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Lettre sur le progrès des sciences/Article 4

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Obſervations ſur les variations de l’Aimant.

Lorſque l’on conſidère l’uſage qu’on fait de la direction de l’aimant vers le pole, on ne peut guère s’empêcher de croire que cette merveilleuſe propriété lui a été donnée, pour conduire le navigateur. Mais puiſque cette propriété, qui n’eſt encore connue qu’imparfaitement, nous procure déjà tant d’utilité, il y a grande apparence qu’elle nous en procureroit encore davantage, ſi elle étoit entièrement connue.

La direction de l’aimant en général vers le pole, ſert à diriger nos routes : mais les écarts de cette direction, ſoumis ſans doute à quelque loi encore peu connue, ſeront vraiſemblablement de nouveaux moyens que la nature réſerve au navigateur, pour lui faire connoître le point du globe où il ſe trouve.

L’Angleterre donna autrefois à M. Halley, le commandement d’un vaiſſeau deſtiné au progrès des ſciences maritimes. Après une navigation dans les deux hémiſphères, ce grand Aſtronome ébaucha ſur le globe le trait d’une ligne, dans laquelle toutes les aiguilles aimantées ſe dirigeoient exactement vers le nord, & en s’écartant de laquelle, on voyoit croître leurs déclinaiſons. Une telle ligne bien conſtatée, pourroit en quelque ſorte ſuppléer à ce qui nous manque pour la connoiſſance des longitudes ſur mer : par la déclinaiſon de l’aiguille, obſervée dans chaque lieu, l’on jugeroit de la poſition orientale ou occidentale de ce lieu.

D’autres Géographes ont cru que la ligne de M. Halley n’étoit pas unique ſur le globe, qu’il s’en trouvoit encore quelqu’autre qui avoit le même avantage. Comme la déclinaiſon de l’aimant varie dans un même lieu, ces lignes ſans déclinaiſon ne doivent pas demeurer dans une poſition conſtante : mais ſi, comme il eſt vraiſemblable, leur mouvement eſt régulier, & ſi nous parvenons à le connoître, leur utilité ſera toûjours la même. Il faut avouer que les travaux de M. Halley n’ont pas mis la choſe dans une parfaite évidence : mais peut-on eſpérer que de ſi grandes entrepriſes s’achèvent dans une première tentative ? & pour une découverte d’une pareille importance, peut-on épargner les moyens ?

On ne ſauroit donc trop recommander aux navigateurs de faire partout où ils pourront, les obſervations les plus exactes ſur la déclinaiſon de l’aiguille aimantée : ces obſervations leur ſont déjà néceſſaires pour connoître la vraie direction de leur route, & ils les font ; mais ils ne les font pas avec le ſoin néceſſaire, quoiqu’on leur en ait donné les moyens, en remarquant les précautions qu’il faut prendre pour obſerver l’amplitude & l’azimuth avec le plus d’avantage qu’il eſt poſſible, & en perfectionnant avec ſuccès les compas de variation[1].

Les différentes inclinaiſons de l’aiguille aimantée en différens lieux ont fait penſer à d’habiles hydrographes, qu’on en pourroit encore tirer quelque nouveau moyen pour connoître ſur mer les lieux où l’on eſt. Ces obſervations qui ont donné lieu à de ſavantes recherches[2] ſont encore plus difficiles à exécuter que celles de la déclinaiſon, & ne peuvent guère ſe faire en mer avec l’exactitude néceſſaire ; mais il faudroit les faire ſur terre dans toutes les différentes régions : car autre choſe eſt de faire des obſervations pour découvrir une théorie, ou d’en faire pour ſe ſervir d’une théorie déjà connue.


  1. Voy. Pièces des Prix de l’Académie des Sciences de Paris, 1731 & Mémoires de la même Académie, 1733.
  2. Pièces des Prix de l’Académie des Sciences de Paris, années 1743 & 1746.