Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/peint5
Chapitre V. — De la peinture sur mur ; comment on l’exécute, et pourquoi on l’appelle travail à fresque.
De tous les procédés qu’emploient les peintres, la peinture sur
mur est la plus belle et la plus magistrale ; elle consiste, en effet, à
faire, en un seul jour, tout ce que, dans les autres modes de peinture,
on peut retoucher, en plusieurs jours, le travail une fois fait. La
fresque était très employée par les Anciens, et les premiers peintres
modernes l’ont ensuite pratiquée. On l’exécute sur de la chaux qui
soit fraîche, et on ne l’abandonne pas, tant que n’est pas terminée la
partie du travail qu’on s’est fixée pour la journée. En effet, si on
s’attardait à la peindre, il se formerait sur la chaux comme une croûte, occasionnée par le froid, le chaud ou la gelée, qui moisirait
et tacherait tout le travail. C’est pourquoi il faut que le mur que l’on
peint soit constamment humide ; les couleurs que l’on emploie doivent
être de terre et non pas minérales ; le blanc est du travertin cuit. Il
faut aussi une main adroite, résolue et prompte, mais avant tout un
jugement ferme et absolu, parce que les couleurs, tandis que le mur
est humide, se montrent sous un aspect qui est complètement différent
une fois que le mur est sec. Aussi faut-il que le peintre, dans ce
travail de la fresque, recoure plus à son jugement qu’au dessin, et il
faut qu’il ait pour guide une pratique plus qu’extrême, car il est souverainement
difficile d’amener un pareil travail à perfection. Quantité
de nos artistes excellent dans les autres procédés de peinture, à savoir
l’huile et la détrempe, qui ne réussissent pas dans la fresque. Ce
mode est vraiment plus viril, plus sûr, plus résolu et plus durable
que tous les autres. Une fois terminé, il acquiert, avec le temps, de
la beauté et de l’unité, infiniment plus que tous les autres. Il se purifie
à l’air, résiste à l’eau et à tout choc. Mais il faut avoir soin d’éviter
les retouches avec des couleurs qui contiennent de la colle animale,
du jaune d’œuf, des gommes adragantes ou autres, comme font
beaucoup de peintres ; outre que le mur ne peut pas en montrer la
transparence, les couleurs sur lesquelles on a posé de ces retouches se
ternissent et deviennent rapidement noires. Aussi, que ceux qui
veulent peindre sur un mur travaillent hardiment à fresque et ne
retouchent pas à sec. C’est un procédé méprisable et qui donne une
moindre durée aux peintures, comme on l’a déjà dit autre part.