Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/Filippo BRUNELLESCHI

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 318-347).
Filippo BRUNELLESCHI
Sculpteur et architecte florentin, né en 1377, mort en 1446

La nature crée parfois des hommes petits de leur personne et de peu d’apparence, mais qui ont l’âme pleine de tant de grandeur et un si terrible courage, que s’ils n’entreprennent pas des choses difficiles et presque impossibles et s’ils ne les terminent pas, au grand étonnement de ceux qui les voient, leur vie ne peut jamais connaître le repos. Les choses que l’occasion leur met entre les mains, si viles et si mesquines qu’elles soient, ils les font devenir grandes et précieuses. Aussi ne devrions-nous jamais faire la grimace, quand nous rencontrons une personne, occupée à une œuvre quelconque et dont la figure n’offre pas la grâce et la beauté que la nature aurait dû lui donner ; l’or pur ne se trouve-t-il pas caché sous des mottes de terre ? Nous avons vu Filippo di Ser Brunellesco, disgracieux de sa personne autant que Giotto, mais doué d’un génie si élevé qu’on peut dire qu’il fut envoyé par le ciel pour donner une nouvelle forme à l’architecture dévoyée depuis des centaines d’années. Beaucoup de personnes avaient dépensé des sommes immenses pour faire élever des édifices mal dessinés, mal distribués, disgracieux, extravagants même et bizarrement décorés. Le ciel voulut alors, la terre étant restée si longtemps sans un homme d’un réel génie et d’une inspiration divine, que Filippo élevât la plus grande, la plus haute et la plus belle construction des temps modernes aussi bien que de l’antiquité, et montrât ainsi que la valeur des artistes toscans, bien qu’étant restée si longtemps cachée, n’était pas morte pour cela. Il était doué, d’ailleurs, des plus rares qualités ; en amitié, principalement, personne ne fut plus affable, ni plus bienveillant que lui. Son jugement était exempt de passion et quand il reconnaissait le mérite des autres, il laissait là son intérêt, ou celui de ses amis. Il connaisait sa valeur et ne ménagea pas à plusieurs autres l’aide de son talent, secourant de plus toujours son prochain dans la nécessité. Ennemi déclaré du vice, il recherchait les gens vertueux. Il ne dépensait pas son temps en vain, n’évitant aucune peine pour mener à bien ses travaux ou pour aider ceux qu’il savait dans le besoin et profitait de ses promenades pour visiter et secourir ses amis.

On dit qu’à Florence il y eut un homme d’une excellente réputation et de mœurs irréprochables, actif dans ses affaires, qui s’appelait Ser Brunellesco di Lippo Lapi[1]. Son aïeul, appelé Cambio, avait cultivé les lettres et était fils d’un médecin fameux dans le temps, du nom de Maestro Ventura Bacherini. Ser Brunellesco, ayant épousé une jeune fille remarquablement bien élevée, de la noble famille degli Spini[2], reçut, entre autres choses de la dot, une maison qu’il habita, avec sa famille, jusqu’à sa mort et qui était située vis-à-vis de San Michele Berteldi[3]. Il y vivait agréablement, quand lui naquit, l’an 1377, un fils auquel il donna le nom de son père Filippo, mort auparavant ; cette naissance fut accueillie avec une joie extrême par les parents. Dès son enfance, on lui enseigna, avec beaucoup de soin, les premiers principes des lettres ; il y montrait tant d’imagination et un esprit si élevé, que souvent il restait le cerveau en suspens, comme s’il ne se souciait pas d’y faire de grands progrès ; au contraire, il paraissait penser à des choses qui lui semblaient devoir être d’une plus grande utilité. Aussi Ser Brunellesco, qui désirait le voir continuer, un jour, sa profession de notaire ou celle de son aïeul le médecin [4], en prenait un déplaisir extrême. Mais le voyant toujours occupé à des choses d’adresse ou à de petits ouvrages de main, il lui fit apprendre à écrire et à compter et le plaça ensuite chez un orfèvre de ses amis, pour apprendre à dessiner. Filippo[5] en ressentit une grande satisfaction et travailla avec tant d’ardeur qu’il ne tarda pas à savoir monter les pierres fines, mieux que les plus anciens du métier. Il fit plusieurs pièces de nielle et d’argenterie, entre autres, les deux demi-figures de Prophètes, placées sur le bord de l’autel de San Jacopo de Pistoia[6], qui furent trouvées très belles et qu’il exécuta pour l’Œuvre de cette ville. Il fit également des bas-reliefs, dans lesquels il montra une telle entente du métier, que nécessairement son génie devait dépasser les termes de cet art.

S’étant lié avec des personnes studieuses, il lui prit fantaisie d’apprendre les effets des poids et des roues et d’acquérir la connaissance des temps et des mouvements, en sorte qu’il arriva à produire de belles et d’excellentes horloges. Non content de cela, il se prit d’un désir extrême de faire de la sculpture et cette idée lui vint après que Donato étant jeune et considéré déjà comme un sculpteur de talent dont on attendait davantage, Filippo commença à le fréquenter continuellement ; par suite de leurs vertus réciproques, leur affection devint telle qu’ils ne semblaient pouvoir vivre l’un sans l’autre. De plus, Filippo, qui avait les aptitudes les plus diverses, s’occupa à des œuvres d’autres professions, en sorte que les personnes qui s’y connaissaient l’estimèrent être un excellent architecte, d’après les nombreux ouvrages qu’il exécuta et qui servirent dans des restaurations de maisons. Ainsi, tandis que Apollonio Lapi, son parent, faisait construire une maison, au coin des Ciai, vers le Mercato Vecchio, Filippo s’y employa grandement et il en fit autant, hors de Florence, dans la tour et la maison della Petraia[7], à Castello. Dans le palais qu’habite la Seigneurie, il fit la distribution de toutes les chambres, dans la partie où se trouvaient les bureaux du Mont-de-Piété ; il y pratiqua des portes et des fenêtres, dans une manière inspirée de l’antique et qui n’était pas beaucoup en usage, car l’architecture était des plus grossières en Toscane. Comme les Frères de Santo Spirito, à Florence, voulaient avoir une statue de sainte Marie-Madeleine pénitente, en bois de tilleul et destinée à être placée dans une chapelle, Filippo, qui avait produit plusieurs petites œuvres de sculpture et qui était désireux de montrer qu’il pouvait réussir des œuvres de grandes dimensions, demanda à la faire ; cette figure, terminée et mise en place, fut trouvée très belle, mais, dans l’incendie de l’église qui arriva l’an 1471, elle fut réduite en cendres, avec beaucoup d’autres œuvres remarquables.

Il cultiva beaucoup la perspective, qui était alors mal appliquée, à cause des nombreuses erreurs que l’on commettait ; il y perdit beaucoup de temps, jusqu’à ce qu’il eût trouvé par lui-même une manière de la rendre plus juste et parfaite, en faisant le plan, le profil et les intersections, découverte vraiment ingénieuse et très utile aux arts du dessin. Il y prit tant de plaisir que de sa main il retraça la place de San Giovanni, avec la répartition des marbres noirs et blancs incrustés sur les murailles et dont les bandes allaient en diminuant avec une grâce singulière ; il fit également la maison de la Misericordia, avec les boutiques des marchands de gaufres, la voûte des Pecori et de l’autre côté la colonne de San Zanobi. Ce dessin, pour lequel il reçut les éloges des artistes et de tous ceux qui savaient juger cet art, l’encouragea au point qu’il ne resta pas longtemps sans mettre la main à un autre dans lequel il représenta le Palais, la Place et la Loggia de la Seigneurie, avec le toit des Pisans et toutes les constructions que l’on voit autour ; ces deux œuvres[8] eurent pour effet d’éveiller l’intelligence des autres artistes, qui se mirent depuis à travailler la perspective avec beaucoup d’application. Filippo l’enseigna en particuHer à Masaccio, peintre, alors jeune et son grand ami, qui lui fit honneur, comme il apparaît dans la représentation des édifices qu’il introduisit dans ses œuvres. Il en fit autant pour ceux qui travaillaient à des œuvres de marqueterie, qui est un art d’assembler les bois de couleurs, et il les stimula au point qu’il faut lui attribuer le développement que prit cet art si utile, de même que quantité d’œuvres de ce genre, qui ont procuré, à Florence, autant de gloire que de profit, pendant de longues années.

Maestro Paulo dal Pozzo Toscanelli revenant de ses études et se trouvant à dîner un soir, dans un jardin, avec quelques amis, invita Filippo qui, l’entendant parler des arts relevant des mathématiques, prit tant de familiarité avec lui que celui-ci lui enseigna la géométrie, et bien que Filippo n’eût pas de connaissance approfondie des lettres, il lui rendait raison de toutes choses, avec le naturel de la pratique et de l’expérience, de manière que souvent il le confondait. De même, il pratiquait les écrits de la religion chrétienne, intervenant dans les discussions et les prédications des personnes savantes, dont il tirait un si grand fruit, grâce à son admirable mémoire, que Messer Paulo susdit, pour faire son éloge, avait coutume de dire que, lorsqu’il entendait raisonner Filippo, il lui semblait un nouveau saint Paul. À la même époque, il s’appliqua également à bien comprendre Dante, relativement aux lieux décrits par le poète et à ses théories et très souvent il s’en servait dans ses raisonnements, en le citant par comparaisons. Son esprit était continuellement occupé à imaginer et à inventer des choses ingénieuses et difficiles et il ne put pas rencontrer d’esprit qui lui plût davantage que celui de Donato, avec lequel il causait famiUèrement, raisonnant, pour leur plus grand plaisir, sur les difficultés du métier.

Dans ce temps-là, Donato venait déterminer un crucifix en bois, qui fut placé à Santa Croce de Florence[9], au-dessous de la fresque peinte par Taddeo Caddi, et qui représente saint François, ressuscitant un enfant. Il voulut connaître l’avis de Filippo, mais il s’en repentit ensuite, car Filippo lui dit qu’il n’avait mis en croix qu’un paysan. C’est de là que vient le proverbe : « Prends du bois et fais en un ! » telle fut la réponse de Donato. Filippo, qui ne se fâchait jamais de ce qu’on lui disait, bien que dans le cas il se sentît véritablement provoqué, se renferma chez lui pendant plusieurs mois qu’il employa à sculpter un crucifix en bois, d’égale grandeur, mais d’un dessin et d’une exécution si admirables, qu’un jour s’étant fait précéder par Donato qui ignorait ce travail, celui-ci le voyant, dans sa surprise, laissa choir par terre les œufs et les autres provisions qu’il apportait pour déjeuner avec son ami. Il était hors de lui d’admiration, en voyant avec quelle manière pleine de génie Filippo avait exécuté les jambes, le torse et les bras de cette figure, d’une telle unité que Donato s’avoua vaincu et qu’il proclama partout que cette œuvre était un vrai miracle. Ce crucifix est aujourd’hui à Santa Maria Novella[10], entre les chapelles Strozzi et Bardi da Vernio et il est extrêmement admiré encore maintenant. L’excellence des deux maîtres engagea les Arts des Bouchers et des Marchands de Lin à leur commander deux statues en marbre, destinées à occuper les niches des pilastres afférents à ces deux arts, à l’extérieur d’Or San Michele. Filippo, ayant autre chose à faire, abandonna ces deux statues à Donato, qui les conduisit à bonne fin.

L’an 1401, les Florentins, voyant le haut point que la sculpture avait atteint, résolurent de faire exécuter les deux portes de bronze du baptistère de San Giovanni, car depuis la mort d’Andrea Pisano, il n’y avait pas eu de maîtres capables de ce travail. À la suite du concours[11], il fut reconnu que les deux meilleurs projets présentés étaient ceux de Lorenzo Ghiberti et de Brunelleschi, ce dernier, à la vérité, inférieur à l’autre. Le sujet à traiter était le sacrifice d’Abraham et Filippo avait représenté, entre autres particularités, un serviteur d’Abraham se tirant une épine du pied, très bien réussi. Le jour du jugement arrivé, Filippo et Donato ne se déclarèrent entièrement satisfaits que du modèle de Lorenzo et persuadèrent aux Consuls qu’il fallait allouer le travail à celui-ci, dans l’intérêt général. Ils firent ainsi preuve d’une bonté d’amis et d’une vertu exempte d’envie, autant que d’une connaissance exacte de leur propre valeur. Bien que les Consuls priassent Filippo de partager l’entreprise avec Lorenzo, il s’y refusa, aimant mieux être le premier dans son art, que le second ou l’égal de qui que ce fût dans un autre. Il donna son bas-relief à Cosme de Médicis, qui le fit placer dans la vieille sacristie de San Lorenzo, sur le devant de l’autel, où on le voit à présent. Celui de Donato est dans l’Arte del Cambio.

Le jugement prononcé[12], Filippo et Donato résolurent de quitter Florence et d’aller demeurer à Rome pendant quelques années, pour y étudier. Donato la sculpture et Filippo l’architecture. Il avait embrassé définitivement ce dernier parti, voulant être supérieur à Lorenzo et à Donato, autant que l’architecture l’emporte en utilité sur la peinture et sur la sculpture. Ayant vendu un petit domaine qu’il possédait à Settignano, il se mit en route avec son compagnon. En arrivant à Rome, il fut frappé de stupeur en voyant la grandeur des édifices antiques et la perfection de leur construction. Ils se mirent alors à mesurer les corniches, à lever le plan de tous ces monuments et ne regardèrent ni au temps, ni à l’argent, pour ne laisser à Rome et dans ses environs aucun endroit, sans examiner et mensurer tout ce qu’ils pouvaient y rencontrer de beau. Comme Filippo était peu soucieux des besoins de la vie, tout entier à l’étude, il en oubliait le manger et le dormir : il n’avait en tête que l’architecture qui était perdue, je dis la bonne manière antique et non ce style gothique barbare qui seul régnait à cette époque. Il avait deux projets grandioses : d’une part, il voulait remettre en honneur la belle architecture, espérant ainsi, s’il la retrouvait, laisser une renommée égale à celle de Cimabue et de Giotto ; d’autre part, il cherchait le moyen de voûter la coupole de Santa Maria del Fiore, à Florence, dont personne, après la mort d’Arnolfo, n’avait osé se charger, sans faire une dépense prodigieuse de charpentes et de cintres. Il n’en parla à personne, pas même à Donato, mais il étudia toutes les difficultés de la coupole du Panthéon et dessina toutes les voûtes antiques qu’il put examiner. Et lorsque les deux artistes voyaient apparaître, à demi enterrés, des fragments de chapiteaux, de colonnes, de corniches, ou de soubassements d’édifices, ils ne manquaient jamais de pousser leurs fouilles jusqu’au pied, de manière à les dégager et à pouvoir les étudier. Aussi le bruit s’en était répandu dans Rome et quand ils passaient par les rues avec leurs habits de terrassiers, on les appelait les hommes du trésor, car le peuple les prenait pour des personnes occupées de géomancie, pour retrouver des trésors ; ce qui provint de ce que, un jour, ils avaient trouvé un vase antique, de terre, plein de médailles.

Bientôt l’argent manqua et Filippo dut y remédier en montant des pierres pour des orfèvres, ses amis, tandis que Donato retournait à Florence. Resté seul, Filippo continua à étudier les antiques, avec plus de zèle que jamais. Il n’y a pas d’édifice ancien qu’il n’ait pas dessiné, temples ronds, carrés, octogones, bâtis en briques, basiliques, aqueducs, bains, arcs de triomphe et amphithéâtres ; dans toutes ces constructions, il découvrit l’assemblage et l’enchaînement des pierres, ainsi que la forme des voûtes. Il étudia l’agencement des pierres d’attente et de celles qui servent de point fixe ; puis, s’apercevant que toutes les grosses pierres étaient percées d’un trou à mortaise, il reconnut qu’il était destiné à cet outil de fer que nous appelons la louve, et dont on se sert pour élever les pierres ; après lui, il a été toujours en usage. Il sut distinguer les ordres dorique, ionique et corinthien et il poussa ses études à un tel point qu’il était capable de recomposer en imagination la ville de Rome telle qu’elle était avant d’avoir été ruinée.

L’an 1407, le mauvais air affecta un peu sa santé et ayant reçu de ses amis le conseil de changer d’air, il revint à Florence où, pendant son absence, une partie des murs était tombée en ruines et pour la réfection desquels il donna, à son retour, des dessins et des conseils.

Cette année-là[13], une assemblée d’architectes et d’ingénieurs du pays fut convoquée, au sujet de la coupole, par les fabriciens de Santa Maria del Fiore et par les Consuls de l’Art de la Laine. Brunelleschi y fut appelé et conseilla de dégager l’édifice du toit et de ne pas suivre le projet d’Arnolfo, mais d’élever un tambour de quinze brasses de haut, percé, au milieu de chaque face, d’une large lunette, autant pour soulager les reins des arcs que pour faciliter la construction de la future coupole. Il en fit, de plus, des modèles qu’on mit immédiatement à exécution[14].

Comme sa santé était complètement rétablie, un matin qu’il se trouvait avec Donato et d’autres artistes, sur la place du Dôme et que la conversation roulait sur les sculptures antiques. Donato raconta que, revenant de Rome, il avait passé par Orviéto, pour voir la célèbre façade de marbre du Dôme[15] et qu’en traversant la ville de Cortona, il était entré dans l’église paroissiale et avait vu un sarcophage antique[16], orné d’un bas-relief de la plus grande beauté, chose rare à cette époque où l’on n’avait pas encore déterré tous ces chefs-d’œuvre que nous possédons aujourd’hui. Filippo, en entendant Donato vanter la perfection de ce morceau, ne put résister au désir de le connaître. Vêtu comme il l’était, en manteau, avec son chaperon et ses sandales, il partit à pied, sans dire où il allait et se laissa emporter à Cortona par son amour de l’art. Ayant vu le bas-relief et l’ayant dessiné à la plume, il revint à Florence, avant que Donato, ni aucun autre se fût aperçu de son départ, car on pensait qu’il devait être en train de dessiner ou d’inventer quelque chose, et à la vue du dessin, Donato ne put s’empêcher d’admirer le violent amour que Filippo portait à l’art.

Il employa ensuite plusieurs mois à fabriquer secrètement des modèles et des appareils qu’il jugeait nécessaires à l’entreprise de la coupole, et prenait part, néanmoins, aux amusements des autres artistes. C’est alors qu’il fit la farce dite Burla del Graso e di Matteo[17], et il allait fréquemment, pour se distraire, aider Lorenzo Ghiberti à réparer les portes du Baptistère. Mais, apprenant un jour qu’il était question de réunir de nouveau des ingénieurs pour étudier la construction de la coupole, il repartit pour Rome, pensant que l’on aurait plus recours à lui absent, et avec plus d’intances, que s’il restait à Florence. À peine était-il arrivé à Rome qu’on se rappela la sûreté de ses vues et la supériorité de ses raisonnements sur ceux des autres maîtres, qui désespéraient de s’entendre avec les maçons et de construire une charpente assez forte pour soutenir l’armature et l’énorme poids de la coupole. Comme on voulait en voir la fin, on écrivit à Filippo, le priant de revenir à Florence ; et comme il ne désirait rien davantage, il voulut bien se rendre à cet appel. La fabrique du Dôme et les consuls de l’Art de la Laine s’étant rassemblés à son arrivée, lui exposèrent toutes les difficutés, de la plus grande à la moindre, que faisaient les autres maîtres présents à cette consultation. Filippo, après les avoir écoutés, parla ainsi : « Seigneurs, il est hors de doute que les grandes choses rencontrent toujours de grandes difficultés dans leur exécution, et, s’il en fut jamais, votre entreprise en présente de plus grandes que probablement vous ne vous l’imaginez. Je ne sache pas que les anciens aient jamais exécuté une voûte d’une aussi terrible grandeur que celle-ci aura. J’ai souvent pensé aux moyens d’en armer la construction à l’intérieur et à l’extérieur, pour y travailler en toute sécurité, et n’ai su que résoudre, car la largeur et la hauteur de l’édifice m’épouvantent. Si on pouvait la faire sphérique, on suivrait la méthode employée par les Romains dans le Panthéon. Mais ici nous avons huit pans auxquels nous devons nous assujettir, et par conséquent huit chaînes de pierre à élever, auxquelles il faudra lier le reste de la construction. Je sais combien cela est difficile ; néanmoins, comme ce temple est consacré à Dieu et à la Vierge, j’espère que le Tout-Puissant ne manquera pas d’envoyer le savoir, s’il fait défaut, en y ajoutant la force, l’intelligence et le génie, à celui qui conduira cette entreprise. Mais en quoi puis-je vous être utile, puisque je n’en suis pas chargé ? Je l’avoue, si elle m’était confiée, je me sentirais le courage nécessaire pour trouver les moyens d’en venir à bout, sans tant de difficultés. Mais je n’ai encore pensé à rien, et vous voulez que je vous indique les moyens à employer ! Lorsque vous serez décidés, il vous faudra non seulement faire usage de moi, qui serai insuffisant pour donner des conseils sur une si grande entreprise, mais encore faire de grandes dépenses et inviter les architectes de Toscane, d’Italie, d’Allemagne, de France et de tous les pays en un mot, à se rassembler à Florence, dans un an à jour fixe ; puis soumettre votre projet à leur discussion et en confier l’exécution à l’homme qui répondra au but voulu et proposera les meilleurs moyens et les plus judicieux. Je ne saurais vous donner d’autres conseils ni vous indiquer une meilleure marche. »

Le conseil et la méthode indiquée par Filippo plurent aux consuls et aux fabriciens, mais ils se doutaient qu’il avait un modèle et qu’il y avait longuement pensé ; ils auraient voulu le connaître, ce dont il paraissait peu se soucier. Il prit même congé d’eux, déclarant qu’il était sollicité par lettres de retourner à Rome. Les consuls et les fabriciens, voyant que leurs sollicitations étaient impuissantes pour le retenir, le firent prier par des amis, et, comme il résistait, un matin qui fut celui du 26 mai 1417[18], les fabriciens lui firent une allocation d’argent, que l’on trouve portée à son compte sur les registres, et qu’ils lui donnèrent pour se le rendre favorable. Mais Filippo, ferme dans son propos, quitta Florence, et s’en alla à Rome, où il se livra à de profondes études pour se préparer à la future entreprise dont il était certain d’être seul capable d’assurer l’exécution.

Le conseil donné par Filippo, d’appeler de nouveaux architectes, n’avait pour but que de leur faire constater la puissance de son génie ; il était loin de croire qu’aucun d’eux ne se chargerait de voûter la coupole et n’accepterait une pareille entreprise, beaucoup trop difiicile pour eux. Beaucoup de temps se passa ainsi avant que les architectes fussent venus de leurs pays, les marchands florentins qui résidaient en France, en Allemagne, en Angleterre et en Espagne ayant reçu ordre de ne rien épargner pour obtenir des souverains et envoyer à Florence les maîtres les plus habiles et les plus renommés de leurs États. Enfin, l’an 1420[19], furent réunis tous ces maîtres d’outre-monts, ainsi que ceux de Toscane et les plus habiles maîtres en dessin de Florence ; Filippo revint de Rome et se joignit à eux[20].

L’assemblée fut tenue dans l’Œuvre du Dôme, en présence des consuls, des fabriciens et des citoyens les plus remarquables par leur esprit. Il s’agissait de recueillir tous les avis et d’arrêter définitivement les moyens de voûter la coupole. Les architectes ayant donc été appelés, on les entendit l’un après l’autre exposer leurs idées et la méthode que chacun s’était proposée. Ce fut chose merveilleuse d’entendre les opinions étranges et diverses qui furent émises à cette occasion. L’un prétendait qu’il fallait établir des piliers, murés sur les fondations, d’où partiraient les arcs et la charpente destinée à porter le poids de la coupole ; un autre voulait construire la voûte en pierre ponce, pour qu’elle fût plus légère. Plusieurs s’accordaient à bâtir un pilier central et à donner à la coupole la forme d’un pavillon semblable à celui du Baptistère. Il n’en manqua pas qui dirent qu’il serait bon de la remplir de terre et d’y mêler des pièces de menue monnaie, pour que, la voûte terminée, toute cette masse de terre fût donnée à fouiller au peuple, qui la ferait ainsi disparaître sans frais. Seul, Filippo osa dire que l’on pourrait exécuter la coupole sans employer tous ces bois, ces piliers et cette terre, sans arcs dispendieux et même sans armature. Les consuls, les fabriciens et tous les citoyens, qui s’attendaient à quelque projet extraordinaire, crurent qu’il extravaguait ; ils se moquèrent de lui et le prièrent de parler d’autre chose, disant qu’il fallait être fou comme il l’était pour tenir de pareils propos. Ce qui offensa Filippo, qui leur dit : « Seigneurs, soyez assurés qu’il n’y a pas d’autre manière d’élever la coupole que celle que je vous indique, et, bien que vous riiez de moi, vous reconnaîtrez, si vous voulez n’être pas obstinés, qu’on ne doit pas et qu’on ne peut pas procéder autrement. Il est nécessaire, pour réaliser mon projet, d’employer une voûte en quart point et de la faire double, c’est-à-dire une voûte intérieure et une voûte extérieure, de manière à pouvoir circuler entre les deux ; qu’aux angles de huit pans, toute la construction de la voûte extérieure soit enchaînée aux pierres d’attente, et qu’il en soit fait pareillement avec des chaînages de bois de chêne pour les huit faces de celle intérieure. Il faut penser aux jours, aux escaliers et aux conduites pour l’écoulement des eaux. Aucun de vous n’a pensé qu’il faudra prévoir des échafaudages pour garnir les parois intérieures de mosaïques et pour exécuter quantité de choses difficiles. Mais, moi qui vois la coupole dans mon esprit, j’ai reconnu que, pour réussir, il n’y a pas d’autre moyen ni d’autre méthode à suivre que celle que j’indique »

Et, tout échauffé par son ardeur, plus il s’efforçait de rendre sa pensée claire, pour qu’on l’entendît et qu’on le comprît, plus il confirmait l’assemblée dans ses doutes et se faisait regarder comme un sot et un bavard. Plusieurs fois on lui ordonna de se retirer, et, comme il ne voulait pas partir, on le fit emporter de force par les valets hors de l’assemblée, en décrétant qu’il était décidément fou. Filippo raconta plus tard qu’à la suite de cette avanie il n’osait plus se montrer dans la ville, craignant que l’on ne criât derrière lui : « Tenez, voilà le fou qui passe ! »

Les consuls restèrent fort embarrassés, trouvant les projets des autres maîtres remplis de difficultés, et celui de Filippo l’œuvre d’un fou ; il leur semblait qu’il confondait ce qu’on lui demandait avec deux choses : l’une, de faire une voûte double, qui serait d’un poids énorme et inutile, l’autre, de l’élever sans armature. De son côté, Filippo, qui avait consacré tant d’années à ses études, dans l’espoir d’être chargé du travail, ne savait que faire et, par moments, était tenté de quitter Florence. Mais, comme il voulait rester vainqueur, il lui fallait s’armer de patience, sachant, d’ailleurs, que les cervelles des Florentins ne sauraient rester fermes sur le même propos. Il aurait bien pu montrer un petit modèle qu’il tenait en réserve, mais il ne le voulait pas, connaissant le peu d’intelligence de ses juges, la jalousie des artistes et l’instabilité de ses concitoyens. Il entreprit donc séparément ceux qu’il n’avait pu convaincre réunis, tantôt un consul, tantôt un fabricien, tantôt un de ses concitoyens, leur montrant une partie de ses dessins, en sorte qu’ils se décidèrent d’allouer le travail soit à lui, soit à l’un des architectes étrangers. Il y eut donc une nouvelle assemblée et les architectes recommencèrent leurs discussions ; mais ils furent tous vaincus par Filippo, et c’est alors, dit-on, qu’il y eut la dispute de l’œuf, que l’on raconte de la manière suivante : Ils auraient voulu qu’il leur fît connaître le fond de sa pensée et qu’il leur montrât son modèle, comme eux avaient fait ; mais il s’y refusa et se contenta de leur présenter un œui, en disant : « Celui qui le fera tenir debout sur cette table de marbre sera digne de faire la coupole. » Ses rivaux ayant consenti à tenter l’expérience, aucun ne put réussir. On dit alors à Filippo de résoudre le problème. Ayant pris l’œuf, il donna un coup de la pointe sur la table et le fit tenir droit. Comme ils murmuraient et disaient qu’ils en auraient bien fait autant, il leur répondit en riant qu’ils sauraient également faire la coupole s’il leur montrait son modèle ou ses dessins.

Il fut enfin décidé qu’il aurait la direction des travaux, et on l’invita à mieux exposer ses projets. Étant rentré chez lui, il mit par écrit tout ce qu’il avait dans l’esprit le plus clairement qu’il put, dans la forme suivante[21]: « Ayant considéré les difficultés de cette entreprise, magnifiques seigneurs, je me suis rendu compte qu’il est impossible de faire la coupole sphérique, attendu que l’appui de la lanterne serait trop large, et que le poids de celle-ci, trop considérable, ruinerait rapidement le tout. Les architectes qui n’ont pas en vue l’éternité de leurs constructions ne pensent pas à leur réputation, et ne savent pas pour qui ils travaillent. Aussi me suis-je décidé à faire une coupole octogone, et en quart point ; on sait qu’un pareil arc tend à s’ouvrir, et si on le charge au sommet avec la lanterne, il ne bougera pas. La voûte aura par le bas trois brasses trois quarts d’épaisseur, et ira en diminuant, et en forme pyramidale, jusqu’à la lanterne qui la resserrera, où elle n’aura plus qu’une brasse un quart d’épaisseur. La voûte extérieure qui mettra la voûte intérieure à l’abri des dégâts de la pluie, aura par le bas deux brasses et demie d’épaisseur, prendra également la forme pyramidale, diminuera en proportion, et n’aura plus que deux tiers de brasse d’épaisseur en arrivant à la lanterne, au bas de laquelle elle se liera avec l’autre. On placera à chacun des huit angles un éperon, et deux au centre de chaque pan, en tout vingt-quatre, autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, chacun de quatre brasses d’épaisseur. Les deux voûtes s’élèveront pyramidalement, en diminuant par égale proportion jusqu’à l’ouverture circulaire coiffée par la lanterne. Puis on établira autour des voûtes vingt-quatre éperons, et six arcs en pierre de macigno, solidement liés par des tirants de fer mélangé d’étain ; des chaînes de fer embrasseront la voûte et les éperons. Il faudra commencer par murer solidement et sans ouvertures la hauteur de cinq brasses un quart, puis construire les éperons, et ensuite on divisera les voûtes. La première et la seconde assise de pied seront renforcées de pierres de macigno mises en travers, qui serviront de support aux deux voûtes. De neuf brasses en neuf brasses, dans la hauteur des voûtes, seront de petites voûtes allant d’un éperon à l’autre, avec de grosses chaînes en bois de chêne qui s’attacheront aux éperons destinés à soutenir la voûte intérieure. Ces chaînes de bois seront recouvertes de lames de fer, pour pratiquer les montées. Les éperons seront formés de pierres de macigno et de pierre dure, ainsi que les huit pans de la coupole liés aux éperons jusqu’à la hauteur de vingt-quatre brasses. On continuera la bâtisse en brique ou en pierre ponce, comme le jugera bon celui qui sera chargé de l’entreprise, afin de la faire aussi légère que possible. À l’extérieur, on pratiquera une galerie, au-dessus des lunettes, avec des parapets à jour, et hauts de deux brasses, dans le genre de ceux des petites tribunes du bas ; en réalité, il y aura deux galeries, l’une au-dessus de l’autre, et la supérieure étant découverte, qui reposeront sur une corniche richement ornée. Les eaux de la coupole arriveront à un conduit en marbre, large d’un tiers de brasse, d’où elles s’écouleront par des chéneaux sur un pavé solide. On revêtira les huit arêtes de la coupole extérieure de côtes de marbre, de la grosseur voulue, hautes d’une brasse au-dessus de la coupole, et formant un toit qui, large de deux brasses, présentera un chéneau de chaque côté ; elles s’élèveront pyramidalement jusqu’au sommet. On construira les portions de coupole dans le mode qui vient d’être indiqué, sans armature, jusqu’à la hauteur de trente brasses, ensuite on emploiera tels moyens que conseilleront les maîtres auxquels seront confiés ces travaux. La pratique enseigne ce qu’il y a de mieux à faire. »

Quand il eut fini de rédiger ce mémoire, Filippo le porta, un matin, à ses juges qui l’examinèrent attentivement, et, bien qu’ils fussent incapables de le comprendre, ils furent frappés de l’assurance qu’il montrait, de voir qu’aucun architecte ne paraissait aussi certain que lui de ce qu’il avançait, et qu’il proposait encore une fois le même système, comme s’il l’avait déjà mis dix fois à exécution. Ayant donc délibéré, ils se décidèrent à lui donner le travail ; ils approuvèrent tout, mais ils auraient voulu se rendre compte expérimentalement comment il comptait élever sa voûte sans armature. La fortune vint favoriser ce désir ; Bartolommeo Barbadori lui fit construire, à Santa Felicità, une chapelle qu’il voûta sans armature [c’est celle qui est en entrant dans l’église, à main droite, et qui renferme un bénitier également de sa main], et dans le même temps, il en fit une autre à San Jacopo sopr’Arno[22], à côté de la chapelle du maître-autel, pour Stiatta Ridolfi. Ces deux ouvrages inspirèrent plus de confiance que ses paroles. Les consuls et les fabriciens, rassurés par ces ouvrages, et par le mémoire de Filippo, le nommèrent à l’élection directeur des travaux de la coupole[23]. Mais ils ne lui permirent cependant d’élever les constructions qu’à la hauteur de douze brasses, disant que, si cet essai tournait bien, ils ne manqueraient pas de le laisser continuer. Tant de dureté et de défiance parut certainement chose étrange à Filippo, et, s’il ne s’était connu seul capable d’un pareil travail, il n’y aurait jamais mis la main. Mais comme il désirait en avoir la gloire, il accepta, et s’engagea à conduire la coupole à bonne fin. Cet engagement et le mémoire furent copiés sur le registre où le provéditeur tenait les comptes de créances et de paiements pour les bois et les marbres ; on assigna à Filippo le traitement que jusqu’alors on avait donné aux autres directeurs en chef des travaux.

Quand on sut dans la ville que Filippo était nommé, parmi les artistes et les citoyens, les uns approuvèrent, les autres blâmèrent, car dans la masse on rencontre toujours des imbéciles et des envieux. Pendant que l’on rassemblait les matériaux, pour commencer à construire, il s’éleva une rumeur parmi les artisans et les citoyens qui improuvaient la décision des consuls et des fabriciens, et qui disaient qu’un pareil travail ne devait pas être confié à un seul homme. Un choix aussi exclusif serait pardonnable, disaient-ils, s’il y avait manque d’hommes de talent, tandis qu’au contraire il y en avait en abondance. L’honneur de la ville était en jeu, car, s’il survenait quelque accident, ce qui arrive fréquemment dans les constructions, les consuls et les fabriciens seraient inexcusables d’avoir donné une trop lourde tâche à un seul homme, indépendamment du dommage et de la honte qui en résulterait pour la ville ; enfin, il serait bon d’adjoindre un compagnon à Filippo pour réfréner son ardeur immodérée.

À cette époque, Lorenzo Ghiberti était en grand crédit, pour avoir fait preuve de son génie dans les portes de San Giovanni, et la suite prouva clairement qu’il avait nombre d’amis influents dans le gouvernement, jaloux de voir croître à ce point la réputation de Filippo, et sous couleur de s’intéresser à la bonne réussite de la construction, ils firent si bien auprès des consuls et des fabriciens, que Lorenzo fut adjoint à Filippo dans cette œuvre[24]. Cette nouvelle jeta Filippo dans un tel désespoir, qu’il fut sur le point de quitter Florence ; et, sans Donato et Luca della Robbia qui le réconfortèrent, il aurait été hors de lui. C’est vraiment une rage inouïe que celle des gens qui, aveuglés par la jalousie, menacent la gloire de leurs adversaires, et compromettent la réussite de belles entreprises, uniquement par ambition ; il ne s’en fallut pas beaucoup que Filippo ne brisât les modèles, brûlât les dessins et réduisît à néant, en moins d’une demi-heure, le résultat du travail de tant d’années. Les fabriciens s’excusèrent auprès de lui, et l’exhortèrent à aller de l’avant, l’assurant qu’il serait toujours considéré comme l’inventeur et le seul auteur de la coupole ; néanmoins ils allouèrent à Lorenzo un égal salaire.

Filippo commença son œuvre avec peu de goût, sentant qu’il aurait toute la peine et qu’il lui faudrait partager la gloire avec Lorenzo. Mais il reprit courage, pensant bien qu’il trouverait le moyen d’éliminer avant peu son rival, et il continua à mettre à exécution, avec Lorenzo, son projet tel qu’il était décrit dans son mémoire. Il eut alors la pensée de faire établir un modèle, car, jusqu’à ce moment, on n’en avait pas encore fait, et il le fit construire par un menuisier nommé Bartolommeo, qui habitait près du Studio ; ce modèle, conçu d’après des proportions rigoureuses, renfermait tous les détails les plus difficiles : les escaliers éclairés, les escaliers obscurs, les différentes ouvertures pour le jour, les portes, les chaînes, les éperons et même une partie de la galerie. Lorenzo, l’ayant appris, chercha à le voir ; mais, comme Filippo le lui refusa, il entra en colère et fit également faire un modèle, afin de paraître ne pas recevoir un salaire pour rien. De ces deux modèles, celui de Filippo fut payé cinquante livres et quinze sous, le 3 octobre 1419, comme on le trouve ordonnancé dans les livres de Migliore di Tommaso[25], tandis que Ghiberti obtint pour le sien trois cents livres, plus par faveur qu’à cause de l’utilité que pouvait en retirer la fabrique[26].

Ces tourments durèrent, pour Filippo, jusqu’en 1426, outre le désagrément de voir Lorenzo partager le mérite de son invention, et il en fut tellement troublé qu’il n’éprouvait plus un moment de repos. Après avoir roulé dans son esprit plusieurs projets, il se décida à faire en sorte de se débarrasser tout à fait de son rival, sachant combien il était incapable d’une pareille œuvre. Déjà la coupole, tant dans sa voûte intérieure que dans celle extérieure, s’élevait à douze brasses de hauteur, et il s’agissait de mettre en place les chaînes de pierre et de bois. Comme c’était une chose difficile, il voulut d’abord en parler à Lorenzo pour tâter s’il avait songé à cette difficulté. Lorenzo y avait si peu réfléchi qu’il lui répondit qu’il s’en remettait à lui, comme à l’inventeur. Cette réponse plut à Filippo ; il crut y avoir trouvé le moyen de l’écarter de l’œuvre et de prouver qu’il était loin de posséder l’intelligence que lui attribuaient ses amis et de mériter la faveur qui lavait fait mettre à cette place. Les travaux étaient arrêtés et les maçons attendaient qu’on leur commandât de continuer les voûtes au delà des douze brasses et de les enchaîner. On était arrivé à un point où, commençant à bander la coupole, il devenait indispensable de jeter les ponts pour que les manœuvres et les maçons pussent travailler sans danger, car la hauteur était telle que l’homme le plus ferme se sentait pris de frayeur et de vertige en regardant le pavé, et tout le monde attendait de savoir la manière de faire les chaînes et de jeter les ponts. Comme Lorenzo et Filippo n’ordonnaient rien, les contremaîtres et les maçons commencèrent à murmurer, ne se voyant pas commandés comme auparavant ; tous, qui étaient de pauvres gens, ne vivaient que du travail de leurs bras, et craignaient que les deux architectes n’eussent pas le courage de monter plus haut dans leur construction. Ils allongeaient la besogne, en polissant et en repassant sans cesse tout ce qui était déjà maçonné.

Un matin, entre autres, Filippo ne se rendit point sur les chantiers. S’étant enveloppé la tête de linges, il se coucha ; il se mit à crier, et, faisant instamment chauffer des serviettes, il simula un mal d’entrailles. Les contremaîtres l’ayant appris, et attendant toujours des ordres pour continuer le travail, demandèrent à Lorenzo ce qu’ils avaient à faire. Il répondit que les ordres devaient venir de Filippo et qu’il fallait les attendre. L’un d’eux lui dit alors : « Eh ! ne connais-tu pas ses intentions ? — Si, répondit-il, mais je ne ferai rien sans lui. » Il parlait ainsi pour se dérober, car il n’avait pas vu le modèle de Filippo, et, comme il n’avait demandé quoi que ce fût à Filippo, pour ne pas paraître un ignorant, il se tenait sur ses gardes et ne donnait que des réponses évasives, d’autant plus qu’il savait être, dans la direction, contre la volonté de Filippo. Depuis deux jours déjà, Filippo simulait la maladie ; le provéditeur de l’Œuvre étant allé le voir, et les contremaîtres ne cessaient de lui demander ce qu’ils avaient à faire. « Vous avez Lorenzo, leur répondait-il, qu’il agisse un peu ! » C’est tout ce qu’on pouvait tirer de lui. Cette affaire fit grand bruit, et les murmures éclatèrent de tous côtés. Les uns disaient que Filippo gardait le lit parce qu’il ne se sentait pas capable de construire la coupole et parce qu’il se repentait d’être entré dans la lice. Ses amis le défendaient et donnaient pour raison le chagrin et la mortification d’avoir Lorenzo pour compagnon ; que, d’ailleurs, sa maladie était causée par l’excès de fatigue. En attendant, tous les travaux étaient arrêtés ; les tailleurs de pierre et les maçons restaient les bras croisés et murmuraient contre Lorenzo : « Il est bon, disaient-ils, pour toucher son salaire ; mais quant à donner des ordres, c’est autre chose. Comment ferait-il si Filippo venait à manquer ou si sa maladie durait longtemps ? N’est-ce pas sa faute, si Filippo est malade ? »

Les fabriciens, se voyant dans une fausse position, se décidèrent à aller trouver Filippo. Après l’avoir entretenu avec intérêt de son mal, ils lui exposèrent dans quel désordre se trouvait la construction, et dans quel embarras les jetait sa maladie. À quoi Filippo leur répondit avec des paroles enflammées par son mal simulé et par l’amour qu’il portait à l’œuvre : « Lorenzo n’est-il pas là ? Que n’agit-il, lui ? Vous m’étonnez, vraiment ! — Mais il ne veut rien faire sans toi, lui répondirent-ils. — Je ferais bien sans lui », répliqua Filippo. Cette réponse incisive et à double entente leur suffit ; ils s’en allèrent, et comprirent que sa seule maladie était de vouloir opérer seul. Ils envoyèrent donc ses amis le tirer du lit, et lui annoncer que leur intention était de destituer Lorenzo.

Filippo se rendit donc sur les chantiers ; mais, considérant le grand crédit de Lorenzo et qu’il continuerait à toucher son salaire, sans fatigue aucune, il pensa à un autre moyen de le tourner en ridicule et de faire reconnaître par tous qu’il s’entendait peu au métier. Il parla donc de la manière suivante aux fabriciens, en présence de Lorenzo : « Seigneurs, si la durée de notre existence pouvait être réglée à notre volonté, il est certain que beaucoup de choses, qui restent imparfaites, arriveraient à bonne fin. La maladie dont j’ai été attaqué pouvait m’enlever la vie et arrêter cette entreprise. Si le même accident, ce qu’à Dieu ne plaise ! arrivait encore à l’un de nous deux, à Lorenzo ou à moi, il serait bon que rien n’empêchât l’autre de continuer l’œuvre commencée. J’ai pensé que, de même que Vos Seigneuries ont partagé le salaire entre nous deux, elles pourtaient partager l’ouvrage ; chacun alors montrerait ce qu’il sait et pourrait acquérir honneur et profit auprès de la République. Il y a actuellement deux choses difficiles à mettre en œuvre : la première consiste à jeter les ponts sur lesquels les maçons pourront travailler en sûreté, à l’intérieur et à l’extérieur de la construction, où il est nécessaire d’avoir constamment des hommes, des pierres et de la chaux, et sur lesquels on établira les treuils pour monter les charges et d’autres instruments semblables. L’autre est la chaîne qui doit surmonter les douze brasses déjà construites, qui doit her les huit pans de la coupole et enchaîner la construction, de manière que le poids de tout ce qui la surmontera ne l’écrase pas, et, au contraire, en assure la stabilité, en tenant l’édifice bien serré. Que Lorenzo prenne ce qu’il croira le plus facile des deux. Je m’engage à conduire à bon terme et sans difficulté ce qu’il me laissera. Ainsi, on ne perdra plus de temps. »

Ceci entendu, Lorenzo ne put pas refuser, pour son honneur, de choisir l’un des deux travaux, et, bien que ce fût à contre-cœur, il se résolut de prendre la chaîne, comme la chose la plus facile, espérant s’aider des conseils des maçons et de l’exemple de la voûte de San Giovanni, qui contient une chaîne de pierre dont il pensait pouvoir imiter une partie, sinon l’ordonnance tout entière. Ainsi donc, l’un s’employa aux ponts et l’autre à la chaîne, qu’ils terminèrent tous deux. Les ponts de Filippo étaient faits d’une manière si ingénieuse qu’il fut estimé d’une manière totalement contraire à l’idée que quantité de gens avaient conçue de lui par le passé. Les ouvriers, en effet, y travaillaient, montaient les charges et s’y tenaient en toute sécurité, comme s’ils fussent sur la terre ferme, et les modèles de ces ponts ont été conservés à l’Œuvre du Dôme. Pendant ce temps, Lorenzo fit avec beaucoup de difficulté la chaîne d’un des huit pans ; quand elle fut terminée, les fabriciens la montrèrent à Filippo, qui n’en dit mot. Mais il en parla à ses amis et leur dit qu’il fallait une autre liaison, que la chaîne devait être mise dans l’autre sens ; que, pour le poids qu’elle devait supporter, elle était trop faible, parce qu’elle ne serrait pas suffisamment la construction, et que le salaire que l’on donnait à Lorenzo, aussi bien que la chaîne qu’il avait fait construire, étaient autant d’argent perdu.

Cette appréciation fut divulguée, et Filippo fut requis d’expliquer ce qu’il aurait fait, s’il avait eu la chaîne à édifier. Il produisit alors les dessins et les modèles qu’il avait préparés d’avance, ce que voyant, les fabriciens et les autres maîtres reconnurent dans quelle erreur ils étaient tombés en favorisant Lorenzo. Voulant montrer qu’ils savaient réparer leurs torts, ils nommèrent Filippo directeur en chef et à vie de toute la construction[27], avec la clause que rien ne se ferait plus que par sa propre volonté. Ils lui donnèrent cent florins, par acte passé le 13 août 1423[28], devant Lorenzo Paoli, notaire de l’Œuvre, payables chez Gherardo di Messer Filippo Corsini, et ils lui allouèrent un traitement annuel et viager de cent florins.

Filippo ayant donné ses ordres, la construction continua, avec tant de vigilance de sa part et de soumission de la part des ouvriers, qu’on n’aurait pas maçonné une pierre avant qu’il ne l’ait vue. Quant à Lorenzo, bien que vaincu et humilié, il fut encore tant favorisé et aidé par ses amis qu’il conserva son traitement, en prouvant qu’on ne pouvait le congédier avant trois années révolues.

Pour la moindre des choses, Filippo faisait des dessins, des modèles d’échafaudages pour maçonner et des appareils à monter les charges. Il ne manquait toujours pas de personnes malintentionnées à son égard, et amies de Lorenzo, qui l’accablaient d’ennuis, faisant sans cesse des modèles en concurrence du sien. Ainsi, un certain Maestro Antonio da Verzelli en fit un, d’autres maîtres également, favorisés et mis en avant tantôt par un citoyen et tantôt par un autre ; ils étalaient avec volubilité leur peu de savoir et leur intelligence encore moindre, prétendant toujours avoir en main la perfection et ne pouvant présenter que des projets imparfaits ou inutiles.

Les chaînes étaient déjà terminées, autour des huit pans, et les maçons, stimulés par Filippo, travaillaient gaillardement ; mais ils s’irritèrent quand il leur demanda plus de travail qu’à l’ordinaire, et pour des reproches qu’il leur adressa au sujet de négligences ou de maçonneries manquées, en sorte que, pour ces raisons ou par envie, ils se concertèrent et déclarèrent qu’ils ne voulaient plus continuer ce travail, dur et périlleux, si l’on n’augmentait leur salaire qui, déjà, était plus élevé que d’ordinaire. Ils pensaient par là se venger de Filippo et s’attirer du profit. Cette affaire déplut aux fabriciens et tout autant à Filippo, qui, après y avoir réfléchi, prit le parti de renvoyer tous les ouvriers un samedi soir. Se voyant congédiés et ne sachant comment cela se terminerait, ils étaient pleins de mauvaise humeur ; mais ils furent très surpris quand, le lundi suivant, ils virent Filippo employer dix Lombards, qu’il dirigea lui-même, leur disant : « Faites ceci, faites cela. » Il les instruisit si bien en un jour qu’ils continuèrent de travailler pendant plusieurs semaines. D’autre part, les maçons se voyant congédiés et joués, car ils ne pouvaient trouver de travail aussi rémunérateur que celui-là, firent dire à Filippo qu’ils reviendraient volontiers, se recommandant à lui autant qu’ils le pouvaient. Filippo les tint dans l’incertitude plusieurs jours, puis il les reprit avec un salaire moindre que celui qu’ils avaient auparavant. Ainsi ils perdirent en pensant gagner davantage, et voulant se venger de Filippo, ils n’obtinrent que dommage et honte pour eux-mêmes.

Bientôt tous ces bruits s’apaisèrent, et, à voir la construction se continuer régulièrement, les gens de bonne foi avouèrent que Filippo avait montré plus de caractère qu’aucun autre architecte ancien ou moderne ; il se concilia tous les suffrages, quand il exposa son modèle en public. Chacun put se rendre compte des admirables prévisions qu’il avait eues, relativement aux escaliers, aux ouvertures donnant sur l’intérieur et sur l’extérieur, de manière à éviter les accidents dans les endroits obscurs, sans oublier les divers appuis de fer qu’il plaça judicieusement aux points où il y avait des pentes raides à gravir. Il avait en outre pensé à mettre des ferrements pour établir des ponts à l’intérieur, si plus tard on voulait y poser des mosaïques ou des peintures ; les conduites d’eau étaient disposées dans les endroits moins dangereux, et distinctes suivant qu’elles devaient être à couvert ou à découvert ; les lumières et les ouvertures étaient agencées de manière à rompre le vent, et à éviter que l’humidité ou les tremblements de terre ne nuisent à l’édifice. Il montra ainsi tout le fruit qu’il avait retiré de si longues années d’études passées à Rome. Quand on considérait ensuite tout ce qu’il avait fait dans les onglets, les incrustations, les agencements et liaisons de pierres, on tremblait en pensant qu’un seul esprit était devenu capable d’embrasser un pareil travail, comme l’avait fait Filippo. Son génie monta encore davantage, au point qu’il n’y eut de chose aussi dure et difficile à imaginer qu’il ne rendît facile et aisée ; il le montra dans ses appareils à monter les charges qu’il perfectionna à l’aide de contre-poids et de poulies, en sorte qu’un seul bœuf tirait ce que six paires ne pouvaient tirer auparavant.

À ce moment, les travaux étaient arrivés à une telle hauteur qu’il fallait un temps énorme pour en descendre, quand on y était monté ; de plus, les ouvriers perdaient un temps précieux, lorsqu’ils allaient boire et manger, et souffraient beaucoup de la chaleur du jour. Pour remédier à cet inconvénient, Filippo établit sur la couple des cabarets avec des cuisines, où l’on vendait du vin et des vivres ; par ce moyen, personne ne quittait l’ouvrage avant la fin de la journée, ce qui fut d’une grande commodité pour les ouvriers et de non moins d’utilité pour la construction. En la voyant marcher rondement et réussir si heureusement, le courage de Filippo s’était enflammé, au point qu’il ne se ménageait plus, allant lui-même aux fours où se faisaient les briques ; il voulait voir la terre, la faisait pétrir devant lui, et quand les briques étaient cuites, il les choisissait de sa propre main, avec grand soin. Dans les ateliers de taille, il regardait si les pierres avaient des fissures, si elles étaient dures, et il donnait les modèles des onglets, des joints qu’il faisait en bois, en cire, et même avec des raves ; il en faisait autant des ferrements chez les forgerons. Il inventa des agrafes et des crampons qui furent d’une grande utilité en architecture, et certes il amena cet art à un point de perfection qu’il n’atteignit peut-être jamais en Toscane.

Telles étaient la félicité et la joie dans lesquelles vivait Florence, l’an 1423[29], quand Filippo fut nommé de la Seigneurie, pour le quartier de San Giovanni, pendant les mois de mai et juin, Lapo Nicolini étant gonfalonier de justice pour le quartier de Santa Croce. Il exerça cette charge et d’autres magistratures qu’il eut dans sa patrie, avec un jugement réfléchi.

Les deux voûtes étant près d’être terminées, jusqu’à l’ouverture circulaire, sur laquelle devait s’élever la lanterne, il dut commencer à se préoccuper de cette construction finale, dont il avait fait plusieurs modèles en terre et en bois, à Rome et à Florence, et qu’il n’avait pas montrés. Il résolut d’achever d’abord la galerie, et il composa à cet effet divers dessins qui restèrent après sa mort dans l’Œuvre du Dôme, et qui depuis ont péri par l’incurie des préposés[30]. De nos jours, on en a construit un morceau[31], sur l’un des huit pans, mais on l’a abandonné, sur les conseils de Michel-Ange Buonarroti, qui ne le trouvait pas du style de l’édifice. Filippo fit encore lui-même un modèle d’une lanterne octogone, à la même échelle que son modèle de la coupole, qui fut trouvé remarquablement réussi[32]. Il y plaça l’escalier qui devait conduire à la boule, et personne ne s’en doutait, car il en avait caché l’entrée à l’aide d’un petit morceau de bois. Bien que Filippo en fût loué, qu’il eût déjà abattu la jalousie et l’arrogance de nombre d’adversaires, la vue de ce modèle excita l’envie, et tous les maîtres de Florence, y compris une femme de la maison Gaddi, se mirent à produire des modèles de lanterne. Filippo se riait de cette présomption, et comme ses amis l’engageaient à ne pas montrer son modèle, il les rassurait en leur disant que le sien seul était bon, et que les autres ne valaient rien. Quelques maîtres avaient mis dans leur modèle des parties prises à celui de Filippo, et quand il le voyait, il leur disait : « Cet autre modèle, que celui-ci fera, sera encore le mien. » Tous le louaient infiniment, sauf sur un point que l’on trouvait défectueux, c’était qu’on ne voyait pas l’escalier pour monter à la boule. Les fabriciens, néanmoins, furent d’avis de lui allouer le travail, à condition qu’il leur montrerait l’escalier. Aussitôt il enleva de son modèle le petit morceau de bois, et montra qu’il avait pratiqué dans l’épaiseur d’un pilier l’escalier que l’on voit actuellement en forme de sarbacane, présentant d’un côté un canal avec des étriers en bronze, dans lesquels posant alternativement les pieds on monte jusqu’en haut. Comme la mort ne lui laissa pas le temps de terminer la lanterne[33], il recommanda dans son testament de la faire exactement d’après son modèle, et les instructions qu’il laissait par écrit ; il affirmait que sans cela l’édifice tomberait en ruines, et que, la voûte étant construite en quart-point, il fallait la charger au sommet pour la rendre plus solide. Il ne put en voir la fin avant sa mort[34], mais la construction à ce moment atteignait quelques brasses de hauteur. Filippo eut soin de faire exécuter presque tous les marbres qui devaient y entrer, à la vue desquels le peuple restait stupéfait, ne comprenant pas qu’il fût possible de charger la voûte d’un tel poids. De fait, l’opinion de quantité de bons esprits était qu’elle ne pourrait jamais tenir ; il leur paraissait un grand bonheur qu’il eût pu l’amener jusque-là, et que c’était tenter Dieu de la charger à ce point. Mais Filippo en riait, et ayant préparé toutes les machines et pris toutes les mesures qu’il fallait pour construire la lanterne, il ne perdit pas de temps pour prévoir et préparer tous les détails, pour parer à toutes les éventualités, jusqu’à éviter que les marbres fussent écornés en les tirant en l’air, et à faire maçonner les arcs des ouvertures sur des cintres de bois. Quant au reste, comme on l’a déjà dit, il laissa des modèles et des instructions.

Pour juger de la beauté de cette œuvre, il suffit de la regarder. Du sol de l’église jusqu’à l’œil de la lanterne, on compte cent cinquante-quatre brasses ; la lanterne a trente-six brasses de hauteur, la boule de cuivre[35] quatre brasses ; et la croix huit brasses, ce qui donne en tout deux cent soixante-deux brasses. On peut affirmer que jamais les anciens n’ont construit d’édifice aussi élevé et aussi risqué ; cette coupole paraît combattre avec le ciel, et elle monte à une si grande hauteur, que les montagnes qui environnent Florence paraissent semblables à elle. Et en vérité le ciel semble, lui aussi, lui porter envie, car la foudre ne cesse de la frapper.

Tout en s’occupant de ces travaux, Filippo donna ses soins à de nombreuses constructions que nous allons passer en revue. Il de sa propre main le beau modèle du chapitre de Santa Croce, à Florence, pour la famille des Pazzi, et celui du palais des Busini[36], assez vaste pour loger deux familles. On lui doit également le modèle du palais et de la loggia degl’Innocenti[37], dont la voûte fut exécutée sans armature, méthode universellement adoptée aujourd’hui.

On dit que Filippo fut appelé à Milan pour faire au duc Filippo Maria le modèle d’une forteresse, et qu’il laissa le soin de veiller à la construction degl’Innocenti à son intime ami, Francesco della Luna. Celui-ci fit sur une architrave un ornement qui courait de bas en haut, ce qui est contraire aux règles de la bonne architecture. Filippo étant de retour, et lui ayant demandé avec humeur pourquoi il avait fait cela, Francesco lui répondit qu’il l’avait tiré du temple de San Giovanni, qui est antique. Filippo lui dit alors : « Il n’y a qu’une erreur dans cet édifice, et tu l’as copiée ! » Le modèle de Filippo resta pendant longtemps dans la maison de l’Arte di Por Santa Maria, et on voulait s’en servir pour un reste de construction qu’il y avait à finir : actuellement il est perdu.

Il fit le modèle de l’Abbaye des chanoines réguliers de Fiesole, pour Cosme de Médicis. C’est une belle architecture, commode et gaie, en somme vraiment magnifique. L’église dont les voûtes sont à hotte, est bien ouverte, et la sacristie a toutes ses commodités ; il en est de même du reste du couvent. Ce qu’il importe le plus de considérer est la disposition qu’il lui donna : voulant mettre cet édifice sur un plan, malgré la pente de la montagne, il se servit judicieusement du bas, pour y loger les caves, les lavoirs, les fours, les écuries, les cuisines, les bûchers et autres dépendances, en sorte que l’on ne saurait voir mieux. Le reste du bâtiment est sur un plan, et il put y mettre les loges, le réfectoire, l’infirmerie, le noviciat, le dortoir, la librairie et les autres pièces principales d’un monastère. Toute la dépense fut supportée par le magnifique Cosme de Médicis, qui y avait son appartement particulier, et y habitait quand il le voulait. D’après une inscription, il y dépensa cent mille écus.

Filippo dessina pareillement le modèle de la forteresse de Vicopisano[38], et, à Pise, celui de la vieille citadelle ; il fortifia le Ponte a Mare[39], et donna, dans la citadelle neuve, le dessin de la fermeture du pont par deux tours. On lui doit le modèle de la forteresse du port de Pesaro. De retour à Milan, il fit de nombreux dessins pour le duc et pour les architectes du Dôme de cette ville. À cette époque, on avait commencé l’église de San Lorenzo[40] aux frais des paroissiens ; ils avaient chargé de la construction le prieur, qui prétendait se connaître en architecture, et s’en occupait comme passe-temps. Déjà on avait commencé les pilastres de brique, quand Giovanni di Bicci de’ Medici, qui avait promis aux paroissiens et au prieur de faire construire à ses frais la sacristie et une chapelle, invita un matin Filippo à déjeuner et, entre autres propos, lui demanda son avis sur la nouvelle église. Après s’en être beaucoup défendu, Filippo le donna, à la vérité, en blâmant différentes choses, comme ayant été ordonnées par une personne peut-être plus versée dans les lettres que dans les constructions de ce genre. Giovanni lui demanda alors s’il se sentait capable de faire mieux, et Filippo répondit : « Sans aucun doute, et je m’étonne que vous, qui êtes à la tête d’une pareille œuvre, vous ne mettiez pas en avant quelques milliers d’écus pour faire construire une nef digne dans toutes ses parties du lieu et de tant de nobles sépultures. Car je suis convaincu que votre exemple sera suivi par beaucoup d’autres, qui n’épargneront rien pour élever des chapelles. D’autant plus qu’il ne reste d’autre souvenir de nous, après des centaines d’années, que celui perpétué par les constructions qui témoignent ainsi de ceux qui les ont fait construire. » Animé par ces paroles, Giovanni[41] résolut de faire bâtir la sacristie, la grande chapelle et toute la nef, bien qu’il ne fût aidé que par sept familles, parce que les autres n’en avaient pas les moyens. Ce furent les fomilles Rondinelli, Ginori dalla Stufli, Neroni, Ciai, Marignolli, Martelli et Marco di Luca, dont les chapelles durent être faites dans la croisée de l’église. On s’occupa d’abord de la sacristie ; le reste de l’église fut construit peu à peu. Grâce à la longueur de la nef, il fut possible, dans la suite, de concéder d’autres chapelles à divers citoyens de la paroisse. À peine la voûte de la sacristie fut-elle terminée, que Giovanni de’ Médici mourut[42], et son fils Cosme, tant par goût qu’en mémoire de son père, fit continuer les travaux ; ce fut la première chose qu’il fit construire. Il y prit tant de goût que, jusqu’à la fin de sa vie, il continua à bâtir. Il suivait cette œuvre avec tant d’intérêt, que, pendant qu’on mettait en train une chose, il en faisait finir une autre ; et comme c’était pour lui une récréation, il s’y tenait presque continuellement. Grâce à cette sollicitude, Filippo put terminer la sacristie, que Donato orna de stucs, et aux ouvertures de laquelle il plaça l’ornementation en pierre et des portes de bronze. Cosme plaça la sépulture de son père sous une grande table de marbre, soutenue par quatre balustres, au milieu de la sacristie où s’habillent les prêtres. Dans le même lieu, il réunit les tombeaux de sa famille, en séparant ceux des hommes et ceux des femmes ; dans le coin de l’une des deux petites chambres, entre lesquelles se trouve l’autel de la sacristie, il établit un puits et un lavabo. En somme, toute chose fut faite avec beaucoup de jugement. Giovanni et les autres fondateurs avaient eu l’intention de faire le chœur au milieu, sous la tribune ; mais Cosme, sur le conseil de Filippo, changea ce plan, agrandit la chapelle principale, qui, primitivement, avait une niche bien plus petite, de manière qu’on pût disposer le chœur tel qu’on le voit à présent. Lorsque ces travaux furent terminés, on eut encore à construire la tribune du milieu et le reste de l’église, qui ne furent voûtés qu’après la mort de Filippo.

Cette église est longue de cent quarante-quatre brasses, et l’on y voit beaucoup d’erreurs ; par exemple, les colonnes de la nef ne sont pas posées sur un dé aussi haut que le pied de la base des pilastres qui sont sur les marches, en sorte que le pilastre, plus court que la colonne fait paraître toute l’œuvre boiteuse. Du reste, on doit accuser de ces défauts les architectes qui succédèrent à Filippo[43], qui jalousaient son renom, et qui, pendant sa vie, avaient fait des modèles en concurrence au sien. Comme Filippo s’en était moqué dans certains sonnets, ils se vengèrent ainsi, après sa mort, non seulement dans cette œuvre, mais encore dans toutes celles où ils eurent à travailler après lui. Il laissa le modèle et construisit une partie du canonicat de San Lorenzo, où il pratiqua un cloître de cent quarante-quatre brasses de longueur.

Pendant qu’on travaillait à cette construction, Cosme de Médicis voulut faire élever son palais ; il manifesta son intention à Filippo, qui, laissant tout de côté, lui donna un grand et admirable modèle pour ce palais qui devait s’élever face à San Lorenzo, sur la place, mais complètement isolé. Le génie de Filippo s’était donné si libre cours que Cosme, trouvant le bâtiment trop grand et trop somptueux, plus par crainte de l’envie que de la dépense, ne voulut pas le mettre à exécution. Pendant que Filippo travaillait à ce modèle, il avait coutume de dire qu’il remerciait la fortune qui lui donnait à faire la construction qu’il avait longtemps désirée, et qui l’avait fait rencontrer un homme voulant et pouvant la faire élever. Mais, quand il apprit la résolution de Cosme, il déchira son dessin en mille morceaux. Cosme se repentit bien de ne pas avoir suivi le plan de Filippo, après qu’il eut fait contruire son autre palais[44], et il répétait fréquemment n’avoir jamais parlé à un homme de plus de génie et de plus d’intelligence que Filippo.

Pour la noble famille degli Scolari, il fit ensuite le modèle du singulier temple degli Angeli qui resta inachevé[45], comme nous le voyons actuellement, parce que les Florentins appliquèrent l’argent destiné à cet édifice à d’autres besoins de la ville. Il construisit pour Messer Luca Pitti, hors de la porte San Niccolo, dans un endroit appelé Ruciano, un riche palais qui est loin d’égaler, en grandeur et en magnificence, celui qu’il commença à Florence[46], pour le même citoyen, et qu’il conduisit jusqu’au premier étage ; on n’a pas encore vu d’œuvre toscane aussi belle. Les portes, qui sont doubles, ont seize brasses de hauteur et huit de largeur ; les fenêtres du premier et du second étage sont entièrement semblables aux portes, les voûtes sont doubles, en un mot tout l’édifice est tel qu’on ne saurait imaginer une plus belle et plus splendide architecture. La construction de ce palais fut confiée aux soins de Luca Fancelli, architecte florentin, qui présida également à l’exécution de plusieurs autres travaux de Filippo. Il y a peu d’années, la signora Leonora de Tolède, duchesse de Florence, acheta, sur le conseil de son mari, le duc Cosme, le palais Pitti, dont elle se plut à augmenter tellement les dépendances qu’il possède aujourd’hui un énorme jardin qui s’étend sur la plaine, la côte et la montagne. Ce jardin est rempli d’arbres de toutes sortes et orné de bosquets agréables, de gazons toujours verts, d’eau, de fontaines, de canaux, de viviers, d’espaliers et d’une foule d’autres choses que je n’essaierai pas de décrire, car on ne peut se rendre compte de leur beauté qu’en les voyant. Messer Luca laissa ce palais inachevé, et, comme le modèle de Filippo n’a pas été retrouvé. Son Excellence en a demandé un autre à Bartolommeo Ammanati, sculpteur et architecte excellent, d’après lequel on continue la construction, et on a déjà fait une grande partie de la cour, d’ordre rustique, semblable à celui de la façade. En vérité, celui qui considère la grandeur de cette œuvre restera stupéfait en pensant que l’esprit de Filippo ait pu concevoir un aussi grand édifice, dont la façade est aussi magnifique que la répartition des chambres. Je ne parle pas de la vue qui est admirable, et de l’espèce d’amphithéâtre que forment les collines agréables qui entourent le palais, du côté des murs ; en un mot, on ne saurait imaginer de bâtiment royal qui lui soit supérieur.

Pour revenir à Filippo, sa renommée s’était tellement accrue que, de tous les côtés, ceux qui avaient besoin de faire des constructions envoyaient vers lui pour lui demander des dessins et des modèles ; on mettait en jeu des amitiés et des relations extraordinaires. C’est ainsi que le marquis de Mantoue, désirant l’avoir, le demanda avec grandes instances à la Seigneurie ; il alla donc à Mantoue[47], et donna, l’an 1445, les dessins des digues du Pô et de divers ouvrages, selon la volonté de ce prince, qui lui fit de grandes caresses, répétant que Florence était aussi digne de compter Filippo parmi ses citoyens que lui était digne d’avoir une si belle et si noble cité pour patrie. Pareillement, à Pise, le comte Francesco Sforza et Niccolo da Pisa, qui restèrent vaincus par lui dans le tracé de certaines fortifications, le louèrent fort en sa présence, disant que, si chaque Etat avait un homme semblable à Filippo, il pourrait se croire en sûreté sans armée. À Florence, il donna encore le dessin de la maison des Barbadori, à côté de la tour des Rossi, dans le Borgo San Jacopo, qui ne fut pas exécutée, et de même le dessin de la maison des Giuntini, sur la place d’Ognissanti sopra Arno. Les capitaines du Parti guelfe de Florence ayant formé le projet d’élever un palais dans lequel il y aurait des salles d’assemblée et d’audience pour cette magistrature, en chargèrent Francesco della Luna ; celui-ci commença la construction et la sortit de terre de dix brasses de hauteur ; mais il avait commis de nombreuses erreurs. La direction en fut alors confiée à Filippo, qui donna au palais la belle forme qu’il a actuellement. Il eut, pendant ce travail, de nombreuses compétitions avec Francesco qui avait la faveur de quantité de gens. D’ailleurs, Filippo, pendant toute sa vie, eut à lutter tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre ; il y eut force gens qui lui suscitèrent ainsi des ennuis, et qui, souvent, se firent valoir en lui prenant de ses dessins, en sorte qu’à la fin il se décida à ne plus rien montrer et à ne se fier à personne. La salle de ce palais ne sert plus actuellement aux capitaines du Parti, car, l’inondation de 1557 ayant causé un grand dommage aux écritures du Mont de Piété, le seigneur duc Cosme voulut, pour mieux préserver ces écritures qui sont d’une grande importance, qu’elles fussent transportées, ainsi que le siège de cette magistrature, dans cette salle[48].

Le carême avait été prêché, à Santo Spirito de Florence, par Maestro Francesco Zoppo, qui avait alors la faveur du peuple, et il avait chaudement recommandé le couvent, les écoles et en particulier l’église qui venait d’être incendiée[49]. Les chefs du quartier obtinrent alors de la Seigneurie l’autorisation de refaire l’église, et Filippo fut prié de donner un modèle offrant toutes les parties utiles et belles qui conviennent à un temple chrétien. Il fit alors tous ses efforts pour retourner le plan de cette église, car il désirait prolonger la place jusqu’au bord de l’Arno, de manière que tous ceux qui arrivaient de Gênes, de la côte, de Lunigiana, du pays pisan ou lucquois, et qui passaient par là, vissent la magnificence de cette construction. Mais, comme quelques habitants ne voulurent pas laisser détruire leurs maisons, ce projet resta sans effet. Il fit donc le modèle de l’église et de l’habitation des frères, dans leur forme actuelle. La longueur de l’église est de cent soixante et une brasses, la largeur de cinquante-quatre ; elle est si bien ordonnée, qu’en ce qui concerne l’ordre des colonnes et les autres ornements, on ne saurait faire de construction plus riche ni plus majestueuse que celle-ci. En vérité, ce serait le temple le plus parfatit de la chrétienté, mais on ne suivit pas le modèle de Filippo, et certaines gens, voulant paraître en savoir plus que lui, ont commis nombre d’erreurs. Quoi qu’il en soit, cette œuvre le fit regarder comme un génie vraiment divin.

Filippo était facétieux de caractère et très vif dans ses réparties. C’est ainsi qu’il lança un brocard contre Lorenzo Ghiberti, qui avait acheté, à Monte Morello, un domaine, appelé Lepriano, qui lui coûtait plus du double qu’il ne lui rapportait. Aussi le revendit-il et comme on demandait à Filippo ce que Lorenzo avait fait de plus beau : « Vendre Lepriano », répondit-il.

Finalement, étant parvenu à une grande vieillesse, c’est-à-dire dans sa soixante-neuvième année, il mourut, le 16 avril 1446[50], ayant mérité par ses rudes travaux un nom honorable sur cette terre et une place glorieuse dans le ciel. Sa mort fut un deuil universel dans sa patrie qui le connut et l’estima plus après sa mort que pendant sa vie. On lui fit de magnifiques funérailles à Santa Maria del Fiore, quoique le tombeau de sa famille fût dans l’église San Marco, sous la chaire, vers la porte, où l’on voit ses armes composées de deux feuilles de figuier, avec des ondes vertes sur champ d’or, parce que sa famille, disait-on, était originaire du Ferrarais, à savoir de Ficaruolo, château situé sur le Pô, les feuilles de figuier indiquant le lieu, et les ondes, le fleuve. Une quantité d’artistes le pleurèrent et particulièrement les plus pauvres, qu’il secourut toujours. Ainsi, vivant en bon chrétien, il laissa au monde le parfum de sa bonté et de ses précieuses vertus. Il me semble pouvoir affirmer que, depuis les Grecs et les Romains il n’y eut pas d’homme aussi rare et aussi excellent que lui ; il mérite, d’autant plus d éloges que, de son temps, le style gothique était en faveur par toute l’Italie et constamment appliqué par les maîtres anciens, comme on le voit dans nombre de constructions. Il retrouva les corniches antiques et ramena les ordres toscan, corinthien, dorique et ionique à leurs formes premières.

Il eut un élève qui était originaire de Borgo a Buggiano et qu’on appela le Buggiano. Il fit le bénitier de la sacristie de Santa Reparata, orné d’enfants qui lancent de l’eau ; on lui doit également le buste en marbre de son maître, qui fut placé dans le Dôme, près de la porte de droite, en entrant, au-dessus de l’inscription[51] que les Florentins y firent mettre, pour l’honorer après sa mort, autant qu’il avait lui-même honoré Florence pendant sa vie. Filippo fut malheureux en différentes choses : outre qu’il eut des adversaires, toute sa vie, quelques-unes de ses constructions ne furent pas terminées de son vivant et ne l’ont jamais été. Entre autres, il est fâcheux que les moines degli Angeli n’aient pas pu terminer l’église qu’il avait commencée. Après qu’ils eurent dépensé, pour la partie construite, plus de trois mille écus, obtenus soit de l’Art des Marchands, soit du Mont de Piété, où les fonds étaient déposés, le capital fut dissipé et la construction resta inachevée. Que celui donc qui veut laisser un souvenir de lui se dépêche de son vivant et ne se fie à personne d’autre. On peut en dire autant de quantité d’autres édifices commencés par Filippo Brunelleschi.


  1. Mentionné en 1351, aux livres du Proconsul : Brunellescus filius olim Lippi Turae de Florentia. Il était notaire.
  2. Giuliana di Giovanni Spini.
  3. Aujourd’hui San Gaetano.
  4. Maestro Cambio, qui était médecin.
  5. Immatriculé à l’Art de la Soie le 19 décembre 1398 et parmi les Orfèvres (qui comptaient dans cet Art) le 2 juillet 1404. Tommaso, son frère, est immatriculé le 29 avril 1405.
  6. Existent encore.
  7. Actuellement Villa royale ; la tour existe encore.
  8. Ces dessins sont perdus.
  9. Actuellement dans la chapelle Bardi.
  10. Actuellement dans la chapelle Gondi. — Brunellesco donna également le dessin de la chaire actuelle, qui fut couverte de bas-reliefs dus à un certain Maestro Lazzaro, aux frais de la famille Ruccellai.
  11. Voir pour plus de détails la Vie de Lorenzo Ghiberti ; le modèle de Brunellesco est actuellement, avec celui de Ghiberti, au Musée National.
  12. Le 22 novembre 1403.
  13. En 1417. Dans toute cette histoire de la coupole et des démêlés de Filippo avec Ghiberti, Vasari ne suit pas du tout la chronologie des événements.
  14. Donatello et Nanni d’Antonio di Banco travaillèrent à ces modèles.
  15. Il y travailla également (document de 1423).
  16. Existe encore ; en place. Le bas-relief représente un combat de Centaures et de Lapithes.
  17. Restituée à Antonio Manetti.
  18. La date exacte est le 19 mai 1417 ; il reçut dix florins d’or.
  19. Fin mars 1420.
  20. Les livres de comptes du Dôme donnent tous leurs noms. On n’y rencontre pas de noms étrangers ; tous sont florentins. Ce sont : Giovanni di Gherardo da Prato, Giuliano d’Arrigo, Giovanni dell’Abaco, Nanni d’Antonio di Banco, Donatello, Ricco di Giovanni et Michele di Niccolo, dit le Scalcagna. Ils obtinrent tous une gratification.
  21. Ce projet, rapporté dans les livres de comptes de l’Œuvre du Dôme, est de 1420. Le texte en diffère sensiblement de la relation donnée par Vasari.
  22. Ces deux voûtes ont été détruites au XVIIIe siècle siècle.
  23. En 1418 et 1419, quantité de maîtres florentins présentèrent des modèles pour la coupole. Les livres du Dôme mentionnent qu’il en fut présenté un, sans armature, fait de concert par Brunellesco, Donatello et Nanni d’Antonio di Banco.
  24. Le 16 avril 1420, sont nommés provéditeurs de la coupole : Brunellesco, Ghiberti et Batista d’Antonio, au salaire de trois florins d’or par mois. En cas de mort ou de démission, il y avait deux suppléants désignés, l’un Giuliano d’Arrigo, dit Pesello, pour Brunellesco ; le deuxième, Giovanni di Gherardo da Prato, pour les deux autres.
  25. Migliorino di Tommaso Guidotti, trésorier de l’Œuvre.
  26. Cette différence s’explique en ce que l’on paya à Ghiberti les modèles de la lanterne et de la coupole réunis.
  27. Le 13 avril 1443.
  28. La date exacte est le 27 août 1423. Il fut confirmé, avec Ghiberti, chacun dans son poste, le 4 février 1425, et Ghiberti resta adjoint à Brunellesco, avec de fréquentes interruptions, jusqu’en juin 1446. En 1434, Filippo fut mis en prison par ordre des consuls de l’Arte de’ Maestri parce qu’il n’avait pas payé la taxe à laquelle, ainsi qu’à la Matricule, était astreint tout artiste qui voulait exercer sa profession. Mais il fut délivré sur l’intervention des fabriciens, qui firent emprisonner les consuls pour abus de pouvoir. [Décrets du 19 et du 30 avril 1434.]
  29. Exactement en 1425.
  30. L’Œuvre du Dôme conserve quelques modèles originaux.
  31. Sur le dessin de Baccio d’Agnolo ; côté sud-est.
  32. Il le présenta, le 31 décembre 1436, concurremment avec Ghiberti, Antonio Manetti et deux autres moins connus.
  33. La première pierre en fut placée en 1445, la dernière en 1461.
  34. La coupole fut découverte en 1436.
  35. Placée par Verrochio, vingt-trois ans après la mort de Filippo. Jetée à terre en 1601 par la foudre, elle fut remplacée par une plus grande.
  36. Aujourd’hui palais Quaratesi, place d’Ognissanti.
  37. Commencés en 1421. L’hôpital fut ouvert en 1445.
  38. Bâtie en 1435.
  39. En 1415.
  40. Elle fut refaite à la place d’une ancienne église qui tombait en ruines. Les premiers travaux sont du commencement du XVe siècle.
  41. On ne lui doit que la sacristie et deux chapelles qui furent terminées avant sa mort, arrivée en 1428. Cosme prit à sa charge de faire construire la grande chapelle et la nef de l’église.
  42. En 1428.
  43. Entre autres, Antonio Manetti.
  44. Par Michelozzo Michelozzi.
  45. Il en reste quelques fragments, Via degli Alfani.
  46. Il s’agit du palais Pitti, actuellement palais royal, dans le quartier d’Oltr’Arno.
  47. En 1431 et en 1486.
  48. Ils y sont toujours.
  49. Cet incendie eut lieu en 1471. Mais, auparavant, à la suite des prédications de Fra Francesco Mellini, on avait commencé la nouvelle église, sur le dessin de Brunellesco ; elle fut terminée en 1481.
  50. Dans la nuit du 15 au 16. Il avait fait deux testaments, en 1481 et en 1441, mais on les a pas retrouvés.
  51. Existe encore ; due à Carlo Marsuppini, chancelier de la République.