Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/AGOSTINO et AGNOLO

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 172-176).
AGOSTINO et AGNOLO
Sculpteurs et architectes siennois ; naissance (?), mort avant 1350

Parmi tant d’autres qui sortirent de l’école de Niccola et de Giovanna de Pise, Agostino et Agnolo, sculpteurs siennois [1], devinrent des artistes excellents pour leur époque ; ils naquirent de père et mère siennois et leurs ancêtres furent architectes, qui, sous le gouvernement des trois consuls, l’an 1190, construisirent avec grand talent la fontaine de Fontebranda [2], et l’année suivante, sous le même consulat, la Douane [3] de cette ville, ainsi que d’autres édifices. Agostino et Agnolo, perfectionnant grandement la manière des deux maîtres pisans, enrichirent l’art d’un meilleur dessin et de plus d’invention, comme leurs œuvres le montrent ouvertement. On raconte que, lorsque Giovanni Pisano revint de Naples à Pise l’an 1284, et s’arrêta à Sienne pour donner le dessin et jeter les fondations de la façade du Dôme qu’on devait orner de marbres richement sculptés [4], Agostino, qui n’avait pas plus de quinze ans, se mit sous sa direction à étudier la sculpture dont il connaissait déjà les premiers principes, et pour laquelle il se sentait autant d’inclination que pour l’architecture. Ainsi, sous la direction de Giovanni, et grâce à un travail assidu, il surpassa tellement tous ses condisciples que chacun l’appelait l’œil droit de son maître. Il résolut alors d’amener Agnolo, son plus jeune frère, à suivre son exemple et à se mettre sous les ordres de Giovanni. Il n’y eut pas de peine, car Agnolo, se trouvant continuellement avec Agostino et les autres sculpteurs, et voyant les honneurs ainsi que le profit qu’ils en retiraient, avait conçu un extrême désir de se consacrer à la sculpture ; aussi, avant qu’Agostino eût pensé à lui, avait-il fait quelques œuvres en cachette. Agostino se trouvant donc à travailler avec Giovanni à la table de marbre du maître-autel [5], dans l’évêché d’Arezzo, dont nous avons déjà parlé, fit en sorte qu’il y amena Agnolo qui, le travail terminé, fut jugé avoir égalé son frère en habileté. Aussi Giovanni les employa tous deux dans une foule de travaux, à Pistoia, à Pise et dans d’autres endroits. Comme ils étaient aptes aussi bien à l’architecture qu’à la sculpture, il ne se passa pas beaucoup de temps que, sous le gouvernement de Sienne par les Neuf, Agostino ne donnât, en 1308, le plan de leur palais, dans la Via di Malborghetto[6]. Cet édifice lui acquit une telle réputation dans sa patrie que, de retour à Sienne, après la mort de Giovanni, ils furent nommés tous deux architectes du gouvernement. En 1317, la façade septentrionale du Dôme fut élevée sous leur direction[7], et en 1321 fut commencée sur leurs plans la porta Romana, dans sa forme actuelle, qui fut terminée en 1326 et qui s’appelait auparavant porta San Martino. Ils refirent également la porta a Tufi, auparavant appelée porta di Sant’Agata all’Arco. La même année furent commencés, sur leurs plans, l’église et le couvent de San Francesco[8], avec l’assistance du cardinal de Gaete, légat apostolique.

Peu après, ils furent appelés à Orvieto [9] par l’entremise des Tolomei, qui y étaient exilés, pour faire quelques sculptures à l’église Santa Maria. Ils y firent en marbre quelques prophètes qui sont certainement les meilleures figures et les mieux proportionnées de toutes celles qu’on voit sur cette façade si renommée.

Or, il arriva, l’an 1326, que Giotto, comme nous l’avons dit dans sa vie, fut appelé à Naples, par l’entremise de Charles, duc de Calabre, qui se trouvait alors à Florence ; il devait faire, pour le compte du roi Robert, diverses peintures à Santa Chiara et dans d’autres endroits. Giotto, passant par Orvieto, s’y arrêta pour examiner minutieusement les œuvres que tant de maîtres y avaient accomplies, ou étaient en train d’accomplir. Comme les prophètes d’Agnolo et d’Agostino lui plurent infiniment plus que les autres sculptures, non seulement il leur donna de grandes louanges et accorda son amitié aux deux artistes, à leur grand contentement mais encore il les recommanda à Piero Sacconeda Pietramala, comme les hommes les plus capables d’exécuter, d’après ses dessins, le tombeau de Guido Tarlati, évêque et seigneur d’Arezzo[10]. Agostino et Agnolo achevèrent en trois ans [11] ce tombeau qui fut placé dans la chapelle del Sagramento[12], dans l’évêché d’Arezzo. Sur le cercueil qui est posé sur des consoles remarquablement sculptées, est étendu le corps de l’évôque, et de chaque côté se tiennent des anges qui soulèvent des rideaux d’une manière très naturelle. Douze bas-reliefs[13] couverts d’une multitude de petites figures représentent les principaux actes de sa vie. Ce tombeau offre plus d’art et d’invention, ainsi qu’une plus belle exécution, qu’aucune autre œuvre faite jusqu’alors ; c’est une merveille de voir le grand nombre et la variété des hommes, des chevaux, des paysages et des autres détails qui y sont représentés. Bien que ce tombeau ait été fortement mutilé par les Français du duc d’Anjou, qui, pour venger quelque injure reçue, mirent la plus grande partie de la ville à sac, il prouve un excellent jugement de la part d’Agostino et d’Agnolo, qui y inscrivirent en grandes lettres ces paroles : Hoc opus fecit magister Augustinus et Magister Angelus de Senis. L’an 1329, ils sculptèrent à Bologne un tableau de marbre pour l’église San Francesco[14]. Il est d’une très belle manière et représente, dans un cadre richement orné, le Christ couronnant la Vierge ; ces deux figures, hautes d’une brasse et demie, sont accompagnées de six saints, trois de chaque côté. Sous chaque statue est un bas-relief dont le sujet est tiré de la vie du saint. Une inscription à moitié effacée permet encore de lire les noms d’Agostino et d’Agnolo, et une date indique qu’ils passèrent huit années à ce travail [15].

Pendant qu’ils étaient occupés, la ville de Bologne se donna, par suite des intrigues d’un légat, librement au pape, et celui-ci promit d’y transporter le Saint-Siège, pourvu qu’on lui bâtît une forteresse où il put se trouver en sûreté. Les Bolonais, y ayant consenti, la firent construire par Agostino et Agnolo, mais elle dura peu, car ils la firent démolir, avec plus de rapidité qu’elle n’avait été élevée, quand ils s’aperçurent combien les promesses du pape étaient illusoires. On raconte que, pendant le séjour des deux sculpteurs à Bologne, un effroyable débordement du Pô [16] ravagea le Mantouan et le Ferrarais, et causa la mort de plus de 10.000 personnes. Appelés à faire une œuvre d’ingénieurs, ils réussirent à rejeter le fleuve dans son lit à l’aide de digues et de chaussées.

De retour à Sienne, l’an 1338, ils commencèrent la nouvelle église de Santa Maria [17] le long du Dôme vieux, vers la place Manetti. Peu après, les Siennois, satisfaits de leurs services, décidèrent de leur confier un travail résolu depuis longtemps, mais resté sans exécution. Il s’agissait d’élever une fontaine sur la grande place, vis-à-vis du Palais de la Seigneurie. Agostino et Agnolo amenèrent les eaux au moyen de canaux en plomb et en ciment, travail difficile pour l’époque et la fontaine commença à jaillir le Ier siècle juin 1343 [18], à la vive satisfaction de tous les habitants de la ville. Dans le même temps, on construisit la salle du Grand Conseil[19], dans le Palais Public, et sur leurs dessins, on termina la grande tour[20], l’an 1344, dans laquelle furent posées deux grosses cloches[21], fondues l’une à Grossetto, l’autre à Sienne[22]. Finalement, Agnolo, se trouvant à Assise, fit dans l’église inférieure de San’Francesco une chapelle et un tombeau de marbre pour un frère de Napoleone Orsino, cardinal et franciscain, mort dans cette ville[23]. Agostino, qui était resté à Sienne, occupé à des travaux publics, mourut pendant qu’il composait les ornements de la fontaine, dont il a déjà été parlé, et fut honorablement enseveli dans la cathédrale. Je n’ai pu trouver aucun renseignement sur le lieu, ni l’époque de la mort d’Agnolo[24].

Presque à la même époque, ou peu auparavant, l’Arte di Calimala à Florence, fit faire par Maestro Cione, orfèvre excellent, sinon tout, du moins la majeure partie de l’autel d’Argent de Saint-Jean-Baptiste[25], sur lequel sont plusieurs sujets tirés de la vie de ce saint : ce sont des figures en demi-relief remarquables, sortant d’une plaque d’argent. Cette œuvre fut considérée comme une chose merveilleuse par tous ceux qui la virent, tant pour sa grandeur que pour sa nouveauté. L’année 1330, comme on avait retrouvé le corps de San Zanobi, dans les souterrains de Santa Reparata le même Cione enchâssa dans une tête d’argent, grande comme l’original, ce fragment de la tête du saint qui est toujours conservé, et que l’on porte dans les processions. Cette œuvre fut alors trouvée chose merveilleuse et procura un grand renom à son auteur qui mourut peu après, étant devenu riche et très considéré [26].

  1. On admet actuellement qu’ils n’étaient pas frères. M. Milanesi a mis en avant qu’il s’agit de deux artistes contemporains appelés Agostino di Giovanni et Angelo di Ventura.
  2. Mentionnée déjà en 1081 et restaurée en 1193 par un certain Maestro Bellamino.
  3. Commencée en 1194, elle fit partie plus tard du Palais Public.
  4. Attribution mal fondée.
  5. Ibid. ; voir la vie de Giovanni.
  6. Agostino n’est pas cité parmi les architectes qui y travaillèrent, de 1307 1310.
  7. La date est exacte, mais l’attribution est incertaine. La porta Romana est de 1327, la porta à Tufi de 1325.
  8. Construits bien antérieurement.
  9. Agostino et Giovanni, son fils, sont seuls cités dans les documents (pour la première fois en 1339). Il n’est pas fait mention d’Agnolo.
  10. Mort en 1327.
  11. 1327-1330.
  12. Actuellement à côté de la porte de la sacristie.
  13. Il y en a seize et non pas douze. Nous rétablissons ici la description de ces sujets que Vasari donnait inexactement : 1° l’évéque Tarlali prend possession du palais archiépiscopal, 1312. — 2° Est élu général des Arétins, 1322. — 3° La commune d’Arezzo, personnifiée par un vieillard, est en butte aux outrages de divers personnages. — 4° Intronisation de Tarlati. — 5° Reconstruction des murs de la cité. — 6° Prise de Lusignano en 1316. — 7° Prise de Rocca di Chiusi. — 8° Prise de Fronzola. — 9° Réception sous les murs de Focognano d’une députation de prisonniers. — 10° Prise de Castello de Rondine. — 11° Prise de Buine, dans le Val d’Ambra. — 12° Prise de Caprera. — 13° et 14° Tarlati détruit les châteaux de Laterina et de Monte San Savino. — 15° Il couronne l’empereur Louis de Bavière à Milan en 1327. — 16° Il meurt au château de Montenero, dans les Maremmes.
  14. Fausse attribution ; travail commandé le 16 novembre i388 par les Frères Mineurs à Jacobello et Pietro Paolo de Masigni. En place.
  15. Renseignement inexact.
  16. En 1330
  17. La construction de la nef transverse du Dôme de Sienne fut commencée en 1339 et poussée avec diverses interruptions jusqu’à l’année 1356. Puis l’on revint au plan primitif, et le Dôme fut terminé dans sa forme actuelle. En 1339, Maestro Landò di Pietro, orfèvre et architecte siennois, est appelé de Naples par la République pour entreprendre les travaux de la nouvelle cathédrale. Il meurt en 1340, et est remplacé par Giovanni, fils d’Agostino. En 1351, le même office est dévolu à Maestro Domenico, autre fils d’Agostino, qui meurt en 1369. Il reste des ruines grandioses de ces constructions.
  18. La vraie date est le 5 janvier 1343.
  19. En 1327.
  20. En 1345.
  21. En 1348.
  22. La deuxième fondue par Maestro Ricciardo di Tingo, Florentin.
  23. Erreur. Le cardinal Napoleone Gaetano mourut à Avignon en 1355 ; il fut enterré dans l’église Saint-François de cette ville. Il s’agit peut-être du tombeau du cardinal Giovanni Gaetano, qui est dans cette chapelle.
  24. Un document du 18 novembre 1350 dit qu’Agostino était déjà mort à cette date.
  25. Commencé en 1366, d’après l’inscription.
  26. Cette tête n’est pas de Cione ; elle est signée Andrea Arditi, florentin.