacé de grande taille, portant au sommet une touffe de longues soies assez rudes. D’autres vessies renfermaient des fragments d’animaux articulés, et beaucoup contenaient des morceaux brisés d’un curieux organisme dont personne ne put reconnaître la nature.

Utricularia amethystina (Guyane). — Cette espèce a des petites feuilles entières et semble être une plante marécageuse ; toutefois elle doit pousser dans des endroits où existent des crustacés, car on en trouva deux petites espèces dans l’une des vessies. Les vessies ont presque exactement la même forme que celles de l’Utricularia montana ; elles sont recouvertes à l’extérieur par les papilles ordinaires, mais elles en diffèrent d’une façon remarquable en ce que les antennes sont réduites à deux courtes pointes unies par une membrane creusée au milieu. Cette membrane est recouverte d’innombrables glandes oblongues, soutenues par de longs pédicelles disposés la plupart en deux rangées convergeant vers la valve. Toutefois, quelques-unes de ces glandes sont placées sur les bords de la membrane ; la courte surface ventrale de la vessie, entre le pétiole et la valve, est aussi recouverte d’une grande quantité de glandes. La plupart de ces glandes étaient tombées et les pédicelles seuls restaient, de sorte qu’étudiés avec un faible grossissement, la surface ventrale et l’orifice paraissaient revêtus de soies très-fines. La valve est étroite et porte quelques glandes presque sessiles. Le col contre lequel vient s’appuyer cette valve est jaunâtre et présente la structure ordinaire. À en juger par le grand nombre de glandes placées sur la surface ventrale et autour de l’orifice, il est probable que cette espèce habite des eaux très-troubles, dans lesquelles elle trouve des matières qu’elle absorbe, de même qu’elle en absorbe certaines autres provenant des animaux qu’elle a capturés.

Utricularia Griffithii (Malaisie et Bornéo). — Les vessies sont transparentes et petites ; j’en ai mesuré une qui n’avait que 28 millièmes de pouce (0, 711 de millim.) de diamètre. Les antennes ne sont pas très-longues et se projettent droit en avant ; elles sont unies à la base par une membrane, et portent un nombre assez considérable de soies ou de poils, non pas simples comme ceux des espèces précédentes, mais surmontés de glandes. Les vessies diffèrent aussi beaucoup de celles des espèces précédentes en ce qu’elles ne contiennent que des processus bifides et aucun processus quadrifide. Dans une vessie se trouvait une petite larve aquatique ; dans une autre les restes d’un animal articulé, et dans presque toutes des grains de sable.

Utricularia cœrulea (Inde). — Les vessies ressemblent à celles de la dernière espèce par le caractère général des antennes et en ce que les processus de l’intérieur sont exclusivement bifides. Ces vessies contenaient des restes de crustacés entomostracés.

Utricularia orbiculata (Inde). — Les feuilles orbiculaires et les tiges qui portent les vessies flottent évidemment dans l’eau. Les vessies ne diffèrent pas beaucoup de celles des dernières espèces. Les antennes, réunies sur une faible longueur à leur base, portent à leur surface extérieure et à leur sommet de nombreux poils longs multicellulaires surmontés par des glandes. Les processus à l’intérieur des vessies sont quadrifides, et les quatre bras divergents ont une longueur égale. Ces vessies contenaient des crustacés entomostracés.

Utricularia multicaulis (Sikkin, Inde, 7 à 11,000 pieds d’altitude). — Les vessies attachées aux rhizomes sont remarquables à cause de la structure des antennes. Celles-ci sont grandes, larges et aplaties ; elles portent sur leurs bords des poils multicellulaires terminés par des glandes. Leur base s’unit en un seul pédicelle assez étroit, et elles paraissent ainsi former une grande expansion digitée à une des extrémités de la vessie. À l’intérieur les processus quadrifides ont des bras divergents d’égale longueur. Les vessies contenaient des restes d’animaux articulés.

POLYPOMPHOLYX.

Ce genre, qui est restreint à l’Australie occidentale, se caractérise par un calice quadripartite. Sous tous les autres rapports, comme le fait remarquer le professeur Oliver[4], c’est un Utricularia.

Polypompholyx multifida. — Les vessies sont attachées en verticilles au sommet de fortes tiges. Les deux antennes sont représentées par une petite fourchette membraneuse, dont la base forme une sorte de capuchon au-dessus de l’orifice. Ce capuchon se prolonge de façon à constituer deux ailes de chaque côté de la vessie. L’extension de la surface dorsale du pétiole semble former une troisième aile ou crête ; mais il a été impossible de connaître exactement la structure de ces trois ailes, à cause de l’état des échantillons. La surface intérieure du capuchon est garnie de longs poils simples, contenant des matières agrégées ressemblant à celles qui se trouvent dans les processus quadrifides des espèces précédemment décrites, quand ces processus se trouvent en contact avec des animaux en décomposition. Ces poils semblent donc jouer le rôle d’organes absorbants. Il existe une valve, mais je n’ai pu déterminer sa conformation. Sur le col, autour de la valve, de nombreuses papilles unicellulaires ayant des pédicelles très-courts remplacent les glandes qui se trouvent ordinairement en cet endroit. Les processus quadrifides ont des bras divergents d’égale longueur. Les vessies contenaient des restes de crustacés entomostracés.

Polypompholyx tenella. — Les vessies sont plus petites que celles de la dernière espèce, mais elles ont la même conformation générale. Elles étaient pleines de débris probablement organiques, mais je n’ai pu distinguer aucun reste d’animal articulé.

GENLISEA.

Ce genre remarquable se distingue techniquement du genre Utricularia en ce que, comme me l’apprend le professeur Oliver, il a un calice quinquepartite. On trouve des espèces de ce genre dans différentes parties du monde, et on les désigne sous le nom de herbæ annuæ paludosæ.

Genlisea ornata (Brésil). — Cette espèce a été décrite et dessinée par le docteur Warming[5] qui affirme qu’elle porte deux espèces de feuilles, auxquelles il donne le nom de spatulées et d’utriculifères. Ces dernières sont creusées de cavités ; comme ces cavités diffèrent beaucoup des vessies des espèces précédentes, il conviendra de les appeler des utricules. La figure 29 représente une des feuilles utriculifères grossie environ trois fois. Cette figure aidera à comprendre la description suivante faite par mon fils, et qui concorde sur tous les points essentiels avec celle du docteur Warming. L’utricule (b) est formé par un léger gonflement de la lame étroite de la feuille. Un col creux (n), qui n’a pas moins de quinze fois la longueur de l’utricule lui-même, établit un passage entre l’orifice transversal (o) et la cavité de l’utricule. Mon fils a mesuré un utricule et a trouvé qu’il avait 1/36 de pouce (0,705 demillim.) dans son plus long diamètre ; le col avait 15/36 de pouce (10 millim. 583) de longueur et 1/100 de pouce (0,254 de millim.) de largeur. De chaque côté de l’orifice se trouve un long bras ou tube (a) en spirale ; on comprendra mieux la conformation de ce bras par l’exemple suivant : Prenez un ruban étroit et enroulez-le en spirale autour d’un cylindre mince, de façon à ce que les bords du ruban se trouvent en contact dans toute leur longueur ; puis relevez les deux bords du ruban, de façon à former une petite crête qui s’enroulera en spirale autour du cylindre comme un fil autour d’une vis. Si alors on enlève le cylindre, on obtiendra un tube semblable à un de ces bras en spirale. Les deux bords relevés ne sont pas soudés l’un à l’autre, et on peut facilement passer une aiguille
Fig. 29.
Genlisea ornata.
Feuille utriculifère grossie environ 3 fois.
l, partie supérieure de la lame de la feuille ; — b, utricule ou vessie ; — n, col de l’utricule ; — o, orifice ; — a, bras enroulés en spirale, dont l’extrémité est brisée.
entre eux. Ils sont même, en bien des endroits, un peu écartés l’un de l’autre, ce qui constitue des entrées étroites dans le tube ; mais cela est peut-être dû au desséchement des spécimens. Les lames qui forment le tube semblent être un prolongement latéral de la lèvre de l’orifice, et la ligne spirale qui se trouve entre les deux bords relevés continue le coin de l’orifice. Si on loge une soie fine dans un de ces bras, elle tombe et pénètre dans le col que nous avons décrit. Il a été impossible de déterminer si ces bras tubulaires sont ouverts ou fermés à leur extrémité, car cette extrémité était brisée dans tous les spécimens ; en outre, il ne paraît pas que le docteur Warming ait élucidé ce point.

Voilà pour la conformation extérieure. Intérieurement, la partie inférieure de l’utricule est couverte de papilles sphériques formées de quatre cellules et quelquefois de huit, selon le docteur Warming ; ces papilles répondent évidemment aux processus quadrifides qui se trouvent à l’intérieur des vessies des Utricularia. Elles s’étendent un peu sur la surface dorsale et sur la surface ventrale de l’utricule ; on en trouve même quelques-unes, selon le docteur Warming, à la partie supérieure. Cette région supérieure est pourvue de plusieurs rangées transversales, placées l’une au-dessus de l’autre, de poils courts rapprochés les uns des autres et se dirigeant vers le bas. Ces poils ont une large base ; leur extrémité est formée par une cellule séparée. Ils ne se trouvent pas à la partie inférieure de l’utricule, où abondent les papilles. Le col est aussi garni dans toute sa longueur de rangées transversales de poils longs, minces et transparents, ayant une large base bulbeuse (fig. 30), avec des pointes aiguës ressemblant à celles des poils de l’utricule, Ces poils sortent de côtes un peu soulevées formées de cellules épidermiques rectangulaires. Les poils varient un peu en longueur, mais leur pointe va généralement toucher la rangée inférieure ; de sorte que, si l’on ouvre le col et qu’on l’aplatisse, la surface intérieure ressemble à un papier dans lequel on a piqué des épingles, les poils représentant les épingles et les petites côtes transversales représentant les plis du papier par lesquels passent les épingles. Ces rangées de poils sont indiquées dans la figure 29 par de nombreuses lignes transversales qui traversent le col. L’intérieur du col est aussi pourvu de papilles ; celles qui se trouvent à la partie inférieure sont sphériques et se composent de quatre cellules, comme dans la partie inférieure de l’utricule ; celles qui se trouvent à la partie supérieure se composent de deux cellules très-allongées au-dessous de leur point d’attache. Ces papilles à deux cellules semblent correspondre aux processus bifides qui se trouvent à la partie supérieure des vessies de l’Utricularia. L’étroit orifice transversal (o, fig. 29) est placé entre les bases des deux bras spiraux. Je n’ai pu découvrir aucune valve en cet endroit, et le docteur Warming n’y a vu non plus aucune conformation semblable. Les lèvres de l’orifice sont armées d’un grand nombre de poils ou de dents courtes, épaisses, se terminant en pointe aiguë et quelque peu recourbée.

Les deux bords de la lame enroulée en spirale, formant les tubes dont nous avons parlé, sont pourvus de dents ou de poils courts et recourbés ressemblant exactement à ceux des lèvres de l’orifice. Ces poils se projettent
Fig. 30.
Genlisea ornata.
Partie de l’intérieur du col communiquant avec l’utricule ; les poils pointus et dirigés de haut en bas sont considérablement grossis ; on voit en outre, sur les parois, des petites cellules ou processus quadrifides.
à l’intérieur en faisant un angle droit avec la ligne spirale de jonction entre les deux bords. La surface intérieure de la lame est pourvue de papilles allongées à deux cellules, ressemblant à celles de la partie supérieure du col, mais en différant légèrement, d’après le Dr Warming, en ce que leurs supports sont formés par des prolongements de grandes cellules épidermiques, tandis que les papilles du col reposent sur des petites cellules enfouies au milieu des plus grandes. Ces tubes en spirale constituent une différence considérable entre le genre dont nous nous occupons et les Utricularia.

Enfin, un faisceau de vaisseaux spiraux, partant de la partie inférieure de la feuille linéaire, se divise immédiatement au-dessous de l’utricule. Une des branches s’étend le long de la surface dorsale, et l’autre le long de la surface ventrale de l’utricule et du col. L’une de ces branches pénètre dans un des tubes et l’autre dans le second tube.

Les utricules examinés contenaient beaucoup de débris ou de matières décomposées qui m’ont paru organiques, bien que je n’aie pu reconnaître aucun organisme distinct. D’ailleurs, il n’est guère possible qu’un objet autre qu’une créature vivante puisse pénétrer par le petit orifice et descendre dans le col long et étroit. J’ai trouvé à l’intérieur du col de quelques spécimens un ver aux mâchoires cornées, l’abdomen de quelque animal articulé et des amas de matières putréfiées provenant probablement d’autres petits animaux. Beaucoup de papilles de l’utricule et du col étaient décolorées comme si elles avaient absorbé des substances animales.

On comprendra facilement, d’après cette description, comment le Genlisea attrape sa proie. Dès que des petits animaux ont pénétré par l’orifice étroit, — sans que nous puissions dire quelle raison les pousse à y pénétrer, pas plus que nous ne savons pourquoi ils entrent dans les vessies de l’Utricularia, — les poils recourbés des lèvres doivent rendre leur sortie difficile ; mais dès qu’ils se sont engagés dans le col, il leur serait impossible de remonter, arrêtés qu’ils seraient par les nombreuses rangées transversales de poils longs et droits qui se dirigent du haut en bas, et par les côtes sur lesquelles ces poils sont implantés. Ces animaux doivent donc périr soit dans le col, soit dans l’utricule, et les papilles bifides et quadrifides doivent absorber les substances provenant de leurs restes décomposés. Les rangées transversales de poils sont si nombreuses, qu’elles semblent superflues si elles ne servent qu’à empêcher la proie de s’échapper ; mais, comme ces poils sont minces et délicats, il est probable qu’ils se chargent aussi d’absorber de la même façon que les poils flexibles sur les bords recourbés des feuilles de l’Aldrovandia. Les tubes spiraux constituent sans doute des trappes accessoires. On ne peut dire, jusqu’à ce qu’on ait examiné de nouvelles feuilles, si la ligne de jonction des lames enroulées en spirale est un peu ouverte tout le long de la spirale, ou si elle présente seulement çà et là quelques ouvertures. En tout cas, un petit animal qui aurait pénétré dans le tube, à quelque point que ce soit, s’échapperait très-difficilement à cause des poils recourbés, tandis qu’il pourrait se diriger facilement vers le col, et de là descendre dans l’utricule. S’il venait à mourir à l’intérieur des tubes spiraux, ses restes en décomposition seraient absorbés et utilisés par les papilles bifides qui s’y trouvent en grand nombre. Ainsi le Genlisea capture des animaux, non pas au moyen d’une soupape élastique, comme les espèces précédentes, mais au moyen d’un appareil qui ressemble beaucoup à un piège à anguilles, bien qu’il soit un peu plus compliqué.

Genlisea africana (Afrique méridionale). — Des fragments de feuilles utriculifères de cette espèce présentent la même conformation que les feuilles du Genlisea ornata. J’ai trouvé dans l’utricule ou dans le col, car la note prise n’est pas bien précise, de l’une de ces feuilles un Acarus presque entier.

Genlisea aurea (Brésil). — Un fragment du col d’un utricule a été examiné avec soin ; il est pourvu de rangées transversales de poils et de papilles allongées, absolument comme le col du Genlisea ornata. Il est donc probable que l’utricule entier est conformé de la même façon.

Genlisea filiformis (Bahia, Brésil). — Mon fils a examiné beaucoup de feuilles de cette espèce, et chez aucune il n’a aperçu d’utricule, alors qu’il est difficile de trouver des feuilles dépourvues de cet organe chez les trois espèces dont nous venons de parler. D’autre part, les rhizomes portent des vessies ressemblant par tous les points importants à celles qui se trouvent sur les rhizomes de l’Utricularia. Ces vessies sont transparentes et très-petites, car elles n’ont guère que 1/100 de pouce (0 millim. 254) de longueur. Les antennes ne sont pas unies à la base et semblent porter de longs poils. On remarque quelques papilles seulement à l’extérieur des vessies, et, à l’intérieur, très-peu de processus quadrifides ; par contre, ces derniers sont extrêmement gros, comparativement à la grosseur de la vessie ; leurs quatre bras divergents ont une longueur égale. On n’a pu distinguer aucun reste d’animal à l’intérieur de ces vessies microscopiques. Les rhizomes de cette espèce étant pourvus de vessies, on a examiné avec le plus grand soin les rhizomes du Genlisea africana, du G. ornata et du G. aurea, mais sans en découvrir aucune. Que faut-il conclure de ces faits ? Les trois espèces que nous venons de citer possédaient-elles à l’origine comme leurs proches alliés, les Utricularia, des vessies sur leurs rhizomes, qu’elles ont ensuite perdues pour se procurer à la place des feuilles utriculifères ? On peut dire, à l’appui de cette hypothèse, que les vessies du Genlisea filiformis semblent, à en juger par leur petitesse et par le nombre si limité de leurs processus quadrifides, tendre à disparaître. Mais alors on peut se demander pourquoi cette espèce n’a pas acquis des feuilles utriculifères comme ses congénères.

CONCLUSION.

Nous avons actuellement démontré que beaucoup d’espèces d’Utricularia et de deux genres étroitement alliés, habitant les parties les plus éloignées du monde, l’Europe, l’Afrique, l’Inde, l’archipel de la Malaisie, l’Australie, l’Amérique du Nord et du Sud, sont admirablement adaptées pour capturer par deux moyens les petits animaux aquatiques ou terrestres, et qu’elles absorbent les produits de la décomposition de ces animaux. Les plantes ordinaires des genres supérieurs vont chercher dans le sol, au moyen de leurs racines, les éléments inorganiques dont elles ont besoin, et absorbent au moyen de leurs feuilles et de leurs tiges l’acide carbonique contenu dans l’atmosphère. Nous avons vu, d’autre part, au commencement de cet ouvrage, qu’il y a une classe de plantes qui digèrent et qui absorbent ensuite les matières animales ; ces plantes, comme on l’a vu, sont les Drosera et les Pinguicula ; le docteur Hooker y a ajouté les Nepenthes, et il faudra sans doute probablement joindre d’autres espèces à cette catégorie de végétaux. Ces plantes ont la faculté de dissoudre les matières contenues dans certaines substances végétales, telles que le pollen, les graines et les morceaux de feuille. Sans aucun doute, leurs glandes absorbent aussi les sels d’ammoniaque contenus dans l’eau de pluie. Nous avons démontré, en outre, que quelques autres espèces peuvent absorber de l’ammoniaque au moyen de leurs poils glanduleux, et ces plantes, sans aucun doute, doivent profiter des sels qui leur sont apportés par la pluie. Il y a une seconde catégorie de végétaux qui, comme nous venons de le voir, ne peuvent pas digérer, mais qui absorbent les produits de la décomposition des animaux qu’ils capturent. Il faut ranger dans cette classe les Utricularia et leurs proches alliés, et très-probablement, d’après les excellentes observations du docteur Mellichamp et du docteur Canby, les Sarracenia et les Darlingtonia, bien qu’on ne puisse pas encore considérer ce fait comme absolument prouvé. On admet aujourd’hui qu’il existe une troisième catégorie de plantes qui se nourrissent des produits de la décomposition des matières végétales, par exemple le Neottia, etc. Enfin, il y en a une quatrième bien connue, celle des parasites, tels que le Gui, qui se nourrissent des sucs des plantes vivantes. Toutefois, la plupart des plantes appartenant à ces quatre catégories empruntent, comme les espèces ordinaires, une partie de leur carbone à l’atmosphère. Tels sont les moyens divers, autant que nous pouvons le savoir jusqu’à présent, qu’emploient les végétaux les mieux organisés pour s’assurer leur subsistance.

FIN.
  1. Le professeur Oliver a décrit un échantillon de l’Utricularia Jamesoniana (Proc. Linn. Soc., vol. iv., p. 169) qui a des feuilles entières et des rhizomes comme l’espèce dont nous nous occupons. Mais les bords de la moitié terminale de quelques feuilles sont transformés en vessie. Ce fait indique clairement que les vessies existant sur les rhizomes de l’espèce dont nous nous occupons et sur ceux des espèces suivantes sont des segments modifiés de la feuille. Ces vessies correspondent donc à celles qui sont attachées aux feuilles divisées et flottantes des espèces aquatiques.
  2. Le professeur Oliver a donné dans les Proc. Linn. Soc, vol. IV, p. 169, la description des vessies de deux espèces de l’Amérique du Sud, Utricularia Jamesoniana et de l’Utr. peltata, mais il ne semble pas s’être occupé particulièrement de ces organes.
  3. Travels in the interior of Brazil, 1836-1841, p. 527.
  4. Proc. Linn. Soc, vol. IV, p. 171.
  5. Bidrag til Kundskaben om Lentibulariaceæ, Copenhague, 1874.