Lettres à une inconnue/7

La bibliothèque libre.
(1p. 28-30).
◄  VI.
VIII.   ►

VII

Lady M… m’a annoncé hier au soir que vous alliez vous marier. Cela étant, brûlez mes lettres ; je brûle les vôtres, et adieu. Je vous ai déjà parlé de mes principes. Ils ne me permettent pas de rester en relation avec une dame que j’ai connue demoiselle, avec une veuve que j’ai connue mariée. J’ai remarqué que, l’état civil d’une femme étant changé, les rapports changent aussi, et toujours pour le pire. Bref, à tort ou à raison, je ne puis souffrir que mes amies se marient. Donc, si vous vous mariez, oublions-nous. Je vous en conjure, n’ayez point recours à une de vos échappatoires ordinaires et répondez-moi franchement.

Je vous proteste que, depuis le 28 septembre, je n’ai eu que des contrariétés et des chagrins de toute espèce. Votre mariage était encore dans les fatalités qui devaient tomber sur moi. L’autre nuit, ne pouvant dormir, je repassais dans mon esprit toutes les misères dont j’ai été accablé depuis quinze jours, et je n’y trouvais qu’une seule compensation, qui était votre aimable lettre et la promesse non moins aimable que vous me faisiez d’un schizzo. C’est bien maintenant que j’ai envie de poignarder le soleil, comme disent les Andalous. Mariquita de mi vida (laissez-moi vous appeler ainsi jusqu’à vos noces), j’avais une pierre superbe, bien taillée, brillante, scintillante, admirable sur tous points. Je la croyais un diamant que je n’aurais pas troqué pour celui du Grand Mogol. — Pas du tout ! voilà qu’il se trouve que ce n’est qu’une pierre fausse. Un chimiste de mes amis vient de m’en faire l’analyse. Figurez-vous un peu mon désappointement. J’ai passé bien du temps à penser à ce prétendu diamant et au bonheur de l’avoir trouvé.

Maintenant, il faut que je passe autant de temps (encore plus) à me persuader, que ce n’était qu’une pierre fausse.

Tout cela n’est qu’un apologue. J’ai dîné avant-hier avec le diamant faux et je lui ai fait une mine de chien. Quand je suis en colère, j’ai assez en main la figure de rhétorique appelée ironie, et j’ai fait au diamant un éloge de ses belles qualités le plus ampoulé que j’ai pu et avec un sang-froid bien glacial. Je ne sais, en vérité, pourquoi je vous dis tout cela ! surtout si nous allons nous oublier prochainement. En attendant, je vous aime toujours et je me recommande à vos prières, — angel in thy orisons, etc.

Vendredi prochain, votre dessin partira par un courrier et se trouvera sans doute dimanche à Londres. Vous pourrez l’envoyer réclamer mardi chez M. V…, Pall-Mall.

Excusez la démence de cette lettre, j’ai de tristes affaires en tête.