Lettre du 19 décembre 1664 (Sévigné)

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Texte établi par Monmerqué, Hachette (1p. 473-475).
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64. — DE MADAME DE SÉVIGNÉ
À M. DE POMPONE.

Vendredi 19e décembre.

Voici un jour qui nous donne de grandes espérances ; mais il faut reprendre de plus loin. Je vous ai mandé comme M. Pussort opina mercredi à la mort ; jeudi, Noguez, Gisaucourt, Fériol, Héraut, à la mort encore. Roquesante finit la matinée, et après avoir parlé une heure admirablement bien, il reprit l’avis de M. d’Ormesson. Ce matin nous avons été au-dessus du vent, car deux ou trois incertains ont été fixés, et tout d’un article nous avons eu la Toison[1], Masnau, Verdier, la Baume et Catinat[2], de l’avis de M. d’Ormesson. C’était à Poncet à parler ; mais jugeant que ceux qui restent sont quasi tous à la vie, il n’a pas voulu parler, quoiqu’il ne fût qu’onze heures. On croit que c’est pour consulter ce qu’on veut qu’il dise, et qu’il n’a pas voulu se décrier et aller à la mort sans nécessité. Voilà où nous en sommes, qui est un état si avantageux que la joie n’en est point entière ; car il faut que vous sachiez que M. Colbert est tellement enragé, qu’on attend quelque chose d’atroce et d’injuste qui nous remettra au désespoir. Sans cela, mon pauvre Monsieur, nous aurons le plaisir et la joie de voir notre ami, quoique bien malheureux, au moins avec la vie sauve, qui est une grande affaire. Nous verrons demain ce qui arrivera. Nous en avons sept, ils en ont six. Voici ceux qui restent : le Feron, Moussy, Brillac, Benard[3], Renard, Voisin, Pontchartrain et le chancelier. Il y en a plus qu’il ne nous en faut de bons à ce reste-là.

Samedi 20e décembre.

Louez Dieu, Monsieur, et le remerciez : notre pauvre ami est sauvé. Il a passé de treize à l’avis de M. d’Ormesson, et neuf à celui de Sainte-Hélène. Je suis si aise que je suis hors de moi[4].


  1. Lettre 64. — i. Dans les Œuvres de M. Foucquet, tome XVI, p. 339, il est dit positivement que la Toison opina à la mort. C’est une erreur, ou bien il y a une confusion de noms dans la lettre, car cela ferait dix opinions pour la mort, et il n’y en eut que neuf.
  2. Pierre Catinat, père du maréchal, mourut doyen des conseillers du parlement de Paris, en 1674. René Catinat, frère aîné du maréchal, né en 1630, fut reçu conseiller au parlement en 1655 : c’est probablement de ce dernier qu’il est ici question.
  3. Benard (et non Bernard) de Rezé, maître des requêtes.
  4. Les voix de la chambre de justice se partagèrent ainsi :

    Pour le bannissement et la confiscation des biens : d’Ormesson, maître des requêtes ; de la Toison, conseiller au parlement de Dijon ; de Roquesante, conseiller au parlement de Provence ; du Verdier, conseiller au parlement de Bordeaux ; de la Baume, conseiller au parlement de Grenoble ; Masnau, conseiller au parlement de Metz ; le Feron, conseiller à la cour des aides ; de Moussy, maître des comptes ; Catinat, Renard et Brillac, conseillers au parlement de Paris ; Benard de Rezé, maître des requêtes ; de Pontchartrain (père du chancelier), président à la chambre des comptes.

    Pour la mort : le Cormier de Sainte·Hélène, conseiller au parlement de Rouen ; Pussort et de Gisaucourt, conseillers au grand conseil ; Fériol, conseiller au parlement de Metz ; Noguez, conseiller au parlement de Pau ; Héraut, conseiller au parlement de Bretagne ; Poncet et Voisin, maîtres des requêtes ; le chancelier Seguier.

    Nous avons placé les noms dans l’ordre où les range la Relation qui est à la fin des Œuvres de M. Foucquet. Elle omet celui de Brillac, et compte, comme nous l’avons dit, la Toison parmi ceux qui allèrent à la mort. — Dans la copie Amelot, il y a une liste des juges, intitulée bureau, et les noms de tous ceux qui n’ont pas voté la mort sont accompagnés du mot bon. Dans l’édition de 1756, les noms sont rangés sur deux colonnes, dont la première a pour titre bons, la seconde contraires. Dans la copie aussi bien que dans l’édition, on lit au bas ces mots : L’arrêt de l’avis de M. d’Ormesson.