Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes/sculp2

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Traduction par Weiss, Charles (18...-19...; commandant).
DORBON-AINÉ (1p. 50-53).
De la sculpture : chapitre II

Chapitre II. — De la manière de faire les modèles en cire et en terre ; comment on les recouvre ; comment on les agrandit ensuite, à proportion, dans le marbre ; comment on dégrossit une œuvre de sculpture, de quelle manière on la travaille à la gradine, on la polit, on la passe à la pierre ponce, on la lisse, et on la rend terminée.

Quand les sculpteurs veulent exécuter une figure de marbre, ils ont l’habitude de préparer pour elle un modèle, pour employer le terme consacré ; c’est une réplique de la figure, de la grandeur d’une demi-brasse, ou moins, ou plus, selon qu’ils le trouvent plus commode, en terre, en cire, ou en stuc, et qui leur sert à montrer l’attitude et les proportions que devra avoir la figure qu’ils veulent faire, en cherchant à se conformer à la largeur et à la hauteur du bloc qu’ils ont fait extraire, et dont ils veulent tirer leur statue. Pour montrer comment on travaille la cire, nous laisserons d’abord de côté les modèles en terre. Occupons-nous donc de la cire. Pour la rendre plus moelleuse, on y mélange un peu de suif, de térébenthine et de poix noire. Parmi ces produits, le suif la rend plus maniable, la térébenthine plus visqueuse, la poix lui donne la couleur noire et une certaine fermeté, en sorte qu’elle devient dure quand le modèle est terminé. Celui qui voudrait le faire d’une autre couleur le pourrait aisément. En mettant dans la cire de la terre rouge, du cinabre ou du vermillon, il la rendra couleur de jujube, ou de la couleur correspondante au produit ajouté : verte, si on y met du vert-de-gris, et ainsi de suite des autres couleurs. Il est bon de prévenir que les couleurs employées doivent être en poudre, tamisées, et ensuite être mélangées avec de la cire rendue liquide auparavant. Pour les petits objets, tels que des médailles, des portraits et des petits bas-reliefs, on se sert également de cire blanche. On la fait en mélangeant de la céruse en poudre avec de la cire blanche, comme cela a été dit ci-dessus. Je ne passerai pas de plus sous silence que les artistes modernes ont trouvé la manière de faire en cire des enduits de toutes sortes de couleurs. En sorte que, dans les portraits faits d’après nature, et en demi-relief, les carnations, les cheveux, les vêtements et les autres choses sont tellement semblables au modèle qu’il ne manque rien à de pareilles figures, dans un certain sens, si ce n’est le souffle et la parole. Revenons à la manière de faire les modèles en cire. La mixture faite, fondue ensemble et refroidie, on en fait des morceaux de pâte. Quand on les tripote avec les mains, toujours un peu chaudes, ils se comportent comme de la pâte ordinaire, et on en tire une figure assise, debout ou comme on la veut, soutenue par une armature intérieure, soit en bois, soit en fil de fer, selon la volonté de l’artiste. On peut employer cette armature ou non, le résultat devant être aussi bon. Peu à peu, travaillant autant avec son esprit qu’avec ses mains, on donne du corps à l’œuvre en recouvrant de cire les brochettes d’os, de fer, ou de bois, et en resserrant la matière. On ajoute des couches superposées, en affinant le travail, jusqu’à ce que l’on donne avec les doigts un fini extrême à ce modèle.

Si l’on veut faire des modèles qui soient en terre, on les exécute de la même manière, mais sans armature intérieure de bois ou de fer qui ferait fendre et se crevasser la terre. Pour éviter cet accident pendant le travail on laisse le modèle couvert d’un drap mouillé, jusqu’à ce qu’il soit fini.

Ayant terminé ce qui concerne les petits modèles, ou les figures en cire ou en terre, nous allons examiner autre chose. Il s’agit de faire un autre modèle qui soit aussi grand que la figure que l’on veut tirer du marbre. Dans ce travail, comme la terre que l’on emploie imprégnée d’eau se resserre en séchant, il faut s’y prendre tout à son aise et n’exécuter les différentes parties du modèle que successivement. Vers la fin, on mélange à la terre de la farine cuite qui la maintient maniable et l’empêche de se sécher. Cette attention fait que le modèle, ne se resserrant pas, reste exactement semblable à la figure que l’on veut exécuter en marbre. Comme un si grand modèle de terre doit pouvoir se tenir, et pour empêcher la terre de se fendre, il faut prendre de la bourre ou de l’étoupe, et les mélanger à la terre, pour lui donner de la consistance et éviter les crevasses. On fait aussi une armature intérieure en bois, entourée d’étoupe ou de foin qu’on ficelle autour. Elle représente l’ossature de la figure, et permet de lui donner l’attitude qu’il faut, soit debout, soit assise, selon le petit modèle exécuté auparavant. On commence ensuite à la couvrir de terre, en l’exécutant nue et on poursuit le travail jusqu’à la fin. La figure ainsi terminée, si on veut ensuite qu’elle soit recouverte de fines draperies, on prend de la fine toile, ou de la grosse toile dans le cas contraire, on la trempe dans l’eau, et, une fois mouillée, on l’enduit de terre non pas liquide, mais plutôt en boue un peu épaisse. On la jette ensuite sur la figure, ayant soin de ménager les plis et les froissures que l’on veut lui donner. Une fois sèche, la toile vient à durcir et maintient indéfiniment les plis. C’est ainsi que l’on conduit à bonne fin les modèles en cire et en terre. Quand on veut agrandir un modèle, à proportion, dans le marbre, il faut que l’on ménage une équerre dans le bloc de pierre même dont on veut extraire la statue ; une des branches est horizontale, à la base de la statue l’autre est verticale, ces deux lignes ne devront pas être modifiées pendant toute l’exécution du travail. Une autre équerre de bois, ou d’autre matière, est fixée au modèle et sert à prendre les mesures de celui-ci : par exemple, de combien les jambes sont écartées du corps, et de même les bras. On cherche ensuite à dégager la figure du bloc avec ces mesures, en les reportant du modèle sur le marbre, avec leurs proportions, de manière qu’enlevant de la pierre avec le ciseau, la figure sorte peu à peu du bloc avec ses justes mesures, comme si on sortait une figure de cire d’un bassin d’eau dont on la tirerait par la tête. On verrait ainsi d’abord la tête, puis le corps et les genoux, en découvrant peu à peu la figure et en la tirant en l’air. Puis on apercevait d’abord la rondeur de la moitié supérieure du corps, et ensuite celle de l’autre moitié. Ceux qui travaillent avec précipitation et s’attaquent au bloc directement, en enlevant de la pierre hardiment devant et derrière, ne peuvent pas ensuite en ajouter, si le besoin s’en fait sentir, et de là proviennent quantité d’erreurs que l’on remarque dans les statues. L’artiste, ayant voulu voir sortir la figure toute ronde, d’un seul jet, hors du bloc, découvre souvent une erreur commise, à laquelle il ne pourra remédier qu’en ajoutant des morceaux rapportés, procédé que nous avons vu suivre par quantité d’artistes modernes. Ce raccommodage est digne d’un savetier, et non pas d’hommes excellents et de maîtres remarquables ; c’est une chose laide et grossière qu’il faut blâmer avec énergie.

Les sculpteurs ont l’habitude, quand ils travaillent le marbre, de commencer à ébaucher leurs figures avec une subbia. C’est un instrument ainsi appelé par eux, et qui se compose d’une pointe affûtée de court. Ils enlèvent donc la pierre, et dégrossissent largement le bloc. Ensuite, avec d’autres instruments appelés calcagnuoli, qui sont courts et qui ont une entaille au milieu du tranchant, ils commencent le contour. Ils continuent à se servir de cet instrument, jusqu’à ce qu’ils passent à un outil plat, plus fin, qui a deux entailles, et qu’on appelle une gradine. Ils modèlent ainsi toute la statue avec délicatesse, en ménageant les muscles et les plis des draperies, et ils la traitent par le moyen des entailles, ou dents dont l’outil est muni, de manière que la pierre montre une grâce admirable. Cela fait on enlève les stries avec un polissoir, et l’on termine cette partie de travail avec des limes courbes, pour donner de la perfection à la statue en y ajoutant de la douceur, du moelleux et du fini. On en fait autant avec d’autres limes fines et avec des râpes droites, qui enlèvent les stries qui ont pu rester. Ensuite, avec de la pierre ponce, on lisse toute la statue, en lui donnant le charnu que l’on voit dans les œuvres admirables de la sculpture. On emploie également la poudre de Tripoli, qui donne un brillant et un poli merveilleux, ce qu’on obtient aussi en frottant avec des tampons de paille. Finalement, terminées et polies, les statues se montrent admirables à nos yeux.