Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Cosimo ROSSELLI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 438-440).
Cosimo ROSSELLI
Peintre florentin, né en 1439, mort en 1507  ;


Quoique Cosimo[1] n’ait pas été dans son temps un peintre très habile, ses œuvres, néanmoins, ne manquent pas de mérite. Dans sa jeunesse, il fit, à Florence, un tableau qui est à main droite[2] en entrant dans l’église Sant’ Ambruogio et trois figures[3] sur l’arc du couvent des religieuses de San Jacopo dalle Murate. Il peignit encore, dans l’église des Servi, le tableau[4] de la chapelle de Santa Barbara, et, dans la première cour conduisant à l’église, une fresque[5] qui montre saint Philippe recevant l’habit des mains de la Vierge. Pour les religieux de Cestello[6], il exécuta deux tableaux[7] dont l’un fut placé sur leur maître-autel et l’autre dans une de leur chapelles. On lui doit le tableau qui est dans la petite église del Bernardino, à côté de l’entrée de Cestello, et la bannière des enfants de la Compagnia del Bernardino ; la bannière de la Compagnia di San Giorgio, qui représente une Annonciation, est également de lui[8].

Chez les religieuses de Sant’ Ambruogio, il peignit la chapelle du miracle du Saint-Sacrement[9]; cet ouvrage est très beau et regardé comme le meilleur de tous ceux que Cosimo produisit à Florence. Il y représenta une procession passant sur la place de l’église ; l’évêque porte le tabernacle du miracle, accompagné du clergé et d’une multitude de citoyens et de femmes, revêtus des costumes du temps. Parmi une foule de portraits d’après nature, on remarque celui de Pic de la Mirandole, si bien fait qu’il paraît non pas peint, mais vivant. À Lucques, dans l’église San Martino, il peignit une fresque qu’on voit en entrant par la petite porte droite de la façade principale et qui représente Nicodème sculptant un crucifix, le portant par terre jusqu’à la mer et ensuite dans une barque par mer vers Lucques[10]. Dans cette œuvre, il y a plusieurs portraits, particulièrement celui de Paolo Guinigi qu’il tira d’une œuvre en terre cuite faite par Jacopo dalla Fonte ou Cuercia, quand celui-ci fit le tombeau de la femme de Guinigi. À San Marco de Florence, dans la chapelle des tisseurs d’étoffes, il fit un tableau représentant le Christ en croix, entre saint Jean évangéliste, saint Marc, saint Antonin, archevêque de Florence et d’autres figures[11].

Appelé ensuite avec d’autres peintres aux travaux que Sixte IV faisait faire dans la chapelle du palais pontifical[12], il se joignit à Sandro Botticello, à Domenico Ghirlandaio, à l’abbé de San Clemente, à Luca de Cortona et à Pietro Perugino ; il y peignit trois histoires[13], à savoir : Pharaon englouti dans la mer Rouge, la Prédication du Christ sur le rivage de la mer de Tibériade et la dernière Cène des Apôtres avec le Sauveur. Dans le dernier sujet, il mit en raccourci une table et un plafond octogone qui prouvent son habileté dans l’art de la perspective.

On raconte que le pape avait ordonné un prix à décerner à celui qui se serait le mieux comporté dans ces peintures d’après ce qu’il apprécierait. Les peintures étant donc terminées, le pape alla les voir, et chaque peintre s’était ingénié à faire en sorte d’obtenir l’honneur et le prix. Comme Cosimo se sentait faible en invention et en dessin, il avait cherché à cacher son défaut, en couvrant son œuvre de teintes d’outremer très fin, d’autres couleurs vives, et il l’avait rendu éclatante avec beaucoup d’or, en sorte que tout était en pleine lumière, arbres, plantes, draperies, et même les nuages du ciel, s’imaginant que le pape peu connaisseur lui donnerait pour cela le prix de la victoire. Vint le jour où toutes les peintures furent découvertes, la sienne comme les autres. En les voyant, les autres artistes avec de grands éclats de rire et des moqueries le tournèrent en dérision au lieu d’avoir compassion de lui. Mais ils restèrent joués, parce que les couleurs éclatantes firent ce que Cosimo avait prévu : elles éblouirent les yeux du pape, qui s’y entendait peu, mais qui aimait les arts, au point qu’il jugea que Cosimo avait beaucoup mieux opéré que les autres. Il lui fit donner le prix et commanda aux autres de couvrir leurs peintures des meilleurs bleus qu’ils trouveraient, de les frapper d’or, de manière à les rendre semblables à celles de Cosimo en coloris et en richesse. Les pauvres peintres, désespérés d’avoir à se plier au peu d’intelligence du saint Père, se mirent à gâter tout ce qu’ils avaient fait de bon, et Cosimo, à son tour, se moqua de ceux qui auparavant s’étaient moqués de ses exploits[14].

De retour à Florence avec une certaine somme, il reprit ses travaux accoutumés, et vécut dans l’aisance, ayant dans sa compagnie Piero, son disciple, qui fut toujours appelé Piero di Cosimo et qui aida son maître dans la chapelle Sixtine, où il fit, entre autres choses, le paysage qui forme le fond de la Prédication du Christ. C’est la meilleure œuvre de la chapelle. Andrea[15] di Cosimo, qui peignit surtout des grotesques, resta également avec Rosselli. Celui-ci se plut à l’alchimie, et comme cela arrive à tous ceux qui s’en occupent, il y dépensa tout ce qu’il avait, en sorte que de l’aisance il tomba dans une extrême pauvreté. Finalement, âgé de 78 ans, il mourut en 1484[16], à la suite d’une longue maladie, et fut enseveli à Santa Croce par la Compagnia del Bernardino.



  1. Fils de Lorenzo di Filippo di Rossello ; né en 1439. [Déclarations de 1457 et de 1469]
  2. Actuellement au troisième autel, à gauche ; c’est une Vierge entourée de saints, peinte à l’âge de 59 ans.
  3. N’existent plus
  4. Une sainte Barbe, actuellement à l’Académie des Beaux-Arts.
  5. La dernière, à gauche en entrant
  6. Église appelée actuellement S. M. Maddalena de’ Pazzi.
  7. De ces deux tableaux, le premier, une Vierge, n’a pas été retrouvé ; l’autre, un Couronnement de la Vierge, est dans la deuxième chapelle, à gauche.
  8. Tableau et bannières n’existent plus.
  9. Cette fresque existe encore, signée : COSMO ROSELLI F. L'ANNO [1486].
  10. Existe encore ; il s’agit du célèbre Volto Santo, conservé à Lucques.
  11. Peinture disparue : c’est peut-être le tableau de la Galerie nationale à Londres.
  12. La chapelle Sixtine.
  13. Qui existent encore.
  14. Anecdote peu vraisemblable
  15. Andrea Feltrini, 1474-1548
  16. Mort le 7 janvier 1507. [Livre des Morts de Florence et Nécrologe de Sant’ Ambrogio.] Il avait fait, le 25 novembre 1506, son testament qui ne mentionne pas du tout sa pauvreté.