Les trois cocus/Chapitre XXX

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Librairie populaire (p. 215-219).


CHAPITRE XXX

SUITE DE L’ALBUM DE LARIPETTE


Robert — avons-nous besoin de le dire ? — était au comble de la joie. Il avait retrouvé Pélagie. Son bonheur lui fit oublier un moment la fausse situation dans laquelle il se trouvait avec ses trois maîtresses sur les bras.

Aussi, déclara-t-il que ce soir-là il ne pouvait sacrifier à Vénus et qu’il préférait s’abandonner à l’inspiration pour ajouter quelques pages à son album.

Il écrivit donc de sublimes choses :

I

Catéchisme du Parfait Cocu.

D. — Qui vous a créé et mis au monde ?

R. — On n’est jamais sûr de celui qui a fait le coup.

D. — Pourquoi avez-vous été créé et mis au monde ?

R. — Pour la gloire des Don Juan et le bonheur de nos chastes moitiés.

D. — En quoi consiste le vrai cocuage ?

R. — Le vrai cocuage consiste à l’être et à l’ignorer.

D. — Qu’est-ce que le cocuage de convention ?

R. — C’est un cocuage par à peu près, indigne de tout honnête et respectable cocu.

D. — Doit-on le dire ?

R. — Non, on ne doit pas le dire.

D. — Que faut-il à un cocu pour être heureux ?

R. — Il faut qu’il soit persuadé qu’il ne l’est pas.

D. — En quoi le cocu ressemble-t-il à la masse des citoyens ?

R. — En ce qu’il a, comme tous, des droits et des devoirs.

D. — Quels sont les droits du cocu ?

R. — De faire gagner les marchands de chapeaux.

D. — Quels sont les devoirs du cocu ?

R. — De faire gagner les fabricants de bougies.

D. — Doit-on le dire ?

R. — Non, on ne doit pas le dire.

D. — Un cocu doit-il aimer sa femme ?

R. — Il doit l’adorer.

D. — Un cocu doit-il aimer celui qui lui en fait porter ?

R. — Ce doit Être son meilleur ami.

D. — Pour gagner le paradis des cocus, combien un cocu doit-il avoir de chevrons ?

R. — Trois, au minimum.

D. — Quel est le maximum du cocuage ?

R. — Il n’y en a pas.

D. — Doit-on le dire ?

R. — Non, on ne doit pas le dire,

D. — Quelles sont les vertus du parfait cocu ?

R. — La foi en la fidélité de sa femme, l’espérance d’avoir un moutard, et la charité à l’égard de tous ses amis.

D. — Quels sont les péchés capitaux qui empêchent un cocu d’arriver à la perfection ?

R. — 1o L’orgueil, un cocu doit avoir confiance en sa femme et non en lui-même ; 2o l’avarice, un cocu ne doit pas craindre de dépenser son argent pour donner des soirées à ses amis ; 3o l’envie, un cocu doit se contenter de son cocuage et ne pas souhaiter celui de ses connaissances plus favorisées ; 4o la luxure, un cocu doit l’être, mais il perd tout mérite, s’il prend sa revanche ; 5o la gourmandise, un cocu doit se priver et conserver au cousin de son épouse tous les meilleurs morceaux ; 6o la colère, plus un cocu est cocu, plus il doit être aimable et souriant ; 7o la paresse, un cocu ne doit ni craindre les voyages ni s’attarder trop longtemps dans son lit.

D. — Doit-on le dire ?

R. — Jamais !

BEAUX TRAITS DE COCUS

Pour faire suite à la « morale en action »

Comment un Cocu sauva la ville de Noisy-le-Sec, assiégée par les pirates de l’île de la Grande-Jatte. — C’était en l’an 1452, les pirates de file de la Grande-Jatte faisaient le siège de Noisy-le-Sec depuis sept ans et neuf mois, sans que la ville ait manifesté la moindre velléité de se rendre.

Les Noisy-le-Secquois montraient au monde étonné qu’ils étaient tous des héros ; rien ne pouvait les faire faiblir : aucune privation ne réussissait à leur faire arborer le honteux drap de lit de la capitulation.

La famine était impuissante.

Le bombardement était obligé de s’avouer vaincu.

Cependant, à la tête de l’armée assiégeante, était un rude-à-poil qui, depuis sept ans, disait tous les matins, en se faisant la barbe : « Tonnerre de Brest ! cela ne peut pas durer comme ça ! Ces Noisy-le-Secquois me la font à l’oseille. »

Kroutt-de-Pâté (c’était le nom du pirate redoutable) avait des intelligences dans la place.

Grâce à un Espagnol complaisant, — il y a des Espagnols complaisants partout, — il entretenait des relations criminelles avec la femme d’un des notables gardes nationaux de la ville assiégée.

Une guérite d’octroi, située au creux d’un vallon, servait de rendez-vous aux deux amoureux pendant la journée et les nuits d’armistice.

Un soir, Kroutt-de-Pâté apporta à celle dont il était aimé, un petit paquet soigneusement ficelé et lui dit :

— « Héliotrope, si vous êtes capable de dévouement pour moi, ce soir, vous ferez à votre époux une soupe avec le contenu de ce paquet. »

Héliotrope baissa les yeux, soupira, embrassa le pirate, et promit.

Et le soir, notre cocu, qui devait être de faction sur les remparts, mangea une abondante soupe aux haricots ; non pas une soupe aux haricots ordinaires, mais de ces haricots ronges, à quadruple détonation, dont les effets sont terribles et les ravages plus célèbres que ceux du feu grégeois.

Tout avait été ingénieusement combiné.

Les pirates devaient profiter du moment où le factionnaire aux haricots se tordrait dans les convulsions d’une colique atroce pour escalader te rempart dont il avait la surveillance.

De plus, la criminelle Héliotrope avait eu la perfidie de faire prendre à son mari avant son dîner deux verres d’Amer-Picon, et, grâce à l’appétit irrésistible qu’engendre toujours cette bienfaisante liqueur, notre cocu s’était littéralement bourré de haricots.

Mais on avait compté sans le courage de notre héros, qui, surmontant ses douleurs, était encore à son poste, accroupi derrière un créneau, au moment où le féroce Kroutt-de-Pâté calculait qu’il devait, être dans des lieux plus reculés.

À minuit un quart, les pirates commencèrent l’escalade.

Déjà l’avant-garde enjambait les murailles de Noisy-le-Sec, lorsque le mari d’Héliotrope, comprenant qu’il y avait un danger à repousser et cédant d’ailleurs à une pression intérieure d’une violence terrible, envoya en plein nez des assaillants une formidable explosion de feu grisou.

L’effet fut instantané.

L’armée ennemie entière, foudroyée, tomba dans les fossés

Noisy-le-Sec était délivré, et ses habitants purent, dès le lendemain, cesser de se nourrir de fourreaux de parapluies et de cartons à chapeaux.

Comment un cocu sauva dans un incendie une malheureuse mère de famille, veuve, sans enfants. — À la suite d’une conversation amoureuse tenue entre une jeune boulangère et un marchand de coco, l’échoppe du cordonnier de la place Maubert avait pris feu.

Les flammes envahissantes dévoraient l’édifice, léchant son bois vermoulu et s’élevant menaçantes vers le ciel.

Au troisième étage de la maison à laquelle était adossé le monument, apparaissait une mal heureuse créature que le danger avait rendue folle et qui criait dans son désespoir :

— Oh ! je brûle ! je brûle ! Faites-moi monter un bock !

Personne n’osait se hasarder à aller lui porter secours.

Les pompiers disaient :

— Nous sommes là pour éteindre et non pas pour autre chose ; ça ne nous regarde pas.

Tout à coup, passe un cocu très connu du boulevard Saint-Germain.

Que fait cet homme ?

Dans un moment d’inspiration sublime, il présente une de ses cornes à la pauvre femme que le feu allait dévorer, et celle-ci, en saisissant le bout du haut de son troisième étage, descend sans encombre au milieu de la foule qui applaudit.

Comment un cocu préserva d’un danger mortel la virginité de Céline Montaland. — C’était au bal de l’Opéra. À cette époque, le sultan de Zanzibar était de passage à Paris ; on n’a pas oublié que ce monarque se piquait d’être un lettré de son pays et qu’il était en outre d’une galanterie à enfoncer Salomon.

Mme Bicoquet avait envoyé au bal de l’Opéra son bonhomme de mari, afin d’entendre pendant ce temps-là la lecture d’une tragédie, en cinq actes, du sultan de Zanzibar : la lecture devait lui être faite par l’auteur en personne.

M. Bicoquet s’ennuyait à six francs l’heure au milieu de la foule des masques, et, pour être reconnaissant à sa femme de la confiance qu’elle lui témoignait en l’envoyant dans un bal public, il n’avait pas encore fait la moindre invitation.

Or, parmi les danseuses, il y avait Céline Montaland, et, parmi les masques, il y avait un ours. Et cet ours avait l’œil plein de cruauté. Les danseurs se demandaient même avec effroi si ce n’était pas un ours « pour de vrai », échappé de sa fosse du Jardin des Plantes.

Quoi qu’il en soit, cet ours suivait d’un regard féroce l’appétissante Céline.

… Et, pendant ce temps-là, chez M. Bicoquet, le sultan de Zanzibar s’apprêtait à lire sa tragédie…

Soudain, l’ours qui tournait depuis longtemps autour de la proie convoitée, profite d’un quadrille et s’élance sur l’infortunée danseuse ; mais, — ô surprise ! — au moment où il allait atteindre Céline, une corne gigantesque s’élève entre elle et lui et le transperce de part en part.

C’était une magnifique corne en bois d’ébène du plus beau noir, qui venait de pousser subitement sur le front de M. Bicoquet.