Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/sculp1

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 48-50).
De la sculpture : chapitre Ier

Chapitre premier. — Quelle chose est la Sculpture ; comment sont faites les bonnes sculptures et quelles parties elles doivent avoir pour être regardées comme parfaites.



L a sculpture est un art, qui, enlevant le superflu de la matière employée, la réduit à la forme de corps qui est dessinée dans l’imagination de l’artiste. Il faut considérer que toutes les figures, pour être dites parfaites, doivent avoir plusieurs parties, de quelques sortes que ces figures soient ou taillées dans le marbre, ou coulées en bronze, fixités en stuc ou en bois, devant être en ronde-bosse et susceptibles d’être vues de tous côtés. En premier lieu, quand une pareille figure se présente tout d’abord à la vue, elle doit rappeler et avoir la ressemblance de ce qu’elle a à représenter, fière ou humble, ou singulière, gaie ou mélancolique, selon sa signification. Elle doit offrir une égale correspondance des membres, c’est-à-dire, ne pas avoir les jambes longues, la tête grosse, les bras courts et difformes. Au contraire, qu’elle soit bien mesurée, et également concordante dans toutes ses parties, de la tête aux pieds. Si la tête est celle d’un vieillard, que la statue ait pareillement les bras, le corps, les jambes, les mains et les pieds d’un vieillard, et les veines bien à leur place ; que les os, les muscles et les nerfs soient apparents à la fois. Si c’est un jeune homme, la statue doit avoir le visage plein, délicat et doux au regard, en concordance avec le reste du corps. Si elle ne doit pas être nue, il faut faire en sorte que les draperies qui la recouvrent ne soient pas maigres, au point de faire paraître le travail sec, ni épaisses à sembler un manteau de pierre. Qu’elles soient au contraire enroulées avec le développement de leurs plis, de manière qu’elles laissent deviner les parties nues qu’elles recouvrent, tantôt les montrant avec grâce et art, tantôt les cachant, sans aucune crudité qui nuise à la statue. Les cheveux et la barbe doivent être exécutés avec une certaine flexibilité, déroulés ou bouclés, de manière à montrer qu’ils ont été traités poil par poil, et qu’on leur a donné toute la grâce et l’aspect pileux qu’on peut demander au ciseau. Dans cette partie, cependant, les sculpteurs ne peuvent pas aussi bien copier la nature que dans d’autres, car ils font les touffes de cheveux raides ou frisées, plus par procédé d’école que par imitation de la nature.

La statue est-elle drapée, il est nécessaire de faire les pieds et les mains en sorte que ces parties égalent en beauté et en bonté les autres parties. Comme la statue est en ronde-bosse, il faut que vue de face, de profil ou par derrière, elle soit de proportions égales, devant, à chaque point de vue, se présenter comme bien exécutée dans toutes ses parties. Il est donc nécessaire que cette corrélation soit parfaite en tout, attitude, dessin, union, grâce et exécution ; toutes ces choses montrent le talent et la valeur de l’artiste. Les figures, aussi bien en relief qu’en peinture, doivent être ordonnées plus avec le jugement qu’avec la main, car elles sont destinées à être placées en l’air, et à être vues d’une certaine distance. En effet, le fini extrême ne se reconnaît pas de loin, mais on voit bien la belle forme des bras et des jambes, et des draperies simplement plissées font preuve de bon jugement de la part de leur auteur. C’est dans la simplicité de la sobriété que se montre la subtilité du génie. Aussi, les statues de marbre et de bronze qui sont placées un peu haut doivent-elles être modelées énergiquement ; parce que le marbre étant blanc, et le bronze tirant sur le noir, sont susceptibles d’ombres accusées ; aussi le travail, vu de loin, paraît-il terminé, et, de près, distingue-t-on qu’il est resté ébauché. Les Anciens furent grandement attentifs à observer ces considérations dans leurs figures en ronde-bosse ou de demi-relief, que nous voyons sur les arcs de triomphe, et sur les colonnes de Rome, lesquels monuments montrent, en outre, quelle somme de jugement ils eurent. Parmi les artistes modernes, on peut voir que le même principe a été rigoureusement suivi par Donatello, dans ses œuvres. Il faut de plus considérer que, lorsque les statues sont placées en un lieu élevé, et qu’au bas il n’y a pas beaucoup de distance pour pouvoir se reculer et les juger de loin, que, par conséquent, il faut pour ainsi dire se tenir sous leur nez, de pareilles statues doivent avoir une tête ou deux de plus, de hauteur. C’est ce qu’on fait, parce que des statues placées ainsi, en l’air, se perdent dans le raccourci de la vue, pour l’observateur placé au-dessous et regardant de bas en haut. L’augmentation de hauteur que l’on donne à la statue se fond dans le raccourci visuel, et rétablit la bonne proportion, de manière qu’on a devant soi une statue de bonnes dimensions, et non pas un nain. Et si ce procédé ne plaisait pas, il est loisible de conserver aux membres de la statue leur grâce et leur minceur ; mais cela revient à peu près au même. Beaucoup d’artistes ont l’habitude de faire leurs statues hautes de neuf têtes ; on les divise en huit têtes, non compris la gorge, le cou et la hauteur du pied qui, pris ensemble, complètent à neuf têtes. Soit deux hauteurs de tête pour les jambes, deux pour la distance des genoux aux parties génitales, trois pour le torse jusqu’au creux de la gorge, une du menton jusqu’au haut du front, enfin une pour la gorge et cette partie qui va de la cheville à la plante des pieds. En tout neuf têtes. Les bras sont attachés aux épaules, et de cette articulation au creux de la gorge, on compte une tête de chaque côté. Les bras jusqu’à l’articulation du poignet, ont trois têtes de longueur ; l’homme ouvrant ses bras et les étendant, a une envergure égale à sa hauteur totale. Mais on ne doit se servir de meilleure mesure que le jugement de l’œil ; quand bien même une chose serait bien mesurée, si l’œil est offusqué, il faut la blâmer. Aussi disons-nous que, bien que la mesure soit une juste modération dans l’agrandissement des statues, en sorte que leur hauteur et leur largeur donnent à l’œuvre grâce et proportion, en maintenant toutefois son ordonnance générale, néanmoins l’œil devra ensuite, avec son jugement, enlever ou ajouter, selon qu’il verra des points défectueux, de manière à leur donner des proportions, grâce, dessin et perfection, et à ce qu’elles puissent être louées par tout excellent esprit. La statue, ou figure qui aura ces parties, sera parfaite de bonté, de beauté, de grâce et de dessin. Nous appellerons ces figures ronde-bosse, parce qu’on pourra voir toutes leurs parties terminées, comme celles d’un homme en tournant autour de lui. Il en sera de même des parties qui dépendent de celles-ci. Mais il nous paraît désormais temps de passer à des choses plus particulières.